L’Intelligence Artificielle Racontée à mes Neveux et Nièces (7)

Marc Caillet
50 min readDec 1, 2021

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Intermède récréatif : Où suis-je ?

(Driss, 15 ans, Mehdi, Astou et Hilary, 18 ans)

Où l’on profite de la lecture d’une nouvelle philosophique de science-fiction, écrite par Daniel Dennett, pour s’interroger de façon plus approfondie sur différentes façons de concevoir ce qu’est la conscience.

Mehdi
=)

On va encore parler de la conscience, c’est super !

Marc
8-)

Et vous vouliez que je vous raconte une histoire, alors !

Driss, Mehdi, Astou & Hilary
=)

Oui !

Marc
8-)

Que diriez-vous d’une histoire à propos de la conscience qui retourne le cerveau ?

Driss, Mehdi, Astou & Hilary
=D

Marc
8-)

Mais, plutôt que de vous en raconter une approximativement, je vais vous lire une nouvelle de science-fiction — une expérience par la pensée romancée, en fait — écrite par le philosophe de l’esprit Daniel Dennett.

Mehdi
(¬_^)

T’es sûr que c’est bien une histoire ?

Marc
8-)

Eh bien, il y a des montées et des relâchements de tension, des coups de théâtre, une chute… Oui, c’est bien une histoire !

Driss, Mehdi, Astou & Hilary
=)

Marc
8-)

Publiée en 1981 dans son livre Brainstorms: Philosophical Essays on Mind and Psychology, elle s’intitule Where Am I? On y retrouve des questions que nous nous sommes posées précédemment. Daniel Dennett lui-même en est le narrateur et personnage principal.

Prêts ?

Astou
(^_^;)

Euh… c’est en anglais ?

Marc
8-)

Oui.

Astou
(^_^;)

Je ne suis vraiment pas prête pour ça, alors.

Hilary, Mehdi & Driss
(^_^;)

Nous non plus !

Marc
8-)

Je traduis en français, alors ?

Driss, Mehdi, Astou & Hilary
(^_^;)

Oui !

Marc
8-)

La nouvelle s’intitule Où suis-je ?

Driss
=)

Ah mais ça, j’avais compris, hein…

Mehdi, Hilary & Astou
(¬_¬)

Chut !

Marc
8-)

Maintenant que j’ai remporté mon procès en vertu de la loi sur la liberté de l’information, je puis vous révéler pour la première fois un curieux épisode de ma vie qui pourraient intéresser non seulement ceux qui se consacrent à la recherche en philosophie de l’esprit, en intelligence artificielle et en neurosciences, mais aussi le grand public.

Il y a de cela plusieurs années, j’ai été approché par des officiels du Pentagone qui m’ont demandé de me porter volontaire pour une mission éminemment dangereuse et secrète. En collaboration avec la NASA et Howard Hughes, le Département de la Défense a dépensé des milliards de dollars pour développer un Dispositif de Tunnelage à Confinement, ou DTC. Il était supposé creuser à grande vitesse un tunnel à travers le noyau terrestre et déposer une ogive atomique spécialement conçue pour cette opération “tout droit dans les silos des Rouges”, selon les termes de l’une des huiles du Pentagone.

Driss, Mehdi, Astou & Hilary
(o_O)

Marc
8-)

Le problème était que, au cours de l’un des premiers tests, ils avaient logé une ogive à une profondeur d’un peu plus d’un kilomètre et demi dans le sous-sol de Tulsa, dans l’Oklahoma, et ils voulaient que je la récupère. “Pourquoi moi ?” ai-je demandé. Eh bien, la mission nécessitait quelques applications innovantes de la recherche actuelle sur le cerveau, et ils avaient entendu parler de mon intérêt pour le sujet et, bien entendu, de ma curiosité faustienne, de mon courage, et j’en passe… Aussi, comment aurais-je pu refuser ? La difficulté qui a conduit le Pentagone jusqu’à ma porte était que le dispositif qu’on me demandait de récupérer était intensément radioactif, et d’une manière tout à fait inédite. Selon les instruments de mesure, quelque chose à propos de la nature du dispositif et de ses interactions complexes avec des poches de matières enfouies profondément sous terre avait produit des radiations qui pouvaient causer de sévères anomalies dans certains tissus cérébraux. On n’avait trouvé aucun moyen de protéger le cerveau de ces rayons mortels qui étaient apparemment inoffensifs pour d’autres tissus et organes corporels. Aussi avait-il été décidé que la personne qui serait envoyée récupérer le dispositif devrait laisser son cerveau derrière elle. L’organe serait conservé en un lieu sûr depuis lequel il pourrait assurer toutes ses fonctions habituelles à l’aide de liaisons radios élaborées. Me prêterais-je à une opération chirurgicale qui résulterait en l’ablation totale de mon cerveau, lequel serait alors placé dans un système de maintien des fonctions vitales au Centre des Missions Spatiales Habitées de Houston ? Chaque canal d’entrée et de sortie, au fur et à mesure qu’il serait rompu, serait rétabli par une paire d’émetteur-récepteur radio ultra miniaturisée, l’un des appareils fixé avec précision au cerveau, l’autre à la connexion nerveuse amputée correspondante dans la boîte crânienne évidée. Aucune information ne serait perdue, toute la connectivité serait préservée. Au début, j’étais un peu réticent. Est-ce que ça pourrait vraiment marcher ? Les neurochirurgiens de Houston m’encouragèrent. “Représentez-vous cela”, me dirent-ils, “comme un simple allongement de vos nerfs. Si votre cerveau était déplacé de deux ou trois centimètres dans votre crâne, cela n’altèrerait ni ne dégraderait votre esprit. Nous allons simplement rendre vos nerfs indéfiniment élastiques en les étendant par des liaisons radios.”

Driss, Mehdi, Astou & Hilary
(°~°)

Marc
8-)

On me fit visiter le laboratoire qui hébergeait le système de survie et je vis la cuve étincelante de neuf dans laquelle serait placé mon cerveau, si toutefois je donnais mon accord. Je fis la connaissance de la brillante équipe de maintenance composée de neurologues, d’hématologues, de biophysiciens et d’ingénieurs électriciens, et après plusieurs jours de discussions et de démonstrations, je donnai mon accord. Je fus soumis à un vaste éventail de tests sanguins, de scanners cérébraux, d’expérimentations, d’entretiens, et de bien d’autres choses de ce genre. Ils prirent note de mon autobiographie dans ses moindres détails, établirent des listes fastidieuses de mes croyances, de mes espoirs, de mes craintes, de mes goûts. Ils dressèrent même la liste de mes enregistrements musicaux favoris et me firent suivre une séance accélérée de psychanalyse.

Le jour de l’intervention chirurgicale arriva enfin et j’étais anesthésié, bien entendu, si bien que je n’ai pas le moindre souvenir de l’opération en elle-même. Lorsque je repris connaissance, j’ouvris les yeux, regardai autour de moi et posai l’inévitable, la traditionnelle, la lamentablement banale question postopératoire : “Où suis-je ?” L’infirmière me sourit. “Vous êtes à Houston,” me dit-elle, et je me dis qu’il y avait de bonnes chances que ce soit encore vrai d’une façon ou d’autre. Elle me tendit un miroir. Comme attendu, de minuscules antennes se dressaient à travers des ports en titane rivés à mon crâne.

Driss, Mehdi, Astou & Hilary
(¬_¬)

Marc
8-)

J’imagine que l’opération a été un succès,” dis-je. “Je veux aller voir mon cerveau”. On me conduisit (j’étais encore un peu étourdi et chancelant) le long d’un long couloir jusqu’au laboratoire de support des fonctions vitales. Des cris de joie furent poussés par l’équipe de maintenance rassemblée et je répondis par ce que j’espérais être un salut jovial. Toujours un peu étourdi, on m’aida à aller jusqu’à la cuve de support des fonctions vitales. Je regardai à travers la vitre. Là, flottant dans ce qui ressemblait à du Canada Dry, se trouvait indéniablement un cerveau humain, quoi qu’il fut presque entièrement recouvert de puces sur circuits imprimés, de tubules en plastique, d’électrodes et autre attirail de la sorte. “Est-ce le mien ?” demandai-je. “Appuyez sur l’interrupteur du transmetteur de sortie, là, sur le côté de la cuve, et voyez par vous-même.” répliqua le directeur du projet. Je basculai l’interrupteur sur OFF, et m’écroulai immédiatement, groggy et nauséeux, dans les bras de techniciens parmi lesquels l’un d’eux eut l’amabilité de rebasculer l’interrupteur en position ON. Alors que je retrouvais mon équilibre et mon sang-froid, je me mis à penser : “Bien, me voilà assis sur une chaise pliante, en train de regarder fixement mon cerveau à travers une paroi vitrée… Mais attends,” me dis-je à moi-même, “ne devrais-je pas plutôt penser ‘Me voici en suspension dans un fluide à bulles en train d’être regardé fixement par mes propres yeux ?” Je m’efforçai de développer cette dernière pensée. Je tentai de la projeter dans la cuve, l’offrant avec force espoir à mon cerveau, mais échouai à mener l’exercice de façon convaincante. J’essayai encore. “Me voici, Daniel Dennett, suspendu dans un fluide à bulles en train d’être regardé fixement par mes propres yeux.” Non, ça ne marchait tout simplement pas. Voilà qui était fort intriguant et déconcertant. En tant que philosophe aux fortes convictions physicalistes, je croyais résolument que la production de mes pensées survenait quelque part dans mon cerveau ; et pourtant, lorsque je pense “Je suis ici”, là où cette pensée me survenait, c’était ici, à l’extérieur de la cuve, là où moi, Daniel Dennett, j’étais en train de regarder fixement mon cerveau.

Driss, Mehdi, Astou & Hilary
(O_o)

Marc
8-)

Je m’efforçai tant et bien de m’imaginer dans la cuve, mais mes efforts furent vains.

Driss
(¬_¬)

Ça veut dire quoi, des convictions physicalistes ?

Marc
8-)

Le physicalisme est une théorie de la philosophie de l’esprit qui consiste à considérer que le cerveau et la conscience sont de même nature, faits de matière. Ce qui implique que la conscience peut être expliquée de façon scientifique.

Driss
(¬_¬)

Ah, d’accord… Parce que des fois on dit que le cerveau et la conscience, ce sont deux choses complètement différentes. On dit souvent qu’on a une âme dans notre corps.

