Le street-art ne veut pas perdre son âme à Marseille

Magotiron
9 min readDec 15, 2021

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En se baladant dans les rues de la cité phocéenne, on ne peut s’empêcher de remarquer les fresques, les graffitis, et les collages. Cette profusion pousse à se poser une question : quelle est le sens donné au street-art dans cette ville ?

« Les gens du quartier ne savent pas lire. Qu’est-ce qu’on va faire d’un musée du graff ? ». Ce soir du 2 novembre, Christophe, un habitant de la cité Consolat, est consterné. Avec les autres personnes présentes à la réunion, il vient de découvrir qu’un musée du Graffiti va ouvrir en 2024 à l’emplacement de l’ancienne savonnerie La Tulipe, dans le 15e. Ce serait le premier musée du street-art de France. Mélanie Le Bas, la responsable médiation d’Euroméditerranée, défend le projet, qui sera ouvert à tous, proposera école de hip-hop, atelier d’artisan, salle de spectacle, dans un centre dédié à la culture urbaine. Lui voudrait une bibliothèque. Christophe finit par claquer la porte.

La scène illustre la situation du graff à Marseille. Partie intégrante de l’identité de la ville, il se transforme pour attirer des touristes, des city-breakers, qui mettront Marseille dans leurs stories. Au risque de vider de son sens social et artistique cet art ?

À Marseille, le street-art est arrivé un peu par hasard au Cours Julien, considéré comme la Mecque de l’art urbain marseillais. « Dans la rue Pastoret, avec le collectif d’artistes Armada. Ils sont venus à notre initiative (propriétaires de magasins). On voulait lutter contre les tags sauvages et les graffitis de manière positive » raconte Hélène, fondatrice de Maison Casablanca, la première enseigne à avoir ouvert sur le Cours dans les années 80. Elle se rappelle que jusqu’aux années 70, le quartier était le ventre de Marseille, son marché. Il s’est retrouvé privé de son identité et a dû en trouver une autre. C’est arrivé dans les années 90 grâce au street-art. Depuis les fresques ont fleurit de manière plus ou moins spontanée. Pour certains propriétaires, comme Marianne Lvet, patronne du Jardin d’à côté, restaurant orné par Manyoly, elles sont toujours un moyen de se prémunir des tags en se basant sur le vieil adage du graffeur marseillais : « Tu ne recouvreras point l’œuvre du voisin ». Mais petit à petit, elles ont commencé à prendre une autre image.

Il y a eu un avant après que le L2 soie graffée. Les riverains, les citadins et les élus ont vu ce que pouvait apporter le street-art à la ville”, confirme Laurent Couture, chargé d’étude au Lab’ Urbain de l’Agam. Il date donc à 2016 l’année où les points de vue ont changé. Cet urbaniste estime que le graff, la fresque, le sticker, sont plus tolérés par la puissance publique, voire recherchés pour habiller les bâtiments publics.

À cela, la mairie n’a pas souhaité répondre. En attendant, les associations se saisissent, sans s’en cacher, du street-art pour changer l’identité de certains quartiers.

Street-art source d’un renouveau social

Félix Pyat, l’une des cités de Marseille dans le 3e arrondissement, en est le parfait exemple. “Comme le secteur est en pleine rénovation, on s’est dit “pourquoi ne pas faire quelque chose qui permettrait à la jeunesse de l’accompagner” ? On a donc fait des pissenlits sur une façade d’immeuble avec des adolescents. 6 d’entre eux ont été formés au cours du chantier », raconte Aurélie Masset, la directrice de Méta 2, structure née en 1999. Le projet de l’association est de faire 100 œuvres, façades, sculptures, aménagements dans les 2,3,14 et 15 arrondissements d’ici 2022. Le but est de mettre en valeur des territoires qui sont encore enclavés, et « qui ont besoin d’une image positive. Je veux que les gens viennent sans se dire : ça craint ».

