La mairie de Paris et le syndicat mixte Autolib abandonnent en rase campagne au moins 33 % des propriétaires de véhicules rechargeables

Marc
11 min readFeb 5, 2017

--

Mise à jour 7 août 2018 : un nouveau billet faisant un bilan de l’arrêt d’Autolib est disponible ici.

C’était prévisible et attendu : profitant peut-être de la torpeur de la trêve des confiseurs, Autolib a annoncé le 28 décembre 2016 une augmentation tarifaire importante sur ses offres : à la fois sur le service d’autopartage (permettant lorsque l’on est abonné de louer une voiture pour quelques heures) et à la fois sur le service de recharge. Ce service de recharge permet aux propriétaires de voitures électriques rechargeables de recharger leur véhicule. La plupart des parisiens n’ayant pas de parking, les bornes Autolib rendaient un important service.

Cette augmentation est certainement (et notamment) liée aux problèmes financiers rencontrés par Autolib (cf. cette analyse : Autolib’ n’est toujours pas rentable et ne le sera peut-être jamais). Le service d’autopartage dont la qualité de service (fonctionnement du système, disponibilité effective d’une place réservée, propreté et état du véhicule) est trop aléatoire (utilisateurs du service pendant plusieurs années, je sais de quoi je parle) et peine donc certainement à fidéliser ses abonnés. Certains utilisateurs du service sont trop irrespectueux et les véhicules sont trop souvent abîmés ou sales. L’autopartage est certainement quelque chose difficile à mettre en place en France. De surcroît, le succès des voitures rechargeables (VE ou hybrides rechargeables) a rempli de voitures “tiers” les bornes de recharges Autolib. Ainsi le nombre de places pour rendre son Autolib est encore moins important, ce qui n’est pas pour aider la satisfaction pour le service d’autopartage.

Le nouveau tarif recharge d’Autolib c’est 5 à 6 € (hors réservation de l’emplacement) pour maximum 40 km d’autonomie électrique. Bref, beaucoup plus cher que de l’essence ou du diesel… alors même qu’un investissement important a déjà été fait pour acheter une voiture rechargeable.

“La fin” de la recharge sur borne Autolib pour soutenir clairement l’autopartage au détriment de la recharge

C’est alors naturellement qu’en plus de l’augmentation tarifaire du service d’autopartage, une augmentation tarifaire conséquente du service de recharge (qui était déjà assez éloigné du coût de l’électricité) a été décidée par Autolib. C’est compréhensible, Autolib est à la base un service d’autopartage (bien que la recharge fasse à priori partie de la délégation de service public mais difficile de savoir si un équilibrage entre les deux avait été prévu), et le syndicat mixte Autolib recherche à rendre ce service à la fois rentable et à la fois qu’il soit le plus utilisé possible. Certains se sont quand même lancé dans une pétition contre l’augmentation tarifaire de la recharge Autolib : https://www.change.org/p/bloquer-l-augmentation-des-tarifs-autolib-pour-les-charges-de-v%C3%A9hicules-tiers

Et je vais être provoquant (mais après plusieurs années d’utilisation du service Autolib, je me pose la question) : on peut cependant se demander si les français sont prêts à l’autopartage : rendre un véhicule propre, ne pas laisser l’Autolib non branchée quand on la rends (la rebrancher), ne pas prendre une place réservée par quelqu’un d’autre, ne pas utiliser l’Autolib comme un véhicule de course, ou comme un véhicule pour y mettre son chien tout mouillé (véhicule qui sent fortement ensuite), ou pour transporter son sapin de Noël qui perds ses épines (que des expériences vécues)... Au départ, enthousiaste par rapport à ce type de service, vu ce qu’en ont fait les utilisateurs, je pense qu’il peut être difficile de proposer ce genre de service dans de bonnes conditions.

