TRL, MRL, POC, WTF ?

Un peu de maturité SVP !

Massis Sirapian
5 min readApr 8, 2019

J’ai écrit ici en quoi le développement économique d’une startup diffère de celui d’une PME ou ETI conventionnelle et ce que cela implique pour une grande organisation en termes de collaboration.

S’il faut tenir compte de la maturité de la startup rencontrée, encore faut-il définir ce que l’on entend par “maturité”.

L’échelle des TRL, l’arbre qui cache la forêt ?

Traditionnellement, et notamment dans le secteur Défense, la maturité est mesurée sur l’échelle des TRL. Le TRL (Technology Readiness Level), ou niveau de maturité technologique est une échelle conçue par la NASA en 1974, formalisée en 1989. Utilisée par les agences américaines, elle s’est imposée en Europe pour l’évaluation des projets H2020 par exemple.

Échelle des TRL publiée sur le site Horizon 2020 du Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation

Cette échelle est utile car elle constitue un standard universel d’appréciation de l’état de maturité d’une technologie. Elle est toutefois insuffisante pour mesurer la maturité d’une innovation et encore moins d’un acteur économique.

Comme l’écrit très justement William Janeway dans “Doing Capitalism in the Innovation economy” (p. 79):

My own experience suggests that too much weight is often given to management of the process of technical transformation — “research and development” — and too little to the selection of the target market and the establishment of a channel to that market.

Personne n’achète une technologie : c’est un produit ou un service qui est acheté et pour cela, encore faut-il le vendre et se financer. Autrement dit, une innovation est bien la rencontre entre une technologie, un marché (les clients) et un financement (les investisseurs). Le TRL ne mesure que la première dimension.

C’est la raison pour laquelle nous pensons, à l’Agence de l’Innovation de Défense, qu’il est aujourd’hui nécessaire d’enrichir la grille de lecture en évaluant non seulement la maturité technologique, mais également la maturité marché d’un projet innovant.

Vers une échelle MRL ?

Par analogie avec les TRL, une échelle de Market Readiness Level est en effet indispensable pour collaborer de façon saine avec une startup. La maturité marché consistera à évaluer le niveau de maturité de l’acteur économique sur son marché cible : comment la startup se finance-t-elle et quelles sont ses sources de revenus ?

A l’inverse de la maturité technologique qui peut être estimée de façon plus ou moins objective, la maturité marché sera une combinaison d’éléments subjectifs, tels que la légitimité de l’équipe, la qualité d’exécution, le niveau de développement sur le marché cible prioritaire, le niveau de découverte du marché (la société en est-elle à simplement à formaliser un constat, ou a-t-elle déjà segmenté le marché ?).

Ignorer la dimension “maturité marché” en se focalisant exclusivement sur la maturité technologique revient à traiter ces quatre exemples de MRL de la même façon

Si l’objectif de l’innovation ouverte est de tirer bénéfice d’une innovation développée initialement par ou pour un autre secteur, il est impératif de comprendre si la startup détectée est ou sera capable de servir son marché cible prioritaire. Si ce n’est pas encore le cas, il sera sage de limiter le niveau d’engagement avec cette société à une maturité en phase avec sa phase de développement : une maquette, ou un démonstrateur. Réaliser un prototype avec une startup, ou une entreprise innovante au sens large, qui n’a pas démontré sa capacité à se financer (investisseurs hors secteur Défense en ce qui nous concerne) et à générer des revenus (clients hors secteur Défense à nouveau) est un pari risqué. Une maturité faible n’implique donc pas de ne pas collaborer, mais d’adapter la maturité des projets co-développés, d’où la nécessité de “mesurer” ce MRL.

Par ailleurs, dans une logique d’observation dynamique évoquée dans ce billet, le suivi de l’évolution de ce MRL en complément du progrès sur l’axe TRL permettra de mieux détecter les startups d’intérêt pour la filière.

Pour l’entreprise, la prise en compte de cette dimension MRL pourra inciter les PME industrielles à s’inspirer des méthodes de développement issues du numérique. Les startups digitales vont en effet naturellement faire croître TRL et MRL en parallèle (développement itératif) lorsqu’une PME conventionnelle pourra être tentée de mûrir techniquement son produit (montée quasi-exclusive en TRL) puis de s’intéresser dans un second temps à la maturation marché. Cela peut aboutir à des exploits en termes de R&D, sans débouché marché : c’est le point souligné par Janeway cité plus haut. Autrement dit, en 2019, la maturation simultanée de la technologie et du marché devrait être la règle, et non l’exception réservée aux startups du secteur numérique.

Quel que soit le domaine d’activité, ce MRL est donc utile pour la grande organisation. Mais il existe un troisième dimension à laquelle les startups devraient être attentives : la maturité utilisateur (end user).

Vous reprendrez bien un POC ?

En effet, quand une grande organisation sollicite une startup, cette dernière devrait a minima se poser les questions suivantes :

  • Cette nouvelle demande m’écarte-t-elle de ma cible actuelle ?
  • Quelle est le niveau de maturité de mon interlocuteur ? Sondent-ils une technologie, s’interrogent-ils sur un concept ou cas d’usage, ou sont-ils déjà mûrs pour une expérimentation et un déploiement ?

La probabilité de convertir un premier contact en sources de revenus dépendra en effet du contexte dans lequel la grande organisation rencontre la startup : est-ce une maquette permettant de commencer à définir un concept, un démonstrateur testant une poignée de fonctionnalités clés liées à un cas d’usage défini ? L’utilisation ambiguë du terme “POC” (Proof of Concept) pour tout objet ou service développé dans le cadre de l’innovation ouverte entre une grande organisation et une startup ne fait qu’augmenter la confusion et le manque de lisibilité du niveau de maturité utilisateur.

La grande organisation qui aura été sensibilisée à cette échelle des MRL réduira les risques d’initier un rapport toxique avec une startup. Si aucun des interlocuteurs, startup et grand groupe, ne tient compte de ces niveaux de maturité marché pour l’une, maturité utilisateur pour l’autre, le principal écueil est le naufrage de la startup (en ne se focalisant pas ou plus sur son marché cible) ou l’incapacité de déployer à grande échelle pour la grande organisation (faute d’avoir travaillé avec un acteur ayant la capacité opérationnelle à servir ce marché niche en plus de son marché cible).

L’Agence de l’Innovation de Défense est donc attentive à prendre en compte ces trois niveaux de maturité : la maturité technologique, la maturité de l’acteur économique vis-à-vis de sa cible initiale et prioritaire et enfin la maturité de l’utilisateur final (interne). La logique d’accélération des projets d’innovation ouverte, promue par son pôle Innovation Ouverte, s’inscrit dans cette vision : financer la maturation sur tous ces axes, et non le seul axe technique, pour déployer le plus rapidement possible l’innovation détectée.

Quant à cette notion ambiguë (et donc potentiellement toxique) de “POC”, j’y reviendrai dans un prochain billet.

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Massis Sirapian

Head of the Open Innovation departement of the French Defense Innovation Agency