L’école nouvelle pour tous, une utopie ?

Marine Kervella
Le Petit Buisson
Published in
8 min readOct 12, 2015

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Certes, nous vivons une crise de l’éducation. Mais plutôt que de se lamenter sur le monde tel qu’il ne va pas (comme que je l’ai déjà fait ici), réfléchissons aux solutions alternatives et agissons.

Une crise peut devenir une opportunité de changement. Il y a de ci de là, des citoyens, des éducateurs, des enseignants, des parents, des penseurs qui commencent à changer les choses au niveau local. On commence à s’approprier les idées de grands pédagogues (Freinet, Montessori, Krishnamurti [1,2], Piaget, Dewey, Korczak…. ) pour en proposer de nouveaux enseignements. En France, comme aux 4 coins du monde, on peut voir naître des propositions originales et innovantes qui se sont toutes posées ces questions : Qu’est-ce que c’est que transmettre ? Quelle société voulons-nous demain ? “Quels enfants laisserons-nous à notre planète ?” [3]

“Nous sommes de ceux qui pensent que le changement de société ne peut être sans changement d’éducation, mais une éducation fondée sur la libération de l’être et l’instauration de l’enthousiasme de grandir et de connaitre et non la peur de l’échec”, Pierre Rabhi [4]

Ces solutions originales sont souvent appelées les pédagogies alternatives. Ce terme regroupe plusieurs types de modèles, de méthodes ou de théories de l’éducation que l’on met dans le sac fourre-tout des pédagogies alternatives (je ferai un petit résumé “tour du monde des pédagogies alternatives”). Malgré des divergences, on peut dire que les modèles proposés ont une philosophie et des valeurs communes :

  • Respecter l’enfant en tant qu’individu
  • Apprendre à apprendre
  • Développer son esprit critique
  • Respecter le rythme propre à chaque enfant et ses centres d’intérêts
  • Observer et comprendre les différentes façons d’apprendre
  • Favoriser le vivre ensemble, la coopération

Ces écoles ne mettent pas les savoirs savants au-dessus des autres, elles suscitent le plaisir, l’intérêt, la curiosité. Ce sont des écoles qui rendent nos enfants heureux [5]. Elles s‘inscrivent dans la société d’aujourd’hui [6]. Elles voient et expliquent le monde avec une approche systémique [7,8].

“La véritable éducation consiste à pousser les gens à penser par eux même”, Noam Chomsky [9]

Les élèves ne sont pas considérés comme des récipients à remplir. Les écoles innovantes réhabilitent les activités artistiques et manuelles. Elles s’appuient sur l’apprentissage sensitif des enfants. Elles proposent une pédagogie transversale tout en respectant autant que possible le programme bien trop chargé de l’éducation nationale. Mais comme elles fonctionnent avec des classes de groupes d’âge, ni les enfants ni les enseignants n’ont de pression excessive à suivre un programme annuel.

De plus, les pédagogies alternatives proposent une éducation à l’autonomie par le jeu, la découverte, l’expérience, comme mode d’apprentissage des savoirs. Selon Gerald Hüther [10], neuroscientifique allemand, trois ingrédients sont indispensables pour favoriser un développement harmonieux de l’enfant : la curiosité, l’enthousiasme et la joie.

Antonella Verdiani, présidente du Printemps de l’éducation, décrit dans son livre “cette nouvelle façon d’apprendre et de progresser avec joie en valorisant les dons et les centres d’intérêts des enfants” [5]. Elle s’inspire du principe de la « permaculture, cette branche de l’agriculture permanente, qui utilise une approche systémique et soutenable pour les populations : cultiver là où c’est déjà fertile, là où le vivant pousse sans effort. » Car selon elle, c’est « par la prise de conscience et la connaissance de sa propre richesse qu’il pourra ensuite aller vers d’autres disciplines. »

Je partage cette belle image mais j’aime la nuance d’Isabelle Peloux qui dit que jusqu’à 6 ans, il est très important de respecter les périodes sensibles de l’enfant. Mais qu’après 7 ans, l’enfant est capable d’être davantage guidé sans en souffrir et qu’en plus il peut adorer de nouveaux apprentissages qu’il ne pensait même pas aimer [11].

L’important étant de les lui transmettre en prenant en compte ses différentes formes d’intelligences [12]. On a longtemps cru que les individus naissent intelligents…ou pas. Qu’il n’y a qu’une seule forme d’intelligence qui se mesure avec le fameux test du Quotient Intellectuel. Heureusement, Howard Gardner a observé qu’il existe bien d’autres compétences utiles à l’homme et à la société [13]. Et il en a retiré huit formes d’intelligences : linguistique, logico-mathématique, kinesthésique, visuo-spatiale, naturaliste, musicale, interpersonnelle et intra-personnelle. Les pédagogies nouvelles intègrent au quotidien le concept des intelligences multiples pour mieux apprendre [14].