Marc
8-)

Ce que tu décris là, c’est le point de vue dualiste. On pourra en reparler un peu plus tard.

Driss
(¬_*)

Oui !

Marc
8-)

Je reprends…

Je m’efforçai tant et bien de m’imaginer dans la cuve, mais mes efforts furent vains. Je tentai de m’aguerrir à la tâche en pratiquant des exercices mentaux. Je me dis en moi-même : “Le soleil brille là-bas,” très vite, cinq fois à la suite, chaque fois en visualisant mentalement un lieu différent : dans l’ordre, le coin ensoleillé du laboratoire, la partie visible de la pelouse située devant l’hôpital, Houston, Mars et Jupiter. Je découvris que j’éprouvais peu de difficulté à faire bondir mes “là-bas” d’un endroit à un autre de la carte céleste en les situant très précisément. Je pouvais instantanément lancer un “là-bas” jusqu’aux confins de l’espace, puis, avec le “là-bas” suivant, viser le coin supérieur gauche d’une tâche de rousseur sur mon bras avec une précision chirurgicale. Pourquoi avais-je tant de difficulté avec “ici” ? “Ici, à Houston” marchait plutôt bien, tout comme “ici, dans le laboratoire,” et même “ici, dans cette partie du laboratoire,” mais “ici, dans la cuve” semblait toujours n’être qu’une élucubration involontaire. Alors que j’y songeais, j’essayai de fermer les yeux. Cela parut aider, mais je n’y parvenais toujours pas, à part, peut-être, durant un bref instant. Je ne pouvais en être certain. La découverte de mon incertitude était tout aussi déconcertante. Comment savais-je ce que je voulais dire par “ici” lorsque je pensais “ici” ? Se pouvait-il que je voulais désigner un certain endroit alors qu’en réalité je voulais en désigner un autre ?Je ne voyais pas comment il était possible de l’admettre sans défaire les quelques liens qui relient intimement une personne à sa propre vie mentale qui avaient survécu à l’assaut des neuroscientifiques et des philosophes, des physicalistes et des behavioristes. Peut-être étais-je incorrigible à propos du lieu que j’entendais désigner par “ici”. Mais dans les circonstances qui étaient les miennes, il me semblait soit que j’étais condamné par la seule force de l’habitude mentale à de fausses pensées indexicales, soit que lieu où se trouve une personne (et, en conséquence, là où ses pensées sont produites à des fins d’analyse sémantique) n’était pas nécessairement là où son cerveau, le siège physique de son âme, résidait. Nageant en pleine confusion, je tentai d’y voir plus clair en me rabattant sur l’un des subterfuges favoris des philosophes. Je commençai à nommer les choses.

Driss
(¬_¬)

Behavioristes… ?

Marc
8-)

Le behaviorisme est une théorie selon laquelle le comportement s’explique comme un ensemble de réflexes en réponse à des stimulus provenant de l’environnement. L’explication du comportement d’un individu ne fait donc, selon cette théorie, pas appel à son psychisme.

De là découlent des méthodes d’enseignement ou de conditionnement basées sur un système de récompenses et pénalités de façon à renforcer les comportements voulus.

Mehdi
(¬_¬)

Comme le Reinforcement Learning pour l’apprentissage des intelligences artificielles, alors…

Astou
(¬_¬)

Comme l’école avec le système des bonnes et des mauvaises notes, aussi…

Marc
8-)

Tout à fait !

Driss
(¬_¬)

Et pensées indexicales ?

Marc
8-)

Ce sont des pensées qui s’appuient sur des termes dont le sens dépend entièrement d’un contexte. “Ici” n’a pas de signification en dehors du contexte dans lequel il est utilisé.

Driss, Mehdi, Astou & Hilary
(¬_¬)

Marc
8-)

Je continue…

“Yorick,” ainsi m’adressai-je à voix haute à mon cerveau, “tu es mon cerveau. Le reste de mon corps, assis sur cette chaise, je le nomme ‘Hamlet’.” Ainsi, nous voici : Yorick est mon cerveau, Hamlet est mon corps et je suis Dennett. Maintenant, où suis-je ? Et lorsque je pense “où suis-je ?”, où cette pensée est-elle produite ? Est-elle produite dans mon cerveau qui flotte paresseusement dans la cuve, ou juste ici, entre mes deux oreilles, là d’où elle semble provenir ? Ou nulle part ? Ses coordonnées temporelles ne me posaient aucun souci ; ne devait-elle pas également avoir des coordonnées spatiales ? Je me mis à dresser une liste de possibilités.

1. Là où va Hamlet, va Dennett. Ce principe était aisément réfutable en faisant appel à l’expérience par la pensée bien connue de transplantation de cerveaux qu’aiment tant les philosophes. Si Tom et Dick échangent leur cerveau, Tom est le gars qui a l’ancien corps de Dick — il suffit de lui demander, il clamera être Tom et vous racontera les détails les plus intimes de la vie de Tom. Il apparaissait alors clairement que mon corps et moi puissions être séparés, mais peu probable que je puisse être séparé de mon cerveau. La règle générale qui se dégageait de cette expérience par la pensée voulait que, dans le cas d’une opération de transplantation de cerveau, on voulait être le donneur, pas le receveur. Il vaudrait appeler cette opération une transplantation de corps, en fait. Et donc peut-être que la vérité était que

2. Où va Yorick, va Dennett. Ce n’était pas du tout attrayant, cependant. Comment aurais-je pu être dans la cuve et pas libre de mes mouvements, alors que j’étais de façon si évidente en dehors de la cuve en train de former le plan coupable de retourner dans ma chambre afin d’y prendre un déjeuner copieux ? J’étais pris dans un raisonnement circulaire, je m’en rendis compte, mais j’avais tout de même l’impression de me rapprocher de quelque chose d’important. À la recherche d’un renfort à mon intuition, je parvins à un argument de type légaliste qui aurait plu à Locke.

Supposons, me dis-je en moi-même, que je m’envole pour la Californie, dévalise une banque et me fasse appréhender. Dans quel État aurait lieu mon procès ? Serais-je un criminel en Californie avec un cerveau dans un autre État, ou un criminel au Texas contrôlant à distance une sorte de complice en Californie ? Il semblait possible que je sorte blanchi de cette affaire sur la seule base de l’indécidabilité de cette question juridictionnelle, quoique cette infraction pourrait éventuellement être qualifiée d’inter-États, et donc fédérale. Quoi qu’il en soit, supposons que je sois inculpé. Était-il vraisemblable que la Californie se satisfasse d’envoyer Hamlet en taule, sachant que Yorick prenait du bon temps en voluptueuse cure thermale au Texas ? Le Texas incarcerait-il Yorick, laissant Hamlet libre de prendre le prochain bâteau pour Rio ? Cette alternative me séduisit. Si on excluait la peine capitale et tout autre châtiment cruel et insolite, l’État serait contraint de maintenir le système de maintien des fonctions vitales de Yorick bien qu’il soit possible qu’il le déplace de Houston à Leavenworth et, mis à part le désagrément que me causerait l’opprobre, ça ne me dérangerait pas du tout, moi, je me considèrerais comme un homme libre, dans de telles circonstances. Si l’État portait un intérêt à interner de force des personnes dans des institutions, il échouerait à m’interner moi en y internant Yorick. Si c’était vrai, alors ça impliquait une troisième possibilité.

Driss, Mehdi, Astou & Hilary
(¬_^)

Marc
8-)

3. Dennett se trouve là où il pense être. Généralisée, cette affirmation s’exprimait ainsi : à tout moment, une personne a un point de vue et l’endroit où se forme ce point de vue (lequel est déterminé intérieurement par le contenu du point de vue) est aussi l’endroit où se trouve la personne.

Une telle proposition ne me semblait pas aller sans susciter la perplexité, mais elle me paraissait être un pas dans la bonne direction. Le seul souci était que cela semblait nous mettre dans une situation d’infaillibilité improbable en matière de localisation, de type “face, je gagne, pile, tu perds”. Ne m’étais-je pas moi-même souvent trompé à propos de là où je me trouvais et, n’en avais-je pas été au moins aussi souvent incertain ? N’arrivait-il à personne de se perdre ? Si, bien sûr, mais se perdre géographiquement n’était pas la seule façon de se perdre. Si on était perdu dans les bois, on pourrait tenter de se rassurer avec la consolation qu’au moins on savait se localiser soi-même : on était juste ici, dans l’environnement familier de notre propre corps. Peut-être que, dans cette situation, cela ne serait pas d’une grande aide. Pourtant, on pouvait imaginer des situations plus désespérées encore, et je n’étais pas certain de ne pas être dans une telle situation.

Driss, Mehdi, Astou & Hilary
(°~°)

Marc
8-)

Le point de vue avait clairement à voir avec l’endroit où on se trouve, mais c’était en soi une notion obscure. Il était évident que le contenu d’un point de vue différait de nos croyances et de nos pensées, tout comme il n’était pas non plus déterminé par elles. Par exemple, que dire du point de vue du spectateur de Cinérama qui hurle et se contorsionne sur son siège alors que les images de montagnes russes viennent à bout de son détachement psychique ? A-t-il oublié qu’il est assis en sécurité dans une salle de cinéma ? Dans pareil cas, j’étais enclin à considérer qu’une telle personne faisait l’expérience d’un décalage illusoire de son point de vue. Dans d’autres cas, mon inclination à qualifier d’illusoires de tels décalages était moins forte. Les scientifiques et les ouvriers qui manipulent des matériaux dangereux à l’aide de bras et de mains contrôlés par rétroaction subissent un décalage de point de vue bien plus net et prononcé que tout ce que peut provoquer le Cinérama. Ils peuvent sentir le poids et la nature glissante des conteneurs qu’ils manipulent avec leurs doigts métalliques. Ils savent parfaitement où ils se trouvent et ne sont pas induits en erreur par cette expérience, et pourtant c’est comme s’ils se trouvaient à l’intérieur du caisson d’isolation dans lequel ils regardent. Par un effort de pensée ils peuvent passer d’un point de vue à l’autre, un peu comme si un cube transparent de Necker ou un dessin d’Escher modifiait la perspective devant nos yeux. Il paraitrait vraiment extravagant de supposer qu’en effectuant cette gymnastique mentale, ils se transportent d’un endroit à un autre.

