danah boyd: les risques et l’effet boomerang de l’éducation aux médias

Lucas Gruez
4 min readMay 17, 2018
Capture d’écran Youtube de la conférence

danah boyd, chercheuse chez Microsoft, fondatrice et présidente de Data & Society est intervenue en mars 2018 lors de SWSX EDU. Dans sa présentation elle a décidé de s’attaquer à « la vache sacrée » de l’éducation aux médias, et dénonce de nombreux dangers. Elle met en garde contre « un avenir sombre et chaotique » dans un écosystème médiatique aujourd’hui en réseau.

Evoquant des sujets allant de Russia Today à Netflix, en passant par l’Histoire, ou la campagne présidentielle américaine, le discours intellectuellement provocateur de boyd a soulevé de nombreuses questions sur les médias et la manipulation. Mais elle a également admis qu’il y a peu de solutions claires.

Une solution dangereuse et inadaptée

boyd ne remet pas en cause l’éducation aux médias et ceux qui tentent d’y participer du mieux qu’ils peuvent mais estime que dans le contexte actuel, et ainsi (mal) faite, elle peut être dangereuse et contre-productive. La façon majoritairement prônée aujourd’hui de faire de l’éducation aux médias et à l’information est du solutionnisme, alors que les enjeux sociaux et politiques sont bien plus vastes et complexes.

En décrivant l’objectif de l’éducation aux médias comme un moyen de découvrir la vérité, les adultes peuvent en fait renforcer le message qu’il n’y a qu’une seule explication, une ligne stricte entre ce qui est bien et ce qui est mal. Cette façon de penser ne convient généralement pas aux adolescents et aux jeunes adultes, qui peuvent être naturellement enclins à défier l’autorité et à chercher d’autres explications, a déclaré boyd. “Beaucoup de gens, en particulier les jeunes, se tournent vers les communautés en ligne pour donner un sens au monde qui les entoure. Ils veulent poser des questions inconfortables, interroger des hypothèses et approfondir les sujets qu’ils ont appris “, dit-elle. “Mais il y a des questions que nous leur avons dit qu’il est inacceptable de poser en public.” En réponse, et incités à croire qu’ils peuvent — et devraient — enquêter par eux même ils se sont tournés vers les forums en ligne, dont certains “ sont apparus pour encourager les gens à emprunter certains chemins de la pensée — certains d’entre eux étant extrémistes, et cela peut aboutir à la radicalisation”.

Une guerre idéologique

Elle insiste également sur la façon dont l’acte même de poser des questions comme moyen de remettre en question les récits et les informations est devenu une arme visant à miner la confiance du public dans les institutions politiques et médiatiques. Cette arme est déployée par des groupes, aux Etats-Unis et en dehors, qui ont pour objectif de déstabiliser la société. Elle brosse un tableau sombre de la façon dont les bonnes intentions autour de la pensée critique peuvent être manipulées pour développer la confusion et les opinions extrémistes. Elle met en garde contre cette guerre idéologique,

« nous devons reconnaître que l’information peut être, est, et sera, transformée en arme. Les messages propagandistes d’aujourd’hui ne sont plus simplement créés par des campagnes d’État (…) une cohorte de jeunes a appris à pirater l’économie de l’attention dans le but d’avoir du pouvoir et du statut dans ce nouvel écosystème de l’information. »

Mais si la vérification des faits et des sources ne suffit pas, quelle est la bonne approche de l’éducation aux médias ?

boyd a des certitudes à propos de son analyse mais a des doutes majeures quant aux solutions. Cependant pour ne pas rester sur une analyse trop sombre elle tente diverses propositions pour développer des “anticorps pour aider les gens à ne pas être trompés”.

Mais elle admet que c’est délicat car la plupart des gens préfèrent croire en leur instinct et ne veulent pas admettre qu’ils se font piéger. Il peut être alors utile d’essayer d’aider les gens à comprendre leur propre psychologie en les sensibilisant aux biais cognitifs et à la façon dont ils sont sensibles aux informations

Elle insiste surtout sur l’importance de faire comprendre aux jeunes que l’infomation est contextuellement et socialement construite et qu’il est fondamental d’aider les jeunes à comprendre les différentes positions épistémologiques. L’une des questions qu’elle estime utile que les enseignants peuvent explorer avec les élèves est : “Pourquoi les gens de différentes visions du monde interprètent-ils différemment la même information ?” L’utilisation du débat comme outil pédagogique est une piste dans ce contexte. Le défi, est de s’assurer que l’éducation aux médias et à la pensée critique n’est pas déployée dans la salle de classe comme “ une affirmation d’autorité sur l’épistémologie “.

Pour boyd certains adolescents sont attirés par des communautés extrémistes en ligne dans le cadre d’une quête pour trouver leur identité et donner un sens au monde qui les entoure. Et « tant que nous ne commencerons pas à comprendre leur réponse à notre société des médias, nous ne serons pas en mesure de produire des interventions responsables. »

« Nous devons commencer à élaborer une réponse en réseau à ce paysage en réseau. Et cela commence par la compréhension des différentes façons de construire la connaissance. »

D’après l’article de danah boyd et Edsurge

Si vous voulez découvrir l’entièreté du discours et du raisonnement de danah boyd vous pouvez télécharger ICI, une traduction libre de son texte ainsi qu’un article complémentaire, suite au débat qu’a provoqué ses réflexions particulièrement stimulantes et iconoclastes. Les commentaires à son article sont également particulièrement intéressants pour bien saisir l’ampleur de la réflexion sur ce sujet.

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Lucas Gruez

Doctorant en Sciences de l'information et de la communication. Enseignant. Formateur. EdTech, EMI, Innovation, Transformation numérique, Design Thinking