Marc Fellous et Jacques Beckmann
Dans la problématique de la généalogie humaine, un individu cherche à répondre aux questions de ses origines :
- lien de filiation ou de parenté avec d’autres individus connus ou inconnus ?
- recherche de ses ancêtres ?
- origines géographiques possibles ?
On tire profit du fait que même si, à première vue, nous possédons tous le même patrimoine génétique, même si nous sommes tous semblables, de subtiles différences génétiques (ou polymorphismes) peuvent nous renseigner sur ces questions. Dans ce but, la science n’avait essentiellement recours, il y a encore quelques années, qu’à l’analyse des groupes sanguins ABO ou des groupes tissulaires HLA, relativement pauvres en variants (ou allèles), et donc peu informatifs pour les questions qui nous concernent, ou délicats à réaliser.
Dans les années 1980 fut découvert le premier variant de l’ADN, suivi en quelques années par des centaines, puis des milliers d’autres. Ces derniers ont rapidement été remplacés par un nombre bien plus grand encore de marqueurs génétiques. La grande majorité de ces nouveaux marqueurs — regroupée sous le vocable de SNP (prononcé snip) pour Single Nucleotide Polymorphism (variation d’un seul nucléotide, l’élément constitutif du génome) — présentait l’avantage d’être bien plus facile à mettre en évidence. Cette évolution technologique ne s’arrêta pas là.
Aujourd’hui, grâce au séquençage de l’ADN à grande échelle, procédure robotisée, peu coûteuse et qui de ce fait a pu être réalisée sur des centaines de milliers d’individus issus de différentes populations humaines ou ethnies, nous disposons de dizaines de millions d’allèles dispersés le long de tous les chromosomes.
Ainsi le généalogiste a, à sa disposition, des panels de marqueurs génétiques utilisés pour l’analyse de leur ségrégation au sein de familles, mais aussi pour la constitution de données ethniques ou géographiques de référence. Il faut noter aussi que les méthodes d’analyse de ces variants sont également praticables sur des échantillons de restes humains, ouvrant ainsi un tout nouveau champ d’activités scientifiques.
On relève trois étapes de la génétique en généalogie :
- Prélèvement des cellules salivaires à l’aide d’un écouvillon mis dans un tube de conservation envoyé au laboratoire où l’ADN est extrait des cellules.
- Amplification de l’ADN par la méthode dite de PCR (polymerase chain reaction).
- Recherche des polymorphismes de l’ADN du chromosome Y et de l’ADN mitochondrial.
Mais revenons-en au génome, le support de l’information génétique transmise de génération en génération, des parents à leurs enfants.
Le Génome humain
Il est distribué sur 23 paires de chromosomes, 22 paires d’autosomes et la paire XX chez la femme et XY chez l’homme (X et Y sont les symboles représentant les chromosomes sexuels). Ces chromosomes peuvent être considérés comme des structures linéaires composées des quatre éléments de bases de l’ADN, les bases A, C, G et T. L’ensemble des chromosomes, qui contiennent 3 billions de paires, englobent l’information génétique. Les estimations varient de 28 000 à 34 000 quant au nombre de gènes compris dans le génome.
Alors qu’en principe on peut utiliser les données fournies par l’ensemble du matériel génétique, dans de nombreuses études deux entités sont préférentiellement analysées car elles présentent des attributs particulièrement intéressants : le chromosome Y, transmis de père en fils et le génome mitochondrial ou mt, transmis par la mère à tous ses enfants.
Le chromosome Y possède 60 millions de paires de bases, contre 153 millions pour le chromosome X et plus de 3 milliards pour l’ensemble de tous les chromosomes. Ces derniers se trouvent à l’intérieur de la cellule dans une structure qu’on appelle le noyau. L’ADN mitochondrial (ADNmt) se trouve au sein des mitochondries dans le cytoplasme qui entoure ce noyau, et est par conséquent séparé des chromosomes. Le génome mitochondrial est constitué de seulement 16 569 paires de bases.
Les différents types de variants génomiques polymorphiques et Haplotypes
Bien que comprenant essentiellement la même information, nécessaire à la vie, le génome de chaque individu, lui, est unique. Il se distingue des autres génomes des membres de son espèce par la présence de polymorphismes génétiques, qu’il partage avec ses apparentés. Mais d’où proviennent ces polymorphismes ?
