Design fiction : une nouvelle manière de se responsabiliser

May-Line
5 min readApr 30, 2020

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Photo by Ben Sweet on Unsplash

Les nouvelles réflexions sur nos méthodes d’innovation n’ont pas pu vous échapper : approche systémique, conception éthique, anticipation des externalités, mesures d’impacts… on tourne autour d’un même sujet. Prendre conscience des conséquences de l’acte de créer et de modifier. On assume pleinement la complexité de notre société, on cherche à voir plus loin et de manière plus responsable. C’est dans cette lignée que je tenais à vous parler du design fiction, non pas dans sa théorie, mais dans sa capacité à responsabiliser.

Mon cerveau face à toutes les thématiques du moment

Quelques rappels avant de commencer :

Si vous vous intéressez au design fiction je vous conseille vivement de suivre Olivier Wathelet et son dossier dans Usbek et Rica, Max Mollon et sa thèse sur le design pour débattre, les agences Design friction et Near Future Lab, qui en parleront bien mieux que moi !

Gardez en tête que le design fiction est la combinaison de l’action du design et des objectifs de la fiction :

  • D’un côté, la capacité à représenter, matérialiser des idées en concepts, pour faire avancer la réflexion (via le prototypage par exemple), que l’on trouve dans le design ;
  • D’un autre, la construction d’hypothèses futures à partir d’éléments du présent et leur mise en scène, que l’on trouve dans la fiction.

Exemple de fictions à piocher dans le cinéma: Minority Report, Ready Player One, Ad Astra, des films qui nous projettent et nous confrontent à des futurs plausibles, qu’ils soient bons ou mauvais.

Le design fiction cherche à nous projeter vers une situation dans laquelle les concepts que l’on imagine aujourd’hui, sont réels et mis en place.

Mais puisqu’une image vaut 1000 mots, c’est là que le design intervient. La projection ou l’immersion fonctionnera grâce à la création d’objets tangibles (des artefacts) qui appuieront votre propos.

Le design fiction c’est donc : Imaginer et maquetter des futurs plausibles car fondés sur des réalités, facilement croyables, pour faire réagir.

Exemple si vous travaillez sur le futur de la communication à 10 ans, il ne suffit pas d’en discuter, il faut le montrer :

Exemple d’artefact — Audio Tooth Implant par les designers Auger Loizeau

⚠️ Attention, toujours faire du design fiction en toute bienveillance.

J’ai expérimenté le design fiction en entreprise :

J’ai d’abord confronté certains de mes collègues à des artefacts simulant des partenariats en cours, entre notre entreprise et d’autres. Ces partenariats, s’ils étaient réels, changeraient fondamentalement notre manière de penser les projets, avec sûrement des choix plus ou moins éthiques. Imaginez par exemple, une collaboration avec un fabriquant d’interface neuronale, ou encore une collaboration avec un grand constructeur automobile. Le tout représenté par de faux articles de presse, des slides corporate, des extraits de fausses conférences, etc.

Quelques réactions entendues

⚠️ Attention, le design fiction est un état d’esprit. Vous aurez sûrement l’occasion de participer à un workshop design fiction mais souvenez vous que la démarche est longue, et que la clé se trouve bien plus dans l’immersion que dans l’animation d’un atelier.

Ensuite, tout le monde a pris part à la création de fictions. En partant d’un extrait filmique questionnant notre rapport à l’intelligence artificielle (sujet lié aux projets en cours), nous avons travaillé sur des scénari et des représentations à 2032 de nos concepts (pas toujours désirables). En s’entraînant chacun dans nos hypothèses nous avons réussi à remettre en question notre propre rapport aux technologies, car nous voyions en nous les usagers potentiels de ces interactions du futur, et nous n’en voulions pas.

Exemple d’hypothèses dérangeantes

Et c’est là que ça devient intéressant. Je vous passe le contenu des exercices car ce qui est à retenir ici est bien plus comportemental : l’attitude des participants.

Tout ça pour quoi ?

Avec cette approche, il n’y avait pas d’expert ou de non-expert : tout le monde avait sa place et la possibilité de réagir. Nous pouvions exprimer nos impressions et nos craintes, réagir personnellement et avec émotions. Ce qui fait du design fiction, une méthode non-élitiste.

« En 2032, notre seule relation sociale sera celle que nous partageons avec notre assistant numérique »

En abordant des hypothèses dérangeantes voire effrayantes, chaque participant met de sa personne dans la réflexion et juge en fonction de ses valeurs. Les partages d’expériences viennent enrichir le débat et formuler différemment la vision des autres. C’est une des rares méthodes à se fier à cette notion d’intuition personnelle : comme si ce que nous ressentions pouvait devenir une nouvelle valeur de mesure.

Dans un contexte professionnel, traiter un projet avec le design fiction, c’est s’autoriser à réagir en tant qu’individu voire en tant qu’usager. C’est se rendre compte de son impact en tant que concepteur. Et c’est ça le défi : plutôt que maintenir notre casquette de créateur, se mettre à la place de l’usager en vivant les conséquences induites par notre concept.

Finalement on y est : anticiper les impacts, mesurer les externalités futures, se responsabiliser, innover de manière éthique, tout ça à travers des méthodes plus ou moins nouvelles. Et chacune d’elles a sa particularité :

Le design fiction complète la prospective car travaille l’aspect émotionnel. Il complète l’anticipation des impacts (que l’on pourrait trouver en design systémique), car il les fait vivre pour mieux en prendre conscience.

Le design fiction vient en complément des autres approches, et au delà de nous projeter, il nous responsabilise :

L’idée n’est pas d’avoir raison ni de trouver réponse à tout. L’idée est de prendre conscience que l’incertitude fait partie de nos projets et que l’innovation n’est pas linéaire. Nous pouvons nous entrainer à réagir, prendre conscience de nos impacts, pour les limiter… car dès lors que l’on crée ou modifie quelque chose, je crois qu’on a un impact. Et toutes les techniques et outils qu’on nous proposent aujourd’hui, peuvent nous aider à améliorer notre posture.

Finalement le design fiction ce n’est pas qu’une affaire de projection ou de création de visions. C’est aussi un moyen de « se mettre à la place de », de concevoir avec moins de distance, de se rendre compte de ce que l’on est en train de faire.

Pour y parvenir en entreprise, il faut se libérer de ses biais : faire un pas de côté et laisser tomber le masque professionnel. Lors de l’expérimentation que je vous cite plus haut, nous n’avons pas rassemblé des collègues. Nous avons rassemblés des humains, avec des émotions, de l’intuition, et de l’honnêteté.

Car c’est ça se responsabiliser : se placer de l’autre côté et voir la réalité que nous sommes en train de créer.

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May-Line

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