Solendro / Breega : les “vérités” d’un fraudeur

Matthieu Géhin
10 min readNov 15, 2022

­Le fonds Breega a pris la parole à la suite de l’article que nous avons publié le 26 octobre au sujet de la fraude dont la société Solendro et ses co-fondateurs, Jules et moi-même, avions été victimes en 2020.

Un écran de fumée qui tente de faire oublier que Breega a été condamné pour fraude par la cour d’appel de Paris le 31 mars dernier et que l’avocat de ce fonds a tenté de liquider notre société une semaine après.

Exposer ces mensonges permettra de mieux comprendre la stratégie de désinformation qui accompagne des fraudes comme celle que nous avons vécue.

Le fonds Breega souhaiterait faire croire que 2 vérités s’opposeraient encore aujourd’hui, et ainsi créer de la confusion.

Il n’y a pourtant qu’un seul arrêt de la cour d’appel.

Le 31 mars 2022, les fonds Breega et Internet Attitude ont été condamnés pour fraude pour avoir violé les dispositions du pacte d’associés et des statuts de la société Solendro à de multiples reprises, “en toute connaissance de cause et avec la participation active de leur avocat, afin de nous révoquer de nos postes de dirigeants et racheter l’intégralité de nos actions à leur valeur nominale (les arrêts, pour le moins éloquents, sont accessibles ici et ici).

Face à la réalité de ce jugement accablant, les dirigeants de Breega tentent de faire diversion et de minimiser la portée de leurs méfaits et de leur condamnation.

Leurs justifications a posteriori, qui révèlent un rapport très particulier à la vérité, pourraient se résumer ainsi :

1. Ils l’ont bien cherché

2. Ce n’était pas prémédité

3. C’était dans l’intérêt de l’entreprise

Une stratégie de désinformation travaillée… mais qui s’effondre comme un château de cartes dès qu’on la confronte à la dureté des preuves.

1. Ils l’ont bien cherché

Le grand classique de la victime qui serait coupable.

L’argument invoqué ? Nous aurions réalisé “une tentative de putsch” ! Plus précisément, nous aurions cherché à nous rendre irrévocables, en prenant le contrôle du conseil d’administration. Sous-entendu nous ne l’avions pas au départ.

Pourtant, dans notre article, nous expliquions :

“Les règles de gouvernance et de gestion sont définies dans un pacte d’associés et dans les statuts de la société : il y est prévu que les deux Fondateurs disposent du droit de désigner la majorité des membres du conseil d’administration de la société”

et

“Grâce à la majorité que nous détenons au conseil d’administration, Matthieu et moi sommes de fait irrévocables, sauf mésentente entre nous ou décision de justice.”

A qui se fier ?

Pas de chance pour Breega, la cour d’appel a adressé ce point dans son jugement :

“La circonstance que ce conseil d’administration soit composé, aux termes du pacte, de 10 membres dont 6 sont nommés par les fondateurs, ce qui leur donne la majorité simple et leur permet de bloquer l’accord préalable du conseil d’administration” , Arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 31 mars 2022, page 12
Arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 31 mars 2022, page 12

Les accords que Breega a signés sont limpides : Jules et moi avons la majorité au conseil d’administration, ce qui nous permet de bloquer nos révocations.

Contrairement à ce que les responsables de ce fonds essaient de faire croire, ni le pacte d’associés, ni les statuts de la société, ni l’arrêt de la cour d’appel de Paris ne sont des “fake news”.

2. Ce n’était pas prémédité

Un autre grand classique : le coupable aurait tout fait pour éviter d’en arriver là.

Le fonds d’investissement Breega aurait “tenté, conformément à [ses] valeurs, un ultime effort de dialogue”, jusqu’au moment même de l’incident de séance à l’occasion duquel est intervenue ma révocation, le 20 juillet 2020. Ce serait lors de cet incident de séance que Breega aurait pris sa décision (de commettre une fraude).

Les conditions ubuesques dans lesquelles cet “incident de séance” a été mis en scène par les investisseurs le 20 juillet 2020 a été détaillé dans notre précédent article.