L’esthétisation de la ville voulue par Meta 2 ne sera pas décidée sans ses habitants. Aurélie Masset souhaite les inclure pour qu’ils puissent s’approprier les changements. En ce sens, elle a lancé un appel à manifestation d’intérêt, des concertations publiques pour choisir les œuvres. « On va demander quelle thématique ils veulent grâce à un questionnaire publié sur notre page. On attend entre 5 000 et 10 000 réponses », annonce-t-elle.

C’est une spirale vertueuse qui est enclenchée, au point qu’elle pourrait même être vectrice de développement économique.

« On aura besoin de médiateurs, de guides touristiques, des métiers connexes. Si on continue à suivre l’exemple de Medellin, l’art urbain a amené du développement économique », tient à ajouter Aurélie Masset.

Touriste recherche street-art

On trouve un écho de son discours dans le livre Gouverner les graffitis de Julie Vaslin. L’auteure note que dans le 20e arrondissement parisien, connu pour son graff, le commerce a profité de la venue du street-art. Elle parle particulièrement de la rue Denoyez où à côté « des restaurants traditionnels se développent de nouveaux cafés et restaurants branchés, ciblant visiblement un nouveau public (…) jeune et branché ».

Public de plus en plus présent à Marseille. « La balade street-art est ma deuxième la plus demandée. Je la fais 3 fois par mois durant l’été », s’exclame Oriane Mezza, guide touristique depuis 3 ans. L’audience attirée est hétéroclite. Ce sont des jeunes, « des familles, des personnes âgées », expose la jeune femme. Elle suit un parcours bien défini, celui de Lauriane Collange de Toc Toc Marseille. Elle l’a proposé à 4 autres personnes pour faire face au nombre grandissant d’amateurs. Quand on questionne cette dernière, elle dévoile que parmi son public « il y a des habitués du street-art, qui font ce genre de balade dans chaque ville ».

L’AGAM, Agence d’Urbanisation de Marseille, l’a d’ailleurs bien compris. Sur l’année 2021, elle a comptabilisé 24 000 photos, publiée sur Instagram, sous le hashtag streetartmarseille. Cette prise de pouls montre que la municipalité se sent concernée par la renommée que lui acquiert le street-art. La création d’une page spéciale, consacrée aux œuvres considérées comme majeures et où les retrouver, sur la page de l’Office du tourisme en novembre 2020 en est l’exemple.

L’Art urbain, un atout pour les commerçants

Un des rideaux de fer du Cour Julien

« Le street-art est un vecteur l’affluence. Il faut le perpétuer », assure Basile, trésorier de l’association des commerces de la butte. C’est pour ça que son organisation propose depuis 2020 150 à 200 euros aux adhérents pour décorer les rideaux de fer de leur échoppe. 20 boutiques en ont déjà profité. Cette participation devrait passer à 400 euros l’année prochaine. En dehors de cette action, ils organisaient un festival d’art urbain. Même s’il ne pourra pas reprendre, « on va faire un événement fin mai, avec l’ouverture de la saison touristique : une fresque sur les escaliers ». Il ajoute que bientôt des livrets proposant un parcours de street art à La Plaine, le Cours Julien et Notre Dame du Mont vont être imprimés, et distribués dans les hôtels, l’office du tourisme, les magasins, les lieux culturels. Initiative qui pourrait intéresser Pierre Bennaroche, maire du quartier. Lors d’un entretien, il a expliqué qu’il souhaite la création d’un site web où serait référencées « les œuvres et les auteurs, comme ça a pu se faire dans d’autres villes ».

Être ou ne pas être street-art : telle est la question

De le répression à la reconnaissance : Historique du street-art en France

Tout n’est pas beau. Tout n’est pas street-art.

L’association des commerces de la butte s’est vu reprocher, par la population « de financer des artistes qui vandalisent » à cause de la prolifération des graffs. « Il y a quand même une saturation de l’espace public. Ce n’est agréable pour personne », reconnaît Basile.

