Web2Day : comment j’ai lancé le premier SAV d’une mairie sur Twitter

Noémie Buffault
10 min readJun 8, 2017

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Hier, j’ai eu la chance d’intervenir au Web2Day, le festival du numérique à la nantaise, pour y présenter un retour d’expérience sur la mise en place du compte Twitter @ParisJecoute, le guichet 2.0 de la maire de Paris. Voici la restitution de ce que j’y ai dit.

J’aimerais vous parler d’un temps où les chatsbot n’existaient pas. On est en 2013 et la Mairie de Paris est la première du monde à proposer un nouveau service public sur Twitter. On apporte sur le compte @ ParisJecoute des réponses instantanées aux questions pratiques des citoyens sur Twitter.

A l’époque je suis community manager de la ville de Paris. Comme tout Parisien qui se respecte, j’ai depuis déménagé à Nantes, où je suis social media manager pour la ville et la métropole nantaise.

Mais revenons à nos moutons. Paris Jecoute est lancé en Septembre 2013, avec une dizaine de questions par semaine, il prospère aujourd’hui 4 ans plus tard et compte près de 10 000 réponses fournies. C’est la première fois qu’une Mairie et plus largement, qu’une institution publique prend le pari d’offrir un service après-vente à ses usagers à travers un réseau social.

Vous vous dites peut-être, comme je l’ai déjà entendu, “A Paris, ils ont des moyens de fous”, “leur budget se compte en millions d’euros” ou encore “il paraît que l’équipe numérique compte plus de 100 personnes”. Loin des clichés, laissez-moi vous brosser un tableau le plus honnête possible du contexte dans lequel nous avons lancé Paris J’écoute.

Contexte

Tout d’abord, nous jouissions d’une réputation plutôt médiocre. Celle d’une administration poussiéreuse, disponible à des horaires illisibles et où chaque question trouvait naturellement sa réponse dans un formulaire dédié.

Je ne vais pas vous faire la liste des services défaillants mais nous comptions, comme partout, notre lot de dysfonctionnements internes. Et notamment une grève des piscines qui n’en finissait pas et qui cristallisait les mécontentements de nombreux citoyens, y compris sur les réseaux sociaux.

Ajoutez à cela, une culture de la prudence très prégnante à chaque niveau de l’administration. La déresponsabilisation s’appuie sur le règne du “cc”, qui limite l’autonomie des agents et fait reposer la prise de décision à des niveaux de hiérarchie souvent trop élevé pour le sujet. Dans ce contexte, la prise d’initiative, sans même parler d’innovation, n’est pas récompensée, encore moins encouragée.

Bref, le tableau n’était pas parfait, il contient quelques zones d’ombre. Si on avait attendu d’être irréprochables pour se lancer, on serait probablement encore à l’heure qu’il est, attablés en réunion à définir les contours de ce nouveau service.

Mais ne noircissons pas le tableau. L’environnement comptait aussi certains facteurs positifs.

Et notamment, une relation usager performante qui repose sur deux piliers : le standard téléphonique, le 3975 et “l’équipe message des Parisiens”, un service de 6 personnes chargé de répondre aux messages envoyés depuis paris.fr. Cette relation aux usagers s’appuie sur des interlocuteurs compétents identifiés dans chaque direction. Très concrètement, cela veut dire qu’il y a une personne à la direction de la voirie et des déplacements qui, en plus de ses missions, prend la charge de répondre aux questions des citoyens.

Un autre facteur positif est l’existence d’un circuit de remontée de l’info au plus haut niveau à travers le JDU. Le Journal Des Usagers est une publication hebdomadaire interne qui fait la synthèse des préoccupations des usagers du moment et met en lumière ce qui dysfonctionne.

La relation usager est une priorité politique. Par conséquent, des ressources qualifiées sont engagées sur le sujet. Le JDU est lu très au sérieux. Il arrive que la Secrétaire Générale de la Ville demande que nous synthétisions des retours usagers sur une thématique particulière afin d’en présenter les enjeux à la Maire.