Les écoles nouvelles redonnent aussi une place importante à la spiritualité et à la philosophie. Il est important d’apprendre à prendre le temps, “apprendre se questionner, c’est élever les consciences”, dit Isabelle Peloux. « Il faut enseigner et apprendre l’introspection : savoir se distancier, savoir s’objectiver, savoir s’accepter, savoir méditer, réfléchir. » Edgar Morin [15]

Et enfin, le vivre-ensemble. Qui a dit que pour réussir dans la vie, il faut se battre seul et contre tous ? Non, ce sont les croyances que véhicule le système éducatif classique. L’école de mes rêves apprend aux enfants à vivre ensemble. Et c’est possible dès la maternelle. Les enfants apprennent à coopérer, à résoudre pacifiquement leurs conflits, à parler de leurs émotions, à vivre harmonieusement avec eux-mêmes, les autres et la nature. C’est une compétence essentielle dans le monde qui s’annonce.

“Nos sociétés se sont précipitées pour se spécialiser dans le savoir-faire, alors qu’elles ignorent à peu près tout d’un véritable savoir-être. Pourtant le savoir-être est la base de tout savoir-faire de qualité”, Edel Gött

A la base, plusieurs des pédagogies alternatives connues ont été pensées et appliquées pour des enfants défavorisés, de milieu populaire ou en grande difficulté : Montessori auprès d’enfants déficients mentaux en Italie, Steiner-Waldorf pour des enfants d’ouvriers allemands en 1919, Freinet promouvant une école populaire vers 1935 en France, Korczak avec des orphelins du ghetto de Varsovie en 1942, Deligny théoricien et éducateur d’enfants autistes… Et aujourd’hui se sont devenues des pédagogies de luxe réservées à des élites.

Maintenant que ces écoles ont fait leur preuve pour TOUS les enfants, de TOUS les milieux, c’est tellement dommage que la majorité d’entre elles ne soit accessible qu’aux familles socialement et économiquement privilégiées. En effet, les prix sont souvent prohibitifs. De plus, les enseignants qui s’engagent dans ces pratiques ne sont pas soutenus par l’administration.

Des enseignants mixent déjà les deux approches. Mais “ce que l’on n’a pas compris, c’est que ces pédagogies ne sont pas faites que de quelques techniques ou matériel. Il s’agit vraiment d’une autre conception globale et cohérente des apprentissages, d’une modification profonde du rôle, de la position, de la posture des professeurs, de l’organisation et de l’aménagement des classes ou écoles, d’un autre regard porté sur les enfants et non plus des élèves, de l’abandon des références habituelles…” dit Benard Collot [16].

Alors, en attendant mieux, j’aimerais tellement que l’éducation nationale propose des alternatives à l’école traditionnelle. Que les parents et les enseignants puissent faire le choix entre un enseignement classique (conception tayloriste de l’école) et une approche alternative. Que les enseignants soient reconnus car comme le dit si bien Isabelle Peloux (oui, je sais, je la cite beaucoup car je l’admire beaucoup…), “c’est un métier qui impose une grande maturité d’être, c’est pourquoi il est urgent de proposer une formation continue et de qualité tout au long du parcours de l’enseignant”.

Alors, l’école nouvelle pour tous, une utopie ? Selon Sandrine Roudaut [17], “L’utopie est nécessaire. Et elle est réalisable. Il y a un terreau favorable. La nouvelle société du lien, l’individu complexe qui la compose […]. Les facteurs de blocages sont réels, mais il existe des antidotes”. Alors qu’on me traite d’utopiste, moi j’y crois, et vous ?

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Pour aller plus loin

[1] “De l’éducation”, J. Krishnamurti, Albin michel.

[2] “Apprendre est l’essence de la vie”, J. Krishnamurti, Poche.

[3] “Quels enfants laisserons-nous à notre planète ?”, film d’Anne Barth

[4] “Vers la sobriété heureuse”, Pierre Rabhi, Actes Sud, 2010.

[5] “Ces écoles qui rendent nos enfants heureux”, Antonella Verdiani, Actes Sud, 2012.

[6] “Des collèges et des lycées différents”, Marie-Laure Viaud, maître de conférence en Sciences de l’éducation, 2005.

[7] “Prospectives d’un monde en mutation”, Essais et recherches sous la direction de Carine Dartiguepeyrou

[8] “La nouvelle controverse, pour sortir de l’impasse”, Yannick Roudaut, 2013.

[9] “Pour une éducation humaniste”, Noam Chomsky, L’Herne, 2010.

[10] “Neurobiologie et éducation”, Gérald Hüther, 2011.

[11] L’école du colibri — La pédagogie de la coopération, Isabelle Peloux et Anne Lamy, Actes Sud, 2014

[12] Cerveau & Psycho, n°68, mars-avril 2015

[13] “Les intelligence multiples”, Howard Gardner, 2008

[14] “Mieux apprendre grâce aux intelligences multiples”, Mon cahier d’écolier, 2015.

[15] “Enseigner à vivre — Manifeste pour changer l’éducation”, Edgar Morin, Actes Sud, 2014.

[16] “Une école du 3ème type ou la pédagogie de la mouche”, Bernard Collot, 2002.

[17] “L’utopie mode d’emploi”, Sandrine Roudaut, 2014.

[18] “Ecole : changer de cap… : Contribuons à une éducation humanisante”, Armen Tarpinian et Georges Herve, 2007

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Marine Kervella
Le Petit Buisson

Thérapeute, Coach & facilitatrice de breathworks chamaniques spécialisée en libération des blocages inconscients pour les entrepreneures éthiques