Vendre Jam après 10 ans : grandir et bâtir une entreprise dans un monde en bouleversement

Marjolaine Grondin
6 min readFeb 15, 2022

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Il y a 10 ans, je m’asseyais face à mon ordinateur et expliquais l’idée d’une plateforme d’échange entre étudiants à un rasta bordelais. Loïc Delmaire était partant. Le fait qu’il n’y ait pas d’argent n’était pas un problème : on le paiera en bouteilles de rhum. J’avais alors 22 ans, et un désir immense de construire quelque chose, mettre la main à la pâte, trouver ma place.

Hier, j’ai signé le premier contrat de travail de ma vie. Pendant les prochains mois, j’accompagnerai l’intégration de Jam au sein de June Marketing, une agence qui réalise des études permettant aux entreprises de comprendre et contribuer aux changements du monde, pour devenir ensemble un acteur clé des études avec une approche bien à nous.

L’histoire de Jam, ce n’est pas l’histoire d’une exit (revente) à 7 chiffres (update : je précise, ça n’est vraiment pas !), mais celle d’une quête de liberté et de persévérance pour coûte que coûte, arriver à bon port — en restant à l’écoute des vents et marées changeants en soi, et dans le monde.

Avec Jam, j’ai l’impression d’avoir vécu mille vies.

D’abord la sensation grisante de faire exactement ce qui me plaisait, et que tout était à inventer. Avec mes associés, on ne savait pas exactement où on allait, mais on y est allé à fond. On a découvert l’économie collaborative, les startup weekend, le monde des incubateurs, des pitchs… Rattrapés par la réalité d’une appli au succès modéré (en langage startup, ça s’appelle un échec), on a pivoté et au prix d’efforts acharnés, on est entré dans une seconde phase : les montagnes russes de la startup. Levées de fonds, croissance effrénée, passages télé, caisses vides, licenciements massifs (la pire période de Jam), travail de fourmi, intervention sur la scène de Facebook en Californie.

Enfin, une entreprise à l’équilibre, bien que toujours au prix d’efforts soutenus. L’envie de créer une société aux fondations solides, à taille humaine, et qui nous laissera une grande liberté. Ce qui nous semblait une croix devient un objectif salvateur : mener Jam à l’équilibre financier. Cela peut faire sourire, mais c’était un vrai changement de paradigme, bien différent de l’élan qui m’a portée à entreprendre sur les bancs de l’école. En tout, Jam accompagnera 153 clients.

Ce nouveau terrain de jeu, plus ancré, plus stable, m’a libéré. J’ai commencé à ouvrir mes horizons, et ceux de Jam avec moi.

Twenty Five, une conférence qui donne la parole aux moins de 25 ans, pour parler des 25 prochaines années, a marqué le début de ma nouvelle vie.

L’expérience et la légitimité de Jam auprès des jeunes nous ont permis d’aller très vite dans la réalisation de cet événement. Tôt dans le projet, la Gaîté Lyrique est devenu co-producteur, embarquant Twenty Five dans une toute autre dimension.

Chacun des jeunes talents qui ont fait Twenty Five trace sa route : Hugo Décrypte informe chaque jour des millions de jeunes, Anaïde Rozam tourne déjà son propre rôle dans son premier long-métrage, Fatima Daas a été la révélation littéraire de la rentrée, Camille Etienne est surnommée la Greta Thunberg française.

Sur le plateau de tournage, la TikTokeuse Camille Te Signe me dit « quand je pense que je devrais être au travail cet aprèm et que je suis là sur la scène de la Gaîté Lyrique, avec Bilal Hassani ! » Sans réfléchir je lui ai répondu « mais Camille, tu travailles là, tu fais même un travail important. » Si transmettre un message fort, personnel et engagé, à des millions de personnes sur l’inclusivité dans la société n’est pas un travail noble… pourquoi est-ce qu’on travaille au juste ?

Pourquoi est-ce qu’on travaille au juste ?