On a là quelques ingrédients qui rééquilibre notre tableau. Sans plus tarder donc, nous nous nous lançons. Septembre 2013, nous ouvrons le compte Twitter au public. Nous publions un article sur paris.fr, je me souviens encore du titre « La ville de Paris répond à vos questions sur Twitter en temps réel ». Car quelques minutes après la mise en ligne, je reçois un coup de fil de ma hiérarchie, me suggérant de supprimer la mention « en temps réel »… ! Culture de la prudence, disions-nous.

Le compte est en ligne et les questions affluent.

Et là, c’est le choc. Le choc entre deux cultures qui se côtoient mais qui font en sorte de ne pas travailler ensemble.

- Tout d’abord, la culture prudence se frotte à celle de l’instantané. Nous avons l’habitude de peser chaque mot, de passer par de longs et douloureux circuits de validation, d’ajouter un nombre infini d’interlocuteur à nos boucles de mail… ce qui entre en tension avec l’exigence d’instantanéité inhérente aux réseaux sociaux. Nous nous étions d’ailleurs fixés comme objectif d’apporter un premier niveau de réponse en 8h maximum.

- Deuxièmement, la culture de l’expertise rencontre l’exigence d’être synthétique. Il y a à la Mairie, une très forte expertise des directions opérationnelle versus, sur les réseaux, une exigence de limiter ses réponses à 140 caractères. J’ai le souvenir d’une question d’un usager qui voulait savoir si son appartement était en zone inondable. Je saisis le service dédié et reçois une réponse. Très rapide, ultra complète, mais qui fait 8 paragraphes. Une partie de mon travail consiste à synthétiser les réponses pour les faire entrer sur Twitter.

- Enfin, l’omniprésence du jargon municipal fait face à une forte attente de transparence. Nous avons mené là une entreprise de “dé-jargonisation” de grande ampleur. Par exemple, “la ssvp indique que l’instruction du dossier de l’usager est positive” deviendra sur Twitter : “c’est bon.”

Finalement, contre toute attente, ces chocs de cultures sont fertiles. Mes interlocuteurs sont curieux et presque jamais hostiles par principe.

Le nombre de sollicitations augmente régulièrement depuis bientôt 4 ans. Nous traitons de cas divers, du lampadaire resté allumé en journée, à la piste

cyclable accidentée en passant par la saleté des rues. Nous recevons un accueil extrêmement sympathique de la part des Parisiens (il n’y a pas d’oxymore dans cette phrase).

Ce que cela a nécessité :

Une validation hiérarchique : vous imaginez sans doute une note de cadrage définissant le périmètre de ce compte, sous couvert de mes n+1, n+2 et +3. Alors qu’en fait, je suis entrée dans le bureau de mon boss, je lui ai dit qu’on était de plus en plus interpellés sur des questions pratiques sur Twitter et que nous répondions à toutes ces questions. J’ai suggéré que nous aurions sans doute à gagner à faire de ce point fort une promesse explicite à travers un compte twitter dédié. Il a dit GO. Je suis allée voir la D.A, on a réalisé une charte graphique : on était live.

Si le compte fut très rapide à mettre en place — on ne parle pas ici d’une innovation tech, plus lente fût l’acculturation de mes interlocuteurs. C’est d’ailleurs un processus qui est encore en cours. Il a fallu accepter qu’on travaille là à moyen, voire à long terme, ce qui est presque contradictoire quand on parle de Twitter.

Je vous le disais, la sensibilisation des interlocuteurs un par un fut sans doute la partie la plus chronophage, mais aussi la plus cruciale. A chaque fois que nous sollicitions un interlocuteur, je prenais du temps pour expliciter ce qu’était Twitter et leur confirmait qu’il s’agissait de réponses apportées en public.

Ce que cela a changé

Au premier chef, ce service a changé la ville. Très concrètement des panneaux ont été corrigés, des Parisiens sont parvenus à s’inscrire au conservatoire, des passages dangereux ont été mieux signalisés etc. C’est à cela qu’on mesure la réussite du service Paris J’écoute.