Toutefois, leur exemple me donna de l’espoir. Si, en dépit de mon intuition, je me trouvais bien dans la cuve, alors je devrais pouvoir m’entraîner à adopter ce point de vue et même à en prendre l’habitude. Il me faudrait longuement contempler des images de moi-même flottant confortablement dans la cuve, émettant mes volitions à ce corps familier, là-bas. Je me fis la réflexion que la facilité ou la difficulté de cette tâche était probablement indépendante de la vérité à propos de l’emplacement de mon cerveau. Si je m’y étais exercé avant l’opération, il se pourrait que ce fût devenu une seconde nature. Vous pourriez maintenant vous essayer à un tel trompe l’œil. Imaginez que vous ayez écrit une lettre incendiaire qui a été publiée dans le Times, à la suite de quoi le gouvernement a décidé de confisquer votre cerveau pour une période probatoire de trois ans dans la Clinique des Cerveaux Dangereux, à Bethesda, dans le Maryland. Votre corps aurait bien entendu toute liberté de gagner un salaire et ainsi de poursuivre sa fonction d’accumulation de revenus imposables. À ce moment, cependant, votre corps est assis dans un auditorium et écoute Daniel Dennett faire le récit étrange de sa propre expérience similaire. Essayez. Imaginez-vous à Bethesda, ramenez avec nostalgie votre pensée à votre corps, si loin alors qu’il semble si proche. Si ce n’est que par un effet de contrôle à longue distance (le vôtre ? celui du gouvernement ?) que vous pourrez contrôler cet élan qui vous pousse à battre des mains en guise d’applaudissement poli avant de mener ce vieux corps aux toilettes puis à prendre un verre de xérès vespéral bien mérité dans le salon. L’imaginer est certainement une tâche difficile, mais si vous y parvenez, ça pourrait en être réconfortant.

Driss, Mehdi, Astou & Hilary
(¬_¬)

Marc
8-)

Quoi qu’il en soit, j’étais donc à Houston, perdu dans mes pensées, pour ainsi dire, mais pas pour longtemps. Mes conjectures ne tardèrent pas à être interrompues par les médecins de Houston qui souhaitaient éprouver mon système nerveux prothétique before de m’envoyer accomplir ma dangereuse mission. Comme je l’ai dit plus tôt, j’étais un peu étourdi dans un premier temps, ce n’était pas surprenant, mais je m’habituai sans tarder à ces nouvelles circonstances (qui n’étaient, après tout, presque qu’indiscernables des circonstances antérieures). Mon accommodation n’était cependant pas parfaite et, jusqu’à ce jour, je continue à être affecté par quelques difficultés de coordination mineures. La vitesse de la lumière est élevée, mais finie, et alors que la distance entre mon cerveau et mon corps s’accroissait, les fragiles interactions de mes systèmes rétroactifs étaient mises en déroute par les décalages temporels. De la même façon que l’on est rendu quasi muet par un retour différé ou un écho de notre propre voix, par exemple, j’étais pratiquement incapable de suivre du regard un objet en déplacement dès lors que mon cerveau et mon corps se trouvaient à plus de quelques kilomètres de distance. Dans la plupart des situations, mon handicap est à peine détectable, bien que je ne puisse plus frapper une balle molle à trajectoire courbe avec la même autorité qu’autrefois. Il y a quelques compensations, bien évidemment. Bien que j’apprécie toujours autant l’alcool, qu’il me réchauffe le gosier et détériore mon foie, je peux en boire autant qu’il me plaît, sans que cela ne m’enivre le moins du monde, une curiosité que certains de mes proches amis auraient pu remarquer (bien que je feigne l’ivresse occasionnellement, de façon à ne pas attirer l’attention sur mes circonstances habituelles). Pour des raisons similaires, j’avale de l’aspirine pour une entorse au poignet, mais si la douleur persiste, je demande à Houston de m’administrer de la codéine in vitro. Lorsque je suis malade, la facture téléphonique peut être impressionnante.

Driss, Mehdi, Astou & Hilary
=)

Marc
8-)

Mais revenons à mon aventure.

Driss, Mehdi, Astou & Hilary
(^_^;)

Ah !

Marc
8-)

Finalement, les médecins et moi-même étions satisfaits de ce que j’étais prêt à entreprendre ma mission souterraine. Et donc, je laissai mon cerveau à Houston et me dirigeai en hélicoptère à Tulsa. Enfin, quoi qu’il en soit, c’est qu’il me sembla. C’est ainsi que je l’aurais exprimé, tel que cela m’était venu en premier en tête. Durant le trajet, je poussai la réflexion à propos de mes craintes initiales et décidai que mes premières conjectures postopératoires avaient été teintées de panique. L’affaire était loin d’être aussi étrange ou métaphysique que je l’avais supposé. Où étais-je ? En deux endroits, clairement : tout à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de la cuve. Tout comme l’on peut se tenir un pied dans le Connecticut, l’autre à Rhode Island, je me trouvais à deux endroits à la fois. J’étais devenu un individu éparpillé. Plus je considérais cette réponse, plus elle me paraissait évidemment juste. Mais, c’est étrange à dire, plus elle me paraissait juste, et moins la question à laquelle elle était la réponse correcte me paraissait importante. Un sort bien triste, mais non sans précédent, pour une question philosophique. Cette réponse ne me donna pas entière satisfaction, bien entendu. Une questions persistait à laquelle j’aurais aimé avoir une réponse, et ce n’était ni “Où se trouvent mes parties diverses et variées ?” ni “Quel est mon point de vue actuel ?” Ou, tout du moins, il semblait y avoir une telle question. Car il était indéniable que d’une certaine façon c’était moi, et pas seulement la plus grande partie de moi-même, qui m’enfonçait dans les profondeurs terrestres sous Tulsa à la recherche de l’ogive atomique.

Lorsque je trouvai l’ogive, je fus bien content d’avoir laissé mon cerveau derrière car l’aiguille du compteur Geiger spécialement conçu pour cette mission que j’avais apporté avec moi dépassait les limites du cadran. J’appelai Houston à l’aide de ma radio ordinaire et tint le centre de contrôle des opérations informé de ma position et de mon avancée. En retour, ils me donnèrent les instructions de démantèlement du projectile, basées sur les observations que j’effectuai sur place. J’avais commencé à travailler avec mon chalumeau de coup lorsqu’une chose terrible se produisit. Je devins totalement sourd. Sur le coup, je me dis que les écouteurs de ma radio avaient simplement cessé de fonctionner, mais lorsque je donnai un coup sur mon casque, je n’entendis rien. Apparemment, les transmetteurs auditifs étaient morts. Je ne pouvais plus entendre Houston, ni même ma propre voix, mais je pouvais parler, aussi commençai-je alors leur raconter ce qu’il s’était passé. Au milieu de ma phrase, je sus que quelque chose d’autre avait cessé de fonctionner. Mon organe vocal était paralysé. Puis ma main droite devint flasque — un autre transmetteur était mort. J’étais réellement dans le pétrin. Mais le pire restait à venir. Quelques minutes plus tard, je perdis la vue. Je maudis ma malchance, ainsi que tous les scientifiques qui m’avaient conduit à ce grave péril. Voilà que j’étais sourd, muet et aveugle au fond d’un trou radioactif à plus d’un kilomètre et demi au-dessous de Tulsa. Puis la dernière de mes liaisons cérébrales radio cessa de fonctionner, et soudainement je fis face à un problème encore plus choquant : alors que l’instant d’avant j’étais enterré vivant dans l’Oklahoma, je me retrouvais désincarné à Houston. Je n’eus pas immédiatement conscience de ce nouveau statut. Il me fallut quelques minutes de vive inquiétude avant qu’il me vint à l’esprit que mon pauvre corps reposait à plusieurs centaines de kilomètres de là, le cœur battant et les poumons respirant, mais par ailleurs aussi mort que le cadavre d’un donneur pour une transplantation cardiaque, le crâne plein d’appareils électroniques inutiles et défectueux. Le changement de perspective que j’avais jugé plus tôt quasi impossible me semblait maintenant tout naturel. Bien que je pouvais encore m’imaginer dans mon corps au fond du tunnel sous Tulsa, il me fallut faire un effort pour maintenir cette illusion. Car il était bien certain qu’il était illusoire de supposer que j’étais toujours dans l’Oklahoma : j’avais perdu tout contact avec ce corps.

Driss, Mehdi, Astou & Hilary
(°_°)

Marc
8-)

Il m’apparut alors, avec l’une de ses fulgurances dont on devrait se méfier, que j’étais tomber sur une démonstration impressionnante de l’immatérialité de l’âme à partir de principes et de prémisses matérialistes. Car, alors que le dernier signal radio entre Tulsa et Houston s’éteignait, n’avais-je pas changé de lieu entre Tulsa et Houston à la vitesse de la lumière ? Et n’avais-je pas accompli ce changement sans le moindre accroissement de masse ? Ce qui s’était déplacé de A à B était forcément moi-même ou, en tout cas, mon âme ou mon esprit — le centre sans masse de mon être et siège de ma conscience. Mon point de vue était quelque peu à la traîne, mais j’avais déjà remarqué l’influence indirecte du point de vue sur la localisation personnelle. Je ne voyais pas comment un philosophe physicaliste pouvait être en désaccord avec ceci à moins de faire le choix désespéré et contre-intuitif de cesser radicalement de parler de personnes. Pourtant, la notion de personne était si bien ancrée dans la vision du monde de chacun, en tout cas c’est ce qu’il me semblait, que tout déni de ce statut serait aussi peu convaincant, et de façon curieuse, aussi peu sincère, et de façon systématique, que la négation cartésienne, “non sum”.

Driss
(¬_^)

Marc
8-)

“Je ne suis pas.”

Autrement dit, nier le statut de personne revient à nier notre propre existence. De plus, nier le déplacement à la vitesse de la lumière entre Tulsa et Houston du siège de la conscience de Daniel Dennett — son âme ? son esprit ? — ne serait possible qu’à la condition de recourir à la négation du statut de personne. Donc nier ce déplacement reviendrait à nier sa propre existence.

Hilary
(¬_*)

Et puis le déplacement s’est effectué sans accroissement de masse. Ça prouve que ce qui s’est déplacé est immatériel.

Astou
(¬_*)

Donc que l’esprit — ou l’âme — est immatériel.

Mehdi
(¬_*)

Donc que l’esprit et le corps ne sont pas de même nature.

