Quitter la prostitution, un parcours de combattantes

mathilde goupil
5 min readMar 30, 2017

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Pénaliser les clients et accompagner les personnes prostituées qui souhaitent arrêter leur activité. Telle était l’ambition de la loi pour renforcer la lutte contre la prostitution, adoptée le 13 avril 2016. Mais un an plus tard, l’aide prévue se fait encore attendre.

Les prostitué(e)s pourront bénéficier du parcours de sortie durant deux ans. (Photo d’illustration, Antoine Rolland)

Je vais vous parler d’amour.” C’est avec cette promesse surprenante que Laurence Noëlle, élégante quadra aux cheveux courts, démarre le récit de ses années de prostitution. La nordiste n’a que 16 ans lorsqu’elle fuit le domicile familial et les violences de son beau-père. Au cours de sa fugue, Laurence tombe amoureuse d’un proxénète, qui la met sur le trottoir.

Les “viols répétitifs” s’arrêtent en 1985, avec l’aide du Mouvement du Nid, association rencontrée au cours d’une nuit de “travail”. Bernard Lemettre, délégué régional du Nid dans les Hauts-de-France, aide l’adolescente à quitter le réseau et à s’installer en Angleterre. Laurence y reste un an, avant de revenir dans l’Hexagone et de démarrer une carrière d’agent commercial, puis de formatrice en milieu carcéral.

À Lille ce soir-là, ils sont une centaine à s’être pressés dans les locaux du Mouvement du Nid pour l’écouter. A ses côtés, Bernard Lemettre, qui n’a jamais perdu de vue celle qu’il a aidée il y a 32 ans. Malgré la réussite de Laurence, le diacre regrette que la sortie de la prostitution reste si peu encadrée, alors que l’aide promise par le gouvernement n’est pas encore opérationnelle.

Deux ans maximum pour s’en sortir

Le parcours de sortie de la prostitution, créé par la loi visant à lutter contre le système prostitutionnel adoptée en avril 2016, doit faciliter la réinsertion des prostitué(e)s. La ou le bénéficiaire du parcours, que la loi reconnaît comme “victime” de la traite d’êtres humains, est accompagné(e) par une association et dispose d’un ensemble de prestations (logement, aide financière…) pour une durée maximale de deux ans. Une seule condition : avoir arrêté la prostitution à son entrée dans le dispositif.

La ministre des Droits des femmes, Laurence Rossignol, avait promis que celui-ci serait “opérationnel en janvier 2017”. Pourtant, un an après l’adoption de la loi, le dispositif peine à se mettre en place.

“Le but des politiciens, ce n’est pas notre intérêt”

Pourquoi ce retard ? Les décrets et circulaires nécessaires à l’application du parcours de sortie sortent au compte-goutte depuis octobre 2016. Un manque de volonté politique, pour certain(e)s prostitué(e)s et associations. “Le but des politiciens, ce n’est pas notre intérêt […], ils n’en ont rien à faire”, s’insurge ainsi Anaïs*, travailleuse du sexe, trentenaire et porte-parole du Strass (Syndicat du travail sexuel), opposé à la loi.

Catherine Coutelle, présidente de la délégation de l’Assemblée nationale aux droits des femmes, rappelle que l’application d’une loi prend du temps. Et assure que le retard sera bientôt comblé. “Il faut attendre la mise en place des commissions départementales [qui supervisent le dispositif] mais certaines associations ont déjà été agréées.

Un budget amputé

Une déclaration insuffisante pour rassurer les associatifs. En 2017, seuls 6,6 millions d’euros ont été alloués au fonds pour la prévention de la prostitution, qui doit financer le parcours. Bien loin des 10 à 20 millions promis en 2013 par l’ancienne ministre des Droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem. À ces crédits s’ajoutent néanmoins “les recettes provenant de la confiscation des biens” des réseaux de proxénètes, dont l’estimation n’a pas été communiquée.

“À moyens constants, on ne pourra accompagner dans le parcours de sortie que des personnes qui sont déjà suivies”, se désole Hélène de Rugy, déléguée générale de l’Amicale du Nid, association en faveur de l’abolition de la prostitution. Sans compter l’inconnue que représente la prochaine élection présidentielle. “Il y a des chances que le parcours de sortie ne soit jamais appliqué, estime Thierry Schaffauser, travailleur du sexe et porte-parole du Strass. S’il n’en veut pas, le prochain gouvernement aura simplement besoin d’arrêter de le financer.

Objectif : 4 000 sorties de la prostitution en trois ans

Pourtant, le dispositif pourrait coûter moins cher que prévu, faute de participants. Parmi les 30 000 à 44 000 personnes prostitué(e)s que compte la France, en majorité des femmes, difficile d’entrevoir le profil-type de celles et ceux qui décident de quitter leur activité. Selon une enquête réalisée en mars 2016 par les équipes territoriales du ministère des Droits des femmes, “4 000 personnes […] sur trois ans” sont susceptibles de s’engager dans le parcours de sortie.

Un nombre “assez ambitieux” selon Tim Leicester, coordinateur du Lotus Bus, au contact des prostituées chinoises à Paris. Ce dernier voit deux freins majeurs à la participation espérée par le gouvernement. Le montant de l’aide financière offerte aux ex-prostitué(e)s (330 euros mensuels pour une personne seule), et la réticence de certains préfets à régulariser les ancien(ne)s prostitué(e)s en situation irrégulière. La loi prévoit en effet qu’ils ou elles puissent bénéficier d’un titre de séjour temporaire. Mais “il est illusoire de demander aux travailleuses du sexe d’arrêter leur activité sans certitude de se voir accorder un titre de séjour, et en échange d’une aide très très minime”.

Laurence Noëlle a quitté la prostitution en 1985, après deux ans de “viols répétitifs”. (Mouvement du Nid)

Des violences en hausse

En attendant la mise en œuvre du dispositif, le bilan du premier anniversaire de la loi est doublement amer pour les associations qui y s’étaient opposées. Anaïs, qui exerçait via des sites d’escorts sur Internet, explique que la pénalisation des clients - pouvant aller jusqu’à 3 500 euros d’amende - l’a poussée à travailler par le biais d’intermédiaires (agences ou salons de massage).

Tim Leicester confirme. En mettant les clients à l’amende, l’État a détérioré le “rapport de forces” entre ceux-ci et les personnes prostituées. Résultat, “une augmentation de 65% du nombre de femmes [en région parisienne] qui nous sollicitent pour cause de violences”, assure l’associatif.

Laurence, qui a survécu aux sévices de son ancienne activité, assure que la guérison n’est, elle non plus, pas de tout repos. Trente ans après le trottoir, l’intimité avec un homme qu’elle a choisi, son mari, se révèle encore compliquée. Pour se remettre du “traumatisme” prostitutionnel, Laurence est devenue “formatrice en relations humaines” et intervient auprès de jeunes, de prisonniers ou de malades d’Alzheimer. Pour elle, le secret de la guérison “c’est de prendre sa boue et d’y faire pousser des fleurs.”

* L’intéressée a souhaité conserver son nom de famille anonyme.

Mathilde Goupil

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