Part XI — “My mouth is shut so my head doesn’t hurt”

Marion Gachet Dieuzeide
6 min readAug 13, 2017

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Avant d’arriver en Hongrie, j’avais de très grosses appréhensions, voire même une certaine crainte. Dans la bouche d’activistes d’autres pays j’entendais souvent : “Tu vas en Hongrie ?? Bon courage” ou encore “J’ai fait la route des Balkans, la Hongrie c’est le seul endroit où j’ai eu réellement peur. Les policiers sont des malades”. Une petite sensation de débarquer en Corée du Nord. Arrivée à Budapest, je suis presque déçue. Pas de milices dans les rues, pas de graffiti racistes sur les murs : il fait plus que bon vivre à Budapest.

Aux côtés des militants de Migzsol Budapest, une association qui sensibilise les Hongrois sur la question des migrants et dénonce les mesures plus que douteuses du gouvernement vis-à-vis des exilés, je découvre la situation du pays. Depuis Mars les seuls migrants présents sur le territoire hongrois sont enfermés dans des camps à la frontière, à Röszke et Tompa. Le travail des associations dans la capitale consiste donc à aider ceux qui ont réussi à s’installer ici il y a plusieurs années déjà, mais surtout à sensibiliser la population et à dénoncer le virage autoritaire qu’a pris Viktor Orban et ses petits camarades.

Je prends ensuite la route pour Szeged, une des grandes villes du pays, à la frontière avec la Serbie. Là-bas je rencontre Mark, ancien professeur de psychologie sociale à l’université, aujourd’hui journaliste et membre très actif de Migzsol Szeged.

Au printemps/été 2015 beaucoup de réfugiés sont arrivés à la frontière Hongrie-Serbie, et marchaient jusqu’à la gare de Szeged où ils espéraient prendre le train pour Budapest, puis pour l’Autriche, etc. Alors que les flux de personnes deviennent de plus en plus conséquents, Mark monte avec son groupe d’amis de la radio communautaire (Radio Mi) un groupe local de charité dans la gare. Ils collectent vêtements, nourriture, médicaments, et organisent l’espace dans la gare. Si SOS Village Children et UNHCR Szeged sont aussi présents, Mark s’esclaffe : “Franchement, en quelques mois, on est devenus quasi professionnels”. Ils sont près de 150 volontaires durant l’été, et certains jours ce sont entre 6000 et 7000 migrants qui arrivent à la gare… A l’époque, le gouvernement leur fournissait un papier officiel “pour pouvoir circuler librement dans le pays pendant 48h” : en réalité, personne ne contrôlait et cela permettait surtout qu’ils quittent le pays le plus vite possible.

Le lundi 14 Septembre 2015, les militaires hongrois pose les derniers barbelés nécessaires pour fermer la frontière de 175 km de long avec la Serbie. Pour les migrants sur place, c’est la dernière tentative : 9 380 personnes traversent la frontière dans la seule journée de lundi. A minuit, rentre en vigueur une loi pénalisant de trois ans de prison ferme toute traversée illégale de la clôture. Cerise sur le gâteau, une loi est votée qui autorise les militaires à tirer sur les migrants (à condition que les tirs ne sont pas mortels, bien évidemment, ce ne sont pas des monstres tout de même). Par ces trois mesures anti-migratoires, le gouvernement affiche clairement sa position quant à la crise migratoire.

A l’automne, le flot de réfugiés est donc stoppé. L’équipe de Mark se retrouve avec beaucoup de donations, surtout des vêtements et de nourriture. Ils décident de les donner à travers différentes branches : à des groupes de volontaires indépendants qui allaient dans les Balkans, à des associations officielles, mais aussi à des familles hongroises défavorisées, vivant près de la frontière et dont les champs ou villages ont été souvent impactés (récoltes piétinées, chiens qui aboient tout le temps, déchets et bruit, etc). Ainsi, Migzsol se protégeait (et répondait) à la critique nationaliste “vous aidez les étrangers mais pas les Hongrois eux-mêmes, vous êtes des traîtres, etc”.

La géographie c’est bien parfois

En octobre 2016, la Hongrie ferme sa frontière avec la Croatie et annonce la fermeture sur une “partie raisonnable” de sa frontière avec la Roumanie. Le groupe de Visegrad réunissant Hongrie, Slovaquie, Pologne et République tchèque affirme leur opposition à la politique migratoire de l’Union Européenne. Le nouvel ennemi ce n’est plus seulement les migrants, mais aussi Bruxelles, comme en témoigne le fameux épisode du référendum. Le gouvernement annonce que les citoyens Hongrois devront, le 2 octobre 2016, se positionner sur la question suivante : « Voulez-vous que l’Union européenne décrète une relocalisation obligatoire de citoyens non hongrois en Hongrie sans l’approbation du Parlement hongrois ? ». Autrement dit : est-ce que vous vous opposez au plan de relocation décidé par l’Union Européenne qui impose des quotas de réfugiés dans chaque pays membre (sachant que la Hongrie devait accueillir environ 1300 personnes réfugiées).

