La création d’un modèle de jeu en suivant une démarche adaptative
Par Maxime Antonilli, Alexandre Chamberlin, Valentin Schnorhk et Roland Siegrist
Le staff technique du CS Italien Genève
Ce papier n’a pas pour but de vouloir démontrer la supériorité d’un certain modèle de jeu par rapport à un autre, et encore moins pour objectif de dire qu’une méthode de travail est la plus efficace. Il part simplement du constat que si dans la plupart des cours d’entraîneurs, l’analyse est souvent consacrée à la philosophie dominante du moment dans le pays ou ceux voisins, il n’est parfois pas efficace de la mettre en pratique lorsque l’effectif, les conditions de jeu, ou encore la culture du club ne s’y prêtent pas.
Dès lors, il existe plusieurs possibilités pour un entraîneur et son staff pour proposer un projet cohérent qui permette d’atteindre les objectifs fixés. La plus commune est d’élaborer un modèle de jeu précis, définissant les principes à mettre en pratique pour chacune des phases du jeu selon les différentes zones du terrain, le tout en se basant principalement sur ses convictions, ses idéaux formés dans son passé de joueur, ou durant sa formation de coach.
Au cours de nos précédentes expériences dans l’encadrement d’équipes de juniors où la pression du résultat était moindre, nous nous étions déjà essayés à cet exercice. Nous l’avons ensuite exporté, sans succès, lors de notre première saison dans le monde des adultes quand nous avons repris la première équipe du CS Italien Genève, le club qui nous a vus grandir. Pour le championnat de 2ème ligue genevoise (6ème division, plus haut échelon régional) de la saison 2018–2019, nous avons donc changé d’approche pour adopter une démarche plus adaptative afin de construire un modèle de jeu qui soit plus en lien avec les caractéristiques de notre effectif tout en respectant l’identité du club.
Dans les faits, notre modèle de jeu s’est fait sur une « co-construction », entre les idées que nous avions initialement et ce que nous avons observé avec plaisir ensuite dans les comportements tactiques innés de nos joueurs, ce qui nous a incités à les perfectionner pour les implémenter de manière plus cadrée dans notre modèle de jeu. Mais il s’agissait aussi d’une volonté constante de remédier aux failles que nous avons constatées en match et qui nous ont poussés à trouver une solution, laquelle a ensuite été également ajoutée à notre modèle. En résumé, toutes les réponses formulées aux problématiques (bonnes ou mauvaises) décelées en analysant notre équipe ont été intégrées, non pas comme des adaptations ponctuelles à tel ou tel adversaire, mais comme des fondements tactiques de notre équipe pour la suite de notre parcours.
Les lignes qui suivent sont un long récit de ce processus qui aura duré une saison entière et se diviseront en cinq parties organisées chronologiquement : la première aura pour sujet une analyse de la situation de départ et le choix du système de jeu, la deuxième se concentrera sur les points de développement identifiés en préparation et lors des premiers matchs de la saison, la troisième relatera la réaction face à la première contre-performance, la quatrième sera focalisée sur les modifications apportées à la trêve, et la dernière illustrera l’importance des détails pour l’obtention de résultats. Pour compléter ce récit assez descriptif, nous ajouterons des vidéos et des schémas utilisés durant la saison.
1. Avant la reprise : point de situation et choix du système
Avant de définir les grandes lignes qui guideraient notre action pour l’année à venir, il convenait de faire une brève analyse de ce que nous avions vécu la saison d’avant. Or, celle-ci a été passablement compliquée et a vu l’équipe assurer le maintien lors de la dernière journée de championnat. Le groupe ayant joué le haut de tableau les deux saisons précédentes, les objectifs fixés étaient donc bien supérieurs. Certes, le staff était novice dans le monde des adultes et le contingent était jeune, mais les cadres avaient presque tous été confirmés, ce qui laissait espérer des performances au moins aussi élevées. Nous avons commencé la saison en 4–3–3, pour passer en 4–2–3–1 qui se transformait en 4–4–2 sans ballon.