- Le génome est plastique. L’ADN, le support de l’information génétique, est une structure hélicoïdale en double brin, comme une autoroute où les deux brins vont en sens opposé. Quoique l’ADN soit extrêmement stable, au cours des générations successives, de nouvelles mutations, qu’on appelle variants, apparaissent continuellement. D’autres disparaissent. Par analogie, ces mutations, distribuées sur tout le génome humain, peuvent être comparées à des fautes d’orthographe faites en recopiant un texte. Alors que certaines mutations peuvent être délétères et résulter en l’une ou l’autre maladie génétique, la majeure partie d’entre elles est sans conséquences majeures sur la vitalité de l’organisme. En première approximation, on considère qu’il y a deux classes de variants, touchant soit une ou quelques paires de bases, soit de plus grandes régions génomiques. Nous verrons d’abord ces différents types de variants ou polymorphismes de l’ADN, dénommés SNP.
- Les SNPs : il y en a plusieurs centaines de millions par chromosome. Ils peuvent être analysés grâce à des amorces spécifiques d’ADN par des minirobots. Les marqueurs génétiques, s’ils sont présents sur un même chromosome, sont dits génétiquement liés : plus ils sont proches, plus forte sera cette liaison, plus ils auront tendance à être transmis ensemble au cours des générations, principe sur lequel reposent les analyses généalogiques.
- Les STR ou microsatellites sont des petites séquences d’ADN qui se répètent à l’identique et dont le nombre de répétitions varie d’un individu à l’autre. Le chromosome Y ou le génome de la mitochondrie (mt) sont particulièrement riches en STR, ils sont génétiquement liés. Pour un chromosome donné, la transmission stable d’une génération à l’autre d’une combinaison regroupant plusieurs STR ou autres marqueurs génétiquement liés, définit un bloc nommé haplotype.
Haplotypes Y et mitochondrial en généalogie
Des études d’ADN de populations humaines ont permis de catégoriser une série d’haplotypes humains. En généalogie, on utilise essentiellement deux sortes d’haplotypes : les haplotypes définissant le chromosome Y hérité de père en fils, et ceux de l’ADN mt, toujours hérités de la mère. Le premier renseigne donc sur les ancêtres de la lignée patrilinéaire et le second sur la lignée matrilinéaire.
Les haplotypes Y-ADN sont également utiles pour déterminer si deux individus apparemment non — apparentés mais portant le même nom de famille descendent bel et bien d’un même ancêtre commun dans un passé pas trop lointain (3 à 20 générations). Pour le savoir, on compare les haplotypes des marqueurs STR. Les tests de SNP, quant à eux, permettent de retracer des origines ancestrales beaucoup plus lointaines.
L’étude des haplotypes mitochondriaux permet de retracer l’histoire des migrations des populations telle que « racontée » par la lignée matrilinéaire. En Europe, les haplotypes ADN mt sont répartis de manière relativement homogène sur le continent.
L’étude des haplogroupes (groupes d’haplotypes) du chromosome Y est beaucoup plus intéressante que ceux de l’ADN mitochondrial. Deux raisons peuvent être évoquées :
- Tout d’abord, le chromosome Y est une séquence de 60 millions de paires de bases contre seulement 16 569 pour l’ADN mt. Le chromosome Y offre donc une résolution beaucoup plus grande par la fréquence accrue de mutations ; de par sa taille, le chromosome Y est bien plus informatif que l’ADN mt.
- Les hommes ont traditionnellement été moins mobiles que les femmes (sauf pendant les invasions militaires, comme celles des Indo-Européens, des Vikings ou des Arabes). Dans presque chaque société sédentaire et agricole, les hommes sont ceux qui héritent de leurs parents et restent donc au même endroit de génération en génération.
Chromosome Y et populations humaines
Il y a 60 000–70 000 ans, Homo sapiens a migré vers les autres continents, parfois en se mélangeant avec Homo neandertalis, comme l’atteste la présence d’haplotypes ou marqueurs de cette espèce dans le génome des humains d’aujourd’hui.
L’Europe a été colonisée par Homo sapiens sapiens il y a 40 000–50 000 ans.
Puis il y a environ 10 000 ans, on le retrouve dans plusieurs régions dont le Moyen-Orient. Ces fermiers du néolithique se sont déplacés vers l’Europe, l’Afrique du Nord et l’Inde⁴ comme l’indique la figure 3.
A ce jour, il a été trouvé au moins 18 types d’haplotypes Y dans les populations humaines indiquées (cf. figure 4) et présentés par la nomenclature de l’alphabet de A à R. Les populations d’Afrique portent préférentiellement l’haplotype A. Les populations du Moyen-Orient portent préférentiellement l’haplotype J (vert) et ses nombreux groupes.
