Modéliser et animer un dessin en 3D.

Illustration — @noctisartatk

Introduction

Mon dernier projet professionnel m’a quelque peu usé. J’ai eu souhait avec la marque Art Atk de réaliser un documentaire sur les élections présidentielles. Ce fut des heures de recherches, documentations et montages qui ont occupé toutes mes soirées pendant de longues semaines. Je me suis confronté pour la première fois aux difficultés de promouvoir un contenu politique sur les réseaux sociaux. Et au vu du rapport analytique sur la vidéo, je ne peux nier une chose : “j’ai perdu la bagarre.”

C’est dans cette mentalité que j’ai retrouvé le studio d’animation qui m’accueille en stage sur Berlin. Nous sommes fin avril, le temps est aussi gris que mon humeur et je me confronte une bonne partie de la journée sur l’animation 2D d’un foutu dauphin sur After-effects (A.K.A le pire logiciel encore en action). Doté d’un mental frôlant le sadomasochisme, je passe la journée sur des keyframes afin d’animer un salto sur le détestable cétacé.

Fin de journée, ma course pour attraper mon S-bahn est interrompue lorsque mes yeux se posent sur la dernière création de mon pote Veyland. Installé dans une position que je ne saurais comprendre, l’illustrateur qu’il est m’a transporté avec ce dessin. Cette espèce de soucoupe tractée m’appelle au voyage, à la sérénité, bref tout ce que je recherche, là, maintenant. C’est à partir de ce moment que j’ai décidé de le rendre plus vrai qu’il n’est sur ce tableau.

Avant de vous présenter ce pas-à-pas, quelques éléments à prendre en compte :

• Je suis dans la “Polygone Industries” depuis à peine 1 an. Pour les plus affûtés dans le domaine, vous serez peut-être spectateur d’un “neuneu” du métier.
• Il y a dans cette présentation des questions ouvertes auxquelles j’attends des réponses ! Si vous avez des solutions sur les problèmes rencontrés, n’hésitez pas à ramener votre science dans mes DM.
• Je bosse sur Cinema 4D n’en déplaise à la racaille Blenderoise.

Commençons.

1. Capturez-moi cet enfoiré d’illustrateur !

Il a cru quoi l’artiste ? Qu’il pouvait s’enfuir après avoir posé son idée sur le tableau ? Hors de question, si vous souhaitez conceptualiser un dessin vous devez garder son auteur à portée de main. Il a des choses à nous dire :

Tout d’abord quelle est la vision de ce croquis ? Y a-t-il un contexte à comprendre ? À quoi ressemble son environnement ?

C’est avec ce genre de questions que mon illustrateur a pris le temps de m’expliquer son concept. L’avant d’un train croisé à la Citroën coccinelle, “pimpé” avec 2 réacteurs de chaque côté. Il me précise son idée avec un dirigeable qui s’alimente à la vapeur. Un style de récup, à la vapeur d’eau, bref un vrai véhicule de zadiste et cette idée me plaît. Let’s go.

Ces indications vont être très importantes pour moi afin de comprendre le concept en 3 dimensions et pour le moment de l’animation. Personnellement, j’ai un niveau de dessin proche d’un enfant de maternelle donc partir sur les bases d’un illustrateur facilite grandement mon travail. Mais si vous êtes une personne polyvalente du crayon à une souris, je ne peux que vous conseiller de vous poser ces questions à vous-même comme le ferait Kevin et ses 23 personnalités dans Split.

Modélisation de la base

Modélisation de la base

Commençons la modélisation, la partie que j’aime le plus. Pour débuter, je place la base du concept avec des objets simple. Je vois dans le dessin 4 formes distinctes : 1 anneau avec une capsule pour le cockpit et 2 cylindres pour les ailes. Ces éléments sont ajustés aux courbes de mon dessin avant d’utiliser les outils Volume Builder & Mesher pour générer un objet complet.

Le choix de cet outil m’offre une grande maniabilité pour la modélisation, en revanche, elle implique un nombre de polygones très conséquent au point de secouer votre PC si votre configuration n’est pas satisfaisante. En l’occurrence, j’utilise le plugin Quad Remesher (Appelé “Remesher” dans la dernière version de Cinema4D) pour obtenir une topologie clean. Cela évitera que mon PC fasse une syncope à la première preview.

Pour le ballon j’utilise simplement une sphère avec un nombre important de polygones avant d’appliquer l’effet FFD. Il permet de créer une cage autour de votre objet et de le manier très facilement. J’y fais une belle bububle et je rends mon objet éditable.