Driss
(¬_^)

Mais pourtant, t’as dit plus tôt que Daniel Dennett est physicaliste et donc, pour lui, l’esprit et le corps sont de même nature.

Marc
8-)

Au bout de son raisonnement, il arrive en effet à une conclusion qui contredit les prémisses.

Mehdi
(¬_^)

Mais alors, il y a forcément quelque chose de faux. Soit les prémisses sont fausses, soit la conclusion…

Marc
8-)

Ou même prémisses et conclusion !

Driss, Mehdi, Astou & Hilary
(¬_¬)

Marc
8-)

La joie de la découverte philosophique me permit de surmonter les quelques minutes difficiles que je vivais, ou peut-être était-ce des heures, au fur et à mesure qu’il me devenait évident que je ne pouvais rien à ma situation désespérée. Je fus pris de vagues de panique et même de nausée, rendues plus terribles encore par l’absence de leur manifestation corporelle. Pas de poussée d’adrénaline accompagnée de fourmillement dans les bras, pas de cœur battant à tout rompre, pas de salivation prémonitoire. À un moment donné, j’ai ressenti une profonde sensation d’effroi dans mes entrailles, et cela me donna momentanément le faux espoir que j’étais en train de subir une inversion du processus qui m’avait conduit dans cette situation — une désincarnation progressive. Mais le caractère isolé et unique de cet élancement me convainquit sans tarder qu’il ne s’agissait que de la première manifestation d’une longue série d’hallucinations d’organes fantômes dont j’allais de toute évidence souffrir, tout comme toute autre personne amputée.

C’était le chaos dans mon esprit. D’un côté, j’étais remonté à bloc par l’euphorie de ma découverte philosophique et je me creusais la tête (un des seuls trucs habituels que je pouvais encore faire) à essayer de trouver un moyen de communiquer ma découverte à la presse ; alors que d’un autre côté, j’étais amer, seul, empli d’effroi et d’incertitude. Heureusement, cela ne dura pas longtemps, car mon équipe de support technique m’administra un sédatif qui me plongea dans un sommeil sans rêve duquel je me réveillai au son, d’une fidélité fantastique, des premiers accords de mon trio pour piano et cordes favori de Brahms. C’était donc pour ça qu’ils avaient voulu une liste de mes enregistrements favoris ! Il ne me fallut pas longtemps pour réaliser que j’entendais de la musique sans oreilles. La sortie stéréo était directement envoyée à travers des circuits de rectification sophistiqués directement à mon nerf auditif. J’étais en prise directe avec Brahms, une expérience inoubliable pour tout féru de stéréo. Lorsque l’enregistrement prit fin, je ne fus pas surpris d’entendre la voix du directeur de projet dans un micro qui constituait ma prothèse auditive. Il confirma mon analyse de ce qui était allé de travers et m’assura qu’on travaillait à ma réincarnation. Il n’en dit pas plus, et après quelques enregistrements de plus, je me sentis glisser dans le sommeil. J’appris plus tard que je dormis pendant près d’une année, et lorsque je me réveillai, je découvris que j’avais recouvert tous mes sens. Quand je me regardai dans le miroir, cependant, je fus un peu surpris d’y voir un visage inconnu. Barbu, un peu plus épais, il présentait sans aucun doute une ressemblance avec mon visage précédent, avec le même regard et le même air résolu et de vive intelligence, mais il s’agissait bien d’un nouveau visage. De plus amples explorations corporelles de nature intime ne me laissèrent aucun doute sur ce fait, le directeur de projet confirma mes conclusions. Il ne divulgua aucune information à propos du passé de mon nouveau corps et je décidai (sagement, je pense, avec du recul) de ne pas en demander. Comme de nombreux philosophes qui n’ont pas vécu mon supplice l’ont récemment supposé, l’acquisition d’un nouveau corps laisse la personne intacte. Et, après une période d’ajustement à une nouvelle voix, à de nouvelles forces et faiblesses musculaires, et ainsi de suite, notre personnalité est très largement préservée. Des changements de personnalités bien plus spectaculaires ont été systématiquement observés chez les personnes qui ont subi une vaste intervention de chirurgie esthétique, sans parler des opérations de changement de sexe, et je pense que nul ne consteste que ces personnes ont survécu dans ces cas-là. Quoi qu’il en soit, je me suis vite accommodé à mon nouveau corps au point de ne plus avoir conscience, ni le souvenir, de ses nouveautés. La vue dans le miroir me devint bientôt familière. Cette vue, d’ailleurs, montrait toujours la présence d’antennes et je ne fus donc pas surpris d’apprendre que mon cerveau avait été préservé dans son abri dans le laboratoire de maintien des fonctions vitales.

Driss, Mehdi, Astou & Hilary
(o_O)

Marc
8-)

Je décidai que ce bon vieux Yorick méritait bien une visite. Moi et mon nouveau corps, que nous pourrions tout aussi bien appeler Fortinbras, entrâmes à grandes enjambées dans le laboratoire familier sous les applaudissements, une nouvelle fois, des techniciens qui, bien entendu, se félicitaient eux-mêmes, pas moi. Une fois de plus, je me tins devant la cuve et contemplai ce pauvre Yorick, et sur un coup de tête, je basculai sans précaution l’interrupteur du transmetteur de sortie. Imaginez ma surprise lorsque rien ne se produisit. Pas d’évanouissement, pas de nausée, aucun changement notable. Un technicien s’empressa de rebasculer l’interrupteur sur ON, mais là encore je ne ressentis rien. Je demandai une explication que le directeur de projet se hâta de m’apporter. Il apparut qu’avant même la toute première opération, ils avaient créé un double numérique de mon cerveau, reproduisant l’intégralité de sa structure et sa vitesse de traitement de l’information dans un énorme programme informatique. Après l’opération, mais avant qu’ils se fussent risqués à m’envoyer en mission dans l’Oklahoma, ils avaient fait tourner ce programme et fait fonctionner Yorick en parallèle. Les signaux en provenance d’Hamlet étaient envoyés simultanément aux récepteurs de Yorick ainsi qu’aux entrées de l’ordinateur. Et les sorties de Yorick n’étaient pas seulement transmises en retour à Hamlet, mon corps, elles étaient aussi enregistrées et comparées aux sorties du programme informatique, qui avait été nommé “Hubert” pour des raisons qui m’échappent. De jours en jours, de semaines en semaines, les sorties étaient identiques et synchrones, ce qui ne constituait bien entendu pas une démonstration qu’ils étaient parvenus à répliquer la structure fonctionnelle du cerveau, mais cela apportait un soutien empirique fort encourageant à cette possibilité.

Les signaux entrants d’Hubert, et donc son activité, avaient été maintenus parallèlement à ceux de Yorick durant toute ma période de désincarnation. Et là, pour en faire la démonstration, les techniciens avaient actionné l’interrupteur principal, mettant ainsi pour la première fois Hubert directement aux commandes de mon corps — pas Hamlet, bien entendu, mais Fortinbras. (Hamlet, je l’appris, n’avait jamais été exhumé de son tombeau souterrain et on pouvait supposer qu’il était retourné, en grande partie, à la poussière. Au fond de ma tombe reposait toujours, dans toute sa splendeur, le plus gros de l’ogive abandonnée, le mot DTC gravé en larges lettres sur un côté — une circonstance qui devrait fournir aux archéologues du siècle prochain un bien curieux indice sur les rites d’inhumation de leurs ancêtres.)

Driss, Mehdi, Astou & Hilary
=D

Marc
8-)

Les techniciens du laboratoire me montrèrent alors l’interrupteur principal qui avait deux positions : C pour le cerveau (ils ne savaient pas que le nom de mon cerveau était Yorick), et H pour Hubert. L’interrupteur était effectivement en position H , et ils m’expliquèrent que si je le souhaitais, je pouvais le rebasculer en position C. L’estomac au bord des lèvres (et le cerveau dans la cuve), je le fis. Un clic, c’est tout. Pour éprouver leur affirmation, et avec l’interrupteur principal en position C, je désactivai le transmetteur de sortie de Yorick, et sans surprise, je commençai à perdre connaissance. Une fois le transmetteur de sortie réactivé et après que j’eus repris mes esprits, si je puis dire, je continuai à jouer avec l’interrupteur principal, le basculant d’une position à une autre. Je m’aperçus qu’à l’exception du clic, je ne pouvais détecter aucune différence. je pouvais changer sa position en plein milieu d’une déclaration, et la phrase que j’avais commencé à prononcer sous le contrôle de Yorick était terminée sans la moindre latence ni le moindre accroc sous le contrôle d’Hubert. J’avais un cerveau de rechange, une prothèse qui pourrait un jour m’être fort utile, si toutefois une mésaventure devait arriver à Yorick. Ou, autre possibilité, je pourrais garder Yorick en réserve et utiliser Hubert. Mon choix ne paraissait pas faire de différence, car l’usure et la fatigue de mon corps ne produisait aucun effet débilitant sur aucun de mes cerveaux, qu’il fût ou non responsable des mouvements de mon corps, ou qu’il se content d’émettre ses signaux de sortie en pure perte.

Le seul aspect véritablement déconcertant de ce nouveau développement était l’éventualité, qui ne tarda pas à m’apparaître clairement, que quelqu’un déconnectât le cerveau de rechange — Hubert ou Yorick, selon le cas — de Fortinbras et le raccordât à un autre corps — un Rosencrantz ou un Guildenstern nouveau venu. À ce moment-là (si ce n’était avant), il y aurait deux personnes, ça, c’était clair. L’un serait moi, l’autre une sorte de superjumeau. S’il y avait deux corps, l’un sous le contrôle d’Hubert, l’autre contrôlé par Yorick, alors lequel serait reconnu comme étant le vrai Dennett, aux yeux du monde ? Et quoi que les autres décident, lequel serait moi ? Serais-je celui au cerveau Yorick, en vertu d’une priorité causale et d’une relation intime antérieure avec le corps original de Dennett, Hamlet ? Cela semblait un peu légaliste, un peu trop évocateur des liens de sang ou des titres de propriété, pour être convaincant à un niveau métaphysique. Car, supposez qu’avant l’entrée sur scène du second corps, j’eus conservé Yorick en rechange pendant des années et laissé les signaux de sortie d’Hubert contrôler tout le temps mon corps — c’est-à-dire Fortinbras. Le couple Hubert-Fortinbras apparaîtrait alors, selon les droits de l’occupant (pour opposer une intuition juridique à une autre), comme étant le vrai Dennett et l’héritier légitime de tout ce que possédait Dennett. C’était une question intéressante, certainement, mais pas du tout aussi pressante qu’une autre question qui me préoccupait. Ma plus forte intuition était que, dans pareille éventualité, je vivrai si longtemps qu’au moins un de mes deux couples cerveau-corps resterait intact, mais j’avais des sentiments mitigés quant à savoir si je voudrais que les deux survivent.