Arbres phylogénétiques : relation populations/individus
Comment ces relations sont-elles représentées ? Elles le sont sous forme d’arbre si l’ancêtre est connu. La distance entre individus est fonction du nombre de générations qui les séparent.
Si la présence d’ancêtres est inconnue, on parle d’arbre en réseau (figure 5), sous forme étoilée où la longueur de chaque branche définit la distance génétique entre individu/population, ou le nombre de variants qui les séparent. Le nombre d’individus/population est représenté par la dimension de chaque nœud ou cercle.
La distance génétique entre populations se mesure par le facteur Fst : Fst varie de 0 (aucune différence) à 1 (complètement différentes). Pour les populations humaines Fst est faible (de 0,015 à 0).
Il y a peu de différence entre populations humaines comparée à la diversité au sein d’une même population.
HapMap ou le projet « 1000 génomes et plus »
Le projet du Pr Jean Dausset (dans son Centre d’Etude du Polymorphisme Humain [CEPH] à Paris) de caractériser différentes populations humaines à l’aide de ces marqueurs génétiques, a débuté dans les années 1980. Depuis, grâce aux méthodes de séquençage à haut débit et à leur faible prix, les polymorphismes de différentes populations d’Afrique, d’Europe et d’Asie ont été analysés à l’aide de plusieurs millions de SNP. Ce gigantesque projet avait pour but d’analyser la diversité des populations dans le monde, avec aussi un intérêt pour la génétique médicale.
- Ce projet a permis de découvrir que la diversité génétique varie différemment entre populations, elle est plus forte en Afrique, puis en Asie et puis en Europe. Ces observations sont en accord avec l’origine africaine de l’Homme.
- Sont aussi observés des variants polymorphes très fréquents (dits publics, et le plus souvent communs à toutes ces populations) et des variants très rares (dits privés, et fréquemment plus jeunes, c’est-à-dire étant apparus plus récemment, après la séparation de ces populations) et donc plus spécifiques de certaines sous-populations humaines. Ces travaux permettent d’analyser la structure comparative des populations dans le monde.
La diversité génétique de 12 populations d’Europe a été étudiée dans le cadre du projet « 1000 génomes » : les 12 populations sont représentées par leurs 12 couleurs respectives (voir figure 6).
Analyse comparative de la structure génétique de différentes populations
Ces données sont résumées dans la figure 7 ci-dessous. Chaque ligne verticale représente le profil des polymorphismes d’un individu. Les analyses informatiques de la diversité génétique de ces individus permettent de visualiser leurs proximités telles que représentées dans la figure. On découvre que chacune des populations dans le monde se regroupe en « cluster » et, fait surprenant, qu’elles peuvent se superposer avec leurs localisation, géographie et possible sens de migration : rouge/Afrique, vert/Europe, bleu-clair/Pakistan, orange/Asie, bleu/pacifique, violet/Amérique.
L’haplogroupe Y dans les populations du monde
Un simple frottis buccal permet de réaliser dans un laboratoire un test ADN du polymorphisme Y, de l’haplotype et de l’identité génétique personnelle. Cette donnée sera comparée avec les bases de données de références. Ainsi tout dépendra de la taille de la base de données et des particularités de l’haplotype concerné, plus ou moins rare.
Comme il s’agit de génétique de populations, les résultats statistiques indiqueront la probabilité que l’haplogroupe étudié se retrouve dans la base de référence et sa fréquence indiquera la probabilité des résultats. Comme indiqué dans la figure 6, les haplotypes n’ayant pas la même répartition de fréquence dans le monde, une information géographique sera formulée, mais là encore en termes de probabilité : plus l’haplotype est rare, plus les résultats seront précis.
Génétiques de populations juives : quelques exemples
Pour ce qui est des populations juives séfarades, tout nous ramène au bassin méditerranéen avec comme épicentre le Moyen-Orient.
Juifs de Tunisie
Ce travail a été réalisé dans le cadre du projet international AvotaynuDNA, en association avec le Cercle de généalogie juive, impliquant : généalogistes, historiens, généticiens et démographes appartenant à diverses institutions académiques. Le travail porte sur l’histoire du peuple juif et, en particulier, des Séfarades dans le monde. Une centaine de volontaires originaires de Tunisie ont donné leur ADN selon le protocole de la figure 1. Leurs 60 STRs du chromosome Y ont été analysés.
