Mon récit du Lavaredo Ultra Trail 2016 — 120kms — 5850m d+

Louic
9 min readJun 29, 2016

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23h00 — vendredi 24 juin — le départ

Après une après-midi de repos, je commence à me préparer vers 21h. J’ai beaucoup de mal à me décider sur ma tenue. Au final, je prends trop de trucs et j’ai couru avec un sac plein de choses qui ne m’ont pas vraiment servies alors que d’autres m’ont cruellement manquées. Il faudra que je me souvienne d’utiliser les sacs d’allégement (qui sont des sacs en plastique remplis par les coureurs et transportés par le staff de la course sur certains ravitaillements).

22h50 : dans le sas de départ, discussion avec un certain Jeff de Carcassonne, adepte des ultra 170 km, qui me dit “la clé, ce sont les descentes, il faut en garder sous le pied pour bien finir”.

Ça tombe bien, je suis pas un gros descendeur, à cause de genoux et chevilles en carton.

23h : c’est parti pour 119 kms sur fond de musique d’Ennio Moricone, ça change du traditionnel (et relou) Vangellis.

La première nuit

La première ascension se passe super bien, un peu de pluie mais juste comme il faut pour être frais sans avoir froid, suivi d’un très long faux plat descendant 3 kms en forêt. C’est vraiment génial, super ambiance, ça restera un des meilleurs souvenirs de la course.

Premier ravitaillement au 18ème km et là, je découvre ce que je soupçonnais fortement depuis mon arrivée à Cortina : l’organisation de ce trail n’est clairement pas au top. Le ravito est constitué, en gros, d’eau, de gatorade et de coca pour le liquide et de gâteaux secs (type ceux que mamie donnait au chien) et de banane pour la bouffe. On est très loin d’une SaintéLyon ou d’une Maxi-race : pas de café, pas de fromage, pas de jambon, pas de collation salée (on veut des Tucs !)

En fait, après discussion avec des compatriotes durant la course (ouais ouais une bande de français qui râlent, c’est très original…), les ravitos sur les trails organisés en France sont généralement très bons. (Ce Lavaredo est mon premier trail à l’étranger).

On enchaine ensuite la seconde ascension, plus sérieuse celle-là mais je suis raisonnable : je cours en peloton et je reste dans un rythme moyen-moins (en pensant que ça économiserait mon énergie pour la suite). Premier passage au dessus de 2000m, c’est sympa : de la vraie montagne.

Après une descente sans histoire, arrêt à la Federavecchia, premier point de chronométrage. Je vois les secours pas mal sollicités, il y a eu un peu de casse durant la nuit.

La première grosse difficulé : la montée vers les Tre Cime

Rif Auronzo — 2300m d’alt.

On entame ensuite LA première vraie difficulté de l’épreuve : la montée sur le refuge Auronzo au pied des Tre Cime.

Là, autour du 40ème km, je commence à avoir mal aux pieds et je me dis qu’il faudrait strapper au prochain poste de secours.

En arrivant au refuge, on nous fait rentrer à l’intérieur pour un repas chaud : grossière erreur. La pièce est surchauffée et il n’y a que de la soupe aux vermicelles au menu. Le choc thermique est vraiment terrible en ressortant.

Ceci dit, j’allais pas laisser passer l’occase de croiser des toilettes en dur…

8h45 de course et 50km : globalement, ça va. Un peu mal aux pieds mais c’est supportable.

Le jour s’est levé et le paysage est vraiment ouf.

La descente qui suit (plus de 1000m d-) fait mal, c’est vraiment pas ma tasse de thé d’envoyer 1 heure non-stop de descente hyper raide.

Du coup, je me suis arrêté au poste de soins pour faire strapper mes orteils qui, à partir de là, ont été super douloureux à cause d’hématomes sous les ongles. J’ai du mal à repartir, c’est très précisément la mi-course et j’ai mal.

