Le vin et la science — Introduction

Mathias Richemond
Vin Naturel
Published in
8 min readJun 21, 2016

La culture de la vigne est très ancienne, elle existe depuis plusieurs millénaires lorsque les hommes ont découvert les procédés de fermentation des jus de fruits et des céréales. On trouve des traces de production de vin depuis la préhistoire, et en particulier depuis l’Antiquité. Toutefois, c’est l’expansion de la civilisation chrétienne qui est à l’origine de la démocratisation du vin, qui servait à des fins religieuses. Le Moyen-Age marqua un tournant durant lequel le vin devint une denrée commerciale et dont la qualité était de plus en plus recherchée. La France est au cœur de ce commerce, notamment grâce à la qualité des vins de Bordeaux et grâce à son exposition maritime.

A mesure que la culture se répand, les moins bonnes vignes sont arrachées au profit de la culture d’autres plantes et céréales. La culture se concentre autour des meilleurs terroirs (Bourgogne et Bordeaux en particulier) et des décrets permettent de classer, parmi ces meilleurs terroirs, les meilleurs crus. A Bordeaux par exemple, la classification des crus de 1855 sert encore de référence mondiale pour établir la hiérarchie des domaines. La technologie devient également un élément central de la viticulture. L’introduction de la bouteille puis du bouchon en liège permettent de garder les vins plus longtemps et d’en révéler davantage les arômes.

Le phylloxera, le tournant de la viticulture moderne

Un tournant se produit toutefois à la fin du XIXème siècle. Un insecte venu d’Amérique du Nord, le phylloxéra, s’attaque aux plants européens qui sont les seuls pouvant produire des raisins de qualité. Le vignole européen, et en particulier français, est arraché en grande partie puis replanté grâce à une technique de greffe : les cépages européens (vitis vinifera) sont greffés sur des plants américains qui résistent au phylloxéra. Aujourd’hui, 99% du vignoble dans le monde est planté selon cette technique. Sans cette invention, nous n’aurions aujourd’hui plus de vin de qualité.

La culture de la vigne et la production de vin sont devenus des enjeux majeurs à partir du début du XXème siècle, un signe évident de richesse et de raffinement qui ont placé la France au centre du monde gastronomique et œnologique. Les vins fins et le champagne sont devenus des produits de luxe recherchés dans le monde entier. Avec la demande croissante de vin, les viticulteurs ont été contraints d’augmenter les rendements en usant d’outils de plus en plus perfectionnés à leur disposition. C’est l’introduction de la chimie qui va soudainement tout changer. Les conglomérats pétro-chimiques ont développé des produits qui permettaient d’un coup au viticulteur de ne plus se soucier des nombreuses maladies qui touchent la vigne. Il faut en effet savoir que la vigne est un plant extrêmement fragile qui peut certes vivre près de 150 ans mais qui est sujet à de nombreuses maladies dont les principales sont l’oidium et le mildiou (2 types de champignons) ou encore le botritis et le black-rot (2 types de pourritures). Il y en a des dizaines.

Une vigne malade atteinte d’oïdium, une maladie fongique courante

Avec l’introduction de la chimie, les rendements ont été poussés au-delà de 50hl/ha, ce qui a permis de commercialiser des vins à moins de 5 euros dans les grandes surfaces. Toutefois, cela s’est accompagné d’une uniformisation des goûts et des cultures. Cela a été imposé par des contraintes économiques. Les appellations ont joué un rôle clé en imposant des quotas de plantation et une uniformisation des cépages. Les régulateurs (Union Européenne en premier lieu) ont également favorisé cette uniformisation et autorisé l’épandage à grande échelle de produits phyto-sanitaires. Les guides ont également approuvé cette transition et y ont même contribué en favorisant l’expression d’un style.

Le constat est simple : des vins uniformes, sans caractère particulier et qui n’expriment plus le résultat d’un terroir. Les vins de Bordeaux sont le symbole de cette erreur historique d’avoir cédé à des contraintes économiques au détriment de l’expression d’un terroir.