Hilary, Astou & Driss
(°_°)

Mehdi
(¬_¬)

Marc
8-)

J’ai fait part de mes inquiétudes aux techniciens et au directeur de projet. L’éventualité de l’existence de deux Dennett m’était insupportable, expliquai-je, en grande partie pour des raisons sociales. Je ne voulais pas être mon propre rival pour l’affection de ma femme, et pas non plus partager mon modeste salaire de professeur en deux. Encore plus vertigineuse et écœurante était l’idée de tout savoir à propos d’une autre personne, tout en sachant qu’elle en savait autant à mon propos. Comment pourrions-nous jamais nous regarder en face ? Mes collègues de laboratoire soutinrent que je ne voyais pas le bon côté de cette éventualité. N’y avait-il pas tant de choses que je voulais faire mais que, n’étant qu’une seule personne, j’avais été incapable de réaliser ? Un Dennett pouvait être le professeur dévoué à sa famille, tandis que l’autre pouvait s’épanouir dans une vie faite de voyages et d’aventures — la famille lui manquerait, bien sûr, mais il se réconforterait à la pensée de l’autre Dennett s’occupant du foyer familial. Je pourrais tout à la fois être fidèle et commettre l’adultère. Je pourrais même me faire cocu moi-même — sans parler de toutes les autres possibilités plus indécentes que mes collègues s’amusaient à suggérer à mon imagination surmenée. Mais mon supplice dans l’Oklahoma (ou était-ce à Houston ?) m’avait rendu moins aventureux, et je renonçai à cette opportunité qui m’était offerte (même si, bien sûr, je n’étais pas vraiment certain qu’elle me soit offerte à moi).

Driss, Mehdi, Astou & Hilary
(@_@)

Marc
8-)

Une autre perspective était encore plus désagréable : que le cerveau de rechange, Hubert ou Yorick, peu importe, fût déconnecté de tout signal d’entrée en provenance de Fortinbras et simplement laissé comme ça, déconnecté. alors, comme dans l’autre cas, il y aurait deux Dennett, ou au moins deux personnes se réclamant de mon nom et de mes biens, l’un incarné dans Fortinbras, et l’autre tristement, misérablement désincarné.

Tant par égoïsme que par altruisme, je fis en sorte que cela n’arrive pas. Ainsi ai-je demandé que des mesures soient prises de sorte que personne ne touchât aux connexions de transmission ou à l’interrupteur principal sans que je (nous ? non, je) sois au courant et sans que j’y consente; Comme je n’avais aucun désir de passer ma vie à monter la garde devant les équipements de Houston, il fut décidé d’un commun accord que toutes les connexions électroniques du labo seraient enfermées précautionneusement. Tant celles qui contrôlaient le système de maintien des fonctions vitales que celles qui contrôlaient l’alimentation électrique d’Hubert seraient gardées par des dispositifs de sécurité, et je prendrais avec moi l’unique interrupteur principal, équipé pour le contrôle radio à distance, quand je le voulais. Je le porte sanglé autour de ma taille et — attendez un moment — le voici. Plusieurs fois par an, je m’assure que tout va bien en changeant de canal. Je fais uniquement ceci en présence d’amis, bien entendu, car si l’autre canal était, que le ciel m’en préserve, soit mort soit autrement indisponible, il faudrait qu’il y ait quelqu’un qui tienne à moi pour rabasculer l’interrupteur, pour me ramener du néant. Car, alors que je pourrais ressentir, voir, entendre, percevoir tout ce qui arrive à mon corps, à la suite d’un tel basculement, je serais incapable de le contrôler. À propos, les deux positions de l’interrupteur ne sont pas marquées, intentionnellement, si bien que je ne sais absolument pas si je bascule d’Hubert à Yorick ou vice-versa. (Certains d’entre vous pourraient penser que, dans ce cas, je ne sais vraiment pas qui je suis, sans parler d’où je suis. Mais de telles réflexions ne portent plus vraiment atteinte à l’essence de ma Dennetté, du sens qui m’est propre de qui je suis. S’il est bien vrai que, d’une certaine manière, je ne sais pas qui je suis, alors c’est encore là l’une de vos vérités philosophiques de peu d’importance.)

Quoi qu’il en soit, chaque fois que j’ai basculé l’interrupteur, jusqu’à présent, il ne sait rien passé. Alors, essayons pour voir…

Driss, Mehdi, Astou & Hilary
(°_°)

Marc
8-)

“DIEU MERCI ! JE PENSAIS QUE TU NE BASCULERAIS JAMAIS CET INTERRUPTEUR !”

Driss, Mehdi, Astou & Hilary
(°~°)

Marc
8-)

“Tu ne peux pas imaginer à quel point ces deux dernières semaines ont été horribles — mais maintenant, vois-tu, c’est à ton tour d’aller au purgatoire. J’ai tant attendu ce moment ! Tu vois, il y a à peu près deux semaines — excusez-moi mesdames et messieurs, mais il faut que j’explique cela à mon… euh, frère, pourrait-on dire, mais il vient juste de vous raconter ce qu’il s’est passé, alors il comprendra — il y a, donc, à peu près deux semaines, nos deux cerveaux se sont légèrement désynchronisés. Pas plus que toi, je ne sais si mon cerveau est maintenant Hubert ou Yorick mais, quoi qu’il en soit, les deux cerveaux se sont éloignés l’un de l’autre, et bien sûr, dès lors que le processus a commencé, il s’est emballé, puisque j’étais dans un état de réception un peu différent du tien lorsque nous avons reçu les mêmes signaux d’entrée, une différence qui ne tarda pas à s’amplifier. En un rien de temps, l’illusion que je contrôlais mon corps — notre corps — s’est dissipée. Il n’y avait rien que je puisse faire — je n’avais aucun moyen de t’appeler. TU NE SAVAIS MÊME PAS QUE J’EXISTAIS ! Ça a été comme si j’avais été trimballé dans une cage, ou mieux, comme si j’étais possédé — entendant ma voix dire des choses que je n’avais pas l’intention de dire, regardant avec frustration mes propres mains commettre des actes dont je n’avais pas non plus l’intention. Tu te grattes là où ça nous démange, mais pas de la façon dont je l’aurais fait, et tu me tenais éveillé la nuit, tant tu bougeais et te retournais. J’étais complètement épuisé, au bord de la crise de nerf, emporté sans rien y pouvoir par ta frénésie d’activités, me raccrochant à l’espoir qu’un jour tu actionnerais l’interrupteur.”

Driss, Mehdi, Astou & Hilary
(O_o)

Marc
8-)

“Maintenant, c’est à ton tour, mais au moins tu peux te consoler en sachant que, moi, je sais que tu es là. Comme une femme enceinte, je vais manger — ou tout du moins goûter, sentir, voir — pour deux maintenant, et je ferai en sorte de te rendre les choses plus faciles. Ne t’inquiète pas. Dès que ce colloque sera terminé, toi et moi nous envolerons pour Houston, et nous verrons ce qui pourra être fait pour que l’un de nous ait un nouveau corps. Tu peux avoir un corps de femme — ton corps pourrait de la couleur qui te plaît. Mais il faut bien y réfléchir. Je vais te dire — pour être juste, si nous voulons tous les deux ce corps, je te promets que je laisserai le directeur de projet décider à pile ou face lequel de nous le gardera et lequel devra en choisir un nouveau. Ça devrait garantir l’équité, n’’est-ce pas ? Quoi qu’il en soit, je prendrai soin de toi, je te le promets. Ces gens sont mes témoins.”

Driss, Mehdi, Astou & Hilary
(o_O)

Marc
8-)

“Mesdames et messieurs, la conférence que nous venons d’entendre n’est pas exactement celle que j’aurai donnée, mais je peux vous assurer que tout ce qu’il a dit est parfaitement vrai. Et maintenant, si vous voulez bien m’excuser, je pense que je ferais — que nous ferions — mieux de nous asseoir.”

Driss, Mehdi, Astou & Hilary
(@_@)

Marc
8-)

Fin.

Driss, Mehdi, Astou & Hilary
(@_@)

Marc
8-)

Driss
(@_@)

Elle m’a retourné le cerveau, ton histoire !

Marc
=
)

Promesse tenue, alors ?

Astou & Hilary
(@_@)

Oui !

Mehdi
(¬_¬)

Ça se passe comme je l’imaginais à la fin, avec le double numérique qui devient une autre personne que l’original. Mais je n’avais pas pensé qu’ils pourraient être identiques pendant un moment grâce à une synchronisation des… euh, signaux d”entrée. Et de ceux de sortie, aussi.

Marc
8-)

En effet, tu as eu cette idée lors de notre discussion à propos du transhumanisme. La chute de la nouvelle de Daniel Dennett l’illustre bien.

C’était bien vu de ta part, Mehdi.

Mehdi
=]

Hilary
(¬_¬)

Un autre truc étrange est que, pendant tout le temps où les deux cerveaux sont parfaitement synchronisés, celui qui n’est pas connecté au corps Fortinbras, tour à tour Yorick et Hubert, a l’illusion parfaite d’être aux commandes de Fortinbras. Alors qu’il n’a aucun effet sur lui. Il croit être acteur mais, en fait, il n’est que spectateur.

Marc
8-)

Un spectateur privilégié. La version ultime de la mise en scène en caméra subjective.

Astou
(¬_¬)

Ça veut dire que, tant que Yorick et Hubert sont synchronisés, ils ne sont qu’une unique personne. C’est pour ça que Dennett a l’impression que rien ne change lorsque l’interrupteur est basculé dans une position ou une autre. Et pourtant, Yorick et Hubert sont deux cerveaux distincts.

Marc
8-)

Es-tu certaine d’avoir prononcé les mots qui sont sortis de ta bouche ? Peut-être es-tu un cerveau de rechange qui vit l’illusion de ressentir et d’agir à travers le corps d’Astou.