L’ajout des détails

Les détails sur une forme aussi ronde que notre véhicule nécessitent l’outil “Shink Wrap” (et vous allez en entendre parler longtemps ici). Il permet avec des formes plates comme le disque, polygone ou le plan d’épouser des formes complexes. Outil très utile qui va me servir pour toutes les pièces importantes comme la fenêtre, les deux aérations frontales, le toit, les attaches… bref j’ai reposé toute ma carrière dessus.

A chaque fois la même technique présentée ci-dessous :

• Je définis mon emplacement
• Je fais le choix d’une forme simple comme le plan
• J’applique l’outil Shrink Warp
• Je rends mon objet éditable
• On connecte l’objet pour garder sa forme
• J’extrude l’objet

Félicitations vous connaissez 80% de mon workflow sur la modélisation. Il ne reste plus qu’à appliquer la même logique pour les autres pièces.

Pour les réacteurs rien de très compliqué, je fais un petit travail d’extrusion sur un cylindre. Je dessine une spline pour mes hélices avant de le placer dans une extrusion et un cloneur. J’oriente mes hélices, j’ajoute une subdivision surface, je constate la topologie douteuse. Je fais comme si je n’avais pas vu pour cause de flemme.

Nous arrivons sur la partie où je rencontre quelques interrogations :

1. Les détails d’un objet doivent-ils être incrustés sur le mesh ?

À la suite de la première modélisation, je décide de rajouter du réalisme avec des détails de plaques de métal. Je crée ces éléments directement sur le mesh de mon objet. Mais est-ce la bonne solution ? Je n’en suis pas sûr. En appliquant directement une extrusion sur mon objet, je ne pourrais pas revenir en arrière.

J’ai pas mal hésité à ressortir ma “Shrink Wrap immunité”, mais je trouve que le procédé était trop long et fastidieux. Donc je sélectionne les polygones de notre mesh et on extrude ! Notre effet de plaque est généré, j’y rajoute des vis sur chacun des éléments et le tour est joué.

Pour le ballon, au risque de me répéter, c’est le même procédé. Une sélection + l’extrusion sur le mesh afin de créer cet effet de rafistolage. J’y rajoute une petite spline clonée avec des instances pour ajouter un détail style “agrafe” qui viendrait retenir les patchs de mon ballon.

2. Quand s’arrête la modélisation pour laisser place au sculpting ?

C’est la seconde question qui m’est venue à l’esprit pendant le processus. Je savais que le véhicule aller avoir du détail dans un style de rafistolage, usé, fatigué par le voyage avec des rayures et impacts sur la coque. Mais où doivent apparaître ces éléments ? Seulement sur la texture ? Directement sur l’objet ?

Mais dans ce cas ce n’est peut-être plus une question de modélisation, mais de sculpture. N’ayant aucune notion dans ce domaine, je décide de garder l’essentiel pour avancer sur le ballon et l’environnement.

La ceinture du ballon

Pour le ballon je savais qu’il me fallait plus que des détails de patch. Sur le dessin, Veyland m’explique qu’il n’avait que des crochets pour suspendre le véhicule. Je décide de modéliser une sorte de ceinture, avec la forme plan qui épouse la courbe de mon ballon (avec… Shrink wrap tmtc). Extrudé comme une boucle de ceinture, j’y ajoute une jointure pour faire le tour de la sphère. Je glisse le tout dans un cloneur (x7) et ma ceinture est née.

Le cordage au-dessus du ballon a été un vrai problème, là aussi j’en appelle aux cracks de l’extrusion. J’ai cherché une solution avec les splines, mais je n’ai rien trouvé de conséquent. J’ai joué la carte joker avec l’utilisation basique de l’outil “Atom Array”. C’est un peu la honte, si Cinema4D était une école j’aurais été aboli mais je n’ai rien trouvé de mieux désolé. Donc on glisse un double de notre ballon sur l’outil Atom Array, ça nous crée la forme adéquate. J’y ajoute un booléen en soustraction pour faire une demi-sphère et le tour est joué… C’est avec un frisson de gêne que j’avance sans me retourner sur ce point un peu bâclé j’avoue.

Composition de l’environnement

Voilà un moment important ! Moi je suis un clown dans ce domaine, donc j’ai posé les yeux rapidement sur mon moodboard (présenté dans la partie texturing) et cette idée d’une porte en arc avec des nuages de tous les côtés m’a semblé super intéressante.

