Standardisation : levier d’action pour réenchanter le monde ?

L’importance de la standardisation citoyenne pour une démocratie vivante.

Myriam Bouré
15 min readNov 20, 2018

Quand on parle de standard, ça paraît :
1- technique, donc compréhensible uniquement par quelques érudits
2- rébarbatif… un peu comme la comptabilité… qui d’ailleurs est un standard, tout s’explique !

Pourtant, les standards façonnent notre société et la façon dont nous vivons ensemble. Ils sont des infrastructures clés du bon fonctionnement de nos démocraties. Le dictionnaire donne pour « standard » la définition suivante : « Ce qui est conforme à la norme ». Ok, mais qui décide de ce qui est « la norme » ? Et puis, c’est quoi la différence entre une norme et un standard ?

Hémicycle… lieu d’adoption des normes, démarche top-down

1- Du frenglish dans notre Larousse

Pour comprendre la différence entre norme et standard, Wikipedia est mon ami :-) La différence entre une norme et un standard, c’est que la norme est définie « légalement », et doit être respectée, sous peine, dans certains cas, d’être passible d’une non conformité réglementaire avec amendes et autres sanctions associées. La norme est en ce sens un standard « de jure », que le juge dicte et fait respecter. Il est de l’ordre de la sphère publique, de l’État. La certification consiste en une attestation du respect d’une norme donnée, sur la base d’un référentiel permettant d’évaluer la conformité à la norme.

Le standard est défini non pas par une loi «étatique » mais « commune » co-écrite par différents acteurs qui s’engagent à la respecter pour pouvoir « faire/vivre/échanger ensemble ». Si on ne respecte pas un standard, on ne sera pas puni par un juge, on ne devra pas payer d’amende. Le standard est donc un standard « de facto », dont personne ne peut forcer l’adoption. Il est de l’ordre de la sphère du « commun », et non de l’État. Un groupe d’acteurs décide d’une « règle » commune, mais qui n’est pas une loi. Libre à chacun de l’adopter.

De façon intéressante, on peut observer une « danse » permanente entre standards et normes.

- Par exemple, si l’on dit que la langue Française “validée par l’Académie” est la norme utilisée en France pour les communications officielles à minima (voir plus loin), il n’empêche que lorsqu’un groupe d’individus se met à adopter massivement un nouveau mot, qui devient alors un « standard de facto », il peut être intégré au dictionnaire de référence, le Larousse. Le mot « selfie » a ainsi fait son apparition dans le dictionnaire Larousse en 2016.

- Autre exemple, la comptabilité. La norme comptable a évolué dans le temps, étant d’abord nationale, cela posait des problèmes d’équité et de comparabilité dans un monde globalisé, les processus d’évaluation de la performance étant différents d’un pays à l’autre. Des groupes d’acteurs se sont rassemblés et ont construit ensemble un nouveau standard, qu’ils ont ensuite porté à une échelle de normalisation internationale puis nationale pour qu’il devienne une norme adoptée par tous les États: la norme IFRS.

La norme est la loi venue de l’État. Le standard c’est la loi construite d’en bas. Interaction permanente entre la logique « top down » et la logique « bottom up ».

Aussi, quand un standard est largement adopté, on pourrait croire qu’il est force de loi. Mais que neni ! C’est juste qu’il est compliqué d’amener un nouveau standard dans un écosystème qui a largement adopté un standard donné. Imaginez… changer la forme des prises de courant ! Mais que le standard soit de jure ou de facto, si l’on observe une limite et que l’on se rassemble pour construire un standard comblant ce manquement, il est fort à parier que l’écosystème l’adoptera, car il répondra à un besoin partagé. Il sera alors susceptible de faire évoluer la norme (si norme il y a), ou sera à son tour « force de loi » (si pas de norme officielle)… pour un temps, jusqu’à ce qu’un nouveau standard apparaisse.

Le code de la route est une norme (ex : conduire à gauche ou à droite), une règle de « conduire ensemble » définie par la loi. Si on ne respecte pas cette norme, on peut avoir une amende, être verbalisé. Le permis de conduire est une certification de conformité à la norme. Mais dans la façon d’appliquer cette norme, on retrouve un certain nombre de « comportements standards », de bonnes pratiques que l’on se transmet et qui deviennent « standard ». Le non respect de ces « bonne pratiques de conduite » ne vaudra pas pour autant verbalisation. Par exemple, le fait de rétrograder de vitesse une à une ou d’utiliser le frein moteur. Ces standards « de facto » coexistent avec le standard « de jure ».