Aujourd’hui, ce sont près de 300 traitements œnologiques (la plupart chimiques) qui sont autorisés par les autorités sanitaires européennes pour la production de vin. Les viticulteurs sont sujets à de multiples maladies, en particulier des leucémies, et nous retrouvons ces produits dans les vins. En complément de l’utilisation de pesticides et fongicides, les vignerons ont de plus en plus recours à des produits permettant de corriger le vin des défauts issus des conditions climatiques du millésime. Par exemple, l’utilisation d’acide tartrique (correction du pH du vin) est très courante, idem pour des levures externes permettant de fermenter plus rapidement le raisin. On trouve également : acide lactique, acide malique, bisulfite de potassium, bisulfite d’ammonium, acide ascorbique etc. Les intrants chimiques (produits de synthèse rajoutés au jus de raisin) sont également autorisés dans les vins biologiques, c’est-à-dire bénéficiant des labels AB ou Ecocert (encore cette fameuse Union Européenne). Il y en a juste moins, mais c’est à peu près tout.

Concernant le soufre (SO2 ou sulfites ou anhydride sulfurique), on en trouve dans la quasi totalité des vins. Il s’agit d’une poudre blanche qui sert d’agent de blanchiment, de conservateur et surtout d’antioxydant. Il est extrêmement utile pour stabiliser les vins et en figer la belle couleur. Il est davantage utilisé dans les vins blancs qui ont une concentration tannique faible car l’on extrait les tannins principalement de la peau et des grappes des vins rouges.

Retrouvons-nous dans cette jungle des labels :

  • Vin conventionnel : autorisation de tous les produits ; soufre total maximum de 150 mg/ml pour les rouges et de 200 mg/ml pour les blancs. Pour les blancs liquoreux le taux peut monter jusqu’à 300 mg/ml (attention au mal de crâne)
  • Bio (AB / Ecocert) : moins de produits autorisés, mais la différence est relativement marginale. La différence se passe principalement dans la vigne qui reçoit beaucoup moins de produits chimiques ; soufre total maximum : rouge 100 mg/ml, blanc 150 mg/ml
  • Demeter / Biodyvin : labels de vins biodynamiques (j’y reviendrai plus tard). Il s’agit de vins produits dans un respect total de l’environnement, sans artifice ni produit chimique, quelques procédés sont encore autorisés mais il s’agit déjà d’une excellente référence ; soufre total maximum : rouge 70 mg/ml, blanc 90 mg/ml
  • Vin Naturel : garantie d’aucun produit chimique, aucun artifice, très très peu de soufre voire pas du tout dans certains cas (attention à la conservation des bouteilles !) ; soufre total maximum : rouge 30 mg/ml, blanc 40 mg/ml

Pourquoi aller chercher du vin biodynamique ou naturel ? C’est la prochaine frontière, là où se fera la différence entre un vrai vigneron et un vigneron qui a préféré sacrifier la qualité au profit du rendement et de l’uniformisation. Les produits chimiques sont utiles en effet à délivrer un produit totalement uniforme d’année en année. Comment faire que 3 millions de bouteilles de côtes-du-rhone soient totalement identiques ? Comment est-ce que Möet arrive à livrer 10 millions de bouteilles de champagne brut dans le monde sans avoir la moindre variation de qualité ? Ces questions sont essentielles pour comprendre le processus d’utilisation de la chimie dans le vin. On arrive à un résultat mais qui ne correspond plus du tout aux conditions climatiques du millésime ou aux spécificités du terroir.

Le Domaine de la Romanée-Conti est cultivée intégralement en agriculture biologique, avec certaines expérimentations en biodynamie

La biodynamie permet de révéler un terroir, d’en tirer le meilleur, et de plus en plus de vignerons ont compris qu’en utilisant des produits chimiques à outrance ils étaient en train de scier la branche sur laquelle ils étaient assis. En effet, la chimie a fini par appauvrir les sols, contaminer les nappes phréatiques et par dénaturer les terroirs qui n’expriment presque plus rien. Toutefois, un vin naturel ou biodynamique est-il moins bon ou moins facile à boire ? Oui, d’une certaine manière, mais parce que nous nous sommes habitués à boire des “styles” de vin, qui relèvent davantage de l’artifice chimique que d’un travail authentique. Est-il moins bon ? Certainement pas, il est même bien meilleur. Par exemple, peu de gens savent que Pétrus ou les vins de la Romanée-Conti, indéniablement deux des meilleurs vins du monde, sont intégralement cultivés sans intrants chimiques.

