Petite leçon de prudence à l’usage d’un apprenti journaliste… et du mien !
Retour sur la rumeur de la mort du Président tunisien
Le 28 juin dernier, un double attentat frappait Tunis, alors que le pays est en période pré-électorale (les législatives et la présidentielle sont prévues pour novembre 2019).
Une heure à peine après les explosions, tous les journalistes présents sur place, moi y compris, avaient eu vent d’une série de rumeurs. D’abord l’hospitalisation du Président Béji Caïd Essebsi, rapidement confirmée par un communiqué officiel de Carthage. Puis celle de son décès.
Après deux heures à passer des coups de fil dans tous les sens, j’y ai cru. Je n’étais pas la seule. Les deux photojournalistes avec qui je me trouvais en étaient tout aussi persuadés. On était sûrs “à 90%.”
Lorsque nous avons appris que les députés accouraient en masse à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), on est partis là-bas comme des flèches. Tout était bizarre, une tension très lourde. Les gens se planquaient dans les bureaux. On se disait presque : “l’histoire sous nos yeux”. L’un des deux confrères avec qui je vadrouillais, photographe aguerri (Syrie, Irak, Libye et…), Tunisien pur jus, roué aux rebondissements politiques dans son pays, répétait toutes les 10 minutes : « y’a pas débat, il est mort »
Et moi, j’étais en direct sur BFM TV, avec un point quasiment toutes les demies heures. J’avais tellement envie de sortir l’info ! Parce que j’étais sûre de ne pas me tromper.
Pourquoi ai-je finalement décidé d’attendre et de ne rien mentionner, ni à l’antenne, ni sur Twitter — où je live-tweetais l’évènement, comme à mon habitude ?
Parce que j’en ai discuté.
En régie, on me disait : “tu as un communiqué officiel ?” NAN.
Mes deux confrères : « oui on est sûrs. Non, on n’a pas le communiqué ».
Et jusqu’à samedi soir, j’étais certaine que le Président était mort et que le pays allait au devant d’un blocage politique et constitutionnel. C’est dire comme je ne suis pas plus maligne que d’autres. Et je n’ai pas de boule de cristal. Même le New York Times a mentionné “la rumeur”, dès jeudi. Après tout, j’aurais pu dire : « ce n’est pas confirmé mais il se dit que… » Sur des infos moins importantes, il m’arrive de le faire, en mettant au conditionnel, et en prenant toutes les précautions oratoires.
Sauf qu’on ne peut pas faire état de simples bruits de couloir dans des situations aussi déterminantes, même pour dire “ce ne sont que des rumeurs”. C’est une question de déontologie.
On ne ferait que propager la rumeur, et désinformer le public, on serait même acteurs malgré nous de manipulations, au service des petits comploteurs du dimanche. Instrumentalisés.
La preuve, je me suis bien plantée… Béji, on le sait maintenant, est vivant ! Il est même plus en forme que les Aigles de Cathage !
Conclusion : passer à côté d’un scoop, ça n’a aucune importance. Quand il s’agit de l’avenir et de la stabilité d’un pays, on ne joue pas. Même si on est sûrs. On attend le communiqué officiel. Il sera toujours temps, après, de commenter la rumeur comme fait politique.
Expérience formatrice pour moi, et qui devrait servir de cas d’école dans tous les cours de journalisme à l’heure des chaines tout-infos et du breaking news.