Ou alors, les tailles limites des véhicules sont définies par des normes, et lorsqu’un constructeur met un véhicule sur le marché, le véhicule est « homologué », il est certifié conforme à la norme, à la loi. A l’intérieur de ces normes, on va identifier plusieurs « standards » de taille pour les « monospaces », ou les « citadines », on a une vague idée de la taille « standard » de ces types de véhicules.

Dans le transport maritime, les dimensions des conteneurs ont été normalisées en 1967, pour pouvoir organiser leur déchargement dans les ports de façon efficace notamment. La standardisation du transport maritime aurait abaisser les coûts jusqu’à 96% pour certaines marchandises, comme l’explique Marc Levison dans son livre The Box : How the Shipping Container Made the World Smaller and the World Economy Bigger (source)

Un standard c’est donc une règle qui « fait loi » en s’appliquant à tout un pan de l’organisation de la société. Et si l’on décide d’appliquer ensemble un standard, c’est parce que ça nous permet de communiquer, de collaborer, plus efficacement ensemble.

2- Les normes et standards les plus courants de nos vies.

Il existe des milliers de normes et standards qui régulent nos vies quotidiennes, sans même que nous nous en rendions compte ! Prendre conscience de ces normes et standards, et choisir de s’y conformer, ou de les faire évoluer, ou de les construire quand ils nous manquent, est un pas essentiel pour une démocratie vivante (voir point 3).

Comme les normes sont des standards « de droit », nous adopterons par la suite le terme « standard » comme terme générique pour définir les règles communément admises, qu’elles soit officiellement force de loi ou simple convention sociale entre un groupe d’individus « faisant communément loi ».

Listons les standards que nous utilisons couramment et voyons comment les regrouper, les classifier.

a- La langue = vocabulaire + grammaire + protocole « culturel » de dialogue. Je m’explique. J’ai un concept ou ensemble de concept que je veux transmettre, communiquer. Pour cela je vais utiliser un standard formé de mots qui expriment ces concepts, de grammaire permettant de les mettre en musique pour véhiculer le sens que je veux véhiculer, et de règles d’usage, par exemple le fait de dire bonjour ou de regarder la personne quand je lui parle. La langue est un standard de communication, d’échange d’idées et concepts.

b- Le système métrique (mètres) ou impérial (pieds). Il s’agit ici d’un standard de mesure, d’évaluation des proportions d’un objet.

Nous ne sommes pas « créateurs de valeurs », nous ne « produisons pas de valeur », nous créons et produisons des biens et des services, qui vont avoir de la valeur pour nous, et éventuellement, pour d’autres.

c- La monnaie. On confond souvent dans le mot « monnaie » deux dimensions : la dimension « unité monétaire » et la dimension « outil d’échange ». La monnaie est en faire un standard composé de deux standards que nous manipulons sans nous en rendre compte :

  • L’unité monétaire. C’est un standard de mesure de la valeur perçue par un individu donné. J’insiste sur ce point. Une valeur n’existe pas « en soi », la valeur c’est la perception subjective de l’impact anticipé d’une chose sur sa vie, sur son niveau de bonheur, par un individu donné. On dit parfois que l’unité monétaire permet de mesurer « la valeur d’une chose », mais une chose en soi n’a pas de valeur, ou plutôt, sa valeur est « inestimable », on ne saurait l’estimer. Prenons l’exemple classique d’une bouteille d’eau, assoiffé dans le désert, nous lui attribuerons une valeur bien supérieur que si nous sommes à proximité d’une source d’eau potable… Les choses n’ont pas de valeur, nous leur donnons une valeur… Nous ne sommes pas « créateurs de valeurs », nous ne « produisons pas de valeur », nous créons et produisons des biens et des services, qui vont avoir de la valeur pour nous, et éventuellement, pour d’autres. Comprendre ces concepts me paraît essentiel pour comprendre la nature même de l’échange commercial et de ce que nous appelons « le marché ». De même que la valeur d’un bien ou service pour un individu est la perception de l’impact que ce bien ou service va avoir sur sa vie, sur son niveau de bonheur, la valeur d’un bien ou service pour une communauté d’individus est la perception de l’impact positif que ce bien va avoir sur le bonheur de la communauté. Par exemple, quelle est la valeur d’une rivière ? D’une haie ? Des abeilles ? Tant que les humains ne perçoivent pas l’impact positif, les « services écosystémiques rendus » par la nature, la nature n’a à leurs yeux que peu de valeur. C’est la perception, la prise de conscience, de l’impact positif que la nature leur apporte, qui amène la communauté à donner une valeur plus importante à la nature, à la protéger.
  • La monnaie scripturale ou fiduciaire. Elle est un outil standard de communication, d’échange de biens et services, partagé par une communauté. Mais dans le cadre d’une activité commerciale enregistrée au Registre du Commerce et des Sociétés, elle devient une norme, car un commerce a l’obligation légale d’accepter la monnaie officielle FIAT. Donc selon la communauté concernée, la monnaie pourra être une norme, ou un simple standard d’échange.