Sept haplotypes Y ont été trouvés avec des fréquences variables : J-M172 plus fréquent que E-M35>R-M198>G-M201, J-M267, R-M269, T-M70. Dans les bases de données, l’haplotype J-M172 est présent dans des fréquences plus élevées au Caucase et dans le Croissant fertile/Irak, et s’étend à l’ensemble de la Méditerranée. On le retrouve dans les proportions suivantes : chez les Séfarades, 39 % ; en Égypte, 18 % ; Syrie et Liban, 26 % ; Palestine, 19 % ; Italie, 15 %, Libye, 4 % ; Algérie, 4 % ; et Tunisie, 2 %.
Dans un travail de 1994, nous avions étudié les haplotypes Y des populations juives de Tunis et de Djerba, et nous les avions comparés à différentes populations dans le monde. La figure 8 montre que les populations juives analysées : Ashkénaze (Ash), Afrique du Nord (Naf), Yémen (Yem), Djerba (NeJ), sont génétiquement proches des Libanais, des Druzes et des Palestiniens du Moyen-Orient, et sont distinctes des populations autochtones d’Afrique du Nord.
Il faut souligner qu’Ashkénazes et Séfarades, malgré une longue séparation de plusieurs dizaines de siècles, sont bien proches génétiquement.
Remarquons aussi la situation des Juifs éthiopiens (Etj), plus proches des populations africaines que le reste des communautés juives. D’autres marqueurs, y compris ceux de l’ADN mitochondrial, pourraient mettre en évidence d’autres proximités génétiques et historiques.
Les Cohanim
Le Pr Karl Skorecki de la faculté de Médecine de Haïfa voulut vérifier si les Cohanim qui, selon la tradition juive, descendent d’Aaron, grand prêtre du Temple, possèdent en commun un même haplotype Y : le Cohanim modal haplotype (CMH).
Cet haplotype Y CMH devrait être présent chez les Ashkénazes et chez les Sépharades Cohanim, et être quasiment absent chez les non-Cohanim.
Que révèle son travail ? L’haplotype CMH est retrouvé bien plus fréquemment chez les Cohanim, mais on le retrouve aussi, bien qu’à une moindre fréquence, chez les non Cohanim. En fait deux CMH sont retrouvés : CMH et CMH1 (cf. figures 9 et 10).
Reste cependant à expliquer la présence de deux types de CMH et donc l’existence de deux possibles grands prêtres. D’autre part, les 2 CMH sont retrouvés chez environ 15 % des non Cohanim.
Dans la figure 8, nous avons présenté notre travail sur les Juifs de Djerba. Dans la tradition locale, lors de la première destruction du Temple de Jérusalem, des Cohanim sont allés se réfugier dans l’île de Djerba, et les Lévy ont refusé de se joindre à eux. Pour vérifier cette tradition orale, nous avons analysé l’ADN de 45 Juifs de Djerba (figure 10) et de 63 non Juifs de Tunisie et d’Égypte.
En accord avec cette tradition, 100 % des Juifs djerbiens testés ont l’haplotype CMH des Cohanim. Il faut remarquer toutefois que des non Juifs de Tunisie ou d’Égypte (certes en faible pourcentage) portent aussi le CMH. Cela est en accord avec les données des paragraphes précédents. Il n’existe pas de marqueur spécifique d’une population, mais seules leurs fréquences sont discriminantes.
Les Lemba
Des généticiens d’Afrique du sud en collaboration avec le Pr Karl Skorecki5 ont voulu étudier l’ADN d’une tribu du Zimbabwe, les Lemba, qui se déclarent être « descendants des Juifs de Sena » (Yémen ou Éthiopie). Leurs traditions et coutumes décrites dans la figure 11, rappellent en effet celles des lois mosaïques.
L’haplotype Y CMH est retrouvé avec une fréquence de 88 % sur les 399 personnes analysées. L’histoire raconte que lors de la remise des résultats une trés grande fête a été organisée par les Lemba en l’honneur de ces chercheurs qui avaient « prouvé » scientifiquement leur appartenance au peuple juif (une grande fête avait été aussi organisée pour les mêmes raisons par les Juifs de Djerba).
Juifs d’Algérie
Nous avons cité plus haut l’étude sur les Juifs tunisiens menée dans le cadre international du projet Avotaynu-DNA. Une étude de même type est menée actuellement sur les Juifs d’Algérie.
