𝐔𝐧 đ©đžđ­đąđ­ 𝐩𝐹𝐭 đšÌ€ đ©đ«đšđ©đšđŹ 𝐝𝐼 đœđšđ§đźđ„đšđ« 𝐡đČđđ«đšđ±đČđœđĄđ„đšđ«đšđȘ𝐼𝐱𝐧𝐞 𝐞𝐭 đ­đ«đšđ­đ­đąđ§đžđ­đ­đž

Lionel Pousaz
6 min readAug 20, 2020

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Vous avez sans doute vu passer l’info: ce weekend, des universitaires on publiĂ© une Ă©tude scientifique bidon sur les rapports entre hydroxychloroquine et accidents de trottinette. Un petit machin assez savoureux, bourrĂ© de blagues potaches et de rĂ©fĂ©rences cryptiques aux organes gĂ©nitaux mĂąles, publiĂ© dans une revue pourrie de 10e rang. Et donc, un peu partout sur les rĂ©seaux, ça glose pas mal sur le manque de sĂ©rieux de la recherche. Pour Mme Michu, c’est bien la preuve que tout ça, c’est un peu n’importe quoi, et aux frais du contribuable, qui plus est! A tel point que je me demande si les scientifiques farceurs, qui voulaient dĂ©noncer une source d’abus, ne se seraient pas tirĂ© une balle dans le pied. M’enfin, pas dans leur pied Ă  eux, mais dans celui de la recherche en gĂ©nĂ©ral.

Et donc, avant de tirer des conclusions alarmantes qui n’ont pas lieu d’ĂȘtre sur l’état dĂ©plorable de la science, je vous propose une longue tartine Ă©crite avec les pieds, parce que je n’ai pas le temps ni l’énergie de faire court et clair. A l’intention de ceux qui, parmi vous, ne connaissent pas le systĂšme des publications scientifiques.

Tout d’abord, il faut comprendre un peu comment fonctionnent les publications et ce à quoi elles servent. En gros:

1) Le chercheur machin-chose fait une découverte dans son labo. Il la décrit dans un article: comment il y est parvenu, quelles techniques il a utilisées, etc. Ca va souvent dans les plus petits détails et prend généralement des mois de travail.

2) Il soumet son article Ă  une revue scientifique. La dite revue va soit refuser l’article d’emblĂ©e (c’est assez frĂ©quent, surtout chez les journaux les plus prestigieux), soit le soumettre au jugement d’experts indĂ©pendants: les fameux “pairs”, que l’on retrouve dans l’expression anglaise “peer-reviewed”, soit “revu par des pairs”.

3) Les experts vont mettre le chercheur sur le grill, lui poser les questions qui fĂąchent, contester certaines conclusions s’il y a lieu, demander des preuves supplĂ©mentaires.

4) Le chercheur rĂ©pond aux commentaires des experts. J’ai vu mon Ă©pouse, scientifique Ă  Harvard, passer Ă  travers ce processus douloureux plusieurs fois. Pour son dernier papier publiĂ© dans Nature (un petit journal de rien du tout assez rĂ©putĂ©), le processus s’est Ă©talĂ© sur une annĂ©e environ. J’arrĂȘte ici de vanter ma femme, c’est plus fort que moi. Quoi qu’il en soit et mĂȘme aprĂšs cela, il n’est pas rare que l’article soit tout de mĂȘme rejetĂ©.

5) L’article est acceptĂ©. Champagne. Mais cela ne veut pas dire que les conclusions soient inĂ©branlables ou gravĂ©es dans le marbre — vous l’aurez remarquĂ© avec la crise du covid, les choses ne se passent pas ainsi en science. On avance par paliers, on se contredit, on se remet en cause, on tente de nouvelles approches. Il est rare qu’un article unique fasse consensus d’emblĂ©e. Ce que signifie la publication, c’est que les conclusions ont une certaine valeur, qu’elles peuvent ĂȘtre discutĂ©es dans la communautĂ© scientifique, etc. En rĂšgle gĂ©nĂ©rale (mais pas toujours), plus la revue est prestigieuse, plus elle est exigeante sur la soliditĂ© des preuves.

VoilĂ  en trĂšs gros comment cela fonctionne.

Maintenant, il y a plusieurs ligues dans les revues scientifiques. En haut de panier, les Nature, Science, Cell. Elles ne sont pas infaillibles ni incorruptibles, mais tout de mĂȘme. Et elles sont Ă©pouvantablement exigeantes, Ă  raison.

Tout au fond, on trouve les journaux-poubelles: des machins mis sur pied par et pour des scientifiques de 18e rang, voire par et pour des pas-scientifiques-du-tout. Vous payez une somme forfaitaire, la revue est censĂ©e vous trouver un expert et vous publier. On les appelles “revues prĂ©datrices”. C’est dans ce genre de journal qu’a Ă©tĂ© publiĂ© le canular.

