Voyager, c’est sérieux

Midorie Villeneuve Chassé
11 min readJul 22, 2017

--

Quand j’ai acheté mon billet d’avion pour Bali, j’ai vécu un petit stress.

Partir toute seule à l’autre bout du monde n’est certainement pas anodin. Je me demandais entre autres si j’allais réussir à me faire des amis et si j’allais trouver le temps long. Je craignais aussi d’être un peu étourdie et de perdre des documents importants, genre mon passeport.

J’étais loin de me douter que j’allais vivre une péripétie très intense, mais qu’elle allait plutôt impliquer un animal exotique.

Ouep.

Un vrai de vrai singe, un macaque crabier poilu et imprévisible, a décidé d’insérer ses crocs dans mon omoplate gauche.

Ce pauvre petit mammifère ignore assurément qu’il m’a fait vivre l’expérience la plus stressante de ma vie et qu’il m’a longuement fait réfléchir sur le sérieux des voyages.

En effet, comme les singes peuvent être porteurs d’un paquet de maladies, dont la rage, j’ai dû mettre les bouchées doubles pour me faire soigner et analyser toutes les options possibles pour assurer ma santé. En deux secondes, mon voyage de rêve a donc complètement chaviré.

Si je vous partage cette belle anecdote, c’est surtout pour vous rappeler qu’il est TRÈS important de bien se préparer avant de partir à l’étranger.

Je vous raconte, laissez-vous porter. ;)

Lundi matin, comme des centaines de touristes le font chaque jour, je me rends gaiement dans la Monkey Forest à Ubud, sur l’île de Bali. L’endroit est magique. On peut s’y balader à travers les nombreux singes et admirer de magnifiques temples anciens.

Or, les singes sont plutôt agressifs. Plein de règles de sécurité doivent être suivies de façon à éviter de brusquer les bêtes.

Je m’assure donc de les suivre. Je marche doucement. J’évite de regarder les singes dans les yeux. Je les photographie de loin. Je ne leur montre pas mes dents. Je ne transporte pas de nourriture, seulement… une bouteille d’eau.

C’est à celle-là que je dois ma morsure. Elle attire un singe, puis deux, puis j’ai peur, puis je me fais mordre.

Voilà. C’était à 10 heures, lundi matin.

Je me précipite ensuite dans une salle de bain. Je prends du papier de toilette et essuie ma morsure. Puis, je m’avance vers un employé de la forêt.

« I just got bitten by a monkey. Do they have any diseases or anything? »

« No, no disease. »

Ok.

Je ne suis pas convaincue. Je vais donc voir un deuxième employé et je lui rejoue ma cassette.

« No, no disease. »

D’accord.

Je marche un peu dans la forêt, puis je réalise que, bien… j’ai la chienne.

Alors je saute sur un taxi-format-scooter-pas-d’casque et je me rends à mon auberge. J’écris en panique à Félix, mon copain, puis vais demander conseil aux employés à l’accueil. Ils me conseillent d’aller à la clinique, ce que je fais sans hésiter. Un gentil samaritain accepte de m’y transporter et même, de m’attendre pour me ramener à l’auberge (je lui en suis très reconnaissante).

Arrivée à Ubud Care, j’explique ma situation. Le personnel me sourit et me rassure. Je ne suis pas la première à qui ça arrive. Le médecin me reçoit en moins de 5 minutes (yé!). Comme il y a wi-fi dans la clinique, j’appelle mon copain et je lui fais écouter notre conversation. Docteur Agung m’explique les trois choses qui doivent être considérées : le tétanos, diverses maladies de singe et… la rage.

Oh boy.

Je sais que j’ai été vaccinée contre le tétanos. J’ai eu mon rappel en 2016. Je leur dis d’emblée.

C’est bon.

Ensuite : les maladies de singe. Il me prescrit des comprimés.

Parfait.

Maintenant, la rage.

Ils tiennent d’abord à nettoyer ma plaie, ce que l’infirmière fait méticuleusement. Ensuite, le médecin souhaite me donner deux doses d’un vaccin contre la rage. Une dose dans chaque bras, là, tout de suite, maintenant. J’aurai ensuite 2 doses de rappel dans 7 et 14 jours. Je prends 15 secondes pour réfléchir, je me convaincs qu’il s’agit d’un vaccin reconnu, je consulte Félix, puis j’accepte. J’observe l’infirmière qui ouvre les boîtes de vaccin — de façon à m’assurer que les aiguilles sont neuves et propres — je prends deux bonnes respirations, et on me pique.