Le service ParisJecoute a permis de jeter la lumière sur tout ce qui fonctionnait mal dans la Ville et qui préoccupait les usagers. Ces informations précieuses ont été portées à la connaissance des élus concernés qui ont ainsi pu déclencher des actions concrètes.

En interne, @parisjecoute a fait connaître le département numérique, ainsi qu’éclairci ses missions auprès d’un large spectre d’interlocuteurs.

Pourquoi ça a marché

Parce que nous n’avons pas raisonné par la contrainte. Nous avons au contraire suivi notre envie et ainsi pu emmener les équipes de la relation usager traditionnelle avec nous. C’est une banalité de le dire, mais il est indispensable d’y croire pour que vos collègues y croient.

C’est un point essentiel. Nous n’avons pas fait table rase du passé. Bien au contraire, nous nous sommes appuyés sur l’existant, c’est-à-dire sur les équipes en charge de répondre aux citoyens par téléphone et par mail. Aucun community manager n’aurait pu rivaliser avec 20 ans d’expérience à la Mairie, et la connaissance pointue de chaque acronyme, chaque service, chaque interlocuteur compétent qui en découle.

Il fut important d’accepter que tout ne soit pas hyper bordé et sur validé. L’enjeu pour nous était d’apporter une réponse correcte dans un délai décent, quitte à aller directement à la source de l’information. Quitte aussi à s’affranchir des boucles et des cc à tous les n+ de la terre.

Aujourd’hui, 3 personnes travaillent désormais sur Paris J’ecoute. Une agence a été recrutée pour prolonger le service les soirs et week-end. Le service s’est structuré. 100% des sollicitations sont traitées et les questions ne sont jamais laissées sans réponse.

On peut tirer quelques conclusions de tout cela.

L’innovation peut venir de l’administration. Elle n’est pas qu’un facteur de lenteur et d’inertie. Quand on embrasse la culture du risque, cela fonctionne. En fait, elle peut embrasser la culture du risque, mais surtout elle le doit. L’administration joue là sa survie.

L’accueil bienveillant reçu est sans doute la conséquence de l’image négative que les services avaient jusque-là. C’est en partie l’effet de surprise entre le résultat attendu (une bouteille à la mer) et le service apporté (rapide et juste) qui a joué en notre faveur.

On a réussi à passer d’une époque où l’usager posait un RTT pour aller à la Mairie, à une administration qui se plie en quatre pour répondre aux usagers quelle que soit leur question, le canal par lequel elle arrive et l’horaire auquel elle est posée. Ce n’était pas gagné d’avance.

Les questions que cela pose pour l’avenir

Ces nouveaux services qui s’agrémenteront bientôt de robots conversationnels posent des nouvelles questions. Et naissent des enjeux spécifiques aux institutions publiques :

  • La place des autres voix de relation : le guichet, le standard téléphonique…
  • La question des plateformes. Les réseaux sociaux investis sont tous américains et privés. Le risque n’est-il pas à terme de se voir confisquer le service public ?
  • L’enjeu des données. Dans le respect d’une approche éthique, il y a possibilité d’être un jour en capacité de pousser personnellement du service à des personnes ? Et ainsi de passer d’une attitude passive où l’on attend les questions à une attitude pro-active, où l’on anticiperait les besoins des individus en matière de services.

Pour finir, parlons de Nantes ! Nous nous lançons dans un chantier titanesque, celui de la refonte des sites web nantes.fr et nantesmetropole.fr avec une ambition très forte sur la relation usager, qui intègre des réflexions pointues sur les chatbots et l’IA. Cette refonte se fera avec les Nantaises et les Nantais, découvrez comment y prendre part ici et et suivez-nous sur notre blog.

Noémie Buffault exerce comme comme consultante & formatrice auprès des collectivités, des institutions publiques et des ONG : noemiebuffault.fr

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Noémie Buffault

Digital strategy consultant for public institutions, media and NGOs | Former Head of the social media team at the French Ministry of Foreign Affairs.