Ce qu’il faut retenir, c’est que ces revues et leur publications n’ont pas grande influence sur les bons chercheurs et sur les institutions scientifiques solidement Ă©tablies. Personne ou presque ne s’y laisse prendre, et leur influence est somme toute assez nĂ©gligeable dans les cercles d’experts.
Le vrai problĂšme est ailleurs. Le but de ces journaux n’est pas tant de tromper les chercheurs que de passer un vernis scientifique sur des conclusions mal embouchĂ©es ou de pures opinions. Il s’agit de tromper des dĂ©cideurs, politiques, journalistes et autres non-initiĂ©s. Le but est de fabriquer de la fausse science pour influencer le dĂ©bat public, se donner une crĂ©dibilitĂ© que l’on a pas.

D’ailleurs, les auteurs du canular n’ont pas sĂ©lectionnĂ© par hasard le Asian Journal of Medicine and Health. Ce journal avait Ă©tĂ© choisi par un collectif français qui milite en faveur de la prescription d’hydroxychloroquine pour les malades du covid. Sur la base de leur publication dans ce journal, le dit collectif a tentĂ© de faire valoir des crĂ©dits scientifiques auprĂšs des mĂ©dias et des politiques français, dans le contexte polĂ©mique que vous connaissez. Or, les dĂ©cideurs et journalistes ne sont pas forcĂ©ment experts en matiĂšre de critĂšre de qualitĂ© des publications. Ce sont eux, bien plus que les scientifiques eux-mĂȘmes, que l’on cherche Ă  tromper avec ces pseudos revues.

Le fait est que ce n’est pas si facile de trier le bon grain de l’ivraie quand on ne sait pas. En tant que journaliste scientifique, mon premier rĂ©flexe face Ă  une revue inconnue, c’est d’aller contrĂŽler cette derniĂšre: qui finance la publication, qui publie lĂ  dedans, les articles sont-ils citĂ©s par le reste de la communautĂ© scientifique, depuis combien de temps est-elle active, etc. Il existe des outils pour vous permettre de contrĂŽler tout ça, et puis, comme pour Ă  peu prĂšs tout, il y a aussi Google. Quand on a l’habitude, c’est souvent assez vite rĂ©glĂ©. Dans le doute, je pose la question Ă  des experts du domaine concernĂ©.

Pour conclure abruptement aprĂšs cette longue bafouille, j’aimerais rassurer tous ceux qui s’inquiĂštent de l’état de la science. Il me semble qu’elle va bien, et mĂȘme Ă©tonnamment bien vu les conditions actuelles. Elle est certes un peu malmenĂ©e avec le covid (qui d’ailleurs ne l’est pas, d’une maniĂšre ou d’une autre?). La pression est forte pour dĂ©livrer des conclusions bĂ©ton en deux semaines, quand il faut gĂ©nĂ©ralement des annĂ©es. Il est probable que le systĂšme se soit emballĂ© Ă  certaines occasions (voir mon post-scriptum sur le Lancet). Il n’empĂȘche, et pour agrĂ©menter vos discussions covid avec vos amis (en attendant d’avoir de meilleurs sujets de conversation), il est important de comprendre que ce canular ne remet pas en cause la science en elle-mĂȘme ou ses processus de validation. Ce qu’il vise, c’est son instrumentalisation par des groupes politiques via des revues pourries. C’est une nuance importante, mais Ă  lire ce qui se dit ça et lĂ , je crains que le message ne passe pas toujours trĂšs bien.

Post-scriptum: Bien sĂ»r, j’en entends certain qui disent “il est arrivĂ© la mĂȘme chose avec Lancet” — en rĂ©fĂ©rence Ă  une Ă©tude bogus sur le covid et l’hydroxychloroquine, retirĂ©e il y a peu de cette revue mĂ©dicale de rĂ©fĂ©rence. Le sujet a fait beaucoup parler, et Ă  raison. L’étude en question reposait sur des chiffres bidons, achetĂ©s Ă  une sociĂ©tĂ© quasi inconnue au bataillon, et personne — ni l’éditeur ni les revieweurs — n’ont daignĂ© s’y intĂ©resser de plus prĂšs. C’est assez choquant au niveau d’excellence qu’est censĂ© reprĂ©senter la revue en question. Lancet, ce n’est pas du pipi de chat. La preuve donc que tout est pourri, mĂȘme dans les plus prestigieux journaux scientifiques? Pas vraiment. Ce serait plutĂŽt la preuve que le systĂšme de contrĂŽle fonctionne, puisque l’article n’a pas survĂ©cu longtemps sous l’oeil critique des scientifiques. Il est maintenant retirĂ©. On ne peut pas vraiment comparer ce vilain dĂ©rapage avec un article joyeusement dĂ©bile, dont le seul but est de montrer que des collectifs politisĂ©s peuvent se dĂ©guiser en scientifiques pour la modique somme de 50 dollars en publiant n’importe quoi.

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