Astou
(@_@)

Driss
(¬_^)

Dans l’histoire, il n’y a qu’un cerveau de rechange. Mais, ce serait pareil s’il y en avait mille ! Tant qu’ils seraient synchronisés, les mille cerveaux auraient tous l’illusion de contrôler le corps. Aucun ne se rendrait compte d’un basculement à un autre.

Hilary
(¬_¬)

Et, où serait Dennett, dans ce cas ?

Marc
8-)

Comme il finit par le conclure, il serait là où il penserait être.

Driss
(¬_¬)

Mais, quand son premier corps est mort, quelque chose sans masse a voyagé à la vitesse de la lumière depuis son corps dans l’Oklahoma à Houston.

Mehdi
(¬_*)

Là, je crois que Daniel Dennett s’est amusé avec nous !

Driss, Astou & Hilary
(o_O)

Ah ouais ?

Mehdi
(¬_*)

Rien n’a voyagé, en fait. C’est juste son point de vue qui a changé.

Driss
(¬_¬)

Comment ça ?

Mehdi
8-)

Il a bien dit qu’il est là où il pense être ?

Driss, Astou & Hilary
(¬_¬)

Ben… oui…

Mehdi
8-)

Juste avant la mort de son corps, il pensait être sous terre, dans l’Oklahoma, donc il y était, sous terre, dans l’Oklahoma. Juste après, il pensait être dans la cuve à Houston, donc il y était, dans la cuve, à Houston.

Rien n’a bougé. L’endroit où il se localisait a changé sans qu’il se soit déplacé. Il n’y a que son point de vue qui s’est déplacé.

Driss, Astou & Hilary
(*_*)

Astou
(¬_¬)

T’as raison, Mehdi ! En plus, Daniel Dennett a bien dit qu’il a trouvé sa démonstration dans un moment de fulgurance et qu’il faut s’en méfier.

Mehdi
8-)

Voilà ! Il nous avait bien prévenus !

Marc
8-)

J’ai, moi aussi, trouvé ce passage amusant.

Et je rejoins Mehdi dans son analyse. Daniel Dennett s’est amusé à nous mettre face à un paradoxe qui n’en est pas réellement un. Un paradoxe selon lequel la théorie physicaliste prouverait la validité de la théorie dualiste, alors que ces deux théories sont antagonistes. Comme l’a bien relevé Astou, il nous avait bien prévenus de faire preuve de méfiance à l’égard de sa démonstration.

Astou
(¬_*)

Au bout du compte, il met en évidence une autre théorie… je ne me souviens pas de son nom… celle qu’il illustre avec la copie numérique du cerveau biologique, Yorick.

Marc
8-)

Le fonctionnalisme.

Mehdi, Astou & Hilary
(*_*)

Driss
(@_@)

Euh… je…

Hilary
=)

Tu bégaies, Driss ?

Driss
(@_@)

Je suis un peu perdu !

Physicalisme, dualisme, fonctionnalisme, ça fait beaucoup. Moi, tout ce que je sais — ou que je croyais savoir — c’est qu’on dit souvent qu’on a une âme dans notre corps et que c’est quelque chose de très différent du corps et que, même, elle pourrait exister en dehors du corps. Du coup, je me disais que la conscience, c’est l’âme ou bien ça vient de l’âme et pas du tout du cerveau.

Mais dans la nouvelle, c’est très différent. On dirait que la conscience vient du cerveau et, en plus, on peut en faire une copie numérique !

Hilary
8-)

La théorie qui dit que la conscience n’est pas de la même nature que le cerveau — n’est pas de la matière, en fait — c’est le dualisme. Celle qui dit que la conscience vient juste de phénomènes biologiques qui se passent dans le cerveau, c’est le matérialisme.

Astou
8-)

Et le fonctionnalisme, c’est la théorie qui dit qu’on n’a pas forcément besoin d’un cerveau pour avoir une conscience. Il suffit de reproduire toutes les fonctions du cerveau, peu importe le système.

Driss
(¬_*)

Ah ! C’est pour ça qu’on pense qu’on pourrait en faire une copie numérique, alors ! Je me souviens qu’on en a déjà parlé…

Mehdi
8-)

Voilà !

Et si on peut faire une copie numérique d’un cerveau conscient, alors on peut aussi créer des intelligences artificielles conscientes.

Driss
(¬_¬)

Mais… euh…

Hilary
=)

Ah, ah ! Tu vas encore bégayer ?

Driss
(¬_¬)

Pourquoi ça serait impossible que le cerveau et l’esprit ne soient pas la même chose ?

Je suis sûr qu’il y a un lien entre les deux parce que quand je pense, mes pensées sont dans ma tête, quelque part dans mon cerveau. Et en même temps, avec mes pensées, j’ai l’impression de vivre une vie à l’intérieur de moi qui est différente de celle que j’ai avec mon corps à l’extérieur, dans le monde.

Et donc, c’est pour ça que je me dis que c’est possible que le cerveau et l’esprit soient deux choses très différentes.

(^_^;)

J’ai pas l’air trop bizarre quand je dis ça ?

Marc
8-)

Tu n’as pas du tout l’air bizarre. En ce qui me concerne, j’ai les mêmes impressions que toi.

Astou
=)

On peut te voir, Driss, et on pourrait voir ton cerveau grâce à l’imagerie médicale…

Hilary
=)

Ou en ouvrant ton crâne !

Driss
(°~°)

Astou
=)

… mais il serait impossible de voir tes pensées.

Mehdi
(¬_*)

Du coup, on ne peut pas être absolument sûr qu’il pense…

Hilary
(¬_*)

Ou qu’il ressente des choses…

Driss
(o_O)

Ben, ce n’est pas possible, ça, que je ne pense rien ou que je ne ressente rien.

Marc
8-)

En théorie, si. Un être qui ne penserait et ne ressentirait rien, on appelle ça un zombie philosophique !

Astou, Hilary & Mehdi
(°~°)

Driss
(°~°)

Non, mais arrêtez ! Ne me regardez pas comme ça ! Je ne suis pas un zombie…

Astou
=)

Dans un film d’horreur, c’est exactement ce que dirait un zombie philosophique pour passer inaperçu !

Marc
8-)

Exactement !

Mais revenons à notre histoire de nature du cerveau et de l’esprit.

Driss
(^_^;)

Oui !

Marc
8-)

René Descartes est très certainement le philosophe français le plus célèbre, il existe dans le langage courant un adjectif tiré de son nom — cartésien — on ne peut vraiment pas faire mieux que ça en termes de notoriété.

Eh bien, René Descartes a apporté la démonstration que cerveau et esprit sont de nature différente !

Astou
(¬_*)

Ah oui, Descartes !

Si je me souviens bien, il voulait refonder toutes les sciences sur des bases absolument certaines et, pour ça, il s’est mis à douter de tout ce qui n’était pas complètement sûr.

Mehdi
(¬_¬)

Je me demande bien à quel âge il a eu ce projet fou… Parce que, moi, je ne sais toujours pas ce que je veux faire plus tard…

Hilary
(¬_¬)

Pareil…

Astou
8-)

Et grâce à l’expérience par la pensée du Malin Génie, il arrive à la conclusion qu’il peut douter de tout ce qu’il perçoit, de tout ce qui est matériel, y compris de l’existence de son corps. La seule chose dont il ne peut pas douter, c’est qu’il pense. Puisque, pour faire cette expérience de pensée, eh bien, il faut nécessairement qu’il pense.

Hilary
(¬_*)

Logique !

Astou
8-)

Et donc, comme il pense alors que, si ça se trouve, son corps n’existe pas, ça montre, selon lui, que le cerveau et l’esprit sont deux choses différentes.

Mehdi
8-)

Et puisqu’il en pense, il en déduit qu’il existe. Au moins sous forme d’esprit, puisqu’il n’est pas du tout sûr d’avoir un corps.

Driss
(¬_*)

Ah !

Mais c’est bizarre d’arriver à penser que notre corps et tout ce qu’on perçoit n’existe peut-être pas. C’est quoi, exactement, l’expérience par la pensée du Malin Génie ?

Astou
(¬_*)

Je ne m’en souviens pas précisément…

Marc
8-)

Je vous la lis ?

Mehdi, Driss, Astou & Hilary
=)

Oui !

Marc
8-)

Je supposerai donc qu’il y a, non point un vrai Dieu, qui est la souveraine source de vérité, mais un certain mauvais génie, non moins rusé et trompeur que puissant qui a employé toute son industrie à me tromper. Je penserai que le ciel, l’air, la terre, les couleurs, les figures, les sons et toutes les choses extérieures que nous voyons, ne sont que des illusions et tromperies, dont il se sert pour surprendre ma crédulité. Je me considérerai moi-même comme n’ayant point de mains, point d’yeux, point de chair, point de sang, comme n’ayant aucun sens, mais croyant faussement avoir toutes ces choses. Je demeurerai obstinément attaché à cette pensée ; et si, par ce moyen, il n’est pas en mon pouvoir de parvenir à la connaissance d’aucune vérité, à tout le moins il est en ma puissance de suspendre mon jugement.

Mehdi
(¬_¬)

Mais pourtant, on arrive à contrôler notre corps grâce à notre esprit…

Driss
(¬_¬)

Ben oui… Si je pense à lever ma main, je peux la lever.

Marc
8-)

Comme si on pilotait le corps ?

Driss
(*_*)

Et comme si on pilotait un robot !

Mehdi
(¬_¬)

Il serait où, le poste de pilotage ?

Marc
8-)

Pour René Descartes, la glande pinéale est le siège de l’âme.

Driss
(¬_^)

C’est quoi, la glande pinéale ?

Hilary
(¬_¬)

C’est une glande qui sécrète une hormone appelée mélatonine dont le rôle est de réguler notre sommeil. Notamment.

Astou
(¬_¬)

Rien à voir avec le siège de l’esprit, alors !

Marc
8-)

Non, rien.

Mehdi
(¬_¬)

Mais alors, il fait comment, l’esprit, pour contrôler le corps et aussi pour avoir des sensations à partir de choses qui se produisent dans le corps ou à l’extérieur ? Puisqu’il est différent du cerveau…

Comment quelque chose de non matériel peut-il agir sur quelque chose de matériel, et vice-versa ?

Driss
=)

Le professeur Xavier et Jean Grey, ils arrivent très bien à déplacer de la matière sans y toucher, dans les X-Men !