On me laisse repartir quelques minutes et 130 $ plus tard en me disant que je serai OK.

Bon. D’accord.

Mais l’affaire, c’est que je suis hypocondriaque. Je fais donc tout ce que tout bon hypocondriaque ne devrait jamais faire : je vais lire sur Internet.

Ce que j’y découvre me renverse :

  • Des dizaines de personnes se font mordre chaque jour par des singes à Ubud.
  • Il n’y a pas si longtemps, il y a eu d’importances épidémies de rage chez les chiens errants à Bali.
  • La plupart des gens qui se sont fait mordre ont aussi reçu une dose d’immunoglobuline, un traitement choc, douloureux et dispendieux contre la rage.

Mon petit hamster se met donc à s’agiter. Devrais-je aussi recevoir le traitement d’immunoglobuline? Mon médecin m’a dit qu’il n’était pas nécessaire, comme ma blessure était de type 2 et non de type 3.

Je n’attends pas trop longtemps. Je vais consulter un deuxième médecin.

Oui. Vous avez bien lu. Je pars vers une autre clinique.

À mon arrivée, le personnel rit de moi. Une autre touriste qui s’est fait mordre! Leur conclusion est la même qu’à Ubud Care : pas besoin d’immunoglobuline, je peux dormir en paix.

Bon, je repars presque en souriant.

Félix est rassuré. Je vais manger, chercher mes comprimés à la pharmacie et me reposer un peu. J’appelle ma compagnie d’assurance pour les aviser du fait que j’ai dû consulter. J’ai mon numéro de police tout près, alors l’analyse est rapide. C’est bon de leur côté : je pourrai faire mes réclamations. J’appelle ensuite info-santé, afin de valider avec une infirmière que le protocole que j’ai suivi est bon et qu’il ne m’ont pas shootée avec un espèce de vaccin obscur et bizarre. La connexion téléphonique est archi-nulle, mais on arrive à se comprendre. Elle m’assure que le vaccin et les comprimés sont reconnus. Pour la dose d’immunoglobuline, elle ne sait pas trop. Elle croit que je peux faire confiance à mon médecin.

Bon, d’accord.

Mais mon petit hamster, lui, il s’agite encore.

Les chances que j’aie contracté la rage sont faibles. Si un singe avait la rage dans la Monkey Forest, les employés le sauraient rapidement et la bête décéderait en quelques jours. Et aucun singe rabique n’a été rapporté à Ubud au cours des dernières années.

Mais si j’étais l’exception qui confirmait la règle?

Je rappelle Félix, pour qui il est environ 4 h 30 du matin.

Et là, tout s’enclenche.

On se met en mode « on trouve les vraies réponses et on gère la crise ».

Félix attend que le soleil se lève, puis multiplie les appels téléphoniques : cliniques santé-voyage, CLSC, info-santé… Chaque fois, sans se lasser, il raconte mon histoire. Au bout du fil, les gens sont surpris qu’il connaisse aussi bien mon dossier. Lorsqu’on lui demande mon numéro de police d’assurance, il le donne en moins de deux. Lorsqu’on lui demande le numéro de ma carte d’assurance-maladie, il leur donne. Il a TOUT en main, car je n’ai rien laissé au hasard avant de partir. Ses démarches vont donc très rapidement.

On réalise rapidement que personne ne s’entend sur les protocoles à suivre et surtout, sur la fameuse dose d’immunoglobuline. Certains disent qu’elle doit être administrée immédiatement après la morsure, d’autres disent dans les 72 heures qui suivent, d’autres dans les 7 jours qui suivent.

Or, au Québec, tous conseillent de la recevoir.

Bon. Parfait. J’vais la prendre alors la maudite.

J’appelle les deux cliniques à Ubud. Ils n’ont pas d’immunoglobuline.

J’appelle une clinique à Kuta, à deux heures de là. Pas d’immunoglobuline. Puis une autre. Le même scénario se répète.

Fuck. Y’a pas d’immunoglobuline à Bali.

Félix me dit que c’est correct. On peut m’envoyer à Singapour.

What?

Ok. Singapour. Je peux y être dès le lendemain.

Oh! Un retour d’appel. Une clinique à Kuta a le fameux vaccin en stock.

