Entrepreneure sociale et curieuse, je suis une curiosité sociale.
Le Caravansérail Café ? Peut-être en avez vous entendu parlé ? Et bien c’est fini depuis mai dernier. Dieu est grand et je suis toute petite mais à 41 ans, je continue de grandir. Voici une tranche de cette expérience de vie que les mots ne suffisent pas à décrire. Ce fut puissant et fort.
Les filles, cela vous dit de ré-enchanter le monde ?
“Il était une fois (4 ans déjà) un groupe de filles (Karima, Myriam, Jalila et moi pour ne pas nous citer ;) qui fit un rêve. Sur la table de cette soirée de début de printemps, un thé vert fumant et quelques carrés de chocolat. Des indispensables quoi ! Des cartes de leur jeune mouvement Education en Héritage, parsemées ça et là. La mission : former la communauté éducative, via des outils pédagogiques innovants, pour que chaque être puisse reprendre pleine possession de lui même et devenir un citoyen émancipé, responsable et libre. Créer des conditions favorables pour co-créer une société plus équitable et plus juste. Car éduquer, c’est libérer”.
Réformer la société par l’éducation ? Tel est notre envie, et la seule issue possible vers la transition : “L’éducation est l’arme la plus puissante qu’on puisse utiliser pour changer le monde” (Nelson Mandela). Les armes de l’éducation avec un grand E sont celles de l’éthique. Les outils et moyens sont multiples et disponibles tout au long de la vie : formation des jeunes et moins jeunes au sein et en dehors des institutions, projets sportifs, culturels, solidaires, plateformes d’e-learning et MOOC en tous genres, création d’écoles libres, fréquentation de personnes inspirantes… mais encore ?
Nous avons souhaité co-créer un tiers lieu solidaire, un café-pont, un café qui permet la rencontre des gens qui ne se croisent pas ou peu dans la vraie vie, un espace étonnant pour les papilles, les corps et les consciences. Nous avons repris un fonds de commerce situé dans un quartier peu animé d’une grande ville de l’agglomération lyonnaise, laissé à l’abandon bien que densément peuplé et proche du centre ville. Nous avons nommé ce lieu du dedans et du dehors :”Caravansérail Café”.
Ce fut un curieux parcours, expérimental et éducatif (pour moi même avant de l’être pour autrui).
1ère curiosité : c’est hybride comme concept
N’est ce pas cela innover ?! A peine lancé, les gens se sont demandés : mais qu’est ce qu’un Caravansérail (définition ici) ? De quoi s’agit-il ? C’est un café ? Un restaurant ? Un espace artistique ? Un espace pour les familles ? C’est quoi un café-pont ? Comprenez par là que communiquer une vision éco-systémique dans une société segmentée, cloisonnée n’est pas chose aisée.
Mais c’est possible. Nous avons fait de ce rêve une réalité ancrée sur un territoire. Durant 2 ans notre petite entreprise sociale et solidaire s’est plutôt bien développée grâce aux loyaux services de ses bénévoles, de ses initiatrices, stagiaires et autres employés atypiques, Raihan, ex-réfugié birman du Bangladesh, et Valentin, jeune passionné des arts culinaires en devenir. En tant que co-fondatrice, je me levais heureuse de faire bouger les lignes. Car oui nous avons déconstruit ! 4 femmes (de surcroit musulmanes, est-ce que je laisse vraiment cela entre parenthèse ?), qui entreprennent au vrai sens du terme, dans un projet ouvert à tous, hors les murs. Le Caravanserail Café a, dès ses débuts, porté cette empreinte unique de lieu déroutant, convivial, intimiste, où chacun se sent bien. En témoignent les précieuses marques de reconnaissance, les sourires, les échanges inattendus, les surprises, les liens qui se sont tissés, les incroyables rencontres.
2ème curiosité : vous parlez éducation mais…
“Vous avez un truc là sur vos cheveux. Regardez, juste là, laissez moi vous le rappeler, je ne vois que ça.. J’ai nommé… ce fichu voile !”