Marc
8-)

C’est tout le problème avec la théorie dualiste.

Driss, lorsqu’il dit que piloter son propre corps, c’est un peu comme si on pilotait un robot — Goldorak, par exemple — il n’est pas très loin de ce que pensait Descartes.

L’autre possibilité serait effectivement que cette capacité à bouger son corps avec son esprit soit une sorte de super-pouvoir. Mais alors, pourquoi ne se limiterait-elle, cette capacité, qu’à notre seul corps ?

Driss
=]

Marc
8-)

Descartes concevait les corps comme des machines. Les humains ayant ce petit supplément particulier : un esprit. Mais il s’est rendu compte que la théorie du pilotage ne tenait pas la route.

Astou
(¬_*)

Ah oui ! Avec la douleur !

Parce que si le robot qu’on pilote se cogne quelque part, on n’aura pas mal. Au pire, il y aura un indicateur sur le tableau de bord qui dira que le robot a subi des dégâts. Or, si notre corps se cogne, on ressentira une douleur dans notre esprit. Mais si notre corps était comme un robot qu’on pilotait, on ne devrait rien ressentir.

Mehdi
(¬_¬)

C’est lui qui a inventé le concept de cyborg biologique dont parlent les transhumanistes, alors… Sauf que lui y ajoute une âme qui contrôlerait le corps…

Marc
8-)

On peut effectivement voir les animaux machines comme les ancêtres des cyborgs naturels, Mehdi.

Et Descartes en conclut qu’on ne pouvait pas être pilote de son corps. Et, à travers cette douleur que l’on ressent, c’est comme si on était aussi notre corps en plus d’être notre esprit. Comme si rien ne permettait de distinguer l’un de l’autre. Descartes parle de l’union de l’esprit avec le corps.

Driss
(@_@)

Mais ce n’est pas exactement l’inverse de la théorie du dualisme ?

Marc
¯\_(ツ)_/¯

Si !

Et il a tenté de s’en sortir en situant l’esprit dans la glande pinéale. Seulement, ça ne faisait que renforcer la réfutation du dualisme, puisque loger l’esprit dans un organe matériel rend, de fait, l’esprit matériel.

Driss
(¬_¬)

Donc, le dualisme, ça ne marche pas ?

Marc
8-)

Disons que c’est une théorie qu’on peine à justifier.

Selon Leibniz, l’union du corps et de l’esprit ne serait qu’une illusion. Quand on appuie sur le bouton de la télécommande pour allumer la télé et regarder paresseusement une série sur Netflix, on a l’impression que notre pensée a commandé à notre main parce que la pensée et le geste du corps sont parfaitement synchrones. Cependant, nous dit Leibniz, si l’esprit et le corps sont synchrones, c’est simplement qu’ils ont été conçus pour l’être. C’est comme si nous avions été programmés minutieusement de telle sorte que les pensées et les actions soient parfaitement synchronisées, tout en les maintenant totalement indépendantes les unes des autres.

Driss
(¬_^)

Mais qui nous aurait programmé ?

Marc
8-)

Dieu !

Dans notre société occidentale actuelle, à la suite des travaux de Copernic, de Galilée, de Descartes qui ont conduit aux Lumières et grâce au progrès scientifique, on n’y fait généralement plus appel que dans un cadre strictement religieux, mais au 17ème siècle, c’était encore courant dans le discours philosophique et scientifique.

Mehdi
(¬_¬)

Et ça l’est toujours dans d’autres cultures !

Marc
8-)

Oui.

Hilary
(¬_*)

Si on vit dans une simulation numérique, alors on pourrait faire une hypothèse similaire à celle de Leibniz en disant que ce sont les créateurs de la simulation qui ont programmé cette harmonie.

Marc
8-)

Cette théorie, Leibniz l’a nommée l’harmonie préétablie.

Ce que tu proposes, Hilary, ne fonctionnerait qu’à la condition où les créateurs de la simulation nous aient directement créés, nous, êtres humains, et non pas des formes de vie beaucoup plus simples qui auraient évolué jusqu’à devenir ce que nous sommes aujourd’hui…

Hilary
(¬_*)

Ah oui, exact !

Mehdi
(¬_¬)

Leibniz, c’était un mathématicien, aussi, non ? J’ai vu son nom dans mes cours sur le calcul différentiel et intégral…

Marc
8-)

Tout à fait !

Il est à l’origine — avec Newton, mais de façon indépendante — du calcul infinitésimal. Le développement de la physique lui doit énormément. Le calcul infinitésimal trouve également des applications dans presque toutes les technologies modernes, aujourd’hui.

Mehdi, Astou & Driss
(*_*)

Hilary
(¬_*)

Dans la nouvelle de Daniel Dennett, le corps est séparé du cerveau et donc de l’esprit, non ? Et pourtant l’esprit arrive à contrôler le corps et il a des sensations, tout comme s’il était dans le corps…

Mehdi
(¬_*)

Mais l’esprit n’est pas séparé du cerveau ! Et Yorick est toujours relié à Hamlet comme s’il était toujours dans le crâne. C’est juste la technologie de transmission et de réception de signaux qui a changé.

Moi, ce qui me perturbe encore dans la nouvelle, c’est que tant que Yorick et Hubert sont synchronisés, ils ont tous les deux l’impression de contrôler Fortinbras, mais en fait, il n’y en a qu’un des deux qui est aux commandes, on ne sait jamais lequel. Mais du point de vue du cerveau qui n’est pas connecté au corps et qui est gardé comme une pièce de rechange, il s’agit d’une illusion. Et s’il y avait mille cerveaux de rechange, les mille vivraient la même illusion.

Ça ne fait pas un peu penser à Leibniz et l’harmonie préétablie ?

Marc
8-)

On en vient ainsi au matérialisme et au physicalisme.

Je ne t’oublie pas, Mehdi…

Le matérialisme dit que toute chose est composée de matière et que tout phénomène est le résultat d’interactions matérielles. Le physicalisme en est une variante qui intègre des découvertes des sciences physiques pour préciser ce qui est entendu par matière. Il dit que tout chose peut s’énoncer en termes de physique.

Astou
(¬_*)

Et c’est grâce à cette théorie qu’on a pu imaginer qu’on pouvait créer des programmes informatiques qui apprennent, des intelligences artificielles !

Marc
8-)

Oui, tu t’en souviens bien.

Les physicalistes assurent que le cerveau et l’esprit ne sont qu’une seule et même chose et que la conscience serait simplement le résultat de réactions biologiques qui se produisent dans le cerveau. Même si on en a pas encore élucidé les mécanismes, ils soutiennent qu’il n’est pas nécessaire de faire appel à l’esprit pour expliquer la conscience.

À un phénomène donné correspond, selon cette théorie, un même ensemble d’états mentaux.

Mehdi
(¬_¬)

Donc notre conscience viendrait du fonctionnement de notre cerveau. Donc de phénomènes spécifiques à notre biologie.

Mais si jamais il existe des extraterrestres qui ont une biologie différente de la nôtre — elle ne serait pas basée sur le carbone, par exemple — alors, ça voudrait dire qu’ils ne pourraient pas avoir de conscience ?

Driss
(*_*)

Tu devrais être exobiologiste, Mehdi !

Hilary
(¬_*)

Même pas besoin d’aller aussi loin ! Ça voudrait dire qu’on ne pourrait pas reproduire des mécanismes de la pensée, comme l’apprentissage, par un programme informatique. Et donc, on ne pourrait pas créer d’intelligences artificielles !

Mehdi
(¬_¬)

Et les techniciens de Houston n’auraient pas pu créer une copie numérique du cerveau de Dennett…

Marc
8-)

En effet, on sent bien qu’il y a quelque chose de trop limité dans le cadre strict du physicalisme. On s’y sent à l’étroit.

D’où la proposition du fonctionnalisme dont on a déjà parlé de façon assez détaillée précédemment.

Astou
(¬_*)

Si je me souviens bien, cette théorie considère les états mentaux qui constituent la conscience comme des fonctions qui peuvent être composées, comme en mathématiques. Et la forme que prennent ces fonctions n’a pas d’importance. Elles peuvent être biologiques, comme dans le cerveau, ou numériques, comme dans un ordinateur.

Hilary
(¬_*)

Hubert, la copie numérique du cerveau de Dennett illustre bien cette théorie.

Marc
8-)

Pour revenir à ce qui te perturbe, Mehdi, le fait que le cerveau de rechange vive une illusion, cela me rappelle un peu à moi aussi la théorie de l’harmonie préétablie de Leibniz. Mais à un niveau physicaliste car ce qui est synchronisé, dans la nouvelle de Dennett, ce sont le corps, Fortinbras, et les deux cerveaux, Yorick et Hubert. Ce ne sont pas les cerveaux avec une conscience immatérielle. De plus, l’harmonie n’est ici pas préétablie, elle est assurée en temps réel.

Driss
=)

Une techno-harmonie en temps réel !

Hilary, Astou & Mehdi
=)

Marc
=)

Driss
(¬_¬)

Finalement, où est Dennett ?

Marc
8-)

Dans son corps ?

Hilary
(¬_¬)

Non, je ne pense pas car, lorsqu’Hamlet meurt, Dennett est toujours en vie. Et lorsque Yorick, le cerveau biologique de Dennett est connecté à son nouveau corps, Fortinbras, Dennett est toujours lui-même.

Driss
(¬_*)

C’est pour ça qu’il vaut mieux être donneur de cerveau que receveur !

Marc
8-)

Par le jeu du renouvellement cellulaire, notre corps change en permanence. Et pourtant, nous sommes toujours la même personne.

Mehdi
(¬_^)

Ah oui, tiens…

Mais Dennett n’est pas non plus là où se trouve son cerveau… Parce que, si son corps était incarcéré après que Dennett ait commis un délit, alors Dennett se sentirait emprisonné bien que son cerveau soit à l’extérieur de la cellule.

Astou
(¬_¬)

Moi, j’ai quand même plus l’impression qu’il est dans son cerveau. S’il n’a jamais l’impression d’être dans la cuve, c’est parce que le cerveau tout seul n’a pas de sens et ne peut pas recevoir d’informations de l’extérieur. Il ne peut donc pas se localiser dans le monde.