Si nous avons débuté en présentant un football où nous souhaitions être protagonistes en phase de possession, nous nous sommes vite rendu compte que nous étions très fébriles une fois le ballon perdu. Notre relative faiblesse dans la gestion des duels, probablement due à un manque de puissance et d’expérience, comme en attestent les 7 penaltys concédés lors des 7 dernières rencontres du tour aller, nous a fait nous questionner sur le bien-fondé de notre approche sans ballon. En cours de championnat, nous avons donc décidé de défendre en bloc médian en 4–4–2 avec pour objectif d’orienter l’adversaire sur les côtés où nous pourrions récupérer et lancer nos ailiers rapides.
Durant cette saison, nous avons rapidement abandonné notre projet de jeu et obtenu des résultats décevants pour ne pas dire catastrophiques. Cela a inévitablement engendré des modifications importantes dans le contingent. En effet, les départs de nombreux cadres déçus ont rendu obligatoire un renouvellement l’effectif, ce qui a permis de donner plus de responsabilités aux éléments plus jeunes de l’effectif pour la suite.
Au cours de la première réunion du staff avant la reprise, nous étions conscients de vouloir à tout prix éviter de revivre une telle saison. Nous avons tout d’abord décidé de ne pas nous efforcer à vouloir imposer des idées — certes valables et louables — mais inadaptées à l’effectif à disposition, au cursus des joueurs, et au style de jeu antérieur de l’équipe. Nous avons donc préféré commencer la saison avec un modèle de jeu relativement peu complet : si des principes ont été définis et seraient immuables, certaines zones d’ombres ont été laissées et seraient peu à peu remplies en fonction de l’avancement de la saison, de l’observation des matchs et des entraînements, ainsi que de l’évolution de l’effectif.
Cela dit, nous avons convenu de choisir dès le début un système de jeu adapté aux caractéristiques des joueurs à disposition. Pour cela, nous nous sommes intéressés aux forces et faiblesses de l’effectif, ainsi qu’à ce que nous avions pu constater durant notre première saison dans la catégorie. Nous pouvons résumer cela au moyen de cette matrice SWOT (ou MOFF en français pour Menaces, Opportunités, Forces, Faiblesse) :
Nous n’allons pas nous attarder sur chacun des points listés dans ce tableau, mais il est nécessaire d’expliquer la raison pour laquelle nous avons placé la jeunesse de l’effectif dans les forces, alors que de nombreux entraîneurs considèrent cela comme une faiblesse. Étant nous-mêmes âgés de 27, 27 et 25 ans, nous étions jeunes pour entraîner des adultes, et le fait d’avoir une majorité de joueurs plus jeunes nous rendait tout de même la tâche plus aisée. De plus, dans ces catégories amateures, les jeunes joueurs sont souvent davantage disponibles tant physiquement que mentalement, et plus présents aux entraînements que des (quasi-)trentenaires qui ont une vie professionnelle et familiale qui leur prennent plus de temps. C’est pourquoi, si nous prenons les 11 joueurs ayant joué le plus de minutes sur la saison, nous obtenons une moyenne d’âge de 20,7 ans. Par ailleurs, comme nous le verrons au prochain paragraphe nous avons justement choisi un système de jeu qui tiendrait compte de ce facteur « jeunesse ».
Partant de ces constats, nous avons décidé d’évoluer en 3–4–3 et de construire notre modèle de jeu autour d’une défense à trois. Tout d’abord, ce choix était une réponse à deux faiblesses identifiées auparavant, lesquelles étaient notre faible capacité à gérer les situations chaudes et nos difficultés à gérer les duels athlétiques, notamment dans notre surface. Nous avons estimé qu’avec une ligne de 5 défenseurs en phase défensive, dont trois centraux, nous aurions un surnombre important proche de nos buts, ce qui aurait compensé notre déficit dans les duels, et réduit le nombre de buts et penaltys concédés.