Bien que l’échantillon soit encore faible (8 volontaires) et par conséquent peu représentatif, les résultats obtenus sont intéressants : deux haplotypes Y ont été trouvés : J-M172 puis T-M70. L’haplotype Y T-M70 est porté par deux hommes dont les patronymes sont proches. Cette étude est en devenir, il serait intéressant que des volontaires se présentent pour y participer (prendre contact avec le CGJ).
Un généticien et un jazzman se retrouvent grêce à l’analyse de leur ADN
En 1980, nous sommes, mon épouse et moi-même, en année sabbatique à l’Institut Weizmann (Israël). Comme président de la Société Française de Génétique Humaine, je souhaitais relancer cette spécialité naissante en Israël. Nous avons organisé plusieurs colloques dans plusieurs instituts. A cette occasion je me suis lié d’amitié avec les futurs grands noms de la génétique israélienne.
Avi Orr-Urtreger, futur découvreur des gènes impliqués dans la maladie de Parkinson, m’interroge : le jazzman René Urtreger porte le même nom que lui, pourrait-il lui être apparenté ? A mon retour en France, je réussis à contacter le musicien, qui m’autorise à étudier son Y-haplotype. Je compare les Y-haplotypes du généticien et du jazzman : ils sont identiques. Les deux hommes se sont rencontrés quelques mois plus tard, et ont constaté que leurs familles venaient de la même région de Pologne, entre Lublin et Radom.
Le généticien et le musicien ont, eux aussi, fêté la nouvelle, comme l’avaient fait les Lemba d’Afrique et les Juifs de Djerba.
Conclusions générales
La recherche d’identité personnelle et d’ancêtres, et la génétique
Il n’y a pas de marqueurs génétiques spécifiques d’une population ou ethnie. Par contre comme nous l’avons déjà souligné, certains haplotypes rares peuvent être plus fréquents dans certaines populations ou ethnies que dans d’autres. Pour ce qui nous concerne, il n’y a pas d’haplotype ou de « gène » juif. En effet être juif (ou membre de toute autre population) ne peut pas être caractérisé par des critères scientifiques, tant bien même génétiques, mais par des critères de traditions familiales, historiques, cultuels ou culturels.
Tests génétiques à la recherche d’identité personnelle et d’ancêtres : leurs limites
Les tests ADN, dits tests récréatifs, proposés à des millions de personnes par des sociétés comme 23andMe, MyHeritageDNA, AncestryDNA and FamilyTreeDNA ne répondront pas à cette demande d’identité personnalisée. La réponse reçue fournit des informations d’ordre géographique ou sur d’éventuels ancêtres, et est exprimée en termes statistiques et de probabilité. De plus ces données, que certains d’entre nous dénomment « Génomancie », soulèvent le problème de la confidentialité des caractéristiques génétiques de l’individu, confidentialité couverte dans notre pays par la CNIL et le secret médical.
L’analyse des bases de données de plusieurs millions de tests génétiques réalisés par des sociétés de génome et business (direct — 2-consumer test) permet aussi la recherche de possibles ancêtres ou de leurs descendants et la détermination de leur degré de proximité. Ces « proches » sont supposés partager davantage de marqueurs génétiques, donc en d’autres termes, de fragments d’ADN, que s’ils n’étaient pas apparentés. Et plus le degré de proximité est grand, plus grand sera le partage de marqueurs en commun.
Mais dans cet exercice récréationnel, il faut aussi tenir compte du fait que dans certaines populations, les taux résiduels de partage peuvent être plus élevés, reflétant en cela les spécificités de leurs propres histoires (par exemple, une fréquence élevée de mariages entre proches). Si les tailles des fragments ADN partagés entre plusieurs individus sont de l’ordre de 30 à 600 centiMorgans⁸, les possibles ancêtres seraient des cousins respectivement de la 4e à la 2e génération. Quoiqu’il en soit, ces déductions restent à confirmer, si possible, par un arbre généalogique.
Annexes
Généalogie et ADN : la législation en France
La législation française est sévère jusqu’à présent : la loi « Informatique et liberté » de 1978 interdit la collecte et la mise en ligne de toute donnée ethnique et médicale, sauf à des fins médicales ou judiciaires.
Cependant lors de la révision de la loi de bioéthique en 2020, il a été inséré un article additionnel ainsi rédigé (mais qui doit encore être voté par nos deux Chambres) :
- « Art. 16–10–1_. — Par dérogation à l’article 16–10 du présent code et aux articles L. 1131–1 et L. 1131–1–3 du code de la santé publique, l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne peut être entrepris à des fins de recherche généalogique, en vue de rechercher d’éventuelles proximités de parenté ou d’estimer des origines géographiques. Il est subordonné au consentement exprès de la personne recueilli préalablement à la réalisation de l’examen.