Le labour à cheval est souvent utilisé en agriculture biodynamique (ici à Romanée-Conti), afin de ne pas tasser les sols, à l’inverse des tracteurs et engins mécaniques

On peut citer des dizaines de vignerons qui travaillent en biodynamie pour produire des vins tout à fait exceptionnels : Voge à Cornas (100/100 au Parker), Perrin à Beaucastel (100/100), Clos Rougeard en Saumur-Champigny, Chapoutier en Hermitage (100/100), Chave en Hermitage (100/100), mais aussi Réau, Puzelat, Clape, Paul Avril (Clos des Papes), Domaine Gramenon, Xavier Weisskopf, Antoine Foucault, Sébastien Bobinet, le gang du beaujolais (Foillard, Burgaud, Lapierre, Lapalu, Coquelet, Descombes, Métras) et toute une génération de relativement “jeunes” vignerons, qui ne sont les héritiers de personne, et qui reviennent à l’essentiel et produisent des vins d’une concentration et d’une longueur en bouche surprenante. Ces vins sont plus difficiles à trouver et à aborder, ils demandent une préparation, une dégustation, d’aller chercher la saveur, la bonne aération, la bonne température, mais révèlent une complexité qui ne se trouvait auparavant que dans des premier crus ou grands crus de bourgogne.

Jérôme Bressy, le héraut du Rasteau qui ne vinifie plus qu’en IGP Vaucluse

Les appellations ne veulent également plus rien dire, elles se sont galvaudées sur l’autel de la productivité. Par exemple, de nombreuses appellations interdisent purement et simplement la plantation de cépages anciens (grolleau, menu pineau, verdesse, romorantin, ondenc, etc.) car parfois moins résistants et moins productivistes. Le résultat est une homogénéisation de l’encépagement au profit d’une dizaine de cépages alors qu’il en existe 8000 dans le monde (on constate la même chose avec les tomates par exemple !).

L’ineptie des appellations va parfois très loin. A cet égard, l’exemple de Jérôme Bressy, probablement l’un des plus grands vignerons de la région de Rasteau est parlant. Le porte-drapeau de cette belle appellation du Rhône Sud fût contraint par l’AOC de sortir de l’appellation en 2012. Son crime ? son encépagement ne respectait pas les normes. Malheur à lui d’avoir planté de la vaccarèse, de la counoise, du carignan, du cinsault et du terret, des cépages moins courants mais néanmoins très intéressants pour réaliser des assemblages complexes.

On constate ainsi que les appellations n’ont plus de légitimité que la marque marketing qu’elles véhiculent. Elles écrasent les vignerons sous les procédures et les contrôles et ne reflètent plus vraiment la spécificité d’un terroir. De plus en plus de vignerons ont ainsi décidé de sortir complètement de ces carcans en vinifiant en Vin de France, l’appellation la plus générique possible.

Conclusion

La science a permis de faire progresser la viticulture et l’oenologie. Elle permet aujourd’hui de mieux lutter contre les maladies et de comprendre les terroirs et leurs spécificités. Elle permet également de mieux maitriser les fermentations qui sont des processus chimiques complexes. Toutefois, la science, en imposant ses vérités et outils techniques, a enlevé une part d’irrationnel et de sentiment au vin, pour le réduire à la seule performance technique de l’oenologue. De nombreux vignerons ont heureusement alerté contre cette dérive dangereuse et le renouveau de l’agriculture biologique et biodynamique, malgré certaines pratiques parfois ésotériques, a permis de refaire émerger des terroirs oubliés et de les hisser parmi les meilleurs.

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