Bref, il faut peut être se poser la question : est-ce que vraiment l’autopartage est à privilégier au détriment direct du service de recharge ? d’autant plus que certains ont affirmé que les Autolib étaient alimentées en électricité en dehors de la recharge de la batterie, lorsqu’elles étaient branchées afin de maintenir leur batteries à une température suffisamment importante (cf. http://www.voiture-electrique-populaire.fr/actualites/batteries-lmp-bollore-ecologiques) …

Le service de recharge Autolib n’était pas très optimisé pour maximiser l’occupation des emplacements

Il est à noter que le service de recharge d’Autolib n’était pas optimisé pour maximiser l’occupation des bornes de recharge : réservation possible gratuitement 1 heure 30 avant le branchement de la voiture !!! borne de recharge lente uniquement (3.7 kWh) et tarif de jour et de nuit quasiment identique.

Pour ceux qui voudraient dire que ce n’était pas cher de pouvoir stationner et de se recharger à Paris pour 1 € de l’heure, rappelons leurs que le stationnement est gratuit pendant 2 heures à Paris pour les véhicules rechargeables (avec un disque et la carte véhicule basse émission) et que le stationnement résidentiel est lui aussi gratuit pour les propriétaires parisiens de véhicules électriques rechargeables. Quelques maigres incitations bienvenues…

Le réseau de recharge Belib de la Mairie de Paris très insuffisant

Peut être alors conscient des ces futurs problèmes de disponibilités de bornes de recharge (averti par les équipes de Bolloré ?), la mairie de Paris a lancé en janvier 2016 un réseau de bornes de recharge uniquement dédié à la recharge de véhicules tiers électrique : Belib. Ici pas d’autopartage. Ce réseau est opéré par Sodetrel (c’est aussi une délégation de service public), le réseau appartient à la Mairie de Paris. Sodetrel est une filiale d’EDF.

Sauf que le déploiement de ce réseau de recharge est très en retard (Le Parisien a fait un article pour parler de ces retards en août 2016: http://www.leparisien.fr/paris-75005/paris-les-bornes-electriques-ont-du-retard-a-l-allumage-08-08-2016-6024613.php). Quand on regarde la carte des bornes en service (et mêmes celles prévues), des grosses parties de Paris sont totalement vides de bornes de recharge.

Les bornes Belib. Seules les bornes en vert sont en service. Les bornes en orange sont celles prévues prochainement

Les bornes Autolib sont elles disponibles un peu partout à Paris et certaines communes environnantes (1 084 stations couvrant 97 communes de l’agglomération parisienne).

Les stations Autolib à Paris. Il y a en aussi dans d’autres communes…

Ceci c’est le premier problème : le déploiement de bornes Belib est ridicule à côté de celui des bornes Autolib.

Second problème : la tarification et le mode de facturation de Belib. Autolib propose 3.7 kWh uniquement (recharge lente) et vendait ceci 1 € de l’heure, c’était éloigné du coût du kWh mais cela restait correct : environ 2 à 2.50 € pour 40 km d’autonomie électrique (mais ça c’était l’ancien tarif). Cela ne fait pas faire d’économie par rapport à une voiture essence ou diesel mais au moins on roulait écolo et à un tarif presque comparable à l’essence.

Les nouveaux tarifs Belib à compter du 1er mars 2017

Du côté de Belib, ils ont décidé de faire également une facturation au temps et non à la puissance consommée sauf que Belib, ils proposent jusqu’à 22 kWh et ils le font payer : au-delà de la première heure, Belib facture 2€ les 15 premières minutes supplémentaires puis 4€ /quart d’heure !

Et puis, comme ils veulent (c’est clairement dit dans l’email qu’ils ont envoyé) augmenter le nombre de véhicules électriques pouvant se recharger et favoriser les véhicules à recharge rapide, ils ont décidé de supprimer la gratuité de la recharge du soir (qui était disponible mais uniquement sur prise domestique à 3.7 kWh) à partir 20h sur 2 des 3 bornes d’une station.

Belib a annoncé une augmentation tarifaire à partir du 1er mars 2017

Maintenant, même le soir si on veut recharger sa voiture qui est à recharge lente à 3.7 kWh, et bien, on va payer plus de 17 € pour 2h de recharge sur 2 des 3 bornes d’une station !!!! (toujours pour seulement 40 km d’autonomie électrique vu que c’est à 3.7 kWh et que certaines voitures sont seulement à recharge lente). Il y a sans aucun doute un juste milieu entre 0 € et 17 € pour 2 heures de recharge à 3.7 kWh mais Belib n’en veut certainement pas pour privilégier les recharges rapides sur prises à recharge accélérée jusqu’à 22 kWh.