Ensuite, nous avons également opté pour ce système pour mettre en valeur les qualités intrinsèques de nos joueurs, comme par exemple la vitesse de nos attaquants. En effet nous espérions que la défense à trois nous donne l’assise nécessaire pour relancer court et attirer l’adversaire afin de créer des espaces dans son dos, ce dont nos « flèches » allaient pouvoir profiter.
Enfin, nous anticipions que ce système aurait demandé énormément de courses à certains postes (les trois attaquants pour protéger l’axe, les extérieurs pour attaquer comme des ailiers et défendre comme des latéraux), et étions conscients d’avoir les joueurs avec les capacités physiques pour endosser ce rôle. De plus, il est également important de souligner que nous jouerions la moitié des matchs sur un terrain court et étroit, ce qui aurait limité l’impact négatif d’une infériorité numérique au milieu du terrain et diminué d’autant la difficulté de reproduire les courses demandées à certains postes.
2. Préparation estivale et début de saison : les principes de base et premières adaptations
Une fois la décision prise quant au système de jeu, nous avons commencé dès les premières semaines de préparation par mettre en place plusieurs principes que nous jugions indispensables pour avoir un jeu cohérent. En phase offensive, comme expliqué plus haut nous souhaitions relancer court et attirer le pressing adverse pour créer des espaces. De plus, nous voulions, tout en construisant majoritairement depuis l’axe avec les trois défenseurs et les deux milieux, attaquer sur toute la largeur avec 5 joueurs occupant les deux ailes, les deux half-spaces et l’axe du terrain.
En phase défensive, nous souhaitions densifier l’axe et défendions en 5–2–3 en zone au milieu du terrain, la ligne des trois attaquants devant se concentrer sur la protection de l’axe du terrain, et l’orientation du jeu adverse sur les côtés. Nous avons également intégré des principes de coulissement assez clairs selon que l’adversaire ait la balle dans l’axe ou sur les côtés. De ce fait, le 5–2–3 devait se transformer en 4–4–2, notamment en zone médiane.
Lors la préparation estivale, nous avons pu profiter de la « disponibilité mentale » du groupe pour rapidement mettre en place les principes défensifs de base tels que la protection de l’axe et le fait de défendre à 11. Nous avons néanmoins constaté en phase offensive que nous avions certaines difficultés à sortir d’un pressing intense, bien que celui-ci ne fût pas toujours particulièrement organisé. De plus, lorsque nous avions affaire à un bloc médian-bas, notre qualité technique ne nous permettait pas de créer d’énormes changements de rythme et ainsi d’avoir des espaces pour nos attaquants.
À l’opposé, nous avons pu voir une excellente disponibilité de tous les joueurs à effectuer des courses intenses dès la perte du ballon et nous sommes rendu compte que cela pouvait nous permettre d’imprimer un rythme élevé au match, et de se créer des opportunités de marquer. De cette manière, nous avons implémenté un autre principe qui est devenu notre « marque de fabrique » : l’intensité en transition défensive. Il convient de dire que nous travaillions déjà énormément cette phase, même la saison précédente, mais nous rencontrions énormément de difficulté à la mettre en pratique en match. Cette saison, grâce à l’apport de la vidéo notamment et à l’utilisation de joueurs avec des caractéristiques différentes, tout est devenu plus naturel sur cet aspect. Nous avons notamment beaucoup insisté sur le principe des « trois cercles » pour essayer de rendre cela compréhensible rapidement, et avons d’abord mis l’accent sur le travail des joueurs faisant partie du premier cercle, lesquels devaient chercher à récupérer immédiatement le ballon.
Ainsi, nous avons commencé la saison avec énormément d’incertitudes sur notre capacité à conserver le ballon sous pression, et à créer des déséquilibres en phase de possession. Nous avions cependant conscience de la discipline défensive de nos joueurs — ce qui était déjà une énorme avancée par rapport à la saison précédente — et de la capacité de ceux-ci à imprimer un rythme important en phase de transition.
