A vélo, Marseille roule au pas

Lucie de Perthuis
6 min readMar 4, 2019

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A Marseille, l’association Vélos en Ville lutte pour permettre aux cyclistes de circuler facilement et en sécurité dans les rues. Un combat long et compliqué, tant les pouvoirs publics semblent ne pas considérer l’éco-mobilité comme une priorité. Philippe Buffard, vice-président de l’association, nous raconte.

Au cœur du quartier de Noailles, dans le 1er arrondissement, se trouve le local du collectif Vélos en Ville, une association qui œuvre pour le développement de la pratique du vélo à Marseille.
On retrouve son vice-président, Philippe Buffard, assis sur le pas de la porte. En costume, les cheveux grisonnants, cet ancien architecte marseillais se voit interdire l’accès aux quartiers généraux de son association. « Ce soir, c’est un atelier non-mixte », explique-t-il en souriant.

Derrière la vitre, on aperçoit une poignée de femmes s’attelant à réparer des vélos. Tous les soirs, le local devient un atelier, où les membres de l’association peuvent venir bichonner leur bicyclette. Une fois par mois, les lieux sont réservés aux femmes. Certaines se sentaient infériorisées et victimes de remarques machistes. Elles ont alors demandé un atelier exclusivement féminin.

C’est donc dans un café adjacent que le vice-président de l’association nous parle de son combat. Créé en 1996, le collectif compte aujourd’hui plus de 1.600 adhérents. Des adeptes de la bicyclette qui souhaitent partager, autour du vélo, et participer à son expansion à Marseille. Il s’agit de concevoir le vélo comme un mode de transport à part entière, comme un utilitaire et non plus comme un loisir. Une logique que la métropole semble avoir du mal à intégrer.

Si la ville revendique 140 km de piste cyclable, en réalité, il n’en est rien. Vélos en Ville en a recensé seulement 79, disséminées un peu partout dans Marseille. Il s’agit plus de morceaux de pistes que de bandes praticables à proprement parler. Et généralement, ces pistes servent un tout autre usage : le stationnement sauvage des voitures.

Marseille, particulièrement en retard

Pourtant, comme nous l’assure Philippe Buffard, le développement du vélo correspond à un réel besoin de désengorgement des villes, ainsi qu’aux exigences écologiques de plus en plus urgentes. Et à Marseille, la situation semble particulièrement alarmante.

La cité phocéenne est première au classement des villes les plus encombrées de France, et très bien positionnée dans celui des villes les plus polluées. « Quand on discute avec les Marseillais, ils ne veulent pas faire du vélo car c’est trop dangereux à cause des voitures », déplore le vice-président de l’association. Il a quitté Marseille pendant 25 ans pour des raisons professionnelles. Quand il est revenu dans sa ville natale, « elle était bouffée par les bagnoles ». Un triste constat que le militant a décidé de prendre à bras le corps. Malgré ses 15.000 cyclistes quotidiens (statistiques de l’INSEE, qui considère le vélo comme un moyen de transport depuis 2017), Marseille est loin de bénéficier des infrastructures nécessaires à la sécurité des cyclistes. Une des raisons principales : la voiture.

40% des citadins qui utilisent leur voiture quotidiennement parcourent moins de six kilomètres. Pour Philippe, il devient urgent d’agir sur plusieurs plans : développer des alternatives, ce qui passe notamment par l’amélioration des réseaux de transports en commun, mais aussi éduquer les jeunes à la mobilité verte. Le collectif Vélos en Ville agit déjà sur ce point : des membres de l’association interviennent régulièrement dans des écoles pour sensibiliser les plus jeunes aux problématiques liées à la mobilité.