C’est 4000 $ US.

Re-fuck.

Félix me demande si je ne ferais pas mieux de revenir au Québec.

Et annuler tout mon voyage?

Je dois y penser.

J’y pense.

Ok. J’suis game.

L’objectif est donc de me rapatrier au Québec en moins de 72 heures de façon à m’injecter la fameuse dose d’immunoglobuline dans les temps prescrits par plusieurs spécialistes.

En vitesse, je vais faire mon sac. Je dois constamment prendre des pauses pour avaler mes fameux comprimés contre les maladies de singe, pour ne pas vômir et pour essayer de manger un peu. Curieusement, y’a juste les bananes qui passent bien. Ça y est, je me transforme en singe.

Félix m’écrit continuellement. Il n’arrête pas de recevoir des retours d’appel d’un paquet de cliniques et de spécialistes qui se contredisent. Par contre, l’essentiel demeure : on tient à me rapatrier et à me vacciner.

Vers 2h du matin, je vais dormir (ou essayer de dormir).

Pendant ce temps, Félix continue de s’activer.

Vers 5h du matin — je ne dors toujours pas—je reçois par courriel mon itinéraire de vol de retour. Départ prévu le lendemain à 16 h 15 : Bali, Taiwan, Vancouver, Montréal. Si tout va bien et que mes vols sont à l’heure, j’arriverai à Montréal à 7h du matin le 19 juillet.

Parfait.

Vers 6h30 mardi matin, cernée et épuisée, je retourne dans une clinique à Ubud, de façon à aller chercher une déclaration d’un médecin qui autorise mon rapatriement. Pour les assurances, you know.

La docteur n’est pas commode. Elle ne juge pas qu’il est nécessaire de me donner l’immunoglobuline. Je me confie :

« Ma’am. I’m crying, I’m tired, I’m scared, I know you don’t think I need it, but I just want to go home. »

Elle me signe le foutu papier.

Je sors de la clinique et je m’effondre. Je doute de tout. Et si je ne me rends pas au Québec à temps? J’appelle Félix. Ensemble, on fait quatre fois le calcul des heures qui se sont écoulées et de celles à venir, toujours en prenant en compte le décalage de 12 heures entre le Québec et Bali. Ça devrait aller.

À 10 h, je pars pour l’aéroport. Je réussi à dormir un peu dans le taxi.

À 14 h 30, de l’autre côté de la sécurité, je vais me chercher un snack. J’vous mens pas : j’ai acheté, sans réfléchir, une banane et un smoothie aux bananes.

Something’s weird.

À 16 h 15, je décolle.

Je dois constamment me rendre dans la minuscule toilette de l’avion pour aller prendre de grandes respiration et m’asperger d’eau froide. J’suis stressée, tsé. J’arrive pas à manger, mais je réussis à dormir. Yé!

En arrivant à Taipei, en Taiwan, je consulte Facebook.

Félix a de bonnes nouvelles pour moi.

Les infirmières du CLSC ont fait monter mon dossier directement au Directeur de la Santé Publique du Québec. C’est l’un des meilleurs médecins de la province. Il a traité des dizaines de dossiers de morsures de singes en Asie. Les deux doses de vaccin que j’ai reçues directement après la morsure sont approuvées. C’est un excellent move. En effet, compte tenu de ça, il n’y a plus de stress pour recevoir la dose ultime dans les 72 heures. J’en recevrai quand même à l’urgence à mon retour, mais je peux me rendre jusqu’à 7 jours. Le Directeur de la Santé Publique a aussi donné des indications précises à transmettre au médecin pour réduire à zéro les chances de complications. Il est aussi prévu qu’il soit sur appel avec les infirmières du CLSC.

Oui. J’avais le DG de la Santé Publique on call.

J’ai le meilleur amoureux du monde entier.

Mes deux autres vols se passent bien. Je réussis à dormir et à relaxer un peu. À Montréal, j’aperçois rapidement Félix qui s’avance vers moi. Je saute dans ses bras et me mets à pleurer. Enfin. Je suis de retour.

On saute dans l’auto et on se rend à l’hôpital de Trois-Rivières. Au triage, l’infirmière comprend ma détresse et me fait passer en priorité. Environ 5 heures plus tard (oui, quand même!), une gentille médecin m’administre la fameuse dose d’immunoglobuline. Il s’agit du traitement le plus douloureux que j’ai jamais reçu : trois piqûres éternelles administrées directement dans ma blessure et une dans la fesse. J’ai pensé perdre connaissance (et Félix aussi, qui a regardé tout le processus).