La Plaine Jean Jaurès

Discours rendu plus agressif chez les membres du Collectif des riverains de la Plaine. Ils (les tagueurs) “s’approprient la place. En tant qu’habitant, on nous force à accepter ou à déménager”, dit tout haut Corinne. « Tout ça crée une zone de non-droit, qui appelle à d’autres pratiques plus délétères », dénonce Christophe. Il insiste sur l’absence d’actions de la part des pouvoirs publics en citant la fontaine Espèrandieu du Palais Carli. Toutefois, il avoue plus de considérations pour le graff. Il veut seulement trouver à la Plaine « plus de formes d’expression visuelles. Le tag et le graff sont régis par des codes spécifiques. Vaut mieux faire venir des gens pour faire des fresques ».

« Le public de la Plaine n’est pas forcément réceptif au street-art. Il y a aussi un agacement par rapport au graff et au tag. J’ai très souvent des plaintes », confirme Didier Jau, maire du 4e-5e arrondissement. Loin de l’image du ronchon retraité, l’édile révèle qu’elles proviennent de jeunes, de parents. Le dernier sujet de leur irritation ? Les graffitis sur la place Jean Jaurès. Nettoyer ce mobilier urbain, appartenant à la Métropole, coûterait « 20 000 euros ». Une dépense qui n’est pas pour tout de suite. Alors, en attendant, il envisage des concertations avec le comité de pilotage de la Plaine. « Il y a des propositions de surfaces pour l’expression artistique à faire. On doit gagner en information », estime ce maire de quartier.

Visage Féminin fait par Manyoly suite à une commande de la propriétaire du restaurant situé au Cours Julien. L’art de cette artiste est représentatif de ce qui est considéré comme appartenant au street-art.

Pour qu’une œuvre soit acceptée, il faut qu’elle s’adapte au contexte, “décore la ville, illustre un espace, ses habitants et ses usages, reste « soft », figurative, et colorée”, selon Greg, ancien graffeur avec 15 ans d’expérience à Marseille.

Dans les faits, les agents de nettoyage en assurent, en partie, le contrôle.

« Ils ont le rôle de critique d’art », assène Greg. Quand ils sont appelés pour intervenir, ils ne font pas forcément de distinctions entre les œuvres présentes. Stéphane, le propriétaire de la boutique Lollipop, un disquaire boulevard Théodore Thurner, peut en témoigner. « On a fait faire notre devanture par Olivier Gazout. Ça nous a coûté 1500 à 2000 euros. Quand un employé de la mairie est venu pour nettoyer les tags, il a recouvert notre enseigne aussi », raconte-t-il.

Finalement, ces nettoyages-injonctions participent à sortir de la rue, et à laisser en dehors des politiques culturelles officielles, des pans du street-art. On se dirige, petit à petit, vers une standardisation.

Contre un art caricatural

Performance de Jeff et Lewis au Mur du fond en Octobre 2021

C’est ce contre, quoi se sont érigés Germain Prévost et Stéphane Moscato, les fondateurs du Mur du Fond à la Cité des Arts de la Rue. À l’approche de la démonstration de Jeff et Lewis, leur 40e invités, les bombes, peintures, affiches s’amoncellent dans leur atelier. « Tout le monde produit la même chose. Le street-art est devenu une caricature de lui-même », dit Stéphane Moscato. Sûr de ses idées, il parle de son aventure débutant en 2017. L’ambition initiale, c’était de montrer des intervenants peu vus, qui cassent un peu les codes. Il cite un artiste « qui avait fait un graff en reprenant la typographie de l’OM. C’était particulier, mais il y avait du sens ». L’association fait venir les artistes durant 3 à 4 jours.

Ils ne reçoivent pas de subventions, ce qui leur permet de conserver l’état originel du mouvement : « Fais-le. Donne-toi les moyens. Respecte-les autres ». À cela s’additionne, la reconnaissance de leurs pairs, comptant beaucoup dans ce milieu. Sans qu’ils ne le recherchent, ils attirent l’attention de la municipalité.

« Elle cherche à savoir qui est influent », assure Stéphane Moscato. Il a remarqué que la nouvelle mairie se demande comment faire briller Marseille grâce au graff. Selon lui, elle chercherait à produire des événements à peu de frais. Il en conçoit une certaine appréhension. « On ne veut pas se faire déposséder de la substantifique moelle du truc, alors à nous d’être dans l’avion pour influer sur sa trajectoire. »

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