Tout pour la recharge rapide. Tant pis pour les propriétaires de recharge lente

Exit donc le tarif de nuit (à partir de 20h) qui permettait de recharger sur les prises domestiques (à 3.7 kWh) gratuitement. Seule la borne centrale essentiellement dimensionnée pour les motos au niveau de l’emplacement (c’est écrit sur leur site) garde cette possibilité.

Le principe d’une station Belib : 3 bornes dont 2 sont vraiment utilisables par les voitures électriques

On peut comprendre que Belib/la mairie de Paris aient décidé de favoriser un grand nombre de recharges et de voitures électriques mais ils ne proposent aucune alternative.

Mais au fait, cela représente quelle part ces véhicules électriques à recharge lentes (ceux pour lesquelles la recharge se fait à ≤ 3.7 kWh) ? car si c’est peu de personne, ils ont bien raison à la mairie de Paris de les mettre de côté ! Ils avaient qu’à dépenser plus pour s’acheter une voiture électrique à recharge rapide ! (second degré …)

Plus d’une voiture rechargeable sur trois n’a plus de solution pour se recharger à Paris

Du coup, j’ai pris ma pelle et ma truelle (cela m’a pris un peu de temps), et j’ai compilé les ventes des véhicules rechargeables de ces 4 dernières années (2013, 2014, 2015, 2016) pour avoir une idée de combien cela représente de véhicules la recharge lente. Le nombre de véhicules rechargeables (véhicules électriques et hybrides rechargeables) étant connus et publiés sur Internet par l’AVERE notamment (et repris par les sites Automobile propre ou par le blog EV Sales). J’ai donc fait un tableau compilant les ventes et histoire qu’on ne puisse pas contester l’estimation, je suis parti du postulat pessimiste pour mon argumentaire que les modèles de voitures rechargeable vendues avec la recharge rapide en option (ou devenue disponible) que tout les véhicules de ce modèle étaient à recharge rapide (donc pour un modèle pouvant être à recharge rapide, j’ai considéré que tous les modèles vendus l’étaient). C’est pour cela que l’estimation c’est “au moins”. Pour être tout à fait transparent, vous pouvez vérifier le tableau de mes calculs ici : Estimations de la part de voitures rechargeables à recharge lente. Et donc on arrive au constat suivant : les véhicules rechargeables vendus ces 4 dernières années sont au moins 33 % à être à recharge lente. Donc au moins 1 véhicule sur 3 n’a plus de solution de recharge à Paris (sauf ceux qui ont un parking équipé d’une prise électrique… c’est à dire pas grand monde).

Du coup, certaines personnes (ce n’est pas mon cas, j’ai lu ces témoignages sur twitter ou sur le groupe Facebook Voiture électrique) qui ont un véhicule à rechargement lent ou qui n’ont pas de bornes Belib à proximité ou qui ont besoin de recharger leur véhicule pendant plusieurs heures (et Belib coûte beaucoup trop cher au delà de la première heure), envisagent de revendre leur véhicules électriques rechargeables pour revenir à l’essence (et en plus le certificat Certif Air/Critair a fait le choix incompréhensible de mettre dans la même catégorie 1 les voitures essences récentes et les voitures hybrides rechargeables… quelle honte pour le gouvernement…).

Des alternatives pourraient exister pour ces véhicules mais la mairie de Paris n’a pour le moment pas fait grand chose pour les encourager

