Dix ans après les révoltes urbaines, quelle image pour les quartiers ?

Retour sur le débat et l’émission organisés par Lille en quartiers, le samedi 7 novembre 2015, à Lille Sud.

camille.marigaux
8 min readDec 7, 2015
Le samedi 7 novembre, au Centre social Lazare Garreau, à Lille Sud.

Au printemps, on a senti les rédactions des grands médias frétiller en même temps que les arbres reprenaient des couleurs. Lundi 18 mai, le tribunal correctionnel de Rennes prononce la relaxe des deux policiers poursuivis pour non-assistance à personne à danger après la mort par électrocution, le 27 octobre 2005, des deux adolescents Zyed Benna et Bouna Traoré, dans un transformateur EDF de Clichy-sous-Bois. Une relaxe (à priori) définitive venue mettre un terme à 10 ans d’une procédure judiciaire rapidement surnommée “L’Affaire Clichy”, qui aura fait parler dans les quartiers populaires de l’Hexagone.

Et à Lille Sud ? C’est ce que nous nous sommes demandé. Au début de l’été, nous sentions que les médias traditionnels allaient se jeter sur la date anniversaire. C’était attendu. “Depuis 10 ans, rien n’a changé”, allait faire les gros titres. Ce n’est pas forcément ce que nous pensions. À Lille Sud, en discutant avec les habitants du quartier, on se rend compte que beaucoup de choses ont changé depuis 10 ans. L’urbanisme, par exemple. Les relations avec les policiers. Le secteur associatif.

Mais des personnalités du quartier nous ont aussi dit de faire attention. “Il ne faut pas remuer la merde…” autour d’un événement qui a marqué, voire traumatisé les mentalités de toute une génération. D’autant que l’on a vite constaté que le quartier de Lille Sud est resté relativement calme, à l’époque. Mais 2005, c’est aussi une prise de conscience politique, la création d’associations, et surtout, de médias de quartier qui ont fait leur bout de chemin. Un mouvement lancé qui pose une seule et même question : comment parler des quartiers populaires ? Pour les 10 ans des révoltes de 2005, c’est de cela, dont nous avons voulu parler.

“Les jeunes de banlieue mangent-ils les enfants ?”

L’après-midi a commencé avec un débat organisé entre le politologue Thomas Guénolé, autour du livre «Les jeunes des banlieues mangent-ils les enfants ?», et Aline Leclerc, journaliste au Monde et auteure, en 2010–2011, du blog “Urbains Sensibles” à La Courneuve.

Une centaine de personnes était présente pour participer aux échanges. Quelles solutions pour rendre aux habitants des quartiers populaires, et notamment aux jeunes, la capacité de prendre la parole, et de s’auto-définir ? Telles ont été les questions abordées lors de cette discussion. Un résumé détaillé du débat a été réalisé par La Voix du Nord.

Comment déconstruire les préjugés sur les quartiers ?

Fin du débat, place à l’émission de radio. Nous avons choisi de privilégier pendant l’émission la parole donnée aux habitants sur l’endroit où ils habitent. Comment a t-il évolué en dix ans ? Qu’est-ce qui a changé ? Qu’en attendent-ils ?

Beaucoup d’envies dans cette émission.

Maxime et Camille ont présenté l’émission du 7 novembre, accompagnés par Nassim.

Parler des quartiers, c’est aussi en slamant.

Pour commencer l’émission, Ethan, Franckie et Sandra de l’association “Au fil de l’eau” sont venus faire quelques slams autour du quartier de Lille Sud.

Émeutes ou révoltes ?

Émeute, banlieues, jeunes, quartiers, violences, police…Des mots largement utilisés dans les médias que nous décryptons lors de l’émission. Quant aux médias eux-mêmes, notre revue de presse (voir ci-dessous) les scanne en faisant le point sur ce qui s’est dit dans la Voix du Nord pendant les révoltes en 2005.

Ci-dessous, vous pouvez ré-écouter la chronique de Nassim sur les mots qui entourent les événements de 2005 : émeutes, révoltes, jeune, banlieue…De quoi, de qui parle t-on ?

La mort de Riad, en 2000, dans tous les esprits

À Lille Sud, c’est la mort de Riad Hamlaoui en 2000 qui reste dans les mémoires du quartier. Ce jeune homme de 23 ans, tué d’une balle dans la nuque suite à une «erreur» policière, a fait basculer beaucoup de choses. Loubna, que nous avons rencontré lors de la marche pour la dignité du 31 octobre, est venue parler de cette mobilisation mais aussi dans quelles conditions Riad, dont elle connait des proches, est décédé sous les tirs de la police.

Loubna fait également partie de l’association “Urgence Notre Police Assassine”.

Ci-dessous, son témoignage, qu’elle partage et discute avec Nassim.

Vu de Lille Sud

Dans cette émission, c’est aussi le portrait d’une figure du quartier, directrice d’un club de boxe, des témoignages d’anciens et de nouveaux habitants, mais aussi les mots de Lillois récoltés dans et hors de Lille Sud sur leur vision du quartier.

Enfin, les extraits du projet de l’association ORPIST et du centre social Lazare Garreau donnent la parole aux plus jeunes, qui ont pris le micro pour parler de leur quartier et de ses mutations. Écoutez dans la “partie 3” les extraits qu’ils nous ont présenté lors de l’émission.

Les enfants de Lille Sud ont investi la RCV Vauban pour une émission concoctée avec l’association ORPIST et le Centre social Lazare Garreau.