Certes. Nous avons notre confession, nos convictions, notre apparence, et vous les vôtres. Certes, notre pratique n’est pas dans le vent mais cela nous empêche t-il de faire société ?
“Il n’y a que les feuilles mortes qui sont dans le vent ».
C’est là que les propos de personnes inspirantes viennent à point nommé pour vous rebooster. Récemment je visionnais l’intervention de Flore Vasseur au TedEx qui nous invite à “Ne pas faire l’histoire, mais la permettre”. Avec le Caravansérail Café, nous n’avons pas fait l’histoire, nous l’avons permise. Nous avons osé agir et entreprendre. Avons nous le choix ?
Nous sommes bien vivantes, bien présentes. Nous sommes des femmes plurielles et actives. Dans une société divisée, nous avons ouvert un espace où les liens se sont librement tissés, parfois dans les désaccords, mais toujours dans la bienveillance et la respect de ceux qui ont osé y faire escale. Gratitude à vous. Dans cet espace, nos coeurs, nos corps, nos esprits sont restés en éveil, ont expérimenté, ont appris. Ils ont appris le faire- ensemble, le mélange des genres, des cultures et des générations, à travers l’alimentation, la santé, le jardinage, l’art, la littérature, ou encore l’empowerment. Ils ont fait et agi en conscience. Ré-enchanter le monde est un droit qui appartient à tous, et nombreux sont ceux qui le construisent au quotidien, en conscience.
3ème curiosité : Pas de business plan
Pas de business plan pour ce type de projet vraiment ? Etait ce une bonne chose ? Nous étions toutes allergiques. Nous avions simplement une envie d’agir commune, un puissant désir de faire vivre au quotidien l’éthique qui nous anime. L’opportunité s’est présentée, nous l’avons saisie. Nous avons investi pour l’achat et la gestion du fonds et lancé une campagne de crowdfunding pour équiper et rénover le lieu. Je crois profondément que le business plan ne conditionne pas la réussite d’une entreprise. Cette croyance s’est confirmée lorsque j’ai pu mettre un mot sur notre démarche entrepreneuriale en suivant le MOOC Effectuation. Nous nous donnions 3 ans pour développer le projet et le rendre pérenne. Nous sommes parties avec une idée assez simple. Pour ce projet socio-éducatif, nous nous sommes appuyées sur les moyens dont nous disposions, à savoir quelques fonds personnels (à la grande surprise de certains élus), des valeurs fortes, des compétences, nos personnalités. Nous avons inventé en cours de route, tirant parti des aléas. Notre vision était limpide. Nous avons fait, tout simplement, à coup de pertes acceptables. La satisfaction personnelle et collective d’une telle réalisation est immensément valorisante. Essayez pour voir !
4ème curiosité : nous ne vendrons pas notre âme
Nous vivons dans un monde complexe et le temps du ralentissement est arrivé, l’énergie engagée a été mise a mal. Au bout de 3 ans, les questions initiales se sont fait plus pesantes :
- A terme, comment survivre et changer d’échelle sans emprunter, et/ou sans mécène ?
- Jusqu’où aller dans la résistance ? Quel est le prix à payer pour participer au changement social face à un pouvoir (institutionnel notamment) qui porte l’incohérence et une sournoise violence en son sein ?
- Devions-nous engager plus encore nos biens, nos familles, notre temps, pour vivre cet idéal social et économique ?
- Sommes-nous toujours en cohérence avec nos valeurs ?
- L’enthousiasme et la joie doivent-il laisser place au dégoût, à la colère, à la frustration ?
Cette envie de faire, autrement, restait sous-jacente. Malgré le départ de l’une d’entre nous, il nous était impossible d’arrêter. Nous avions des salariés et n’étions pas prêtes. Aller jusqu’au bout, essayer, ensemble. C’est dans de tels moments que la profondeur de “ l’équipe” se révèle n’est-ce pas ? C’est avec le même esprit, emprunt de persévérance, de foi, que nous menions le projet, malgré les atteintes, les doutes et les obstacles que d’autres sur ce territoire ne semblaient pas connaître. Nous connaissons ce quotidien : c’est celui de ceux et celles qui ne rentrent pas dans les cases.