Vous allez me dire, vous n’avez qu’à louer un parking et l’équiper d’une prise électrique : mais cela coûte très cher (alors que déjà un véhicule rechargeable c’est déjà assez cher…). Au moins une centaine d’Euros par mois pour une place de parking voir même 150 €/mois pour un parking fermé (c’est mieux pour éviter de se faire voler son adaptateur) sans compter l’équipement de l’emplacement par une prise ou une borne (certainement plusieurs centaines d’Euros voir beaucoup plus, investissement qui pourrait s’avérer être une perte pour une simple location de parking). D’autre part, j’ai soumis l’idée l’année dernière à la mairie de Paris (et encore récemment par email) d’équiper de prises électriques des parkings de la RIVP (qui dépend de la mairie de Paris) qui a un important parc de parkings (la SNCF via ICF La Sablière a aussi un important parc de parking et ne fait pas grand chose non plus à ma connaissance). Cette idée a été soumise à la mairie de Paris via le budget participatif et n’a pas été retenue vous pouvez prendre connaissance de la réponse de la mairie de Paris sur cette page : https://budgetparticipatif.paris.fr/bp/jsp/site/Portal.jsp?page=idee&campagne=C&idee=2307

Vous imaginez, en plus de payer plus d’une centaine d’euros par mois, il faudrait en plus investir pour amener l’électricité jusqu’à sa place de parking ? Ce n’est pas très encourageant pour utiliser un véhicule rechargeable.

J’ai réitéré cette année (et c’était avant l’annonce d’augmentation des tarifs de Belib…) pour demander un investissement plus conséquent dans les bornes Belib : https://budgetparticipatif.paris.fr/bp/jsp/site/Portal.jsp?page=idee&campagne=D&idee=281

Pour conclure

La logique de la Mairie de Paris pour la mobilité électrique à Paris n’est pas aisée à comprendre puisqu’elle est censée encourager clairement les véhicules électriques. Les récentes décisions tarifaires prises sur les réseaux Autolib & Belib excluent de facto plus d’une voiture sur trois de la recharge sur ces bornes. Ceci pour privilégier un service d’autopartage que certains se demandent s’il ne faut pas l’arrêter vu ses problèmes financiers (cf. http://lemobiliste.com/boycotter-autolib/) surtout si cela se fait au détriment de la recharge. Même certains véhicules à recharge rapide (au delà des 33 %), pourraient bien ne pas avoir une recharge suffisamment rapide pour que l’utilisation de borne Belib soit intéressante pendant la première heure … c’est dire si la situation devient incroyable pour une ville censée favoriser la mobilité propre.

Je doute que la mairie de Paris change sa politique (elle pourrait au moins faire en sorte de déployer des prises électriques dans les parking RIVP pour ceux qui veulent contre un surplus mensuel). En tout cas, si vous envisagez d’acheter une voiture électrique, assurez vous qu’elle puisse être à recharge rapide (voir même très rapide). Ne comptez pas sur les bornes Autolib (fournissant que 3.7 kWh de toute façon), vérifiez bien la présence de bornes Belib à côté de chez vous et que votre voiture se recharge rapidement pour avoir suffisamment de km en 1h car la deuxième heure c’est la caisse enregistreuse qui tourne à plein régime. La plupart des hybrides rechargeables sont à recharge lente, donc ne comptez pas trop vous recharger à Paris (ou alors pour la moitié de la batterie la première heure c’est à dire 20 km…). Ironiquement, la vie en maison individuelle (avec une prise électrique à proximité de la voiture) est beaucoup plus adaptée pour une voiture électrique que Paris…

Dernières précisions à propos du mode de facturation par Belib (ajouts tardifs)

Quand on regarde les pratiques sur la recharge électrique à l’étranger : par exemple à Amsterdam (ou dans d’autres pays), la recharge sur les bornes est facturée à l’énergie consommée et non au temps. Ayant déjà discuté avec Belib de ceci, ils m’ont dit qu’ils n’étaient pas un opérateur de revente d’électricité et qu’ils revendaient un service et donc qu’ils ne voulaient pas facturer à l’énergie consommée. Cela peut se comprendre, mais pour être plus juste il faudrait mélanger les 2 aspects : temps passé à recharger et énergie consommée. Mais vu l’investissement très insuffisant dans les bornes de recharge et leur nombre très limité : on peut comprendre que Belib n’ait d’autres choix aujourd’hui (de facturer au temps pour privilégier la rotation sur les bornes). Mais précisément à cause du manque d’investissement… on a pas tous besoin d’une borne à 22 kWh donc faire un investissement conséquent dans des simples bornes équipées de prises domestiques (ou des prises T2 autour de 11 kWH) serait déjà bien.

--

--