Le Monde— Avis de gros temps sur un trois-mâts russe. — 02/04/2022

Son capitaine russe a eu beau condamner la guerre en Ukraine, le “Shtandart” a eu du mal à trouver un port qui veuille bien l’accueillir. Ce bateau associatif, qui vient d’être interdit de rassemblements de grands voiliers cet été, voit sa survie économique menacée.

No Shtandart In Europe
5 min readMay 4, 2024

Par Frédéric Zabalza (La Rochelle, correspondant)
Publié le 02 avril 2022
https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2022/04/02/un-trois-mats-russe-pris-dans-une-houle-geopolitique_6120311_4500055.html

Le Shtandart, réplique d’un navire de guerre du XVIII siècle, avait un équipage composé notamment d’Ukrainiens. Ils sont rentrés au pays pour se battre (ici, le bateau en mer Egée, en octobre 2021).

Texte Frédéric ZABALZA

“ON A ENCORE DE QUOI SE NOURRIR, on a pêché quelques thons ces derniers jours. Ce qui me préoccupe le plus, c’est l’eau. Elle commence à manquer à bord”. Vladimir Martus, le capitaine du Shtandart, est lancé dans une course à la voile sans escale et sans assistance, dont l’enjeu n’est pas un trophée mais la santé de son équipage et la survie de son bateau. A cause de son pavillon russe et de son port d’attache (Saint-Pétersbourg), la réplique du premier navire de guerre de la flotte de la Baltique, construit en 1703 d’après les plans de Pierre ler le Grand, n’est plus le bienvenu dans les ports européens. Malte a même refusé de le laisser remplir son réservoir de carburant. “On ne peut pas acheter de gazole, alors on navigue à la voile”, explique le capitaine au visage de loup de mer, cheveux longs et barbe de la même couleur que ses voiles blanches.

Ainsi la frégate est-elle condamnée à l’errance en Méditerranée. Partie de Grèce, où elle a passé l’hiver, elle fait route à faible allure vers les côtes siciliennes, avec à son bord un équipage “multinational” composé d’une douzaine de marins. Français, Tchèques, Slovènes, Estoniens, Lettons participent dans le même effort aux manœuvres quotidiennes du trois-mâts, sous les ordres d’un capitaine russe. Quand la guerre a éclaté, Vladimir Martus a aussitôt pris position contre l’agression décidée par l’autre Vladimir, qu’il qualifie sans hésiter de “tyran”. “Je n’ai pas les mots pour dire à quel point je suis malheureux. Mon père est ukrainien, trois de mes cousins vivent en Ukraine. Je suis contre cette guerre, mais il ne faut pas confondre Poutine et le peuple russe. Sur le Shtandart, il y a toujours eu des Russes et des Ukrainiens. Je voudrais que le bateau soit le symbole de l’union entre nos deux pays, qu’il soit un navire de la paix.”

Le voilier arbore ainsi, à côté du pavillon tricolore de la Fédération de Russie, les couleurs jaune et bleu de l’Ukraine. S’il n’y a pas de marins ukrainiens à bord actuellement, c’est parce qu’ils ont débarqué en Grèce, afin de rejoindre leur pays. C’est pour eux, notamment, que le Rochelais Ludovic Pacciarella, officier de liaison du Shtandart, effectue son deuxième voyage humanitaire en camion au cœur de l’Ukraine, pour apporter des médicaments et du matériel médical. “Je ne peux pas rester ici sans rien faire”, expliquait-il quelques jours avant son départ, bataillant avec son téléphone pour trouver une destination au trois-mâts russe, soutenu par le directeur du port de plaisance de La Rochelle, Patrice Bernier. “Vladimir, j’ai une bonne nouvelle, annonçait en anglais ce dernier au capitaine, le 24 mars, par téléphone. Sète autorise l’escale du Shtandart, Bordeaux aussi.” Émues par le sort de la frégate, plusieurs villes ont finalement accepté de l’accueillir. Elle est ainsi attendue le 8 juin à La Rochelle, où elle a l’habitude de s’amarrer à la belle saison.

“Nous avons avisé le préfet de la Charente- Maritime, les douanes, les services de renseignement, le ministère de la mer, rien ne s’oppose à ce que le Shtandart puisse venir, confirme Patrice Bernier. Comme huit autres bateaux sous pavillon russe que nous avons actuellement au port, qui font toutefois l’objet d’une surveillance des douanes, il n’appartient pas à des oligarques. La seule chose que l’on pourrait craindre, c’est un acte individuel susceptible de créer un trouble à l’ordre public. Sur 50 messages en réaction à la venue du bateau à La Rochelle, nous en avons eu trois désagréables, dont l’un d’une personne qui a changé d’avis quand on lui a expliqué. Il faut faire de la pédagogie.”

Un autre écueil menace le Shtandart. Début mars, la société Sail Training International, l’organisateur des rassemblements de grands voiliers en Europe (Tall Ships Races), a suspendu sa participation à la tournée estivale des ports en Europe du Nord, d’Anvers (Belgique) à Aalborg et à Esbjerg, au Danemark, en passant par Harlingen, aux Pays-Bas. En France, Lorient a fait de même. Pasaia, au Pays basque espagnol, s’interroge. Un coup dur pour ce navire associatif, qui ne reçoit aucune aide financière de l’État russe et ne vit que de ses ressources propres, à la fois pour entretenir le bateau et pour rémunérer les trois à six salariés qui se relaient à bord à l’année. L’accueil d’apprentis marins, la location à des entreprises, l’ouverture aux visiteurs assurent des rentrées d’argent, ainsi que la présence à des rassemblements de grands voiliers, qui peuvent rapporter 70000 euros en dix jours. “Après deux ans de pandémie, le Shtandart se trouve dans une situation financière difficile, s’inquiète Patrice Bernier. Ceux qui lui ferment leurs portes sont en train de le couler.” “C’est une question de vie ou de mort pour le bateau”, prévient Vladimir Martus, prêt à héberger des familles ukrainiennes à son bord. Comme un symbole de paix.

--

--

No Shtandart In Europe
0 Followers

No Shtandart In Europe is an international whistleblowing collective demanding the full implementation of the 5th package of sanctions.