Partir étudier en France, un rêve qui coûte de plus en plus cher aux jeunes africains

Luna Perez
6 min readApr 28, 2023

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Ils viennent majoritairement d’Afrique francophone et représentent plus d’un quart des étudiants internationaux. Mais pour pouvoir étudier en France ils doivent souvent se confronter à d’énormes difficultés financières.

Musique techno, discussions entre jeunes adultes et grands sourires, l’ambiance pourrait sembler joyeuse au 50 rue des Tournelles, à Paris, ce soir-là. Et si ce sont des habitués qui se retrouvent, nous ne sommes ni dans un bar ni dans une fête entre amis.

Car chaque jeudi dans ce local associatif, ce sont bien des étudiants qui distribuent des paniers repas à d’autres. « Bonjour, est-ce que tu veux une baguette ? » demande un bénévole à un bénéficiaire, sourire aux lèvres. Bacs colorés remplis d’aubergines et d’oignons, brioche ou encore raviolis en conserve, ici l’association étudiante Cop1 distribue gratuitement des produits alimentaires et d’hygiène à des jeunes en études supérieures, sans conditions de ressources. « Il y a beaucoup d’étudiants étrangers», indique Jenny, responsable des opérations chez Cop1.

Parmi eux Mohsine, 32 ans, originaire de Casablanca. Doudoune grise et écouteurs sans fil, le jeune homme armé de ses deux sacs de courses se dirige vers les bénévoles. Il prend un savon, deux boîtes de raviolis et des bananes. Pas d’hésitation, c’est un habitué. Malgré son grand sourire, Mohsine est dans une situation précaire. Cela fait plus de trois mois qu’il vient retirer son panier repas. Dans son budget, après avoir payé son loyer et sa carte de transport, plus rien pour acheter à manger. « Je galère cette année, heureusement qu’ils sont là », avoue-t-il au sujet de Cop1. Il avait pourtant mis toutes ses économies dans cette installation en France.

Anne-Cécile et Sabrina, bénévoles à Cop1, distribuent des produits d’hygiène, le 13 avril dernier, à Paris. (Crédits: Luna Perez)

Comme lui, les étudiants africains sont nombreux en France. Selon Campus France, chargée de l’accueil des étudiants étrangers, les jeunes venus d’Afrique représentent un quart des 400 000 étudiants internationaux. Beaucoup viennent des anciennes colonies françaises, avec qui les liens économiques, linguistiques et culturels restent importants. Les établissements scolaires français sont réputés, mais surtout restent bien moins chers qu’aux Etats-Unis, au Royaume-Uni ou au Canada. Malgré tout, ces étudiants rencontrent de grandes difficultés spécifiques à leurs origines. Ces derniers mois, l’inflation galopante en France n’a pas facilité les choses. Les prix à la consommation ont augmenté de 5,2% en un an selon l’INSEE.

Combien ça coûte : Étudier en France. Les étudiants africains.

“Mon budget, c’était un budget très faible”

Si beaucoup d’étudiants africains se retrouvent obligés de recourir à des dons, c’est notamment parce que leur budget pour venir vivre en France reste dérisoire. Mehdi Zenda est arrivé en 2019. Originaire d’Algérie, pour obtenir son visa, Campus France lui a demandé, comme aux autres étudiants non-européens, de disposer d’un peu plus de 600 euros par mois pendant la durée de son séjour. Dans les faits, une fois le visa obtenu, la plupart des étudiants ne viennent pas réellement avec cette somme…

«Mon budget c’était un budget très faible, je suis arrivé avec à peu près 1500 euros», reconnaît Mehdi. C’est le cas aussi de Mariya, inscrite à la rentrée 2021 à l’Université de Lille. Cette Algéro-Camerounaise originaire d’une famille modeste est venue sur fonds personnels. «Mes parents m’ont aidée avant que je vienne en France pour que j’aie mes 3400 euros, après je ne leur ai plus demandé d’argent », raconte l’Algéroise. Si l’étudiante de 25 ans dit ne pas avoir eu de difficultés les premiers mois, à partir du mois de mars, elle ne parvient plus à payer ses factures.