d- La comptabilité. Elle est aussi un standard de mesure, d’évaluation, ici de la performance, donc de l’impact objectif d’une activité, d’une opération, sur ce qui compte, ce qui a de la valeur a nos yeux, ce qui est « capital » comme le dit toujours Jacques Richard, à l’origine de la comptabilité CARE. Une activité va pouvoir :

  • Maintenir, préserver, ce qui est capital.
  • Régénérer, créer davantage de ce qui est capital. On parle alors de « profit », étymologiquement d’ailleurs, ce qui est « profitable », ou de « bénéfice », ce qui « fait le bien » comme le dit Patrick Viveret.
  • Détruire ce qui est capital.

Est défini comme « performante », « viable », « pérenne », « bénéficiaire », une activité qui a minima préserve ce qui est capital, le fameux « capital ».

La comptabilité est un standard « légal », une norme, la norme IFRS, et d’ailleurs, la seule norme internationalement adoptée, grâce au tour de force assez incroyable d’un groupe de financiers qui ont su imposer une norme d’évaluation qui 1- ne préserve et régénère que le capital financier, instrumentalisant l’humain et la nature. Et 2- ne cherche pas en priorité à conserver le capital financier, humain et naturel (tout ce qui est capital) pour éventuellement générer un profit (financier, mais aussi naturel dans le cas d’une agriculture régénératrice !), mais cherche à générer un profit financier pour éventuellement utiliser ce profit dans des actions de conservation du capital naturel ou humain…

En deux mots, la comptabilité CARE propose de prendre en compte au moins 3 capitaux : le capital financier, humain, et naturel. Auquel j’ajouterais personnellement le capital culturel. L’idée fondamentale est qu’on ne cherche pas à mesurer la valeur de la nature ou de l’humain, encore une fois, ces valeurs sont inestimables. Par contre, on peut calculer le coût de maintien, de préservation de ces choses qui sont capitales à nos yeux : combien coûte la préservation du sol que nous utilisons pour cultiver ? Quelques kilos de fumiers, quelques heures de travail supplémentaires (par rapport à une culture conventionnelle) pour passer de cultures intensives utilisant labours et pesticides à des pratiques agroécologiques, etc.

Si l’on observe tous ces exemples, on peut dire en fait que les standards ne sont rien d’autre que des « conventions sociales », à chaque fois pour une communauté donnée. On se met d’accord sur une façon de mesurer, de communiquer, de faire, pour pouvoir inter-opérer, opérer/agir ensemble les uns avec les autres, dans la société.

Revenons un instant sur la question du « commerce », de l’échange marchand de biens et services. Pour exprimer quelle valeur a une chose pour moi, je vais « mesurer » l’impact perçu sur mon niveau de bonheur, « sonder » à l’intérieur de moi, ma perception de cet impact.

Dans la société occidentale moderne, on utilise pour « mesurer » cet impact anticipé subjectif l’unité monétaire. Pour pouvoir échanger des biens et services en assurant une équité dans l’échange, chaque partie doit se mettre d’accord sur une valeur commune que représente pour eux ce bien ou service, pour qu’il puisse y avoir échange équitable et satisfaisant pour les deux parties. On peut se demander légitimement, et beaucoup de citoyens se posent la question, si l’unité monétaire est un standard adapté, efficace, pour permettre à un individu de mesurer l’impact qu’un bien ou service va avoir sur sa vie, sur son niveau de bonheur. On ne mesure pas le bonheur en euros… Certains proposent d’autres standards pour permettre l’échange de biens et service, donc de faire du commerce : par exemple ils proposent non pas de se mettre d’accord sur une valeur perçue commune, mais sur un constat partagé de l’effort mobilisé par l’individu pour produire ce bien ou ce service. C’est la logique des banques de temps ! On va mesurer le temps passé pour produire un bien ou service, sans se préoccuper finalement de sa valeur. Peut-être cette piste est-elle une solution intéressante pour sortir de cette impasse dans laquelle l’humain s’embourbe depuis quelques siècles, à essayer de « mesurer la valeur des choses »… Accepter que les choses en soit sont inestimables et construire d’autres conventions pour échanger ne se basant pas sur la valeur des choses, peut-être est-ce là une voie de sagesse pour l’organisation de notre société…

