La Ruche qui dit Oui ! Histoire d’un gâchis.

Marc-David Choukroun
4 min readJan 10, 2023

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Les trois fondateurs de la Ruche et nos deux premières stagiaires, Marie-Clothilde et Camille.

Début 2018, les investisseurs de la Ruche qui dit Oui ! me poussèrent vers la sortie de l’entreprise que j’avais montée avec Guilhem Chéron et Mounir Mahjoubi en 2010.

Selon eux, notre projet était une « réussite par accident ». Il était temps d’installer un leadership plus sénior.

Pour me remplacer, ils installèrent un patron au profil dit plus classique, grande école de commerce, parcours lisse et sans accroc.

Un des investisseurs jugea bon de me préciser « que les gens de chez nous, les méditerranéens, ne savions pas masquer nos émotions ».

Il était temps de mettre quelqu’un qui saurait faire le jeu des investisseurs, sans trop d’émotions donc.

Ce qui était neuf et qui a fait le succès rapide de la Ruche, c’était son modèle décentralisé et transparent. Il offrait à des groupements locaux, la possibilité de s’auto-organiser pour acheter les produits en direct des agriculteurs près de chez eux. Pour offrir ce service, un Responsable local touchait une commission de 10% des ventes.

A son arrivée, la nouvelle Direction limita les moyens de développement du service historique pour favoriser le développement de nouveaux services de distribution. Favorisant toujours les circuits courts, ces nouveaux services avaient un fonctionnement plus classique offrant de la livraison à domicile et de l’achat en boutiques, dans les deux cas gérés de manière centralisée par la Société mère.

Ces nouveaux services ne furent jamais rentables. Le service historique non plus mais la pandémie est venue changer la donne : elle a permis à l’entreprise d’être super rentable pour la première fois.

Les milliers de responsables de Ruches et de producteurs du réseau se sont alors mobilisés pour maintenir les distributions malgré les risques sanitaires. Les chiffres ont été multipliés par trois !

Dans ma Ruche, nous étions une dizaine pour assurer la distribution des 300 commandes hebdomadaires du premier confinement, et cela dans le respect total des règles sanitaires de l’époque. Ce fut un grand moment de solidarité et d’humanité. C’était ça la beauté et la puissance de ce projet rêvé, devenu réalité.

Malgré ce succès manifeste, les moyens de développement continuèrent de se porter sur les nouveaux services.

En l’espace de quatre ans, quasiment rien n’a été fait pour prendre en compte ce nouvel essor. En conséquence, le réseau se mit à décroitre.

Le résultat de ce manque de vision ne se fit pas attendre : début 2022, il y avait moins de Ruches qu’à mon départ en 2018.

A cela, s’est ajoutée la crise économique actuelle qui a donné un coup dur à toute l’entreprise, les consommateurs favorisant des courses à prix “discount”.

En mars dernier, alerté par la situation, je proposais à l’investisseur à l’origine de mon départ de le rencontrer, et tenter de sauver ce projet dans lequel j’avais mis toutes mes forces, et ce malgré la violence des circonstances de mon départ.

Il finit par reconnaître par mail, plusieurs mois plus tard qu’il était « tout à fait d’accord sur le fait que la force de la Ruche, c’est son réseau et que les projets de circuits courts centralisés ont été essentiellement des échecs, beaucoup d’hypothèses initiales ayant été déstabilisées au cours du temps. » Il ajoutait, toujours aussi délicat, « Peu importe, ne passons pas trop de temps à regretter ou blâmer… ».

Effectivement, ne passons pas trop de temps à blâmer.

Concentrons-nous sur la suite. L’arrivée d’une nouvelle Direction et le focus sur le réseau historique de la Ruche sont des nouvelles positives malgré la dureté des moments traversés par l’ensemble du réseau, et la tristesse de voir autant de salariés quitter l’entreprise.

Aujourd’hui, je souhaite le meilleur à la nouvelle co-direction Adrien Sicsic et Philippe Crozet.

J’espère qu’ils réussiront à faire de nouveau vibrer haut et fort ce merveilleux réseau en revenant à ses fondamentaux.

Je crois toujours que les circuits courts alimentaires sont l’avenir. Bien organisés, ils permettent de manger mieux et moins cher qu’en passant par les circuits longs de la grande distribution. Surtout ils permettent aux producteurs de mieux vivre de leur métier et à l’agriculture d’accélérer sa transition.

J’espère que cette tragédie de la performance financière (ratée) servira de leçon à toutes celles et ceux qui souhaitent développer des entreprises différentes, plus humaines et plus alignées au contexte écologique et socio-économique actuels.

Je les invite à être très attentifs aux investissements qu’ils acceptent et aux promesses qu’ils font pour les obtenir.

Avec le mauvais modèle de financement, ces promesses pourraient se retourner contre eux, les amener à quitter leur entreprise, et à la voir suivre le chemin de l’ancien monde, détruisant de la valeur, économique certes, mais également sociale et humaine.

Et je me dis au lendemain de cette histoire, certes attristé par la tournure des événements, que finalement, construire et piloter une entreprise avec ses émotions, c’est peut-être pas si mal.

Haut les cœurs.

Marc-David

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