D’un point de vue des résultats, les cinq premières journées ont permis au groupe de prendre confiance en ses capacités et ont renforcé le discours du staff. La première rencontre s’est pourtant soldée par un décevant 1–1 à domicile — après un match globalement maîtrisé et une égalisation subie sur penalty provoqué lors d’une rare situation défensive mal appréhendée — et a fait réapparaître les spectres des déconvenues de la saison précédente. Par la suite, nous avons profité d’un calendrier favorable et d’un peu de réussite pour enchaîner quatre victoires consécutives et prendre la tête du championnat. Il est à noter que nous avons aussi pu bénéficier de l’apport d’un gardien expérimenté qui a permis de stabiliser notre défense, en tout cas d’un point de vue émotionnel et a légitimé l’approche adoptée. Ainsi, le passage à une défense à trois a été d’autant plus validé par les joueurs, ce qui n’aurait pas été aussi simple dans d’autres conditions.
À cet instant, nous savions que nous étions en bonne voie pour assurer le maintien rapidement, mais étions conscients qu’une opposition plus forte pouvait révéler des failles dans notre modèle qui était encore embryonnaire et perfectible. Nous ne pensions simplement pas que cela se produirait de manière aussi éclatante et rapide.
3. Milieu de premier tour : la première contre-performance et notre réponse tactique
Le match suivant a été le théâtre d’une débâcle totale, lors de laquelle nous avons totalement déjoué. Malgré un avantage rapide de deux buts, nous n’avons jamais su jouer de manière compacte sur un terrain qui était bien plus grand que le nôtre, ce qui nous a pleinement exposés à un adversaire qui pouvait profiter d’espaces énormes. Nous avons donc subi une remontée au score et notre première défaite de la saison. Cette rencontre nous a permis de nous rendre compte de deux points importants que nous allions devoir corriger ou masquer pour la suite de notre parcours. Le premier était que nous ne pouvions pas nous permettre de jouer avec un espace important entre nos lignes. Si nos attaquants pouvaient courir énormément, nos milieux axiaux n’avaient pas le volume de courses pour couvrir de grands espaces. Le second était que, malgré le fait d’avoir ajouté des défenseurs en protection de notre surface et de défendre à 11, nous ne savions pas subir le jeu et finissions souvent par concéder des situations évitables et craquer sous la pression adverse.
De cette manière, nous avons commencé à travailler avec plus de ténacité sur deux principes généraux lors des entraînements, en nous appuyant sur l’analyse vidéo. Pour ce qui est de la réduction de l’espace entre les lignes, il convient de dire que cela a toujours été difficile à entraîner lors de nos séances au vu des conditions, puisque nous ne disposions que d’une moitié de terrain (déjà court), c’est-à-dire une surface de 45x57m occupée par un contingent de 18–20 joueurs. Par conséquent, nous avons souvent dû trouver des solutions lors de certains exercices/jeux proposés, notamment en travaillant sur la largeur du terrain plutôt que sur la longueur. Nous nous sommes surtout beaucoup aidés de la vidéo pour souligner nos manques et faire prendre conscience aux joueurs de l’importance d’avoir un bloc compact, ceci afin de reproduire les petits espaces auxquels nous sommes habitués étant donné les surfaces utilisées aux entraînements.
À ce sujet, nous avons très souvent entendu lors des retours reçus après les matchs que tel ou tel joueur n’avait pas assez couru (quand la performance était médiocre) ou au contraire avait produit beaucoup d’efforts (quand la performance était bonne). Selon notre point de vue, la quantité de kilomètres parcourus ne devait pas être la première préoccupation, mais plutôt le nombre de courses à haute intensité que nous arrivions à effectuer. Et pour cela, quoi de mieux que d’avoir un bloc équipe compact qui permette de réduire la distance de ces courses ?