Pour ce faire, les nuages sont modélisés de la même manière que la base du véhicule. J’ai utilisé plusieurs sphères afin d’ajouter les outils Volume Builder & Mesher pour générer un beau nuage bien lisse. J’extrude un bel arc dans la compo et j’ajoute ce que j’appellerais “les magnaneries qu’on ne comprend pas” avec ces câbles qui passe dans l’arc pour ajouter de la profondeur.

Il serait peut-être temps d’avoir une preview sur l’affaire. Lançons Redshift, avec une caméra, bien focal à 135 mm, bien Tele.

Lighting & Caméra

J’ai dans mon esprit l’idée d’un ciel type couché de soleil avec des tons chauds. C’est dans ce sens que mes yeux tombent sur cet HDRI de chez Poly Haven. Je joue avec son orientation afin de révéler les détails de mon objet. J’y rajoutais une area light arrière-plan pour l’environnement. Le résultat n’est pas dégueu, mon HDRI sera ma source de lumière principale pour cette composition.

Texturing

Moodboard — assemblage de couleur + composition

Nous voilà sur le texturing, pour l’occasion j’avais préalablement réalisé un petit moodboard afin d’avoir une direction sur ce que je voulais en termes de couleurs et d’idées de composition.

2 visions se sont opposées entre l’idée d’un style détaillé avec ce côté usé des métaux et celle plus cartoon avec des patterns très simples. Pour être honnête, je n’ai pas vraiment su me départager sur cette vision. J’ai fait le choix d’assimiler les deux au risque d’une petite incohérence.

J’utilise un pack de texture de chez Greyscalegorilla et les patterns ont été dessinés par moi-même comme le présente Romain Braccini dans son tutoriel que je ne peux que vous recommander.

Pour l’environnement j’ai placé un gradient en arrière-plan dans l’idée de simuler un coucher de soleil. Pour l’arc et l’ensemble des petits objets j’ai porté mon choix sur la texture de verre pour refléter avec l’arrière-plan.

Je commence à obtenir quelque chose qui me plaît, à moi de trouver la meilleure composition. Je vais modifier mes éléments, changé le format pour être centré sur mon objet. Bref j’avise, c’est le moment des tests à répétitions en termes de lightning, de texture et composition.

Animation

On va peut-être la finir cette compo ! J’aurais pu passer directement en compositing et rendre une simple image, mais je ne peux pas m’empêcher de le voir flotter dans les airs. Donc j’anime ce qui selon moi apportera du réalisme sur une séquence de 30 secondes.

Je commence par l’ensemble de mon objet, le groupe du véhicule + le ballon va faire un décalage de gauche à droite en jouant avec les courbes d’animation. On cherche de la douceur bande de brut ! Donc tranquille, le tout doit être doux pour avoir cette sensation de planeur.

animation — véhicule

J’anime ensuite mes hélices, je pose 2 keyframes pour faire une rotation complète. Je réduis les courbes afin d’avoir une rotation constante sans ralentissement et je place un mode “repeat”. (Whoaw.)

Animation — élices

Compositing

Pour conclure, j’ajoute les derniers éléments qui feront la différence.

• Le depth of field sur ma Redshift caméra afin d’avoir un joli flou d’arrière-plan.
• L’ajout du motion blur, impératif pour obtenir cette sensation de vitesse sur nos hélices fraîchement animées.
• Je finalise depuis le renderview en jouant avec l’exposition, le contraste, le boke.. bref. Je joue avec tous les petits paramètres à portée de ma souris pour obtenir un résultat qui me satisfera.

Résultat et conclusion

Rendu final — The Flying Train

Et voilà ! J’ai exporté ces scènes en séquence PNG, glissé le tout sur After Effect pour faire un petit montage à 2 balles et voici le résultat. Je suis assez satisfait d’autant plus que c’est très loin de ce que je fais habituellement avec Art Atk. À raison de 2 heures par soir, ce projet aura duré au complet 2 semaines. Est-ce que c’est long ? Certainement.

J’espère que cela aura pu vous aider de quelques manières que ce soit. Vous retrouverez l’ensemble des fichiers sources gratuitement ici, amusez-vous avec tout ça, au fond, on le fait pour internet !

Venez discuter sur mon Twitter je serai ravi d’échanger avec vous sur les meilleurs moyens pour parvenir à ce résultat. À bientôt, et ne cessez jamais d’apprendre.

Noctis

( @noctisartatk Twitter)

Les fichiers sources (Gumroad)

L’illustrateur de génie derrière le dessin: Veyland