S’en suit une campagne de communication absolument terrifiante : chaque foyer se voit recevoir un livret dépeignant le terrible “fléau de l’immigration”, avec des chiffres complètement faux, des propos mensongers, des photos d’hommes seuls et de violence. En parallèle, les villes sont placardées d’affiches “Did you know?”, avec des propos comme:

Le saviez-vous ? Les attaques terroristes de Paris ont été perpétuées par des immigrés. Le saviez-vous ? Près d’un million d’immigrés attendent en Libye pour venir en Europe. Le saviez-vous ? Depuis le début de la crise migratoire, l’harcèlement des femmes a augmenté en Europe”.

Le petit livret du gouvernement reçu dans chaque foyer hongrois, montrant les migrants comme des bêtes sauvages

Vu de l’extérieur, on hésite entre rire et pleurer. Là, la société civile se réveille. Un collectif de 22 organisations non-gouvernementales appellent les électeurs hongrois à boycotter ce référendum. En tête, le parti hongrois du Chien à Deux Queues, partie politique parodique né en 2006, réplique avec une campagne similaire avec des phrases telles que :

«Le saviez-vous ? Un arbre peut vous tomber sur la tête.», «Le saviez-vous ? Un Hongrois moyen a vu plus d’OVNI dans sa vie que de réfugiés.», «Le saviez-vous ? De la Hongrie, plus d’un million de personnes aimeraient aller en Europe.»

Bref, une très belle bataille de communication. Et puisque la communication ne peut exister sans manipulation, l’aboutissement de ce référendum est très intéressant. Pour qu’un référendum soit valide, 50% des inscrits doivent s’être déplacés. Hors, seuls 39,8% des inscrits ont voté. Cependant, 98% des votants ont répondu “non”. Ce qu’il est intéressant de remarquer, c’est que si légalement le référendum a échoué, donc le boycott a réussi, le gouvernement clame lui une grande victoire, et récupère cet événement pour appuyer sa politique anti-migration. Du grand délire, donc.

Plus récemment, Orban a continué ses mesures répressives notamment en adoptant en mars 2017 une nouvelle loi qui oblige toute demandeur d’asile pénétrant sur le territoire à séjourner dans un des deux camps de détention à la frontière (Tompa et Röszke). Beaucoup d’organisations interpellent la communauté internationale. En mai, l’Europe réagit enfin et menace de mener des procédures d’infraction contre la Hongrie et la Slovaquie pour ne pas respecter les injonctions européennes concernant le droit d’asile.

Je suis assez interloquée par toutes ces informations. Combien de personnes savent-elles réellement ce qu’il se passe en Hongrie ? Pourtant, ma question -bien que naïve — persiste : les Hongrois seraient-ils intrinsèquement xénophobes ?

C’est Mark qui m’apporte la réponse la plus proche, très probablement. Il me parle d’un proverbe hongrois, qui se traduirait comme cela : Ma bouche se tait, ainsi ma tête ne souffre pas”. Non, les Hongrois ne sont pas plus racistes, plus xénophobes que ses voisins. Ils sont juste confrontés à une lecture de la société complètement manichéenne, orchestrée par les médias, et par le gouvernement. Alors face à cette situation complexe et difficile, ils devient plus facile de se taire et de “manger ses schnitzels en famille le dimanche” (avoir une petite vie confortable).

Photographie prise lors d’une manifestation à Budapest

A mes yeux, ce proverbe est clé pour lire tout ce qu’il se passe aujourd'hui en Europe. On pourrait l’appliquer absolument partout, et c’est exactement le risque qui menace notre époque. Qu’on la fasse taire ou qu’elle se taise d’elle-même, la société civile qui ne réagit plus laisse place aux pires injustices. Ce comportement civil, combiné à un gouvernement autoritaire, peut mener à une réelle perte d’humanité.

Qui sait, dans quelques années nous accueillerons peut-être (de nouveau) des réfugiés hongrois…

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Marion Gachet Dieuzeide

Travelling to Europe to meet grassroot initiatives and citizens acting for migrants — Folk It Up