Quelle agriculture pour la santé ?

Duru
5 min readJun 4, 2023

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L’agriculture est souvent décriée pour ses impacts environnementaux. Moins connus sont ses effets sur la santé humaine, et les voies de progrès possibles en France.

https://centdegres.ca/ressources/rapport-eat-lancet-le-defi-de-nourrir-10-milliards-d-humains-en-2050

Les points faibles de l’agriculture pour une alimentation santé

Le nombre de personnes atteintes de maladies chroniques non transmissibles augmente : l’obésité et le diabète de type 2 ont triplé depuis 1980 pour atteindre respectivement 15% et 5,3% de la population. Ces deux maladies favorisent aussi le développement d’autres maladies chroniques telles que les cancers, les maladies cardio-vasculaires et plusieurs maladies inflammatoires affectant l’intestin, le cerveau….).

Pour une alimentation santé, nous ne consommons pas suffisamment de fibres (90% des Français n’ont pas le niveau requis de 30g/jour), d’anti-oxydants, ainsi que d’oméga 3 (95% des Français n’ont pas le niveau requis de 2g/jour) fournis par les produits animaux sous réserve que leur alimentation soit adaptée.

Une consommation et une production insuffisantes de légumineuses, fruits et légumes

Les légumineuses (lentilles, pois chiches, haricots…) sont source de protéines, mais aussi de fibres et de micro-nutriments essentiels au bon fonctionnement de notre microbiote. Nous en consommons 1,7kg/an (contre 7kg dans les années 50), et nous en importons l’équivalent de 37 000 ha, pour beaucoup en provenance du Canada (la plupart plus traitées qu’en Europe). Pour la santé, il faudrait quintupler leur consommation, donc la production.

Quant aux fruits et légumes, principaux pourvoyeurs d’anti-oxydants, il faudrait doubler leur consommation (et la diversité des espèces et variétés consommées) pour notre santé alors que nous importons l’équivalent de ce que nous produisons. Doubler notre consommation nécessiterait d’en cultiver 700 000 ha supplémentaires.

En résumé, l’ultra-spécialisation de l’agriculture, principalement autour des céréales, fait que nous ne produisons pas ce qui nécessaire à notre santé. En l’état, notre souveraineté alimentaire est donc très défaillante pour une alimentation santé.

Des modes d’élevages qui ne valorisent pas le potentiel santé des produits animaux

Les produits animaux fournissent des protéines de qualité, mais ils diffèrent beaucoup pour leur composition en acides gras indispensables : leur teneur en oméga-3 varie du simple au double selon l’alimentation des animaux. Pour les ruminants, une alimentation à base d’herbe en comparaison du système maïs-soja permet de doubler la teneur en oméga 3 du lait et de la viande, et ainsi de passer de produits ayant une fonction inflammatoire (ratio oméga-6/oméga-3 voisin de 8) à anti-inflammatoire (ratio voisin de 2). Seulement 35% du lait est produit à l’herbe, et 20% des animaux sont engraissés à l’herbe.

L’alimentation courante des monogastriques conduit aussi à des produits à fonction inflammatoire. Par contre, la complémentation des rations en lin permet d’au moins doubler la teneur en oméga 3 des produits. La filière Bleu Blanc Cœur qui garantit une telle composition des produits ne correspond cependant qu’à 2% (viande) à 10% (œufs) des parts de marché.

Une agriculture trop dépendante des pesticides

Malgré les deux plans Ecophyto, la quantité de pesticides utilisés en agriculture n’a pas baissé. La quasi-totalité des produits agricoles européens mis en marché correspond aux normes de toxicologie. Cependant, on sait maintenant que ces normes ne sont pas adaptées. D’une part de nombreux pesticides sont des perturbateurs endocriniens agissant à de très faibles doses. D’autre part, il y a des effets cocktails. Il n’est donc pas surprenant que les études épidémiologiques réalisées sur un grand nombre de personnes montrent que toutes choses égales par ailleurs, les personnes qui consomment le plus de produits bio ont un risque réduit de diabète, de cancers et de certaines maladies du cerveau.

Une agriculture vertueuse pour la santé : des opportunités à saisir

Un élevage redimensionné et réorienté

Il est maintenant montré qu’une alimentation santé nécessite de réduire la consommation de viande rouge et de charcuterie : respectivement 1/3 et 2/3 des français dépasse les recommandations de 500g de viande rouge et de 150 g de charcuterie par semaine. La consommation de fromage devrait aussi être réduite. C’est aussi un impératif pour l’environnement. Dans tous les cas, le comportement du consommateur est clef, sinon il y a perte de souveraineté alimentaire comme on l’observe actuellement avec l’augmentation de consommation de poulet ! Ces nécessaires changements dans notre alimentation (diviser la consommation de viande par deux) doivent aller de pair avec des changements dans les modes d’élevage.

Pour les ruminants, il importe de circonscrire leur alimentation aux surfaces en herbe (pâturée, ensilée). C’est un atout pour la santé et l’environnement. Un élevage réduit, basé sur l’utilisation des prairies, permettrait de libérer 4 à 6 millions d’hectares de terres arables, à utiliser pour cultiver des fruits, légumes et légumineuses. Généraliser la complémentation de l’alimentation des monogastriques avec du lin, outre les effets santé attendus, contribuerait aussi à diversifier les systèmes de culture.

Une agriculture multi-fonctionnelle et régénératrice

Une des raisons pour lesquelles l’agriculture ne parvient pas à réduire l’utilisation des pesticides vient du fait que les politiques publiques soutiennent bien plus les technologies que la biodiversité. Or il est maintenant scientifiquement montré que l’augmentation de la biodiversité dans les sols et les paysages sont des leviers incontournables. La diversification des cultures, la couverture permanente du sol, jointes à la réduction du travail du sol, permettent de réduire la dépendance aux insecticides et aux fongicides. C’est aussi une condition pour élargir la gamme de produits alimentaires peu ou pas transformés nécessaires à notre santé, qu’il s’agisse des fruits et légumes que des légumineuses.

Les technologies du numérique, de la robotique et de la génétique doivent venir en complément de la diversification des cultures pour réduire l’utilisation des pesticides. Il n’en reste pas moins que les adventices font problème lorsque le travail du sol est supprimé. Là encore, la diversification des cultures par l’introduction d’espèces nettoyantes (comme la luzerne et le chanvre) est une précieuse alliée. En outre, ces cultures de diversification répondent à des besoins non alimentaires : respectivement énergie et biomatériaux.

Les changements à faire pour la santé et l’environnement sont les mêmes !

S’attaquer séparément aux grands défis conduit à une multitude d’injonctions et de mesures qui sont peu efficaces, rebutantes et lourdes à mettre en œuvre par les acteurs de l’agriculture. Une vision systémique des enjeux permet d’identifier des mesures ayant des effets synergiques pour la santé, l’environnement et la souveraineté alimentaire. Mais leur mise en œuvre demande des coopérations entre tous les acteurs du système alimentaire, y compris les consommateurs, ainsi qu’un décloisonnement des politiques publiques au-delà de la PAC pour prendre en compte l’alimentation et la santé !

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