L’oeuvre Modulateur-Démodulateur est un dispositif composé de deux structures de bois, aux rôles respectifs de transmission et de réception d’un signal sonore. Les formes de ces deux structures évoquent leurs fonctions ; l’un ressemble à un mégaphone, l’autre à une parabole. Une reproduction photographique est placée sur le mur derrière le transmetteur et une vidéo est projetée contre le mur derrière le récepteur.
Un sifflement, crépitement persistant et intriguant indique la présence d’un élément intangible qui fait fonctionner le dispositif ; il s’agit de l’onde sonore qui transite entre les deux éléments principaux de l’oeuvre. C’est dans cette substance que se fabrique la raison d’être de toute cette installation. L’image pixelisée, accrochée derrière le porte voix est captée par une webcam, puis scannée et ingérée par les données informatiques pour être transformée en signaux sonores.
Ces signaux se voient projetés, téléportés à travers l’espace d’exposition depuis le transmetteur jusqu’au récepteur. Ce dernier va recomposer l’image à partir des données qu’il a capté puis les retranscrire visuellement par la voie du projecteur vidéo. Les données numériques, en transit, deviennent quelque peu tangibles par leur présence sonore mais elles sont toutefois particulièrement vulnérables à l’environnement qui les entourent. En effet, ce flux continu de transmission se trouve parfois être altéré par des bruits parasites qui viennent affecter la restitution de l’image. Les mouvements du public, leurs bruits de discussions, de déplacements viennent se mêler aux signaux et interagissent de façon directe avec l’image qui est en perpétuelle reconstitution.
Le résultat final de l’image témoigne ainsi des difficultés de cette traversée ; elle se trouve glitchée, déformée, bancale, faiblarde et parfois infidèle à l’image originale.
Erronée, elle est la matérialisation même du parfait simulacre, de l’image fabriquée par l’interprétation.
En effet, l’espace qui vient la modeler représente la grille de lecture qui se construit par les passages, les rencontres et l’empirisme qui fabriquent nos façons de voir le monde. Ainsi, il s’agit là d’une métaphore des représentations qui passent par le filtre de nos subjectivités. Elle représente, à l’image d’une persistance rétinienne ou du téléphone arabe, les chose que l’on “retient”, qui s’inscrivent dans nos imaginaires, et ce, qu’elles soient floues ou déformées par la traversée.
Co-réalisée avec Arnauld Colcomb, cette oeuvre s’inscrit dans l’exposition Ososphère dans un contexte chargé d’une histoire, celle des bâtiments de la Coop. Des bâtisseurs, dirigeants, travailleurs ont érigé ces murs et les ont inscrits dans les mémoires. Notre passage éphémère en tant que spectateurs vient réactiver, ébranler ces récits. Nos petites histoires personnelles y apportent, même malgré nous, notre pierre essentielle à l’édifice pour le maintenir dans les souvenirs.
et dans le même genre ?
William Kentridge, More Sweetly Play the Dance, 2015
Dans l’oeuvre More Sweetly Play the Dance, l’artiste William Kentridge traite du passage de l’individu à travers le temps et à travers l’espace. Dans une installation immersive il met en action des silhouettes humaines se mouvant de panneaux en panneaux, dans une farandole de formes obscures et confuses. Ces spectres visuels aux identités et desseins incertains peuvent évoquer la lente procession de populations en exil, mais aussi le dur labeur des travailleurs de l’ombre dans la machinerie de nos sociétés. On y voit parfois les rouages de métal et le bois mis en action, on y distingue les dactylographes à la tâche et les hommes politiques qui discourent, les travailleurs qui croulent sous le poid porté sur leur dos, sur leur tête, ou encore la revendication d’une avenir meilleur par l’iconographie du porte-voix.
Quoi qu’il en soit la musique ne doit pas s’arrêter car c’est elle qui transporte les hommes et qui anime les contours de leurs images, bien qu’incertaines. C’est ainsi que leurs identités se fabriquent par leurs parcours, car notre regard qui les observe tente d’y projeter une interprétation, de mettre en lumière leur existence par le filtre de ce que l’on veut y voir.
Biographie de Bertrand Planes
Diplômé de l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs de Paris et de l’École supérieure d’Art et Design de Grenoble, Bertrand Planes pose un regard amusé et critique sur les technologies. Rompu aux détournements, il s’amuse des fonctions utilitaires et commerciales des objets, tout en conservant leurs propriétés plastiques. Ses œuvres tirent leur finesse des usages des technologies en prenant en compte leurs applications et conséquences sociales. Bertrand Planes est un habitué de l’Ososphère, il y a été exposé en 2009, 2010, 2011 et 2012. Il représentera la France des Arts Numériques au Japon dans le cadre d’une résidence à la villa Kujoyama en 2017. Son site : bertrandplanes.com
Notice d’oeuvre — Guide des médiateurs, Ososphères 2017- Strasbourg.