Je rejoins Cimabanche, c’est à cet endroit que les sacs d’allégement étaient distribués. Je m’en voulais de ne pas en avoir fait un, moi aussi. J’aurai pu décharger mon sac, changer de chaussure et prendre une paire plus grande pour compenser le gonflement de mes pieds, que du bon sens que je n’ai pas eu et qui allait me coûter cher.

Une seconde moitié douloureuse mais magnifique

En repartant de Cimabanche, on s’engage dans une “petite” bosse un peu comme la première ascension. C’est la transition vers le “monstre” de la fin. J’ai décidé de sortir les bâtons. j’ai essayé de faire sans pour préparer la Diagonale des Fous (pour laquelle ils sont interdits…) mais j’avais trop mal aux pieds.

Ça se passe pas si mal au début, je fais la connaissance d’un couple d’Italiens super sympas, on parle et rigole un peu, on sent bien que la fraicheur nous a tous quitté et que les descentes font de plus en plus mal.

En arrivant à Malga Ra Stua, je suis pas bien, je commence à comprendre que mon projet d’arriver de jour à Cortina (entre 22 et 23 heures) ne se produira pas. Je suis encore dans les temps mais je me sens décliner. Évidemment, avec la fatigue accumulée, cette sensation se transforme en crève-cœur.

D’autant plus que les 45 derniers kilomètres constituent la 2ème grosse difficulté de l’épreuve avec une section de 20 km à plus de 2000 m sur un tracé technique et engagé.

Bref, il fait grave chaud, je suis un peu abattu, je me change pas, je reste dans mon jus… Encore une erreur de débutant…

La seconde grosse difficulté : la montagne, la vraie

Je pars pour la Gallina, il n’y a pas de ravitaillement de prévu sur 20 kms. J’ai prévu 4 heures, il m’en faudra plus de 5h30.

Je m’attendais pas du tout à ça, le tracé suit un torrent dans une vallée bien encaissée. C’est magnifique, perdu au milieu de nulle part, Yosemite dans le style. J’adore être là mais je galère bien et, en plus, on en voit pas le bout, c’est super méga long. On doit traverser le torrent dont l’eau est glacée plusieurs fois et c’est meme notre seul ravitaillement en eau.

Le refuge de la Gallina est situé après une ascension de plus 1000m d+ puis une petite redescente et une légère remontée… Après l’ascension qui m’a bien flinguée, j’ai vraiment eu un gros coup de mou. Je me mets sur le bord de la route pour réfléchir dix secondes à ce que je faisais. Je prends un moment, là, puis j’appelle Val pour lui dire que j’allais jeter l’éponge, qu’il y avait pas de honte à renoncer, ça fait partie de ce sport etc, etc. Bref, là, elle me dit « NON ».

Je m’en fous, j’en pouvais plus, je voulais que les douleurs s’arrêtent et il restait encore 8 heures pour finir. On discute un peu et elle me dit de ne rien faire avant d’avoir fait une vraie pause à la Gallina (ce qui est le meilleur des conseils). En arrivant au refuge, je suis maché, je détache mon dossard pour abandonner et prendre une navette. Mais bon, je fais d’abord une “vraie pause”, je bois et mange (beaucoup, j’étais bien à sec) et là je vois plein de gars dans des états pires que moi se préparer à affronter le reste de la course. En plus, Val veut pas que j’abandonne et elle a raison. Progressivement, de minutes en minutes, je commence à me dire qu’au final, je peux finir genre pépère en mode rando pour le kiffe de finir. J’ai mal aux pieds mais moins mal en marchant qu’en courant. Note : ça sera ni pépère ni rando mais, à ce moment, ça me faisait du bien de penser ça.

Il a fallu 4/5 minutes et bam c’était parti, j’ouvre mon sac, je mets tout ce que j’ai de propre sur moi.

Le nouveau départ au kilomètre 94

En repartant, je croise deux Français, on entame une petite discussion :

  • ça va les gars ?
  • Ouai mais c’est chaud aujourd’hui…
  • c’est votre premier ultra ?
  • nan mais une première au Lavaredo. Et toi ?
  • Ouais, c’est mon premier, je suis dégoûté, je voulais mieux faire.
  • Ah mais le premier Ultra ça se termine et c’est tout ce qui compte. T’auras d’autres occases pour le chrono. Allez, courage.

