Tour d’aperçu du beaujolais

Mathias Richemond
Vin Naturel
Published in
6 min readNov 22, 2017

Le beaujolais a longtemps eu mauvaise réputation. Longtemps associé à un vulgaire vin de table, un “rouge qui tâche”, il était généralement bu chaque année en primeur lors des beuveries de beaujolais nouveau au goût de banane.

Gamay, mon produit de beauté

Afin de comprendre le renouveau de cette belle région, rappelons quelques éléments de géographie. Le beaujolais est une région située entre Lyon et Mâcon. Elle s’étend sur environ 22.000 hectares et longe la Saône, entre la Bourgogne au nord, et le Rhône septentrional au sud. Les côteaux du beaujolais sont majoritairement granitiques et relativement acides, un terroir très propice à la culture du gamay. Certaines zones du sud de la région sont toutefois argileuses, mais moins intéressantes d’un point de vue gustatif.

La culture de la vigne y est ancienne, comme dans la plupart des régions viticoles françaises. Jusqu’au XIVème siècle, le gamay était le cépage dominant dans toute la région, y compris jusqu’en Bourgogne. Philippe le Hardi, inquiet pour la qualité de ses pinards, décida d’arracher tout le gamay de Bourgogne pour y planter du pinot noir. Il laissa le gamay dans le beaujolais, au sud de Mâcon, pour continuer à produire du vin de moindre qualité. Le gamay est aujourd’hui planté dans environ 30–35k Ha dans le monde, dont la majorité dans le beaujolais. Il s’agit donc d’un cépage local très spécifique, fragile et capricieux, ce qui explique sa faible présence dans l’encépagement en France et dans le monde.

Le renouveau du beaujolais est concomitant avec la hausse générale de la qualité du vin en France. Ne pouvant plus lutter à armes égales contre le torrent de vin venant d’Espagne, les français n’ont pas eu d’autre choix que de monter en gamme. Et le beaujolais n’est pas en reste : les prix ont fortement augmenté ces dernières années, et on y boit désormais du très bon vin. Dans quelques années, nous regretterons ce bon vieux temps où un bon Morgon coûtait 15 balles. Il faut juste espérer que la folie spéculatrice du voisin bourguignon ne vienne gâcher le plaisir des amateurs de gamay.

Le beaujolais comporte 12 appellations : beaujolais, brouilly, côte-de-brouilly, régnié, morgon, moulin-à-vent, chénas, chiroubles, fleurie, juliénas, saint-amour et beaujolais-villages. Au sud, l’appellation générique beaujolais est la moins qualitative.

Au-delà des appellations, il est préférable de s’intéresser aux vignerons. Parmi les plus connus, et surtout mes préférés : Thévenet (le père et les fils), Jean Foillard, Yvon Métras, Marcel Lapierre, Jean-Claude Lapalu, Georges Descombes, Karim Vionnet et Rémi Dufaitre. Chacun de ces vignerons m’a procuré de fortes émotions et ne m’ont jamais déçus. Ils sortent des vins complexes, incroyablement fruités, authentiques et équilibrés.

Prenons-en trois : Foillard, Lapalu et Descombes.

Jean, un homme qui aime son pinard

Jean Foillard réalise depuis plus de 30 ans du vin naturel dans le beaujolais, en morgon et en fleurie. Il dispose de certaines des meilleures parcelles dans ces appellations, et sort chaque années des cuvées très intéressantes, notamment en Côte du Py, ce fameux coteau escarpé orienté sud-est et surplombant la Saône. Foillard dispose aussi de parcelles dans le climat de Corcelette. La plupart de ses vignes sont assez anciennes, dont certaines centenaires pour sa cuvée reine, la “3.14” — jeu de mot amusant avec Py (les vignerons sont toujours des types drôles). Foillard est un précurseur dans son domaine, et a évangélisé le reste du monde au renouveau du beaujolais. Il a contribué à former un grand nombre des noms cités plus haut. Ses vins sont assez caractéristiques : robe profonde, arômes de fruits rouges mûrs, presque confits, tannins fins. Foillard travaille “à la bourguignonne”, ce qui peut parfois laisser croire que ses vins “pinottent”.

Où est Jean-Claude ? — (crédits vigneronsdexception.com)

Jean-Claude Lapalu est un vigneron truculent, encore relativement confidentiel en France, mais qui a acquis une solide réputation internationale…grâce à Robert Parker. Il n’envoie pas ses vins aux critiques, mais ne refuse pas leurs visites. Après avoir obtenu des notes largement au-dessus de 90/100 (surtout sur le millésime 2003, jusqu’à 94), sa réputation à l’étranger était faite. Ses parcelles sont situées en brouilly, côte-de-brouilly et beaujolais-villages. Lapalu travaille simplement : pas de soufre, pas de chaptalisation, pas de bois systématique (certaines cuvées sont élevées en amphore), aucun intrant chimique. Tout est fait à l’instinct, sans procédures scientifiques, et selon les conditions du millésime. Le résultat en bouteille est tout simplement hallucinant. Difficile de croire qu’il s’agit de gamay, tant on y trouve de la complexité. Le rapport qualité-prix est d’ailleurs totalement imbattable. Je vous conseille de prendre le temps au moment de la dégustation, d’aérer le vin suffisamment afin d’en découvrir toute la complexité. Je recommande la Cuvée des Fous (Brouilly), qui est chaque année une grande réussite.

Georges Descombes — (crédits wineterroirs.com)

Georges Descombes travaille environ 16ha de vignes dans le beaujolais depuis 1988, ayant repris la suite de son père. Très inspiré de Marcel Lapierre, il produit des vins d’une grande élégance, subtils, bien structurés et révélant le meilleur du gamay. Ses vignes sont situés en brouilly, régnié, chiroubles, beaujolais-villages et morgon, permettant l’expression de toute la palette du beaujolais. Descombes, comme ses compères cités plus hauts, travaille sans intrant chimique et avec une dose très limitée de soufre. Descombes dispose de vieilles vignes rares et très intéressantes, desquelles il sort des cuvées impressionnantes. Un souvenir très marquant reste celui de son Chiroubles Vieilles Vignes 2010 (20€ la bouteille !), qui fut une véritable claque. Idem pour le Brouilly Vieilles Vignes 2012. Chez un bon caviste, n’hésitez pas si vous tombez sur les vins de son beau-fils, Damien Coquelet, qui a été à bonne école !

Pour résumer, le beaujolais vaut vraiment le détour. Commencez par passer la porte d’un vrai bon caviste et arrêtez de l’acheter en supermarché. C’est généralement de la pisse. Les quelques vignerons cités dans cet article font un travail monumental pour arriver à une telle qualité, parfois supérieure à la bourgogne. Les vins sont gourmands, très facilement buvables. A la première gorgée, on avale un bol de fruits rouges mûrs, tant le fruit est présent et préservé. Les prix montent très vite chez ces vignerons, donc je conseille de se dépêcher !

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