L’argument de Breega est balayé par la cour d’appel de Paris : les fonds d’investissement cherchaient à nous révoquer depuis plusieurs mois, l’incident de séance n’est qu’un stratagème pour contourner frauduleusement le pacte et les statuts de la société :

“La proposition de M. Georis […] de révoquer sur incident de séance M. Géhin […] constituent des manoeuvres frauduleuses destinées à permettre aux associés de mettre en oeuvre leur volonté antérieurement évoquée de révocation du président en contournant les règles des statuts et du pacte, qu’ils savaient pertinemment ne pas pouvoir respecter.” Cour d’Appel de Paris du 31 mars 2022, page 13
Arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 31 mars 2022, page 13

Le discours de Breega est d’autant plus absurde que le fondateur de ce fonds, François Paulus, cherchait à nous débarquer depuis plusieurs mois. En avril 2020, il militait déjà, dans notre dos, auprès de nos administrateurs pour obtenir notre révocation.

L’un d’entre eux en a témoigné :

“Je tiens tout d’abord à rappeler que j’ai fait savoir clairement à Breega, Internet Attitude, M.Chryssostalis, lors de conférences téléphoniques dès le mois d’Avril que j’étais absolument contre la révocation des fondateurs. A fortiori, je ne cautionne aucunement les votes et les procédures utilisées pour les évincer de la direction et encore moins de les spolier de leurs actions. C’est injuste, inadapté, disproportionné, brutal et sans fondement réel.” Témoignage d’un actionnaire de Solendro
Témoignage d’un actionnaire de Solendro

Face à ce refus, François Paulus a souhaité faire rentrer de force dans l’entreprise Jean-Pierre Lestavel, un proche de Breega.

Le 31 mai 2020, François Paulus propose toujours notre révocation, par écrit cette fois. La raison invoquée cette fois n’est non pas un “putsch” imaginaire, mais un refus de signer un contrat avec Jean-Pierre Lestavel.

“Je propose désormais que Olivier […] les appelle demain et leur dise (oralement donc) que si JP Lestavel n’a pas commencé officiellement vendredi 5 juin, nous convoquons le CA avec comme ordre du jour leur révocation (on verra si on révoque les deux ou un seul et on verra qui on nomme Président).”, François Paulus, fondateur de Breega, le 31 mai 2020
Mail de François Paulus de Breega proposant un chantage à la révocation le 31 mai 2020

François Paulus a bien conscience de la nécessité de ne pas laisser de traces dans ses manoeuvres : le chantage à la révocation doit être fait “oralement donc(par Olivier Brisac, du fonds Internet Attitude). Mais ça il l’a écrit. Et nous avons récupéré cet e-mail.

3. C’était dans l’intérêt de l’entreprise

Les responsables de Breega auraient agi pour préserver “l’intérêt supérieur de l’entreprise”.

Il y a la communication de crise d’un fonds. Et il y a la réalité des chiffres :

  • Le chiffre d’affaires de Solendro a toujours été en croissance depuis 2012, année de sa création, et atteindra 6,8M€ en 2020 (Jules et moi devant quitter la société fin septembre 2020) ;
  • En 2021, malgré un contexte sanitaire très favorable aux ventes sur internet, le chiffre d’affaires de la société chute de 41% ;
Chiffre d’affaires de 4M€ en 2021 contre 6,8M€ en 2020
Chiffre d’affaires 2020 et 2021 de Solendro
  • Hors frais juridique, l’EBIDTA plonge également, passant de 40.870€ en 2020 à -632.716€ en 2021 ;
  • La moitié de notre équipe démissionne sous 3 mois, l’autre moitié dans les mois suivants ;
  • Au 30 juin 2020, juste avant le putsch du 20 juillet, la trésorerie de l’entreprise s’élève à près de 2M€ ;
Disponibilités de Solendro au 30 juin 2020 : 1 954 046 €
Trésorerie de Solendro au 30/06/2020
  • Suite aux performances catastrophiques de l’exercice 2021, le commissaire aux comptes lance une procédure d’alerte le 3 mars 2022 ;
  • La trésorerie de Solendro n’est plus que de 400 K€ au 31.03.22. Elle chute à 100 K€ le 05 avril après que trois chèques d’un montant total de 240 K€ sont encaissés. Deux de ces trois chèques sont encaissés par l’avocat de Breega, Me Pierre-Louis Rouyer :
Chèque de 35 000 euros signé par Jean-Pierre Lestavel au nom de Pierre-Louis Rouyer, encaissé le 5 avril 2022
Chèque de 35 000 euros signé par Jean-Pierre Lestavel au nom de Pierre-Louis Rouyer, encaissé le 5 avril 2022
Chèque de 115 000 euros signé par Jean-Pierre Lestavel au nom de PLR Avocats, encaissé le 5 avril 2022
Chèque de 115 000 euros signé par Jean-Pierre Lestavel au nom de PLR Avocats, encaissé le 5 avril 2022
  • Le 8 avril 2022, soit 3 jours plus tard, ce même avocat a déposé une déclaration de cessation des paiements au nom de Solendro estimant donc que la trésorerie de Solendro ne lui permettait plus de payer ses factures.