Certes, nos idéaux étaient élevés. Mais avions-nous les épaules pour gérer nos ressources, aller en chercher de nouvelles tout en surmontant les difficultés sur le terrain ? Clairement non. Notre engagement nous a permis de tenir, de rendre le modèle économique possible au regard de notre positionnement pour le moins surprenant sur le plan financier : nous n’avons jamais emprunté aux banques. Il y a de la violence dans le système financier, il y a de la violence dans le système institutionnel. Même sans créance à leur égard, nous avons été indirectement discréditées par ces mondes.
A la question, si c’était à refaire, feriez vous un business plan, choisiriez vous d’emprunter ? Je réponds : si nous devions faire le choix de l’investissement personnel, du crowdfunding, des appuis financiers choisis, nous le referions, sans hésiter mais serions présentes sur le terrain au quotidien. Nous avons délégué trop tôt, trop vite, voilà notre manquement.
5ème curiosité : entre résistance et cohérence, je choisis…
Sans envie ni désir, pas de rêve, pas de projet. Le prix de l’indépendance, de l’engagement, et de nos caractéristiques identitaires déroutantes a eu raison de nous. Je sentais la colère et l’amertume s’emparer de moi. Le temps est venu d’arrêter et de faire le choix de la cohérence. Lasse, je réalise que le Caravanserail Café n’a plus sa place dans son écosystème, il est à côté mais n’est pas dedans. Dès lors, a t-il lieu d’être ? Tout comme les Caravansérails d’autrefois, il a permis la rencontre, l’échange, il nous a permis de vivre un rêve éveillé. Nous avons fait notre part, chacun a donné et prit la sienne. Certains nous ont dit au sein de notre communauté de foi que ce projet était « trop visionnaire », tandis que d’autres considéraient qu’il était « porté par des femmes soumises ». Restent présents les retours d’une écrasante majorité qui nous a simplement partagé sa gratitude : “Merci d’exister”. Nous avons pris la permission de lancer et faire vivre cette initiative, comme un prolongement de nos rêves. Aujourd’hui il est mort, mais j’existe et je porte cette part en moi. Je suis une femme heureuse d’avoir été artiste de cette oeuvre éphémère, co-créée avec mes soeurs. Si vous êtes une femme, une mère, sachez que vos ressources sont illimitées : devenez entrepreneures en transition, au côté des hommes, nombreux soutiens de chaque instant. Merci à nos maris.
6ème curiosité : je suis comblée
Oui j’aurais rêvé de..
- rendre pérenne cet espace ; d’autre le feront, autrement, sous d’autres noms, sous d’autres cieux
- tenir, pour que chacun se l’approprie et le fasse grandir ; plus de 12 000 personnes sont passées par le Caravanserail Café en près de 4 ans d’existence. J’ose penser que chacun en est sorti grandit à titre individuel et/ou collectif. La vivacité et le dynamisme de nos partenaires me laisse bon espoir (poke la Gonette, I-boycott, Alternatiba, Graine d’école, les Colibris etc.)
- voir s’épanouir les ressources qui l’ont porté au quotidien- j’ose croire que le souffle du désir d’agir est là présent en chacun d’eux.
7ème curiosité : Je n’ai pas de recette (damn it!), le chef c’est vous.
Avoir de grands idéaux ne suffit pas à faire de vous un entrepreneur aguerri. Vous aurez en plus besoin de :
- Passion (mais pas trop !). J’ai réalisé que ce projet fut vraiment le reflet de ma personne, de ma nature profonde, mêlant cet amour du voyage, de l’entre-connaissance, de l’agir, à cette idéalisme, profondément ancrés dans ma personnalité. A tel point que je m’y suis perdue,…Je voulais le préserver coute que coute, de peur de ne plus me sentir utile ou de voir mes rêves anéantis. Erreur !