À 19h ce soir-là, j’ai sombré dans un sommeil profond. Je me suis réveillée à 7h le lendemain matin, encore épuisée et sous le choc des dernières journées.

Je suis OK. Les médecins n’ont jamais vraiment craint pour ma vie, mais ils souhaitaient suivre le protocole à la lettre.

À travers toutes ces péripéties, j’ai pu confirmer une chose : voyager, c’est sérieux. Les voyageurs ont des responsabilités vis-à-vis des pays qu’ils visitent, certes, mais aussi vis-à-vis d’eux-mêmes, de leur propre personne.

Ne minimisez JAMAIS l’importance de bien préparer votre voyage.

Munissez-vous d’une bonne assurance voyage.

Achetez vos billets d’avion dans une agence, de façon à ce que quelqu’un puisse gérer rapidement et adéquatement votre rapatriement en cas de besoin.

Recevez les vaccins nécessaires avant votre départ.

Faites des photocopies de vos documents (passeport, cartes, police d’assurance, billets d’avion, itinéraire, etc.).

Partagez tous ces documents avec quelqu’un de confiance (via Dropbox, Drive ou courriel, par exemple, ce qui facilite la recherche dans l’urgence).

Traînez toujours votre numéro de police d’assurance avec vous.

Ayez, sur votre téléphone, des applications vous permettant de rejoindre facilement vos proches : Skype, WhatsApp, Facebook, etc.

Prévoyez, dans votre budget, un montant spécial pour les imprévus.

Sérieusement, ne prenez pas ça à la légère.

Je prépare chacun de mes voyage avec sérieux et rigueur. Cette assiduité a facilité CHACUNE des démarches encourues auprès des professionnels de la santé, tant au Québec qu’en Indonésie, de ma compagnie d’assurance et de mon agence de voyage.

Et finalement, assurez-vous de bien vous connaître. Quels vaccins avez-vous reçus par le passé? Êtes-vous protégé contre telle ou telle maladie? Avez-vous des contre-indications pour certains médicaments?

Je me connaissais sur le bout des doigts. J’avais encore, sur mon téléphone, d’anciens dossiers datant de ma préparation pour un voyage en Afrique, où j’ai pu confirmer d’autres vaccins que j’avais reçu en 2016.

Et qu’on me comprenne bien :

Un tel accident peut survenir n’importe où, n’importe quand et avec n’importe qui.

J’aurais pu me faire mordre en Europe, dans les Caraïbes ou même dans le confort de ma ville natale. Mon message ne vise donc pas à décourager les voyages en solo ou les voyages dans des pays en voie de développement. Il vise simplement à vous faire prendre conscience du fait que tout peut arriver et que c’est plutôt la réaction au problème qui change en fonction d’où nous sommes.

Certains m’ont laissé entendre que c’est ce qui arrive lorsqu’on voyage seul.

Je ne suis pas d’accord.

Je crois même qu’au contraire, avoir été seule m’aura rendue encore plus prudente et à l’écoute de mes besoins. Certes, c’était plus stressant, car je devais coordonner moi-même mes visites à la clinique et surtout, je devais gérer mes émotions toute seule. Or, j’ai su prendre des décisions pour MOI, en fonction de ce que JE croyais être le mieux pour ma personne. Un compagnon de voyage aurait peut-être minimiser ma blessure ou n’aurait pas juger bon d’aller à la clinique.

Ça devait m’arriver, et ça devait m’arriver de cette façon : seule, à l’autre bout du monde.

J’aurai l’occasion de retourner à Bali. Ce n’est pas mon dernier voyage. Et au lieu de m’en vouloir ou de me taper sur les doigts, je me félicite : j’ai géré cette urgence comme une championne. Je me suis prouvée que je suis une voyageuse responsable et que je fais preuve d’un excellent jugement et d’une grande maturité.

Maintenant, suffit les singeries.

--

--

Midorie Villeneuve Chassé
Midorie Villeneuve Chassé

Written by Midorie Villeneuve Chassé

Ce qui est important pour moi : les voyages, le yoga, la photographie et le chocolat. • Je collectionne les moments, pas les choses. • midorievilleneuve.com