À Hénin-Beaumont, une autre Marine fait front

Marine Tondelier, c’est l’autre Marine bien connue du Front National. À 31 ans, elle est militante Europe-Écologie-Les Verts, et vient de publier “Nouvelles du Front” (Les liens qui libèrent). Elle y raconte son quotidien d’élue de l’opposition à Hénin- Beaumont.

Noémie LECLERCQ
4 min readMar 26, 2019

Sur la route pour se rendre au conseil communautaire d’Hénin-Carvin, Marine Tondelier, au volant de sa Polo Wolksvagen bleue, a l’oreille collée au téléphone. Au bout du fil, un ami avocat lui fait ses recommandations. Lors du conseil municipal de la matinée, Steeve Briois, maire frontiste de la ville, lui a appris que son recours en justice contre « Ma commune sans migrants »* avait été rejeté.

Marine parle vite, beaucoup. Lorsqu’on lui demande de se raconter, deux sujets reviennent inlassablement : le Front National et l’écologie.

Au croisement de la rue Berlioz, elle se félicite : «En 2016, on a réussi à éviter l’abattage de quarante arbres centenaires dans cette rue.» Pour elle, c’est en 2009 que l’écologie devient politique. Alors étudiante à l’Institut d’études politiques de Lille, elle se rend à un meeting de José Bové. C’est une révélation. « Je me suis sentie totalement en phase avec les militants. »

Une fois encartée, Marine enchaîne les élections : municipales, législatives, régionales, départementales… « On devient vite accro, c’est galvanisant », avoue-t-elle.

À 27 ans, elle est candidate EELV pour les législatives de 2012. Hénin-Beaumont est sous l’oeil de toute la France : Marine Le Pen et Jean- Luc Mélenchon y sont également candidats. Un scandale, selon l’écologiste, qui y voit des jeux de pouvoirs mettant de côté les vrais problèmes des habitants du bassin minier. Pour cette enfant du pays, la politique, c’est « avant tout pour les autres ». Son téléphone sonne et l’interrompt dans son récit. C’est un de ses professeurs de lycée, qui lui réclame son aide pour un devoir demandé à ses élèves.

En 2014, le Front National de Steeve Briois prend la tête de la ville, et Marine Tondelier celle de l’opposition.

“ Au FN, ils n’ont aucune limite ”

Mais la politique locale, ça reste du bénévolat. Depuis juin, Marine est déléguée générale d’ATMO, fédération qui veille à la surveillance de la qualité de l’air. Plus de 100 candidats étaient en lice, mais elle obtient le poste. « J’ai dû les impressionner au test de résistance au stress », rit- elle. Travailler en situation angoissante, elle connaît. Celle qui fut l’assistante parlementaire de Cécile Duflot a dû retrouver un job au lendemain de l’élection d’Emmanuel Macron. Un mal pour un bien, d’après Marine. « Pour eux [les élus FN], être assistante parlementaire, c’est pas un vrai boulot. » Un sourire entendu se dessine sur son visage, visiblement amusé par les frasques du FN en la matière.

En arrivant au conseil communautaire, elle s’installe aux côtés d’Eugène Binaisse, lui aussi élu de l’opposition à Hénin-Beaumont. N’ayant pas pu être présent au conseil municipal du matin, il compte sur Marine pour le lui raconter. Comme à chaque fois, la date leur a été annoncée moins d’une semaine avant la date prévue. Pour les autres Héninois, Marine filme en direct les conseils municipaux sur sa page Facebook, suivie par quelque 2500 personnes. Pour « avoir des preuves de ce que fait subir le FN à l’opposition. »

Micro coupés, misogynie, humiliation, harcèlement… Pourtant, en 2015, Marine achète une maison dans la ville. « Histoire d’avoir un point d’ancrage quand la pression devient ingérable. » Elle multiplie les aller-retours entre le Pas-de-Calais et la Seine-Saint-Denis, où vit son conjoint, lui aussi militant ELLV. La politique jusque dans les amours ? « Quand on doit autant s’investir, c’est mieux d’avoir quelqu’un qui comprenne. »

Mais discrétion et pudeur sont de mises quand vos adversaires politiques n’ont
« aucune limite ». Ces trajets, qu’elle préfère faire en transport en commun — empreinte carbone oblige — lui permettent d’être hyper présente sur les réseaux sociaux où elle se défend face aux élus de la majorité.

Une “bonne tiote”

Au conseil communautaire, Bruno Bilde prévient du retard de Steeve Briois. L’ancien adjoint au maire, ‘Monsieur le député’ depuis juin, ne manque pas de mettre en cause l’opposition dès que l’occasion se présente. À l’habitude des Frontistes, ni lui ni le maire ne répondent aux journalistes. Il suffit de se présenter comme tel pour qu’ils lèvent les yeux au ciel, puis de mentionner Marine Tondelier pour qu’ils ricanent et s’en aillent. Cette fois, Steeve Briois daigne commenter : « Si elle n’existait pas, ma vie serait la même.»

Difficile de trouver des contradicteurs à la jeune élue quand l’opposition la plus évidente ne répond pas. Pour les Héninois, qui l’ont vue grandir, c’est une « bonne tiote » (“bonne gamine”, en patois local).

La politique ne la quitte jamais, même rentrée à la maison. Une autre élue d’opposition**, devenue une amie avec le temps, la rejoint. Au milieu du salon, entre la grande cheminée laissée à l’abandon — pour préserver la qualité de l’air — et les piles de livres, les deux jeunes femmes refont le match. Au “hargneuses” employé par Steeve Briois pour les qualifier, elles préfèrent le terme “battantes”. Dans deux ans, les habitants d’Hénin-Beaumont seront appelés aux urnes pour les élections municipales. L’occasion, pour Marine, de prouver que les Héninois sont “fachés, pas fachos”.

*association de maires refusants d’accueillir des migrants dans leurs communes, dont Steeve Briois est le président

**la jeune femme a préféré rester anonyme

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