- Pragmatisme : une bonne dose svp
- Pluralité au sein d’une équipe soudée et persévérante
De notre côté, 3 éléments nous ont fait défaut :
- La trésorerie : insuffisante pour ce genre de projet (où l’immobilier est indispensable). Même si nous avons eu un impact positif avec peu, notre stratégie n’a pas été suffisamment étudiée, notamment en terme de lobbying et nous en avons payé le prix en terme d’énergie.
- Le soutien régulier d’un mentor/tuteur extérieur indépendant et influent (et non une institution) et un contact constant avec d’autres entrepreneurs sociaux qui sont passés par là (notre problématique particulière nous a éloigné de facto de certains appuis)
- Notre inadaptation au milieu, dans un monde où la biodiversité est menacée. Jiddu Krishnamurti nous rappelle :
« Ce n’est pas un signe de bonne santé que d’être bien adapté à une société profondément malade. »
Alors oui, on m’a encore dit récemment à l’oreillette que je ne suis pas « bien adaptée », lorsque dans mes propositions de prestations comme freelance, je suis gentiment remerciée car mon couvre-chef est “gênant”. C’est dit. Triste réalité française que nous avons dû affrontée au sein du projet. Elle est surmontable cependant, mais soyez sûr qu’il faut beaucoup d’amour, d’altruisme et de patience, d’éthique, de lien et de capacité d’agir pour la surmonter.
Au final, le premier défi de l’entrepreneur social n’est pas de trouver des investisseurs, d’avoir des compétences commerciales et/ou marketing, ou même de savoir mesurer son impact. Le vrai challenge réside dans la stratégie et l’état d’esprit. Comment définir un business model viable et le mettre en pratique, sans se laisser submerger dans un environnement complexe ? Comment gérer les priorités ? Comment accepter que cela n’aille pas aussi vite qu’on le souhaite ? Comme gérer notre (in) disponibilité ?
Passant ces considérations mondaines, qu’est-ce qui m’appelle aujourd’hui ?
Ancrage, agilité et nomadisme
J’ai ce besoin d’ancrage pour pouvoir m’élever, mais le large m’appelle, vers de nouvelles contrées qui me nourrissent et non me tarissent. La violence institutionnelle a bien failli avoir raison de mon optimisme, de ma foi en l’être humain, de mon pouvoir d’agir, au même titre que beaucoup d’être en devenir dans cette société. Je m’engage à chercher la voie avec agilité, même en eaux troubles, car…
« Seuls les poissons morts vont dans le sens du courant ».
J’ai envie de me régénérer, de créer de nouveau, de semer les graines du changement, à commencer par le mien. J’ai envie de faire de nouveaux rêves. J’ai envie d’accompagner jeunes et moins jeunes à découvrir leur potentialité, à aligner actions et valeurs, à co-entreprendre leur vie. J’ai envie de révéler de nouvelles initiatives. J’ai envie de traduire langues et cultures, pour relier les humanités. J’ai envie de vivre chaque instant avec ceux que j’aime, sans avoir l’impression de sacrifier l’un pour l’autre.
Que la force me soit donnée de supporter ce qui ne peut être changé et le courage de changer ce qui peut l’être, mais aussi la sagesse de distinguer l’un de l’autre. (Marc Aurèle)
Dieu est grand et je suis toute petite mais à 41 ans, je continue de grandir.
Aujourd’hui, je peux dire que je suis devenue une créatrice de possibles. J’accompagne les projets porteurs de sens sur le volet communication et événementiel, et révèle les potentiels via des ateliers et voyages initiatiques avec l’entreprise nomade Ethical Minds.
Je souhaite de tout coeur, comme me l’inspire Vincent Houba, “ôter de mes relations le fantasme que l’autre me rejoigne là où il n’y a que moi qui puisse être. Et alors pouvoir rencontrer chacun dans l’entre nous. » Pour faire société, contactez moi, en toute authenticité. En être libre et digne.
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Nathalie, Entrepreneure de sens