Tiers-Lieux : L’emergence de nouveaux lieux d’innovation

Nicolas Fayard
5 min readJan 13, 2018

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J’assistai récemment à une conférence nommée « Tiers-Lieux » menée par Raphaël Besson, chef de projet « Living Lab » au Centre de Culture Scientifique Technique et Industrielle de Grenoble

Le sujet portait particulièrement sur les différents lieux dédiés à la création. Des espaces d’innovation qui subissent actuellement une mutation et tendent à impliquer davantage d’interactions sociales.

En réponse à cette présentation, je me suis demandé ce qu’étaient vraiment ces nouveaux espaces d’innovation. Et s’ils apportaient réellement une nouvelle manière de concevoir ?

Évolution des lieux d’innovation

Tout d’abord, il est important de comprendre ce qu’on appelle exactement des lieux de création. Raphaël Besson nous les décrit à travers trois grandes familles :

La première regroupe, de l’Antiquité jusqu’à nos jours, ce qu’on appellera les « Espaces d’Innovation Insulaire ». De la bibliothèque d’Alexandrie aux grands technopôles actuels, en passant par les monastères du Moyen Âge, les universités du XIIe siècle, où encore les campus américains des années 60.
Tous ces lieux ont comme point commun une isolation du monde extérieur. La création y est pensée en dehors de tout contexte social. La production et la transmission de la connaissance appartiennent à une élite de chercheurs.

La deuxième regroupe ce que Raphaël Besson appelle les « Espaces d’innovation par la technique ». Ils sont nés du déterminisme technologique. On considère que l’innovation technologique influence la société de manière mécanique sans que la société puisse l’influencer en retour et sans prendre en considération ses desiderata.
On peut prendre l’exemple des premières villes numériques qui au début de leurs créations avait une vision très déterministe. Ces lieux sont imprégnés de technologies et se focalisent essentiellement sur la question de la diffusion des innovations. Ces cités numériques ont vite compris qu’il ne suffisait pas d’imposer des technologies à leurs habitants, mais qu’il fallait les créer avec eux.

La troisième et dernière famille regroupe ce qu’on appellera les « Espaces ouverts ». À l’inverse des deux espaces précédents, la dimension sociale est quasi omniprésente et l’innovation est toujours perçue dans une dimension de partage et d’échange.

Cette dernière famille va être au cœur de ce nouveau processus de création.

Les « Tiers-Lieux » des espaces propices à la création

Ces espaces ouverts sont théorisés par le sociologue américain Ray Oldenburg en 1989 sous le nom de « Tiers-Lieux ».
Ce sont des espaces qui trouvent leur place au cœur des villes et qui se définissent par différents critères.

Tout d’abord, ce sont des espaces neutres où la conversation et l’échange sont la principale activité.
Tout le monde y est accepté et bienvenue. Ces lieux sont aussi et surtout un prolongement de l’environnement de la maison. Ils doivent être conviviaux et accommodants.
Ils se situent entre l’espace public et l’espace privé et sont entre l’univers de la maison et l’univers du travail.

Mais si toutes ces caractéristiques en font un lieu propice à la réflexion, elles peuvent tout autant s’appliquer à un salon de coiffure qu’à un « Starbucks cofee ». Alors au-delà de la théorie, comment applique-t-on ces règles à un lieu de création ?

Des espaces hybrides de co-création partagés

Si les nouveaux lieux de création émergeant se basent sur la notion de Tiers-Lieux, il me paraît important de les renommer en « Espaces Hybrides de Cocréation Partagés » (EHCP) pour mieux faire ressortir leurs spécificités.

Espaces : Les EHCP trouvent leurs forces au sein d’une interaction sociale et physique importante. De plus, l’atmosphère créée par le lieu participe à la stimulation des esprits.

Hybrides : un des facteurs clés des EHCP est la pluridisciplinarité de la communauté qui y participe. Elle permet de mettre en relation des domaines et des compétences divers et complémentaires. Cette mixité permet d’appréhender toutes les facettes de la problématique abordée.

Co-création : Que ce soit un concept ou un objet, le but principal des EHCP est la création et par extension l’innovation. Cette création est toujours produite au sein d’une communauté.

Partagés : Tout ce qui est produit dans les EHCP se veut libre de droits et de diffusion. Ce partage permet de créer des interactions au sein de la structure, mais aussi et surtout avec les structures similaires. Ce principe permet de faire évoluer et d’étendre la communauté à une plus grande échelle.

Une philosophie particulière

Les EHCP fonctionnent dans leurs systèmes de création de manière particulière. En effet, ces lieux intègrent deux notions très importantes :
Une démarche itérative et une acceptation de l’échec.

La démarche itérative : Les EHCP ont pour ambition de créer des solutions innovantes ; mais ces solutions doivent répondre de manière stricte aux besoins d’une société. La force des EHCP est la mise en place rapide, après la création d’un concept, de prototypes fonctionnels. Ces prototypes s’ils ne sont pas terminés existent dans le seul but de faire valider ou non la tangibilité d’un projet. Au travers d’ateliers ou directement en situation, ces prototypes sont testés, critiqués, et réévalués.
Le processus itératif consiste en une répétition de ces trois phases clés :

Création d’un concept, prototypage rapide, phase de test et on reboucle.

Cette démarche est fortement ancrée dans la prise en compte de l’utilisateur.

L’intégration de l’échec : À ce processus itératif, vient s’ajouter une notion tout aussi importante. La prise en compte de l’échec qui révèle deux avantages.

Premièrement, elle va agir dans le bon déroulement du processus de création. Contrairement à l’univers habituel du travail où l’échec n’est pas permit, le fait de l’intégrer dans les EHCP va empêcher le groupe de subir cette pression.

Deuxièmement, les EHCP vont intégrer une communication de l’échec. En diffusant de manière systématique les résultats obtenus sur les projets effectués, tous les EHCP vont pouvoir en prendre connaissance. On va ainsi pouvoir se nourrir des échecs de chacun pour ne pas les réitérer. Mais cette diffusion permet également de faire connaître les avancées de chacun et de mutualiser les efforts.

On l’aura compris, ces nouveaux lieux de création respectent plusieurs critères et ont une philosophie bien définie. Ces espaces sont nouveaux et émergents de plus en plus au sein de nos villes. On les retrouve sous plusieurs noms comme « Espaces de coworking », « Espaces Publiques Numériques », « FabLabs », « Living Labs », « Hackerspaces »….

Pour conclure, il est évident que la création et l’innovation entrent dans une sphère nouvelle. Si avant, les lieux d’innovation étaient réservés à une élite détentrice de la connaissance, ils doivent aujourd’hui être l’antre de la mixité au service de la collectivité.

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Nicolas Fayard

Designer d’interaction, UI / UX designer, apprenti facilitateur et chercheur holistique.