Le fonds Breega a une vision très particulière de l’intérêt de l’entreprise, en somme.

En revanche quand il affirme avoir été mû par “[ses] valeurs et [ses] convictions”, ça c’est sûrement vrai. Et c’est bien ça le problème.

L’ÉLÉPHANT DANS LA PIÈCE

Comme souvent dans les droits de réponse, le plus intéressant n’est pas ce qui est contesté… mais plutôt ce qui ne l’est pas.

1) La fraude en elle-même

Les prises de parole des fraudeurs qui répondent à notre article sur leur fraude ne mentionnent étrangement pas… la fraude ! Pas un mot sur les multiples violations, intentionnelles, des dispositions du pacte d’associés et des statuts de la société Solendro pour lesquelles la cour d’appel de Paris les a condamnés. Ce n’est pourtant pas tous les jours qu’un fonds de capital-risque se fait sanctionner pour fraude…

2) Les jours d’après

Autre omission étonnante, c’est bien sûr la séquence rocambolesque qui a suivi l’arrêt de la cour d’appel du 31 mars. Rappel des faits :

  • Nous redevenons dirigeants et actionnaires de la société Solendro le 31 mars 2022. Nous contactons le lendemain les deux banques de la société et le cabinet d’expertise comptable pour leur demander de bloquer les accès et les comptes de Solendro en attendant notre retour ;
  • Trois chèques de la société, d’un montant total de 240 K€, sont alors encaissés le 05 avril (deux de ces chèques sont encaissés par l’avocat de Breega et d’Internet Attitude, le troisième est encaissé par l’agence ESV Digital), le solde de trésorerie de Solendro chutant alors à 100 K€;
  • Le 08 avril, alors que Jules et moi reprenons — tant bien que mal — nos fonctions, l’avocat de Breega et Internet Attitude, toujours lui, dépose une déclaration de cessation des paiements pour le compte de la société Solendro au tribunal de commerce de Paris;
  • Malheureusement pour ces derniers, nous serons prévenus par le tribunal de commerce et arriverons in extremis à faire échec à cette tentative de dépôt de bilan en enclenchant une opération de déstockage (voir notre précédent article). A ce jour, la société n’a toujours pas remis la main sur ces 240.000 euros.

Nous récupérerons plus tard de nombreux éléments accablants, qui ne laissent pas de place au doute quant au déroulé des évènements.

Par exemple, cet échange entre les quatre actionnaires de Solendro condamnés pour fraude et les deux dirigeants qu’ils avaient nommés pour nous remplacer. Nous sommes le vendredi 1er avril 2022, soit le lendemain de l’arrêt de la cour d’appel qui a annulé les révocations de Jules et de moi-même et le rachat forcé de nos actions :

“Vire l’argent sur un autre compte”, un des investisseurs fraudeurs répond à Jean Pierre Lestavel sur messagerie instantanée, le 1er avril 2022, suite à l’arrêt de la Cour d’Appel de Paris
Discussion sur messagerie instantanée le 1er avril 2022 entre les fraudeurs

Sont notamment présents dans cette boucle l’un des fondateurs de Breega et plusieurs membres du fonds Internet Attitude.

L’un des actionnaires demande à son préposé, M. Lestavel, le président de Solendro nommé pour me remplacer le 20 juillet 2020 et dont la nomination a été annulée la veille par la cour d’appel, de “virer l’argent sur un autre compte”compte-tenu du blocage de la compta que nous venons de mettre en place.

