NOTICE DAT #3 — Mathias Isouard, Tensions dissonantes #

Marynet J
4 min readJun 6, 2017

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L’installation Tensions dissonantes # de Mathias Isouard met en suspension une fine plaque d’aluminium de 6 mètres de longueur sur 1 mètre 50 de largeur. Quatre Haut-parleurs vibreurs (transducteurs) y sont fichés et y diffusent quatre séquences sonore qui mettent en vibration et en mouvement la tôle métallique. L’aluminium absorbe ces fréquences et les restitue sur toute sa surface de façon étouffée et grave en déformant la plaque. En effet la légèreté et la souplesse du matériau sont propice à sa déformation, et celle ci se voit adopter les mouvements des fréquences sonore qui y sont propulsées. Des fréquences prédéfinies viennent mettre en action le processus, puis elles se génèrent petit à petit de façon autonome. En effet, un ordinateurs calcule les formes produites sur les plaques et programme progressivement les fréquences qui suivront. L’oeuvre devient ainsi auto-générative, tout en laissant place à l’imprévu.

Mathias Isouard, “Tensions dissonantes #”, Ososphère, Coop Strasbourg, © Marynet J, 2017

L’oeuvre Tensions dissonantes # a été conçue par la forte influence de l’artiste pour la cymatique, cette science physique qui étudie les vibrations sonores visibles, et notamment à travers les recherches du chercheur et photographe allemand Alexander Lauterwasser. Ce photographe a documenté de nombreuses formes qui furent étudiées par le physicien Ernst Chladni à la fin du 18e siècle et qui sont générées par les fréquences sonores sur des matériaux comme le sable et l’eau, disposés sur des plaques de divers métaux soumises aux vibrations. Par le même principe, Tensions dissonantes # révèle les effets et les propriétés acoustiques d’un matériau sous tension de vibrations.

Les fréquences sonores fondamentales diffusées dans le matériau en tension sont choisies et composées pour révéler les harmonies acoustiques propres à chaque déformation.

La surface d’aluminium, par ses propriétés réfléchissantes retranscrit graphiquement ces mouvements ondulatoires par la lumière. L’espace est ainsi sculpté tant par la lumière qui dessine les formes que par les formes du matériau en lui même.

Mathias Isouard, “Tensions dissonantes #, 2017

N’ayant aucun début ni fin, le son et la forme se distordent dans une lente progression, métamorphosant les lignes droites en courbes, les sons propres en sons modulés et parfois en sons dissonants. L’oeuvre est autonome et générative, et elle n’interagit que dans un sens, celui du ressenti qu’elle produit sur le public. Car les formes se génèrent par les probabilités calculées par l’ordinateur et sont donc indépendantes du mouvement du visiteur. Cependant le corps du spectateur réagit aux mêmes sonorités que le matériau, celui ci reçoit autant les dissonances que les harmonies, générant en lui émotions attirantes ou répulsives, selon la sensibilité dans laquelle il se trouve. Que l’on ressente de bonnes ou de mauvaises vibrations face à cette oeuvre, on ne reste toutefois pas insensible devant un matériau si imposant qui se tord sous une invisible et impalpable force.

Cette oeuvre, produite par Le Fresnoy — Studio national des arts contemporains, réagit dans le contexte architectural des Ososphères par son matériau à la nature si “brut” qu’il pourrait passer pour une matière première industrielle si celui ci n’était pas mis en action dans une poésie du mouvement sonore. En effet, par le fait que les ondulations du son y soient palpables sur cette surface froide et “primaire”, on y distingue là une parfaite illustration des objectifs tenus par le festival des Ososphères, objectifs qui sont ceux d’intégrer les expériences sensibles musicales dans une étroite relation aux expérimentations technologiques et numériques. Tensions dissonantes # trouve là une place de choix en tant que trait d’union entre ces deux domaines, des domaines plus proches qu’ils ne pourraient sembler aux premiers abords.

et dans le même genre ?

De Kandinsky à Paul Klee, par la synesthésie intuitive ou encore la représentation symbolique codifiée, les artistes ont toujours tenté de toucher à une représentation visuelle de la musique et des vibrations sonores en général. La présence réelle d’une physicalité du son n’étant plus à défendre, rendre palpable cette physicalité sans cesse sous différentes formes est une exploration qui passionne les créateurs, notamment grâce aux outils que nous disposons aujourd’hui et qui peuvent le permettre. Avec le projet Microsonic Landscape du collectif Realität c’est, au delà même de modeler la matière par l’onde sonore, l’idée de rendre physique et de pouvoir comparer les créations musicales par leur formes singulières qui est en jeu. Le projet retranscrit par un algorithme spécifique et une imprimante 3D des albums musicaux tels que “Thrid” de PortisHead ou “Pink Moon” de Nick Drake. En somme, il s’agit là du chemin inverse que celui tracé par Aphex Twin lorsqu’il retranscrit son autoportrait en ondes sonores intégrées dans le spectrogramme d’un de ses titres de l’album “Windowlicker” (à voir ici : www.youtube.com/watch?v=M9xMuPWAZW8).

Realität, “Microsonic Landscape” de Third, Portishead

Biographie de Mathias Isouard

Mathias Isouard, diplômé des Beaux Arts d’Aix en Provence est un artiste qui sculpte la matérialité du son pour toucher à un empirisme et à des expériences sensorielles. Mêlant la sculpture, l’image et le son dans leurs relations à l’espace, les installations qu’il élabore se jouent des qualités acoustiques particulières d’un lieu ou d’un matériau. Mathias Isouard développe ses propres outils de création, il explore et créé des instruments de production qui s’émancipent et deviennent des dispositifs autonomes ou interactifs. Les espaces poétiques qu’il met en œuvre mettent le spectateur au cœur de l’expérience par la résonance des corps.

Son site : www.misouard.free.fr

Notice d’oeuvre — Guide des médiateurs, Ososphères 2017- Strasbourg.

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