Et si chacun avançait à son rythme : la motricité libre

Marine Kervella
9 min readMar 19, 2015

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Image extraite de http://www.ekobutiks.com/

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Précoce ou en retard ?

Mon enfant est-il précoce ou en retard, hyper en avance ou plutôt paresseux ? Nous avons du mal à ne pas comparer les enfants entre eux. Nous sommes satisfaits si bébé est précoce et nous nous inquiétons s’il prend plus son temps que son petit copain. Et pourtant, C. de Truchis nous rappelle que « la précocité ne permet pas de préjuger de l’avenir et n’est pas toujours signe de capacités supérieures. » Elle ajoute que les acquisitions motrices « se succèdent dans un ordre commun mais selon un rythme propre à chaque enfant ». [1]

En effet, je peux déjà observer cela à ma petite échelle. J’ai autour de moi : une petite fille qui se tient debout à 7 mois, un garçon de 9 mois qui reste couché sur le dos et qui ne prend pas l’initiative de se mettre sur le côté ou sur le ventre, un autre du même âge qui file comme une flèche et qui fait la course à 4 pattes, une petite fille de 10 mois également qui rampe doucement, très doucement, et aucun d’entre eux ne sait s’assoir… chaque parent s’est forcément posé la question : est-ce normal, pourquoi se met-elle à genoux, pourquoi n’arrive-t-il pas à s’asseoir à 10 mois, faut-il le muscler, le stimuler davantage ? Les études sur le développement moteur des bébés nous donnent la même conclusion : laissons-les faire leur propre expérience !

Le principe de la motricité libre

Chacun son rythme. Les bébés ont besoin de temps et de liberté pour d’abord découvrir un mouvement par hasard et ensuite s’entraîner des dizaines, des centaines de fois à reproduire leurs gestes, à affiner leurs mouvements, à observer les répercussions sur leur corps et les conséquences sur leur environnement. Il faut quand même se rendre compte que pendant les premiers mois, un bébé n’a même pas conscience que son corps est différent de celui de sa maman ou même de la peluche qui est à côté de lui sur le tapis d’éveil ! Il en a des choses à découvrir. « Et oui, ce bras qui apparait de temps en temps devant mes yeux est bien à moi et je peux même agir sur sa trajectoire ! L’extase !» Toute cette expérimentation se fait sereinement si on leur laisse l’espace-temps nécessaire, sans les interrompre, les guider ou les corriger. Le dynamisme d’un jeune enfant peut tout simplement se libérer pleinement lorsqu’il se sent en sécurité affective (j’en parlais déjà ici).

Pendant longtemps, on pensait qu’il était nécessaire d’agiter un jouet devant l’enfant, de lui mettre à disposition un objet sophistiqué, multifonction qui s’illumine et qui si possible fait en plus du bruit. Mais non. On sait aujourd’hui qu’un bébé est capable de se développer par lui-même. Au contraire, la sur-stimulation entrave son développement en provoquant des crispations inutiles.

C’est le docteur Emmi Pikler qui a observé et exposé le principe de motricité libre dès les années 30. Dans son livre « Se mouvoir en liberté dès le 1er âge » [2], elle précise : « La liberté motrice consiste à laisser libre cours à tous les mouvements spontanés de l’enfant, sans lui enseigner quelque mouvement que ce soit ».

L’idée est de le laisser découvrir lui-même grâce à sa maturation psychologie et affective, en fonction de ses intérêts propres à sa personnalité, ses humeurs du moment et au gré de son désir d’expérimentation. On ne lui apprend pas à acquérir des postures et on ne l’installe pas dans une position qu’il ne sait pas prendre de lui même.

Donc inutile de poser un bébé sur le ventre pour lui muscler le cou ou parce qu’il a la tête plate [3]. Et oui, certains pédiatres le préconisent toujours mais il y a d’autres façons de faire. Par exemple, en disposant des images au mur ou un jouet au sol près de sa tête pour l’inciter à tourner la tête dans un sens puis dans l’autre.