Le jeu de la croissance est un piège aux abords charmeurs : tout au long de l’aventure, j’ai parfois senti que la machine s’emballait et me dépassait, et d’autres, à l’inverse, que je m’épuisais à la pousser à bout de bras. Pendant dix ans, le sol était mouvant sous mes pieds et le rythme extrêmement soutenu. J’ai connu des crises d’angoisses, des problèmes de santé qui m’ont menée à l’hôpital, et j’ai appris à composer avec un état de burn-out permanent pendant plusieurs mois. Mon corps, puis ma tête, m’ont imposé de m’arrêter pour repenser mes fondamentaux.

J’aime entreprendre, j’aime créer, inventer, construire et par dessous tout, j’aime la grande liberté que je me suis accordée en me lançant, mais que j’ai perdue en tentant de gagner une course qui ne m’a ressemblé qu’un temps.

Il y a deux ans, j’ai décidé que la prochaine grande étape sera la vente de Jam. Ça ne sera pas immédiat, mais la direction est donnée.

Je n’avais plus envie de construire, j’avais envie de vivre.

Je n’avais plus envie de faire. J’avais envie d’être.

Cette phrase était inimaginable pour moi pendant de nombreuses années. Aujourd’hui, c’est un cri du cœur.

Une vie intentionnelle

Beaucoup rêvent d’une vie plus simple, une vie qui leur ressemble, et les impératifs écologiques appellent à plus de sobriété et d’utilité dans nos choix de production. Plus personne n’est dupe : produire et consommer sans fin ne détruit pas seulement le monde, mais nous nuit à nous-mêmes.

Quand j’ai commencé, aider les étudiants dans leur vie quotidienne, grâce à la technologie et la nouvelle économie, me semblait une mission grandiose, qui méritait — et me donnait — toute mon énergie.

En 2022, entreprendre a un tout autre sens. Les questions que nous pose notre avenir, notre quotidien même, m’imposent de m’arrêter, de réfléchir, de m’engager pour un futur souhaitable, plus humain, plus pérenne, plus égalitaire.

Nous sommes nombreux à rechercher plus de sens dans notre travail et nos modes de vie, dans notre rapport au monde. Il est temps d’écrire de nouveaux récits et de se réapproprier nos fondamentaux. La startup qui casse le marché, renverse les usages, au profit d’une poignée de gens et peu soucieuse de son impact — social, psychologique, environnemental, économique — est anachronique, désuète.

J’ai troqué mes rêves de croissance exponentielle et de technologie à tout prix, pour une voie qui me semble plus juste, plus durable, plus réfléchie. Une vie intentionnelle.

10 ans après le premier grand saut, j’aborde l’autre rive avec curiosité, une grande énergie, mais aussi beaucoup de douceur. Avec mon grand pote Adrien Cabo, on réalise un rêve plein de sens : on a investi un ancien moulin au bord de l’eau où on vit avec des copains et on accueille des personnes et entreprises qui veulent prendre du temps ensemble autrement, en pleine nature, et se former aux enjeux d’aujourd’hui. Le projet s’appelle Bonne Vie : comme une invitation, mais surtout comme une quête, d’une vie bonne, qui célèbre l’humain, la nature, les saisons, le temps long… le vivant, la vie en somme.

À Paris, on accueille des projets créatifs et des moments partagés dans notre loft près du Canal St Martin, avec Pénélope, mon amie de toujours.

Je prépare mes premiers vrais pas de DJ et des projets éditoriaux, et je continue de donner des conférences là où on m’invite.

Alignons-nous à nous-même, aux autres et à la nature

Le monde se transforme sous nos yeux, mais il me semble plus beau quand on comprend que notre richesse, c’est notre curiosité ; que notre sécurité ce sont les personnes qui nous entourent, celles avec qui l’on crée. Que notre confort, c’est notre santé, notre volonté, notre capacité à nous adapter.

Le temps ne s’accélère que parce que nous le décidons. Dans notre contexte d’abondance, le travail peut être la réalisation de soi et non son sacrifice. La technologie est un outil neutre entre nos mains. Le matériel doit être un confort et non un asservissement. Cultivons un rapport plus intime et plus tendre à nous-même, à la société, au vivant. Offrons-nous la plus belle preuve d’amour en nous écoutant enfin et en nous alignant.

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