Marseille n’a jamais connu de « culture vélo ». Les trois maires qui se sont succédé depuis 1953 (Gaston Deferre, Robert Vigouroux et Jean-Claude Gaudin), n’ont pas mis en place de politiques favorisant le développement du cyclisme urbain. C’est donc à la société civile de s’organiser pour influencer les politiques publiques. Une mission qui s’avère compliquée, tant le dialogue avec la métropole, compétente en la matière, semble pénible. Ses services ne souhaitent pas concerter les acteurs associatifs comme Vélos en ville, qui pourraient pourtant apporter aux projets une forme d’expertise citoyenne. Par exemple, la métropole a prévu une requalification du Cours Lieutaud afin d’y installer des pistes cyclables. Bien qu’ayant adressé à la métropole de multiples demandes, les membres de Vélos en Ville ne peuvent pas avoir accès aux plans.

La métropole condamnée à sept reprises

Malgré les nombreux rapports transmis, le lobbying auprès des maires de secteurs mais aussi auprès des acteurs économiques et urbanistiques comme la SOLEAM, les résultats tardent à se faire sentir. Tous les mois, une commission, présidée par Philippe Buffard, se réunit au local de l’association pour échanger et avancer sur des questions d’urbanisme et d’aménagement de la ville. « On essaye de faire avancer les choses, mais jusqu’à présent on n’a pas eu beaucoup de résultats. C’est usant », déclare Philippe, fatigué de se battre contre le clientélisme marseillais. « Ça fait 20 ans qu’on réclame une piste cyclable sur la Corniche », s’exclame-t-il. Des travaux ont été prévus par la mairie du secteur, mais des intérêts privés retardent les potentiels aménagements. Un exemple : le président du Club des Dauphins, un club sportif privé, aurait protesté auprès de Jean-Claude Gaudin pour faire annuler ces travaux. Le motif : ses clients ne pourraient plus stationner — illégalement, à cheval sur le trottoir — à proximité du club. C’est ce qu’a confié Sabine Bernasconi, maire des 1er et 7e arrondissements, impuissante, à Philippe Buffard.

Au-delà du clientélisme, les responsables politiques ne respectent simplement pas les lois. Vélos en Ville a intenté des actions en justice contre la métropole, qui a déjà perdu sept procès sur sept, pour non-respect de la loi LAURE, qui contraint les municipalités à prévoir un certain nombre d’aménagements cyclables. Malheureusement, le Tribunal administratif de Marseille, bien qu’ayant reconnu la faute de la métropole, ne l’a pas astreinte à réaliser les aménagements nécessaires.
L’association compte tout de même une victoire, puisqu’elle a obtenu une piste cyclable rue Thiers, dans le 1er arrondissement. Philippe ne perd pas espoir : une poignée d’élus jouent le jeu. C’est le cas de Sabine Bernasconi, qui consulte l’avis de Vélos en Ville dans le projet de piétonisation du bas de la Canebière.

Enfin, pour le vice-président de Vélos en Ville, les fonds publics ne sont pas utilisés à bon escient. « La mairie veut automatiser le métro. Une initiative qui va coûter des mille et des cents. Ce n’est pas la priorité, ils devraient d’abord améliorer les réseaux de bus et de tramway ». Dans le fonctionnement actuel des choses, le citoyen n’a pas son mot à dire en ce qui concerne l’organisation de la ville. Alors l’association place ses espoirs dans un renouvellement de la classe politique et de son fonctionnement lors des élections municipales de 2020. « Il faut qu’on arrive à mettre au point un système de gouvernance citoyenne dans laquelle les habitants seraient plus impliqués », espère Philippe Buffard.

Malgré l’incurie des pouvoirs publics locaux, les choses semblent évoluer dans le bon sens à Marseille, puisque le nombre de cyclistes y augmente ostensiblement. Vélos en ville a fait le compte, et constaté une évolution positive. Entre 2007 et 2017, l’association a observé une augmentation de 10% des cyclistes en ville, et de 20% entre 2017 et 2018.

Au-delà de sa difficile influence sur des acteurs politiques inactifs, le collectif Vélos en Ville poursuit sa « vélorution » par d’autres moyens, à son échelle . En organisant des balades et des week-ends cyclisme, en intervenant dans des entreprises, à l’école ou dans des administrations, ou encore en apprenant simplement aux citadins à faire du vélo. Vélos en Ville pourrait bien aider Marseille à passer à la vitesse supérieure.

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