Illustrations de http://bougribouillons.fr/motricite-libre/

« Mon enfant tend les bras pour que je l’aide à se mettre assis. Il adore cette position ! » Peut-être. Mais quand il est assis, il faut le caler entre des coussins ou bien le soutenir. Il est alors dépendant de vous. Et une fois, hissé dans cette position, il ne bouge presque plus de peur de tomber. Certains peuvent rester figés ou passifs car ils ne sont pas libres de leur mouvement. Et si il est tenté d’attraper son jouet préféré qui s’est décalé à peu trop loin de sa portée, il perd l’équilibre et pleure parce qu’il a besoin de l’aide d’un adulte pour le remettre assis ou pour le dégager de la délicate posture dans laquelle il est tombé. Et le parent que nous sommes se plaint encore :« il ne sait vraiment pas jouer tout seul ! ». En croyant lui rendre service, nous l’avons mis en difficulté et en situation d’échec et/ou de dépendance.

Ma fille a presque 11 mois. Elle s’est assise seule pour la première fois la semaine dernière. Depuis, elle s’exerce par petites étapes et s’est remise assise moins de 10 fois. Elle a tellement d’autres mouvements à ajuster avant d’être à l’aise dans cette nouvelle posture. Certaines personnes m’ont fait comprendre qu’elle est en retard. Même le sacro-saint pédiatre. Lorsqu’il me demande à chaque visite obligatoire « tient-elle assise ? », je m’amuse à lui répondre que je n’en sais rien puisque je ne la mets jamais assise. J’adore voir sa réaction de surprise et j’avoue que parfois je m’agace intérieurement à écouter ses conseils « mettez la assise pour qu’elle se muscle, blabla blabla ».

Il n’est pas non plus nécessaire d’entrainer son enfant à marcher en le tenant par les bras. Déjà, la position de l’enfant avec les bras en l’air n’est pas idéale pour sa cambrure. Et la traction qu’on exerce sur ses bras et ses épaules est plutôt néfaste [4]. De plus, cet entrainement entrave ses expériences d’équilibre, d’appui et de positionnement. Il risque ensuite de beaucoup tomber et de faire « marche arrière » pour retrouver tout seul comment se déplacer à quatre patte de façon assurée.

Ne culpabilisons pas : globalement, le rythme des acquisitions est le même que l’enfant soit stimulé ou non. Mais ce qui compte dans cette approche (la motricité libre) est la qualité de cette acquisition. Il s’agit de permettre à l’enfant d’avoir un développement harmonieux.

Voici un résumé de ce qu’apporte la liberté de mouvement à l’enfant [1] :

  • une harmonie des gestes, une prudence, une aisance dans ses déplacements.
  • une connaissance précise de son corps et de l’espace : il sait se protéger lors des chutes liées à l’apprentissage, il se cogne peu.
  • peu de sentiment d’échec : l’objectif d’un enfant libre de ses mouvements est d’explorer. Au fur et à mesure de ses explorations, ses capacités motrices évoluent. Il ne s’impose pas d’objectifs impossibles. C’est l’adulte qui a tendance à exiger beaucoup de l’enfant et à le mettre dans des situations difficiles et frustrantes.
  • une concentration et une créativité, un intérêt pour l’expérimentation, la recherche de solution, l’imagination.
  • une capacité d’autorégulation : se remettre dans une position de repos (souvent sur le dos) dès qu’il en éprouve le besoin. Il apprend à réguler son activité, à gérer sa fatigue physique et psychique.

« Lorsqu’on voit les enfants de Loczy, sur place ou dans les films qui en viennent, on est frappé par leur aisance motrice rare chez les tout-petits, par l’harmonie de leurs gestes, par leur concentration, en même temps que par leur gaieté et par le plaisir qu’ils ont à échanger avec l’adulte », Chantal de Truchis.

«Ces mouvements participent à la construction d’une sécurité intérieure et d’une conscience de leur propre valeur, de leur compétence[…] ils développent un esprit d’initiative, une curiosité et un intérêt pour la découverte du monde, ils font preuve d’attention et de persévérance dans leurs tentatives », Miriam Rasse.

Le rôle de l’adulte

Si mon rôle est d’observer et d’accompagner dans ses progrès en le laissant libre de ses mouvements, alors je ne sers à rien, je peux me tourner les pouces et le laisser pousser comme une mauvaise herbe. Non, bien sûr ! Il ne s’agit pas d’abandonner l’enfant à ses occupations, mais bien d’alterner des moments d’échanges, de communication et des temps d’activité autonome.