Travailler en plus des cours, un passage quasi-obligatoire

Pour sortir de cette impasse financière, Mariya a rapidement dû trouver du travail. D’après une enquête de l’institut Kantar Public, la moitié des étudiants étrangers ont travaillé durant leur séjour en France. Au printemps 2022, en même temps qu’un stage payé au salaire minimum, l’étudiante algérienne « fait du baby-sitting, des missions de ménage et d’aide aux personnes âgées» qui lui rapportent entre 150 et 300 euros par mois. Petit à petit, elle parvient à sortir la tête de l’eau et à payer à nouveau ses factures. «J’arrivais à mettre de côté et c’est ce qui m’a permis de déménager de mon premier logement. J’ai aussi pu aller en vacances en Algérie un mois. » se rappelle Mariya. C’est pour des raisons financières qu’à la rentrée 2022, elle décide de chercher une alternance, payée au Smic.

Mais trouver un emploi, condition nécessaire à beaucoup d’étudiants africains pour survivre en France, s’avère souvent être un véritable parcours du combattant. Si un étudiant non-européen est autorisé à travailler, il ne peut effectuer que 60% de la durée légale annuelle de travail. C’est 50 % pour les Algériens, et l’employeur doit en plus demander une autorisation. En Algérie « le SMIC est à 200€, on ne peut jamais financer les études avec le dinar algérien comparé à l’Euro », déplore Fouad, Algérien en deuxième année de licence. Alors depuis décembre il dépose des CV et passe des entretiens avec des boîtes d’intérim. Mais toujours aucune réponse positive, malgré son acharnement et de l’expérience en livraison et restauration. « Quand tu as le titre de séjour algérien c’est compliqué de trouver. Ça m’arrive de faire des entretiens et après il n’y a aucun retour », analyse Fouad.

S’il ne connait pas les raisons de ces refus, Mariya elle, a été victime de discrimination de la part d’agences d’intérim. « Certaines refusent de bosser avec des étudiants étrangers, d’autres plus directes, disent refuser de travailler avec des étudiants algériens en particulier, ça m’a dégoûtée », révèle la jeune femme.

Une grande précarité qui pousse à prendre plus de risques

Espérant augmenter leurs chances sur le marché du travail, les étudiants africains se tournent parfois vers des réseaux d’entraide. Sur Facebook, des groupes comme « Étudiants marocains à Lille » ou « Étudiants algériens en France » comptent environ 20 000 membres. Fouad y a posté une annonce pour trouver un emploi. Problème : beaucoup de faux comptes publient des offres frauduleuses et profitent du désespoir de certains jeunes. Par exemple, cette offre d’emploi avec «rémunération très intéressante », sans préciser ni le salaire ni le poste en question. Lorsque nous demandons plus d’informations, une réponse toute faite nous est envoyée. Cet emploi de « mise sous plis » pourtant à temps partiel ne nécessitant aucune qualification, serait tout de même payé 1600€ par mois. Notre interlocuteur exige aussi des informations personnelles, sans même prévoir un entretien d’embauche.

Captures d’écran issues du groupe Facebook des étudiants algériens en France, présentant de potentielles offres d’emploi. (Crédits: Luna Perez)

Certains étudiants, en grande précarité, acceptent des emplois dans les économies parallèles, faute de mieux. C’est le cas de Mehdi qui après avoir payé ses frais d’inscriptions et son premier loyer, n’avait déjà plus rien. « Je me suis débrouillé, au début j’ai même vendu des clopes, je me réveillais à 4h du matin pour aller travailler au marché, j’ai travaillé au noir dans un bar et petit à petit j’ai réussi à trouver un travail avec un contrat », énumère celui qui milite désormais pour les droits des étrangers.

Pour ces étudiants africains dont l’installation en France coûte cher, les galères ne s’arrêtent pas là. En raison de leur statut administratif, le risque du retour à la case départ existe bel et bien. Les visas étudiants délivrés par la préfecture expirent, dès lors que leurs détenteurs obtiennent leur diplôme. Il faut ensuite demander un visa de travail. Mohsine s’apprête à décrocher son master français. Prévoyant, il cherche déjà un emploi. A ce niveau d’études, la France peut délivrer une carte de séjour «recherche d’emploi» aux étudiants non-européens qui souhaitent chercher du travail. Mais le trentenaire le sait très bien, cette carte n’est valable qu’un an. Pas plus. « Si je n’arrive pas à trouver un emploi, je serai obligé de rentrer au Maroc » soupire-t-il, inquiet pour l’avenir.

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