De façon intéressante, dans la communauté Open Food Network à laquelle j’appartiens, nous avons mis en place un système de rémunération basé sur l’effort (le temps), mais pondéré par un niveau de maîtrise du système, sur le principe des arts martiaux. Car il peut être injuste de rémunérer de la même façon une heure de temps, alors qu’il y a en une heure, la quantité et qualité de biens et services produits qui peuvent varier selon le niveau de maîtrise du contributeur. On pourrait aussi pondérer l’effort par une notion de réputation par exemple.

De façon intéressante, on voit que les standards s’appuient les uns sur les autres : la comptabilité a besoin d’une unité de mesure pour évaluer l’impact d’une activité sur le capital financier, naturel ou humain. Le standard de mesure ne sera pas forcément le même pour ces trois capitaux d’ailleurs…

Les standards portent aussi sur des « dimensions » différentes des choses:
- sur la nature des choses : ses dimensions, ses qualités intrinsèques, sa composition
- sur l’usage des choses : l’échange, l’utilisation
- sur la valeur des choses : l’impact sur notre niveau de bonheur

3- Contribuer à des comités de standardisation : un devoir de citoyen dans une démocratie

Participer à une démarche de standardisation citoyenne, c’est reprendre la main sur la construction de la loi, qui est au cœur même de la définition d’une démocratie, dans laquelle « le peuple a le pouvoir » de légiférer, de décider de l’organisation de la société. Pas de démocratie « participative », « active », « vibrante » sans participation des citoyens à l’écriture des lois qui les gouvernent.

Au-delà d’un droit, c’est un devoir de citoyen. Comme le dit Henry David Thoreau, nous avons un devoir de désobéissance civile face à une loi injuste.

Revenons sur l’exemple de la comptabilité. L’adoption du standard CARE bousculerait bien sûr en profondeur l’organisation du monde économique. Ce standard conduirait non seulement au dépôt de bilan d’entreprises qui détruisent le capital naturel ou humain. Mais aurait aussi un impact fort sur la fiscalité, le bénéfice étant bien entendu réduit dû aux amortissements du capital naturel et humain. Moins de bénéfice = moins d’impôt dans les caisses de l’État. Qui normalement aura moins à dépenser pour compenser les destructions de capital humain et naturel que le standard actuel encourage… Prenons l’exemple des pesticides, qui viennent polluer les cours d’eau et nappes phréatiques. Les collectivités doivent investir massivement dans le traitement des eaux, leur dépollution ! Si la comptabilité rendait non rentable les activités détruisant le capital naturel, il n’y en aurait plus, et les collectivités n’auraient plus à couvrir ces dépenses.

Face aux enjeux auxquels doit faire face l’humanité, qui mettent sa propre survie en péril, il est effectivement urgent de changer la norme d’évaluation de la performance. Et heureusement que des citoyens se soulèvent, sur une approche « bottom up », pour concevoir un standard susceptible de devenir la nouvelle norme. L’efficacité de l’opération dépendra d’une double logique :

  • L’adoption de facto de ce standard par les acteurs peut être une stratégie d’influence citoyenne sur les instances législatives. Si un nouveau standard s’impose « de facto » il est fort à parier que la norme s’y pliera. Avec la limite que s’ils n’adoptent que ce nouveau standard et ne se conforment pas à la norme en vigueur, ils courent des risques de sanction… mais n’est-ce pas là notre devoir de désobéissance civile face à une loi injuste ?
  • Et à un moment une « saisine » par le législatif du sujet, qui face aux enjeux et à la pression citoyenne, n’a d’autre choix que de faire évoluer la norme. Bien sûr le législatif étant probablement influencé pas uniquement par des lobbies citoyens, mais aussi par des lobbies économiques ayant souvent bien plus de moyens, il n’est pas toujours simple de développer des stratégies d’influence gagnantes…

Faire société, c’est décider librement ensemble de nous mettre collectivement une contrainte, pour pouvoir vivre ensemble, et « être libre » dans cet espace cadré. La contrainte libère, la liberté contraint.