Le tout, en musique et ouvert à tous.

Retrouvez la playlist spéciale “dix ans des révoltes” concoctée par Nassim ci-dessous, et découvrez pourquoi il a choisi ces chansons en écoutant les extraits de l’émission… :

1- Burnin’, Bob Marley

2- La chanson du loubard, Renaud

3- Demain, c’est loin, IAM

4- Y a pas de couleur, Kery James

Zoom sur…

Une institution de Lille Sud, le centre social Lazarre Garreau. Il était là avant les révoltes, il est encore debout 10 ans après. Depuis 30 ans tout pile, le club de boxe du Gant d’argent fait faire du sport à des jeunes, en menant certains d’entre eux jusqu’aux compétitions, mais surtout, ce lieu emblématique crée du lien social entre les habitants du quartier…. et d’ailleurs. Beaucoup viennent de toute la Métropole pour jouer des poings. Et tous les encadrants sont bénévoles. Marie, la gérante, nous explique qu’on parle à tort de Lille Sud comme d’une banlieue. C’est un quartier de Lille à part entière où on peut vivre, tout simplement.

Reportage au Gant d’argent :

La presse locale, Lille sud et nous

À peine la thématique “quartiers populaires” évoquée, la critique des médias pointe son nez. Comme un poncif, personne ne peut s’en empêcher. Après 2005, journaux, radios et surtout télévision ont été scrutés à la loupe, accusés de déformer une réalité que les journalistes ne pouvaient que simplifier. Lieux communs au mieux, clichés au pire. Pour retrouver en quels termes la presse régionale a traité de Lille sud en novembre 2005, “Lille en quartiers” a relu les numéros de La Voix du Nord publiés à l’époque. Oui, tous.

Les flammes à Paris, le calme à Lille ?

Le journal a mis un certain temps à comprendre que ce qui se passait dans la capitale pouvait se propager à la région. Les banlieues parisiennes sont analysées mais point, encore, de comparaison avec la métropole. On cause politiques nationales, jamais locales.

Ainsi, le 1er novembre, en dernière page, un journaliste, Hervé Favre, est très critique vis-à-vis d’un certain Nicolas: “la culture du résultat vantée il y a trois ans par l’omniprésent ministre vient de recevoir dans les rues de Clichy sous bois un gros pavé dans le pare-brise”. Le lendemain, le journal titre “Matignon reprend la main”. Mais pas de souci, à la page 9, il est question d’une exposition de manga à Lille sud.

Il faudra attendre le 4 novembre pour que les “évènements” fassent la une: “Une semaine d’émeutes en banlieue parisienne, le feu pas éteint.” Et en sous-titre: “Dans la région, ce problème existe aussi mais certains essaient de trouver des solutions, comme à Lille Sud”. Deux articles évoquent le quartier: quelques voitures commencent à brûler.

Le règne des faits divers

Si du 4 au 17 novembre, les révoltes urbaines font la une de La Voix du Nord. Et s’il faut reconnaître la qualité de quatre “dossiers” (éducation, urbanisme, emploi et rapport police-justice), les évènements sont, de manière générale, traités sur le mode du faits-divers. Tout au long du mois de novembre, les dégâts, incendies ou incivilités s’enchaînent, triés par commune ou quartier. L’analyse est dans l’urgence, superficielle. Les voitures brûlées sont comptées, les interventions policières énumérées. Mais la parole est rarement donnée, hormis aux responsables associatifs et aux quidams rencontrés dans la rue. La faute à quoi ? Peut-être au manque de connaissances préalables des journalistes. Sans sources et sans contact, difficile d’avoir une plus-value analytique.

Mais le traitement visuel pose aussi question. Les photos, souvent en couleur contrairement au reste du journal, font peur: on y distingue du feu, le tout est très flou, comme dépersonnalisé. Qui sont les personnes qui mettent le feu ? On ne saura pas. Leurs motivations ? Encore moins.

Des mots et des propos

Le 5 novembre, l’édito du journal titre sur un “constat d’échec”. “Constat d’échec d’un modèle d’intégration, d’un modèle social et d’un modèle économique. (…) Dans certaines ANPE, on fait semblant de chercher du travail pour certains jeunes qui n’en veulent pas auprès d’entreprises qui ne veulent pas d’eux. Dans certaines classes on fait semblant d’enseigner. Et l’assistance généralisée qui se trouve être aujourd’hui la réponse principale au chômage infantilise ces populations”.

Le 8 novembre, la parole est donnée aux habitants de Lille sud. “Les jeunes se font une petite révolution” , “on ne va pas resté enfermé parce qu’il y a trois petits cons qui font le bordel”, “c’est un ras-le-bol. Papa n’a pas de boulot; maman n’a rien, on mange ce qui reste, ils reprennent à leur compte le sentiment des parents”. Deux pages plus loin, tout va bien à Lille: plus de deux mille personnes postulent au titre de “Nouvelle star”. Le 15 novembre, Monique, 57 ans, coiffeuse à Lille sud, témoigne. Elle dit ne plus reconnaitre son quartier, selon elle il a basculé il y a quinze ans (en 1990, vous suivez toujours ?). “Maintenant, les gens ont honte de dire qu’ils viennent de Lille sud”.

Le 20 novembre, la question “les banlieues et maintenant ?” s’étale en une. Ce sera la dernière fois du mois que les banlieues lilloises feront les gros titres de La Voix du Nord.

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