D’un côté, le premier principe devait être pris en compte dans toute les phases du jeu, parce qu’il serait paradoxal de demander à une équipe de jouer long dans la profondeur pour les attaquants en phase offensive, et d’être en même temps très compacte une fois le ballon perdu. De l’autre, le deuxième concernait principalement la phase défensive, et consistait dans le fait de défendre en avançant. Dans le but de subir le moins possible le jeu, nous avons dû mettre un accent sur certains mouvements lorsque nous n’avions pas le ballon. Si la protection de l’axe par nos deux milieux et les trois attaquants fonctionnait bien, nous devions être plus agressifs une fois que l’adversaire jouait sur le côté, afin de ne pas reculer. À cet effet, si dès le début de la saison nous avons demandé à nos extérieurs de sortir très rapidement sur le latéral adverse une fois que celui-ci recevait le ballon (positionnement en 4–4–2), nous avons constaté que cela devenait moins automatique quand les rencontres devenaient plus difficiles. Or, cela créait une spirale infernale puisque nous reculions et subissions donc encore plus le jeu. En résumé, ce travail des extérieurs était notre principal indicateur temps fort/faible ; quand ils ne défendaient pas en avançant, c’est que nous étions dans un temps faible et que nous n’en sortirions pas tant que cela n’était pas corrigé.
Il est à noter également que, dans l’optique de défendre en avançant, nous demandions à chacun de nos trois défenseurs centraux de suivre tout attaquant adverse qui décroche, puisque la couverture était assurée par les deux autres. Ce dernier concept ayant été rapidement mis en pratique n’ayant pas eu besoin de plus d’attention que cela, il ne sera pas traité en détail dans ce papier.
Après une seconde défaite consécutive face au futur rival dans la course au titre, nous avons pu réaliser une série de 3 victoires à la suite en championnat dans des rencontres globalement dominées et maîtrisées. Alors premiers du classement, une troisième défaite à l’extérieur vient clore le premier tour, ce qui nous positionnait à la deuxième place à deux points du leader. Si cette deuxième partie du tour automne nous a remis sur les rails et nous a permis de perfectionner notre modèle de jeu, nous nous rendons compte face aux « gros calibres » que l’effectif était un peu court numériquement. Cela s’illustrait par le fait que nous avions perdu — à l’extérieur certes — contre les 1ers, 3èmes et 4èmes du classement tout en ayant mené au score dans chacune de ces rencontres.
4. Deuxième tour : de nouvelles armes pour assumer un statut différent
Après avoir réalisé un excellent premier tour par rapport aux objectifs que nous nous étions fixés, l’arrivée de quatre nouveaux joueurs, parmi lesquels trois anciens du club, tous âgés entre 23 et 25 ans, nous octroyaient la possibilité de viser plus haut. Nous nous préparions désormais pour essayer de titiller les équipes qui allaient jouer le titre de champion et la seule place permettant d’accéder à l’échelon supérieur. Pour cela, nous allions devoir également assumer un statut différent. N’étant plus l’équipe de jeunes qui vise le maintien mais un des prétendants à la promotion, nous serions plus attendus et devrions plus souvent affronter un bloc bas. Par chance, nous savions déjà que nos recrues élèveraient le niveau technique de l’équipe, mais il allait falloir éviter de dénaturer notre modèle. Dans cette optique, il conviendrait de trouver le juste équilibre entre la recherche d’intensité qui nous caractérisait jusque-là et des phases de possession plus longues au cours desquelles il faudrait créer des espaces face à des équipes regroupées.