On peut légitimement se demander quelle devrait être la « juste place » de l’État dans l’écriture de la loi. A-t-on besoin de normes ? Les standards ne suffisent-ils pas ? Dans un standard, le collectif est souverain, mais a intérêt à l’adopter pour pouvoir échanger/vivre/cohabiter avec les autres. Il reste libre cependant de choisir de ne pas se conformer au standard, au risque d’être isolé. Dans une norme, le collectif est contraint, l’adopte non pas parce qu’il le veut mais parce qu’on le force à l’adopter, niant ainsi la souveraineté et la liberté individuelle, et provoquant ainsi des « rebellions ». Le vieil adage « la liberté des uns commence là où s’arrête celle des autres » ne vient pas de nulle part. Si sur la route, un individu se met à conduire à gauche parce qu’il n’a pas envie de se conformer au standard, tout le monde est en danger. Donc oui, nous avons besoin de normes, mais peut-être le champ de ce qui relève de la « norme » pourrait-il être bien plus restreint qu’il ne l’est actuellement. Faire société, c’est décider librement ensemble de nous mettre collectivement une contrainte, pour pouvoir vivre ensemble, et « être libre » dans cet espace cadré. La contrainte libère, la liberté contraint.

Par contre la défaillance de la démocratie actuelle vient-elle probablement, entre autres, d’une surnormalisation, surlégifération, dès qu’un cas se passe mal, on va faire une norme et l’appliquer à l’ensemble de la société. Par exemple, il y a un mort par intoxication liée à une bactérie alimentaire, on impose une norme drastique à tout le monde qui contraint l’initiative économique et parfois, est même un non sens d’un point de vue de la santé d’ailleurs. Cette défaillance vient aussi probablement d’une « danse bloquée » entre les démarches de standardisation bottom up et de normalisation top down. L’État doit selon moi être vigilant à bien adopter une attitude d’écoute attentive, d’ouverture, sur les propositions citoyennes d’évolution des normes, pour assurer la santé de notre démocratie.

Telle est la vision des « commoners », qui voient l’État comme un partenaire bienveillant, et cherchent à construire de la confiance mutuelle dans la capacité à chacun à jouer son rôle.

Sur la question des standards, l’État n’a donc pas toujours à normaliser, mais a par contre un rôle de facilitateur, car il est garant « qu’un standard est adopté pour que la société puisse fonctionner de manière efficace et durable ». Le rôle de facilitation du processus de standardisation citoyenne ne devrait-il pas ainsi être de l’ordre de la mission de service publique, et financé donc par l’État ? Cette facilitation ne devrait-elle pas être « permanente » et « agile » ? Le standard va évoluer en permanence, car la société et les pratiques évoluent en permanence, et ne doit pas être figé dans le marbre. Je vois personnellement la standardisation comme une approche « communautaire », dont la facilitation est de l’ordre de la mission de service public, et qui s’appuie sur une approche contributive et agile, permettant à tout moment à un membre de la communauté de proposer une évolution du standard pour lever un frein à l’adoption, et organisant des mécanismes de modération des propositions pour le bien commun.

Conclusion

On voit donc à quel point les standards « structurent » nos vies. En ce sens ils sont des « infra-structures », des structures sous-jacentes, inconscientes, immatérielles.

« On ne sera jamais des standards, des gens biens comme il faut… »

Ah, quel poète ce Jean-Jacques :-) Sans parler “d’être des standards”, le fait de respecter des standards communs est un facteur de liberté et d’émancipation. Comment être libre de se déplacer en toute sécurité si on ne partage pas tous un même code de la route ? Mais au delà de simplement respecter des standards communs, engager des démarches de standardisation est aujourd’hui un puissant levier de transformation sociétale. C’est ce que nous essayons de faire par exemple au sein du Data Food Consortium, où nous mettons en place un standard pour faciliter le changement d’échelle des circuits courts, au service de la souveraineté et de la sécurité alimentaire. Ou au sein de la Coop des communs où nous facilitons une communauté de pratique autour de l’adoption de la comptabilité CARE.

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