- « Tout fournisseur d’un examen des caractéristiques génétiques entrepris à des fins de recherche généalogique met à la disposition de la personne concernée une information rédigée de manière loyale, claire et appropriée relative à la validité scientifique de l’examen, de ses éventuelles limites au regard des objectifs poursuivis et des risques associés à la révélation d’éventuelles proximités de parenté ou d’origines géographiques jusqu’alors inconnues de la personne ou à l’absence de révélation de telles informations.
- « Tout fournisseur d’un examen des caractéristiques génétiques entrepris à des fins de recherche généalogique garantit à la personne concernée la possibilité de révoquer son consentement en tout ou partie, sans forme et à tout moment, à la réalisation de l’examen, à la communication du résultat de l’examen, à la conservation de l’échantillon à partir duquel l’examen a été réalisé, ainsi qu’au traitement, à l’utilisation et à la conservation des données issues de l’examen. Lorsque la personne le demande, il est procédé, dans un délai raisonnable, à la destruction de l’échantillon ou des données issues de l’examen.
« La communication des données issues d’un examen des caractéristiques génétiques entrepris à des fins de recherche généalogique ne peut en aucun cas être transmis a un établissement de crédit, une société de financement, une entreprise d’assurance, une mutuelle ou une institution de prévoyance, ni lors de la conclusion.
- leur conformité à un référentiel de qualité élaboré par l’agence de la biomédecine devra être attestée selon une procédure d’évaluation définie par voie réglementaire ;
- ces tests ne pourront avoir pour objet de délivrer une information génétique d’ordre médical. Ils ne pourront, en conséquence, faire l’objet d’une prise en charge par la solidarité nationale — les informations tirées de ces tests ne pourront servir de fondement à des actions visant à faire valoir des droits patrimoniaux ou extra-patrimoniaux, notamment dans le cadre d’une démarche d’établissement d’un lien de filiation.
Art. 226–28–1_. — Le fait de procéder à un examen des caractères génétiques à des fins de recherche généalogique en méconnaissance des dispositions de l’article 16–10–1 du code civil est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ».
En termes de bioéthique ces tests exposent à la révélation de secret de famille ou révèlent des maladies génétiques. Nous aurons la réponse à cette importante révision à la rentrée sauf…
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Lexique de génétique
Allèle : l’une des formes qui peuvent être portées par un même gène ou segment d’ADN.
Génotype : variabilité génétique dans le patrimoine héréditaire d’un individu.
Haplotype : un haplotype est un ensemble de variants d’ADN.
Mutation : variation héréditaire résultant d’un changement dans la séquence d’ADN (par exemple, changement d’une ou plusieurs paires de base).
Mutation neutre : pas d’effet sur le phénotype.
Mutation pathogène : ayant un effet délétère sur le phénotype.
Phénotype : caractères anatomiques, physiologiques ou moléculaires que présente un individu.
Polymorphisme : présence de variations au sein d’une population.
Notes
- Marc Fellous. Génétique Humaine Institut Cochin, Prof. Émérite Université Denis Diderot.
- Jacques Beckmann. Faculté de Biologie et Médecine, Prof. Émérite Université de Lausanne.
- Mais comment définir le concept de gène ? Éternel débat entre généticiens.
- Cf. Annu. Rev. Genomics Hum. Genet. 2011.
- Cf. Mark G. Thomas, Tudor Parfitt, Deborah A. Weiss, Karl Skorecki, James F. Wilson, Magdel le Roux, Neil Bradman, and David B. Goldstein « Y Chromosomes Traveling South : The Cohen Modal Haplotype and the Origins of the Lemba — the Black Jews of Southern Africa », Am. J. Hum. Genet. 66 : 674–686, 2000.
- Arlette et Marc Fellous.
- L’origine des deux familles se situe dans la région de Demblin. Les villages de naissance du père de René Urtreger, Stezyca, et du grand-père d’Avi Urtreger, Gniewoszow, sont distants de 12,4 km, de part et d’autre de la Vistule. Et les arbres généalogiques des deux familles partagent la même série de prénoms masculins, Meir, Aharon, Rafael, pendant des générations, dans le même ordre. (Nous remercions Bracha Urtreger de nous avoir fourni ces informations).
- Le centimorgan (Symbole cM) est l’unité de mesure de distance entre deux gènes liés. Le centimorgan a été nommé en l’honneur du généticien Thomas Hunt Morgan.