Ouest-France — Le navire russe Shtandart, autorisé à s’amarrer dans les ports de France, embarrasse ses protecteurs — 29/03/2024
Cette réplique de la frégate du tsar Pierre Le Grand est le seul vieux gréement russe autorisé en France malgré les sanctions européennes. En Bretagne, il est attendu à Brest et à Paimpol en juillet 2024. Pour obtenir cette indulgence, son capitaine a bénéficié de l’appui de l’Association des amis des grands voiliers et du port de La Rochelle, mais il gêne désormais ses parrains et l’administration française.
Laetitia JACQ-GALDEANO — 29/03/2024
Le Shtandart n’est pas seulement la réplique du vaisseau amiral du tsar Pierre Le Grand (XVIIIe). Ce trois-mâts russe de près de 35 m de long est aussi le seul autorisé à naviguer en France, bien que l’Union européenne ait interdit à « tous les navires russes » d’accéder aux ports du Vieux Continent. Mais il commence à embarrasser les autorités françaises et à agacer ses protecteurs de La Rochelle (Charente-Maritime), son port d’attache . Alors que l’heure n’est plus « à ne pas humilier la Russie », l’obstination de son capitaine, Vladimir Martus, à naviguer sous pavillon russe est désormais moins tolérée.
« Nous lui avons demandé de ne pas hisser le drapeau russe mais il ne le respecte pas toujours. En Espagne, cela a posé un problème il y a quelques jours, confirme Michel Balique, président de l’Association des amis des grands voiliers à laquelle le Shtandart adhère comme quelque 25 autres vieux gréements. Cette fois, nous lui avons dit : « Ce n’est plus possible. » Je lui ai demandé un engagement écrit. Va-t-il le respecter ? Je l’espère. Nous nous sommes quand même engagés devant un certain nombre d’organismes en leur disant que Vladimir Martus est contre la guerre en Ukraine. »
Cette association, qui favorise les stages sur ces grands voiliers, est aussi un réseau d’influence (jusqu’à 500 membres) qui a intercédé auprès des autorités françaises en faveur du Shtandart. « J’ai écrit à la direction générale de la Marine qui a pris en considération ce cas particulier, reconnaît Michel Balique. Il m’a été confirmé que le bateau n’entre pas dans les catégories de navire visées par les sanctions européennes : il n’appartient ni à l’État russe, ni à un oligarque russe. C’est un navire associatif. En juin 2022, le cabinet de l’ex Première ministre, Élisabeth Borne, a transmis à tous les préfets l’autorisation de naviguer pour le Shtandart. »
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Une mission pour la Société russe de géographie
En réalité, le navire russe est une entreprise commerciale basée à Saint-Pétersbourg sous le nom de Standart Project et dirigée par Vladimir Martus. Elle est aussi inscrite au registre du commerce de Hambourg (Allemagne) sous le nom de Martus TV GmBH. Cette entreprise navigue grâce à un équipage de bénévoles régulièrement renouvelés (en ce moment, neuf Russes, un Bulgare, un Néerlandais, un Estonien, huit Français) et encadrés par un noyau d’officiers russes, issus du même institut de construction navale de Saint-Pétersbourg que leur ami et principal propriétaire du bateau, Vladimir Martus.
Qui sont ces citoyens russes se relayant sur ce bateau ? Sont-ils en rupture de ban avec leur pays ? Où vont-ils lorsqu’ils quittent le Shtandart ? Selon la préfecture maritime de l’Atlantique, « ce n’est pas raisonnable de laisser penser que le Shtandart vient faire du renseignement et que les services de l’État sont naïfs. Le cas de ce navire a été étudié pas mal de fois par le secrétariat d’État à la mer en raison de sa visibilité particulière et de la personnalité médiatique du capitaine ».
Une semaine avant l’invasion de l’Ukraine, dans un entretien accordé au média russe K1News.ru, le Shtandart a pourtant été inclus par l’ambassadeur russe en Grèce, Andréi Mastov, dans la liste des outils diplomatiques qui permettaient de célébrer les liens entre la Grèce et la Russie. En octobre 2021, le navire a participé à une « expédition historique et pédagogique internationale (en mer Egée) menée par la Société russe de géographie » dont le conseil d’administration est présidé par un certain Vladimir Poutine. Selon les confidences de l’ambassadeur Andréi Mastov, c’est « le président de la Fédération de Russie » lui-même qui a payé la mission par « une subvention […] fournie par le Fonds des subventions présidentielles ».
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Une alerte du Quai d’Orsay
En accordant un sauf-conduit au Shtandart en 2022, les autorités françaises ont-elles péché par légèreté, par excès de complaisance avec le pouvoir russe ou les deux à la fois ? Jean-Pierre Pasternak, président de l’Union des Ukrainiens de France, évoque l’existence « d’agents d’influence (russes) dans tous les domaines de l’administration française ». Bernard Grua, porte-parole du collectif lanceur d’alerte No Shtandart in Europe, estime que le Shtandart est « un outil phénoménal de propagande impérialiste russe » qui a bénéficié « en France, des réseaux russes au sein de l’appareil d’État ».
Il est vrai que le Shtandart a été autorisé par les préfets départementaux à accoster dans de nombreux ports de l’Atlantique et de la Méditerranée malgré l’avis du ministère des Affaires étrangères en mars 2023. Dans un mail rédigé « à la demande de la secrétaire générale, Anne-Marie Descôtes », le Quai d’Orsay a estimé que « d’un point de vue juridique », les sanctions européennes « pourraient s’appliquer à ce bâtiment, à moins qu’il ne soit souhaité d’y faire exception en opportunité ». Il alertait aussi sur « le profil du capitaine (qui) ne semble pas justifier une telle dérogation ». En pure perte.
Le Shtandart annoncé à Brest
Cet avis semble aujourd’hui encombrant pour les autorités et les protecteurs rochelais du Shtandart. « C’est un faux. Si cette note existait, nous l’aurions eue. Nous avons eu toutes les autorisations nécessaires, tranche Patrice Bernier, maître de port à La Rochelle, chargé de remplir le port et d’y organiser des manifestations nautiques. Le Shtandart est fondamental pour nous. C’est une animation touristique qui a changé l’attractivité de la ville. Nous n’existons que par cette image ».
Interrogé à plusieurs reprises, le Quai d’Orsay ne confirme pas l’existence de cet avis mais ne le dément pas. Le signataire du mail lui-même ne nie pas en être l’auteur et nous renvoie vers le porte-parolat du Quai d’Orsay qui reste silencieux.
Quant à la Préfecture maritime de l’Atlantique, qui a autorisé, avec le préfet du Finistère, la venue du Shtandart aux fêtes maritimes de Brest (juillet 2024), elle renvoie poliment le Quai d’Orsay à ses affaires. « Généralement, le ministère des Affaires étrangères se prononce assez peu sur les affaires intérieures. C ’est le service qui fait autorité, qui porte la voix. Pour la présence dans les ports, ce sont la préfecture et la préfecture maritime. »
La Préfecture maritime de l’Atlantique concède toutefois que sa décision pour les fêtes maritimes de Brest « pourrait évoluer en fonction du contexte géopolitique, des risques de troubles à l’ordre public ou des deux à la fois ». Saisie par la diaspora ukrainienne excédée par cette « provocation », la ville espagnole de Castellón n’a pas tergiversé. Elle vient de refuser la présence du Shtandart.
A lire absolument :
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