Lors de la préparation hivernale, nous avons bénéficié de plus de temps pour mettre en place des principes, la pause étant particulièrement longue en Suisse. Il y avait non seulement plus de semaines d’entraînement à disposition qu’en été, mais aussi parce que le groupe a été quasiment tout le temps au complet puisque les joueurs ont moins tendance à planifier des vacances à cette période. Les premières semaines ont tout de même été utilisées pour revoir les concepts déjà acquis au premier tour, ce qui a entre autres permis aux recrues de les assimiler. Pour les nouveaux joueurs, le fait de montrer des vidéos de ce qui avait été réalisé au premier tour a permis d’accélérer le processus d’intégration de certains principes, notamment en phase de transition défensive comme l’illustre cette partie de vidéo se focalisant sur les 3 cercles en reprenant des phases d’une de nos meilleures performances de l’automne.
Nous avons également profité de l’apport de nos recrues pour tester une légère modification de notre système de jeu en passant en 3–4–1–2, sachant que deux des nouveaux joueurs étaient initialement des 10. Cela dit, toujours en suivant notre démarche empirique nous avons abandonné cette idée après 3 journées, car nous n’avions plus une occupation optimale de la largeur en phase offensive. L’espace à disposition de nos attaquants pour effectuer leurs appels était ainsi restreint, ce qui était une arme non négligeable comme le montre la vidéo ci-dessous. Grâce à leur disponibilité et leur capacité d’adaptation, nous avons réussi à intégrer nos deux nouveaux joueurs dans le 3–4–3. Nous avons profité de la capacité de dribble d’un d’eux pour le positionner comme attaquant gauche où il pouvait éliminer son adversaire et rentrer à l’intérieur, et de l’intelligence de l’autre pour le faire jouer milieu axial.
Sur la fin de la préparation, nous avons souhaité mettre en place des mécanismes de pressing haut plus systématisés, afin de profiter encore plus des volumes de courses de nos attaquants. Ceci pour répondre à plusieurs problématiques auxquelles nous étions confrontés : une difficulté à défendre les ballons longs aériens et l’objectif — désormais récurrent — de défendre en avançant pour subir le moins possible. Bien entendu, cela s’inscrivait aussi dans l’objectif d’être toujours plus dominateurs. Nous avions constaté qu’en évoluant en bloc médian, notamment en amical, il y avait une impression de passivité qui ne nous correspondait pas et semblait ne pas nous réussir. Nous avions besoin de mettre en action notre énergie, pour permettre au match d’avoir le rythme que l’on souhaitait. Nous pouvions ainsi jouer plus sur la notion de réactivité à la perte de balle, créant le stress chez l’adversaire. C’est pourquoi, si nous avions travaillé et utilisé sporadiquement le pressing au premier tour dans notre système en 3–4–3, nous l’avons systématisé et perfectionné au printemps de nouveau grâce à l’apport de la vidéo, notamment en raison de la difficulté de bénéficier de distances réelles de match lors de nos séances d’entraînement.
Dans l’optique d’affronter des équipes plus attentistes, nous avons également mis l’accent sur quelques principes de jeu offensif pour créer des décalages. Nous avions pour objectif d’isoler nos éléments forts en 1 contre 1 ou de trouver des 2 contre 2 sur les ailes pour ensuite pouvoir placer un centre ou une passe en retrait. Par exemple, nous avons, parmi d’autre principes, insisté sur le fait de fixer l’adversaire d’un côté pour renverser le jeu à l’opposé. La séquence vidéo ci-dessous, laquelle faisait partie d’un montage plus volumineux, a servi à illustrer ce principe auprès des joueurs.
Dans ces situations, nous cherchions à avoir au minimum 3 joueurs dans la surface adverse : les trois attaquants, ou éventuellement un des deux milieux, ou encore un des extérieurs. Par exemple, notre extérieur droit recruté en hiver a marqué 5 buts entre la 14ème et la 21ème journée, lequel s’additionne à un autre marqué par notre extérieur gauche, contre un seul marqué par des joueurs évoluant à ces postes au premier tour.