« Tout ce qui augmente la liberté, augmente la responsabilité » V. Hugo

Grâce à l’observation de l’enfant, je suis en mesure de lui proposer un environnement sécurisé et adapté à son rythme et à ses humeurs. Mon rôle (assistante maternelle ou maman) est aussi de l’envelopper d’une ambiance rassurante et de ne pas le juger. Le développement psychomoteur d’un enfant connaît des progressions, des stagnations et mêmes des régressions. Il peut avoir besoin de période de régression pour se rassurer ou pour perfectionner une appréciation de son équilibre. A nous de ne pas être jugeant.

J’essaie d’éviter de l’interrompre même pour l’encourager ou le féliciter. J’évite d’avoir une attitude interventionniste. Ce sont là mes deux points faibles mais j’y travaille !

Je fais attention à ne pas lui donner des objectifs trop difficiles pour lui (monter les escaliers, glisser sur un toboggan avant qu’il ne soit capable de monter seul les marches pour y accéder). Enfin, je pense l’aménagement pour que l’enfant joue réellement.

En vrac, quelques recommandations pour laisser l’enfant libre de ses mouvements :

  • Ne pas utiliser le trotteur. Le trotteur impose une verticalité précoce dont le corps n’est pas prêt à répondre. L’enfant marche sur la pointe des pieds. Les repères corporels sont biaisés et la fréquence élevée d’accident du à la vitesse et à la hauteur a poussé certains pays à interdire leur commercialisation. [5, 6]
  • Attention aux portiques : l’enfant n’a pas l’occasion de se créer un projet d’activité. Or c’est important pour la construction de l’individu. L’enfant peut alors se mieux se connaître « J’aime quoi aujourd’hui », « je suis pas en forme pour faire ça »….
  • Les transats et autres coussins contenants (style doomoo) ne permettent pas de mouvements libres [7]. A utiliser pour de courts moments.
  • Utiliser le parc en cas d’absolue nécessité et pendant un court moment également. [8]
  • Choisir des vêtements confortables qui ne l’empêche pas de se mouvoir aisément (attention aux robes, salopettes, tissus rigides…).
  • Préférer les pieds nus ou les chaussettes antidérapantes. Cela renforce la voûte plantaire et entraine progressivement les muscles autour de la cheville. Inutile d’acheter des chaussures renforcées et très couteuses.[9,10]

Finalement, c’est simple. Il suffit de se laisser guider par l’enfant, de l’observer et de l’accompagner dans son développement propre. Qu’il ait la possibilité d’enrichir ses explorations et ses découvertes pour être bien dans son corps.

Et pour finir avec le sourire : à votre avis, que répond un enfant à la question : “Si tu pouvais changer une partie de ton corps, ce serait quoi ?”

Pour aller plus loin

  • [1] L’éveil de votre enfant,C. de Truchis, 1996.
  • [2] “Se mouvoir en liberté dès le 1er âge”, Emmi Pickler
  • [3] “Pile ou face, sur le ventre ou sur le dos ?” L. Helffer et D. Lardière, médecins en PMI, assistantes maternelles n°36.
  • [4] “Petits bras, attention fragiles”, blog, le journal d’une maman psychomotricienne.
  • [5] “Le trotteur : trop souvent, trop longtemps, attention danger !”, Aude Blanchard, Pshychomotricienne.
  • [6] “Trotteur or not trotteur, that is the question”, L. Helffer et D. Lardière, médecins en PMI.
  • [7]”Transat, un peu, beaucoup, à la folie”, blog, le journal d’une maman psychomotricienne.
  • [8] “Le parc : oui ou non ?”, Laurence Rameau, puéricultrice, Assistante Maternelles Magazine n°112
  • [9] Quelles chaussures pour les premiers pas ? Métiers de la petite enfance, n°132
  • [10] “Les petits pieds, choisir des chaussures”, blog, le journal d’une maman psychomotricienne.
  • [11] Développement psychomoteur de l’enfant de 0 à 2 ans et signaux d’alerte., N. Billaud, 2007.
  • [12] “Lóczy ou le Maternage Insolite”, Myriam David, Geneviève Appell, 1973.
  • [13] “Le développement de l’enfant de la naissance à 7 ans — Approche théorique et activités corporelles.”, Josianne Lacombe, 2012.
  • [14] Conférence de Sophie Carretero, Educatrice de Jeunes enfants, CEMEA, 2015, Nantes.

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Marine Kervella

Thérapeute, Coach & facilitatrice de breathworks chamaniques spécialisée en libération des blocages inconscients pour les entrepreneures éthiques