Ça parait con mais ces trois phrases m’ont fait du bien. Je m’étais monté le bourrichon tout seul avec le chrono. En fait, maintenant c’est sûr, je m’accroche et je finis. Je suis un ouf, moi Monsieur !

J’entame l’ascension d’un pic à 2500 m d’altitude, c’est raide et c’est de la “haute montagne”, du pierrier vénère. Au cours de l’ascension, le temps se gâte vraiment et des éclairs commencent à zébrer le ciel. J’en mène pas large mais j’avance.

Lorsque j’arrive au sommet, il pleut fort, beaucoup de vent, une température très proche de zéro, et de nombreux éclairs. C’est dantesque. Je bois vite fait un thé sur un stand improvisé par l’orga mais je traine pas, j’ai trop froid.

Une descente vite avalée, il faut que je colle aux coureurs devant moi, ils sont plus grands que moi, ils pourraient me servir de paratonnerre !

il pleut maintenant depuis deux bonnes heures. Je suis trempé.

J’arrive au 103ème km (avant-dernier ravito). Je vous ai dit qu’il faisait froid et humide. Bref, je me pose pas longtemps, sinon je me roule en boule, en pleurs dans la boue sous la tente.

Le final avec un nouveau pote

Au moment de repartir, je cherche un binôme — j’ai pas envie d’attaquer les deux dernières bosses seul. Je vois un gars qui se prépare : « are you leaving ? Can I join ? »

L’accent de son “yes of course” ne laisse pas de doute, un compatriote.

Je rencontre Pierrick qui va m’accompagner jusqu’au bout et M E R C I à lui, il a été extra. Un mec en or. Rugbyman plus expérimenté que moi dans l’ultra distance. Il a l’habitude de la deuxième nuit de course alors que c’est une première pour moi et son expérience est super précieuse.

La nuit tombe rapidement et au moment de rallumer ma frontale, j’ai une grosse boule dans la gorge, le moral n’est pas au beau fixe. On enchaîne les derniers kilomètres de montagne

Et c’est parti pour la descente sur Cortina d’Ampezzo, il faut descendre 1200 m de dénivelé en une dizaine de kilomètres. D’abord, le chemin serpente dans les pierres puis dans une forêt très boueuse et donc glissante dans la nuit noire.

Là, clairement, la descente se transforme en calvaire, je suis épuisé et chaque pas me fait souffrir de ouf. Cette descente va durer environ deux heures qui m’en ont paru mille.

À 3 kms de la fin, Pierrick file devant, il voulait essayer de finir en moins de 27 h mais ce taré va m’attendre après l’arrivée (à 1h30 du matin).

Merci Pierrick

Moi je termine sur les rotules en 27 h 25 mn à 1h30 du matin.

Photo prise par Pierrick

“Every finisher is a winner” — F. Debouck

Cette phrase de mon parrain de promotion et Mentor, Frank Debouck, prend un nouveau sens. Je pensais pas avoir cette resilience en moi.

Conclusion : je ne serai plus un noob

J’ai vécu un truc de ouf. Les paysages et le tracé sont extraordinaires.

Je retire plusieurs enseignements précieux pour la suite.

Dans le négatif :

  • il faut que je sois beaucoup plus organisé (changement de chaussures et vêtements, c’est INDISPENSABLE).
  • Il faut aussi que je me mette dans le crâne que prendre 30 minutes de récupération / traitement des bobos peut faire gagner des heures à la fin.
  • Il va aussi falloir être encore plus préparé pour la descente, je suis pas encore assez fort en descente.

Dans le positif :

  • le mental a fini par tenir.
  • Mis à part des ampoules et hématomes sur l’integralité de mes pieds, le reste n’a pas craqué, j’avais assez de jus pour le dénivelé. L’entrainement est en train de payer.

Le parcours du Lavaredo Ultra Trail

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Louic

Tech freelancer — Ultra trail runner — As many time as possible traveler