Après une première journée catastrophique qui s’est soldée par une défaite surprise, nous avons enchaîné 5 victoires et encaissé un seul but, ce qui nous a permis de nous retrouver à 2 points du leader au moment de le recevoir à 5 journées de la fin. Dans une rencontre que les commentateurs auraient pu qualifier de « joli 0–0 » lors de laquelle le gardien adverse s’est particulièrement mis en évidence, nous n’avions plus notre destin entre les mains et devions espérer un faux pas adverse pour pouvoir passer premiers.
5. Sprint final : perfectionnement des détails pour aller chercher le titre
Durant le mois qui a suivi, nous avons principalement consolidé les bases acquises au cours de la saison, et n’avons pas apporté de changement à notre modèle de jeu, sauf quelques adaptations minimes en fonction des adversaires.
C’est pourquoi, cette dernière partie sera consacrée aux fameux détails qui permettent parfois de transformer ce qui aurait pu être une défaite ou un match nul en victoire, ou l’inverse. À ce titre, nous allons nous concentrer sur la préparation des balles arrêtées qui, bien qu’elle n’ait pas encore été détaillée au cours de ce texte, a été identique dès le début de la saison et n’a pas subi de modification depuis. Nous défendions en zone intégrale sur les coups-francs excentrés ainsi que sur les corners. L’avantage octroyé par la défense de zone est qu’il était possible de placer nos meilleurs joueurs de tête dans les zones qui sont les plus cherchées par les adversaires. Sur les corners par exemple, parmi les 7 joueurs susceptibles de jouer un duel dans notre surface (sur les 10 qui défendaient, nous en placions 2 aux poteaux et 1 en sortie), nous savions que seuls 2 ou 3 d’entre eux étaient réellement bons dans cette situation. Par conséquent, la question était de les placer de manière qu’ils soient à la tombée du ballon. Le relatif manque de préparation de nos adversaires (à part quelques exceptions) a fait le reste.
Pour ce qui est des balles arrêtées offensives, nous avons préparé trois schémas distincts sur les corners et les avons également maintenus pour toute la saison. Nous ne développerons pas plus le sujet ici, car nous en utilisons encore certains de ces schémas actuellement. Mais nous pouvons assurer qu’il n’y avait rien de révolutionnaire et que le temps consacré à tout cela était, sur l’ensemble des entraînements de la saison, minime.
Cela étant, ces phases ont eu une importance primordiale durant la saison. En effet, si l’on excepte les coup-francs directs (3) et les penaltys (2), nous n’avons encaissé que deux buts sur corner ou coup-franc excentré, malgré une taille moyenne régulièrement inférieure à celle de nos adversaires. À l’opposé, nous avons marqué 3 buts sur ces situations (là aussi en excluant les 7 sur penaltys). Mais surtout, après avoir glané deux victoires étriquées tandis que notre concurrent pour le titre s’écroulait en n’obtenant que 2 points en 3 matchs, nous avons remporté le titre à l’avant-dernière journée sur la plus petite des marges, grâce à un goal marqué sur corner…
Conclusion
Si dans les centres de formation des clubs professionnels le modèle de jeu doit suivre une philosophie bien définie et est très souvent dicté par la direction technique, tout n’est pas toujours aussi cadré dans le monde amateur. Il reste cependant possible — et nous l’avons constaté au cours de la saison relatée ci-dessus — de proposer aux joueurs des axes de travail cohérents qui permettent de les faire progresser tant individuellement que collectivement, tout en poursuivant si nécessaire un objectif en termes de résultats comptables.
La plupart des entraîneurs, pour des questions de convictions personnelles ou pour ne pas se perdre dans un processus trop aléatoire, se fixent dès le début de la saison un projet de jeu idéal à atteindre et mettent en place toute une programmation pour cela. En opposition, nous avons cherché ici à expliquer un cheminement alternatif, lequel commence à partir d’une analyse des ressources à disposition. Puis, il continue à travers une démarche empirique faisant suite à des observations, des tentatives de corrections ou d’améliorations qui se succèdent, se superposent et se complètent, pour finir par donner un résultat inattendu. Dans notre cas, tout aussi inattendu que notre classement final…
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