Quelques minutes plus tard, MM. Lestavel et Brisac (DG de Solendro et membre d’Internet Attitude) s’exécutent et tentent d’ouvrir un compte bancaire au nom de Solendro auprès de la banque en ligne Shine :

“Olivier BRISAC vous invite à vérifier votre identité pour ouvrir le compte pro de SOLENDRO” Mail reçu par Jean Pierre Lestavel pour la création d’un compte bancaire Shine le 1er avril 2022 à 16h46
Invitation d’Olivier Brisac à Jean Pierre Lestavel pour ouvrir un compte bancaire le 1er avril 2022

Les comptes bancaires de Solendro ont été bloqués à ma demande, aucun virement ne pourra plus être effectué. Il ne restera alors plus que les chèques pour piller les comptes de la société.

Ces évènements sont complètement éludés par Breega. Le fonds se contente d’affirmer qu’il n’est ni signataire ni bénéficiaire des chèques.

3) Les malversations et l’état de la société

Enfin, concernant l’effondrement du chiffre d’affaires de Solendro en 2021, les centaines de milliers d’euros de prestations payées par Solendro à des entreprises dirigées par des souscripteurs de Breega, les prestations en tant que free-lance de la part de M. Lestavel, déjà rémunéré à l’époque en tant que président de la société, le doublement de son salaire alors que l’entreprise s’effondre, la procédure d’alerte lancée par le commissaire aux comptes etc. (voir notre premier article), Breega n’apporte pas plus de réponse, se limitant à de grands discours sur la priorité à donner à l’intérêt social.

Sacrée chance pour Solendro d’avoir pu compter sur le soutien d’un actionnaire aussi soucieux de l’intérêt social…

LES FRAUDEURS QUI SE VANTENT DE LEURS COUPS DE PRESSION

Après nous avoir révoqués et dépouillés de nos actions en 2020, les fonds Breega et IA nous ont assignés en justice en avril 2021 pour de prétendus ABS (honoraires d’avocats, frais de bouche, frais d’agents de sécurité etc.) et pour avoir “porté atteinte à leur réputation et à leur honneur”. Ils ont déposé une plainte pénale pour les mêmes faits dans la foulée, nous réclamant depuis la modique somme de 790 K€. Une façon bien à eux de nous mettre la pression et de nous faire comprendre que nous devions lâcher prise, au moment où venait de commencer la procédure d’appel qui allait constater leur fraude.

Un membre d’un des fonds a d’ailleurs très explicitement écrit à ses acolytes vouloir nous assécher financièrement via des procédures judiciaires pour nous “faire réfléchir avant de poursuivre avec de nouvelles attaques procès etc :)”.

Nous n’avons pas lâché prise. Leur fraude a été constatée. Il appartiendra aux fraudeurs de rembourser tous les frais d’avocats engendrés par leur fraude, ceux engagés par la société et ceux engagés par Jules et moi à titre personnel.

Il en va de même pour les sommes détournées de la société.

MERCI !

Quand nous avons écrit notre article il y a maintenant 3 semaines, nous avions deux objectifs : 1) détailler les mécanismes du coup de force que nous avions vécu et présenter les façons de s’en protéger aux entrepreneurs qui ouvrent le capital de leurs sociétés 2) alerter sur les dérives de certains acteurs de l’écosystème.

Nous avons reçu de très nombreux messages d’encouragement, et de témoignages de soutien (sans oublier les commandes sur le site !). Nous tenions à vous dire toute notre gratitude, et notre reconnaissance pour ce soutien qui nous touche et nous aide dans cette période loin d’être évidente. Merci. Vraiment.

UPDATE :

  • A la suite de la publication de notre premier article, nous avons reçu le 03 novembre une assignation en référé aux fins de désignation d’un administrateur provisoire de la part du fonds Breega.

Ce n’est pas la première fois, depuis l’arrêt de la cour d’appel du 31 mars, que Breega cherche à faire nommer un administrateur provisoire pour « gérer et administrer la société Solendro ». En juin dernier, nous avions déjà été assignés en référé par Breega et Internet Attitude pour obtenir la désignation d’un administrateur provisoire. Le Tribunal de commerce de Paris avait débouté les deux fonds de leurs demandes et les avait condamnés à nous verser 9K€.

  • Depuis la publication de notre article, le fonds Breega a changé d’avocat.

--

--