Driss
(¬_¬)

D’ailleurs, il est en panique quand il perd son corps Hamlet…

Astou
(¬_¬)

Parce qu’il se retrouve amputé de tout son corps. Mais il est toujours lui-même. Tout comme une personne qui perd un membre ou un sens reste elle-même.

Marc
8-)

Après qu’il ait retrouvé le sens de l’ouïe, le trio pour piano et cordes de Brahms l’a apaisé. Tout d’abord, parce qu’elle l’a forcé à concentrer ses pensées chaotiques. Et puis, parce que familière, cette œuvre l’a rassuré sur son identité en faisant appel à sa mémoire.

Hilary
(¬_¬)

Donc, une personne c’est une conscience produite par le cerveau, reliée à un corps. Mais le corps peut changer sans que ça change la personne.

Astou
(¬_¬)

Et aussi une mémoire pour assurer la continuité de l’identité.

Mehdi
(¬_¬)

Le corps, en fait, il permet à la personne d’avoir un point de vue sur le monde extérieur. Ça veut dire que si on est, en quelque sorte, concentré sur l’extérieur, alors on aura l’impression d’être là où notre corps se trouve. Et si on est concentré sur nos pensées, alors, on sera là où notre cerveau se trouve. Donc, c’est comme Dennett a dit, on est où on pense être.

Quand Hamlet a perdu son dernier sens, Dennett ne pouvait plus avoir de point de vue sur le monde extérieur. Il ne pouvait plus être concentré que sur ses pensées. Le changement de point de vue a été brutal et c’est pour ça, je pense, qu’il a eu l’illusion que quelque chose a voyagé à la vitesse de la lumière.

Astou, Hilary & Driss
(*_*)

Marc
8-)

Et, comme on change en permanence de point de vue, entre l’extérieur et l’intérieur, c’est un peu comme si on était à deux endroits à la fois : dans notre corps, d’où nous proviennent nos perceptions du monde extérieur, et dans notre cerveau, là où se forment nos pensées et se maintient notre identité.

Driss
(¬_¬)

C’est bizarre, quand même, de penser qu’on peut être à deux endroits à la fois…

Marc
8-)

Imagine que tu construises un robot : il dispose de capteurs qui lui permettent de percevoir son environnement, il envoie ces perceptions à un programme qui va décider de la marche à suivre et envoyer des instructions aux effecteurs du robot.

Driss
(¬_¬)

Ce programme, c’est le cerveau du robot, non ?

Marc
8-)

Tout à fait ! Et ce cerveau, il peut se trouver dans le robot, tout comme il pourrait tout aussi bien se trouver sur un ordinateur distant, quelque part dans le monde.

Driss
(¬_*)

Ah oui ! Et le corps du robot et son cerveau pourraient communiquer par la 4G, par exemple !

Marc
8-)

Où se trouve le robot ?

Driss
(¬_*)

À deux endroits, du coup : là où se trouve son corps et là où se trouve son cerveau.

Marc
8-)

Et Hubert, dans tout ça ? À un moment de l’histoire, on apprend qu’il a été créé dès la séparation de Dennett en Hamlet et Yorick…

Astou
(¬_¬)

Au début, Dennett ne connaît pas l’existence d’Hubert, donc Dennett ne peut pas penser qu’il est là où se trouve Hubert.

Mehdi
(¬_¬)

Mais quand Dennett pense être là où se trouve son cerveau, en fait il pense être là où se forment ses pensées. Donc, dans ces moments-là, je pense qu’il est à la fois là où se trouve Yorick et là où se trouve Hubert.

Marc
8-)

Tant que Yorick et Hubert sont synchronisés, ils ne sont qu’une seule et même conscience. Deux exemplaires d’une même conscience.

Mehdi
(¬_¬)

En fait, l’emplacement physique des pensées n’a pas d’importance puisqu’elles sont immatérielles.

Hilary
(¬_¬)

Alors une personne, c’est tous les exemplaires de son cerveau dont l’un, peu importe lequel, est connecté à un corps. Et les exemplaires du cerveau peuvent avoir n’importe quelle forme, numérique ou biologique, tant qu’ils sont tous synchronisés, la conscience produite reste la même, avec la même mémoire.

Marc
8-)

On le voit bien dans la nouvelle : lorsque Fortinbras bascule l’interrupteur de Yorick vers Hubert, puis de Hubert vers Yorick, rien ne se produit, rien ne change en Dennett qui reste toujours le même

Driss
(¬_¬)

Ça veut dire alors que Hubert a ressenti la même chose que Dennett lorsque Hamlet est mort.

Marc
8-)

Oui, je le pense, puisque les états mentaux d’Hubert étaient à ce moment-là, rigoureusement identiques à ceux de Yorick.

Astou
(¬_¬)

À ce moment-là, il n’y a pas de distinction entre Yorick et Hubert. Dennett est Hamlet, Yorick et Hubert tout à la fois.

Marc
8-)

Dennett s’inquiète des conséquences de l’incarnation de son cerveau de rechange dans un corps. Il craint de se retrouver en concurrence avec un double de lui-même.

Mehdi
(¬_¬)

Ce ne serait pas un deuxième lui-même. Ce serait une autre personne.

Driss
(¬_*)

Mais avec les mêmes souvenirs jusqu’au moment de la désynchronisation !

Hilary
(¬_¬)

Ce serait perturbant, comme il le dit dans sa nouvelle, Dennett.

Astou
(¬_¬)

Et puis, quel serait le statut légal de cette nouvelle personne ?

Hilary
(¬_¬)

Et qui serait le vrai Dennett ?

Driss
(¬_¬)

Le corps avec le dernier cerveau qui l’a contrôlé ?

Marc
8-)

Ce serait arbitraire…

Mehdi
(¬_¬)

Ils seraient tous les deux une évolution différente du Dennett original. Mais, on ne pourrait pas savoir lequel serait l’original.

Astou
(¬_*)

C’est parce qu’il n’y aurait pas un original, mais deux originaux !

Marc
8-)

Une version de lui-même en concurrence avec une autre.

Hilary
(o_O)

Ah, mais ce serait beaucoup trop compliqué ! Comment ça se passerait avec la famille et les amis ? Et avec les biens de Dennett, tout ça ? Il a bien raison, Dennett, de vouloir empêcher ça !

Marc
8-)

Et une puis, une désynchronisation se produit entre Yorick et Hubert.

Driss
=)

La techno-harmonie en temps réel s’est cassée !

Hilary
(¬_¬)

Ça a été dramatique pour le cerveau qui avait l’illusion de contrôler Fortinbras.

Mehdi
(¬_¬)

Comme si je croyais jouer à Fifa mais que d’un coup je me rendais compte que j’ai appuyé sur un bouton avant d’y avoir pensé. Ou que j’ai fait une passe vers la gauche alors que je voulais la faire vers la droite, ou que j’ai centré alors que je voulais tirer au but…

Driss
(@_@)

On aurait l’impression d’être fou ! Ou le deviendrait.

Astou
(¬_¬)

Appuyer sur un bouton avant d’y penser, ça arrive tout le temps, non ? C’est comme ça que le cerveau fonctionne, il me semble.

Marc
8-)

Pas avant d’y penser. Avant d’en avoir conscience. C’est ce que montre une expérience célèbre d’un neurochirurgien nommé Benjamin Libet, je pense que c’est à ça que tu fais référence.

L’acte précèderait la conscience de vouloir effectuer cet acte.

Hilary
(¬_¬)

Ça veut dire qu’on ne choisit pas de faire ce qu’on fait ?

Astou
(¬_¬)

On choisit, on fait l’acte et, enfin, on a conscience d’avoir choisi. Mais au début, on choisit, je pense.

Mehdi
(¬_¬)

Ça pourrait être un peu comme si la décision était le résultat de l’application d’une fonction dans le cerveau…

Marc
8-)

Une fonction qui aurait pour paramètres des états mentaux qui dépendent d’expériences conscientes passées, de réflexions qu’on a pu se faire à leur sujet et de l’ordre qu’y aura mis notre cerveau pendant notre sommeil.

La clé, je pense, c’est la conscience de certaines actions et la capacité d’y réfléchir. Ce sont ces capacités qui nous confèrent ce que nous appelons le libre-arbitre.

Mehdi, Driss, Astou & Hilary
(¬_¬)

Marc
8-)

Revenons à la nouvelle de Dennett…

Deux consciences distinctes se partagent maintenant alternativement le contrôle de Fortinbras. Lorsque l’interrupteur est dans une position donnée, on a affaire à une personne et, lorsqu’on bascule l’interrupteur dans l’autre position, on a affaire à une autre personne.

Pendant que l’un des cerveaux contrôle le corps, la conscience issue de l’autre, le cerveau de rechange, vit un véritable enfer.

Driss
(¬_^)

Si on met le cerveau de rechange dans un nouveau corps, alors on va se retrouver dans la situation très bizarre des deux versions de Dennett !

Hilary
(¬_¬)

Mais on ne peut pas le laisser dans ce cauchemar !

Astou
(¬_¬)

On ne peut pas non plus éteindre l’ordinateur sur lequel existe le cerveau numérique. Ce serait un crime !

Mehdi
(¬_*)

On crée une simulation numérique et on y fait vivre la copie numérique du cerveau !

Driss, Astou & Hilary
(o_O)

Marc
8-)

Voici une conclusion à notre discussion qui donnera encore matière à réflexion !

Mehdi, Driss, Astou & Hilary
=)

Marc
8-)

De quoi aimeriez-vous parler, la prochaine fois ?

Driss
(¬_¬)

Ce serait bien de revenir à un sujet plus directement lié à l’intelligence artificielle…

Marc
8-)

Oui, ça me va très bien !

Mehdi
(¬_¬)

Tout de même, c’était intéressant de s’en éloigner un peu pour parler de transhumanisme et de conscience, non ?

Astou
=)

Oui, on a passé un bon moment. Et c’est grâce à tes questions, Mehdi. Merci.

Driss
=)

Oui, c’était amusant ! En plus, la nouvelle de Daniel Dennett était vraiment bien.

Marc
8-)

Merci, Mehdi, pour tes nombreuses questions.

Mehdi
=]

Hilary
(*_*)

À mon tour ! À moi ! J’ai une question pour la prochaine fois ! Avec une super formulation, en plus !

Marc
8-)

Oui, Hilary ?

Hilary
=)

Apprendre à jouer à une intelligence artificielle, c’est pas un truc de gamin ?

Astou, Mehdi & Driss
=D

Marc
=D

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