Dans l’immensité de la plaine du Tagliamento (jours 4 et 5)

Suite des 3 premiers jours de nos aventures relatées dans Le Tagliamento — Dalle montagne al mare avec une pagaie.

Sophie R
L'appel de la rivière
7 min readMay 10, 2018

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Bye bye les montagnes, elles sont dans notre dos …

Jacuzzi, palace et polar américain

Après Pinzano, le Tagliamento comme une ultime vengeance après les gorges, se ré-étale somptueusement sur 3 km de large, formant entre ses bras, une multitude d’îles et de presqu’îles superbement boisées avec quelques clairières.

Pour choisir le bivouac, c’est cornélien. Il vaut mieux ne faire que deux équipes de prospecteurs pour ne pas finir par dormir dans le canoë, faute de se mettre d’accord, sur l’endroit le plus idyllique.

On s’installe en bordure d’une petite forêt où un arbre (que je n’arrive toujours pas à identifier, à mi-chemin entre un frêne et un sureau) couvert de fleurs très odorantes parfume la tente. Ce soir, point de bain égyptien au programme mais un jacuzzi vivifiant où des petits poissons viendront me mordiller la peau. Il paraît que sur la Côte d’Azur on paye pour ça dans les instituts de beauté. Dommage pour eux, ici c’est free et on a la vue en plus ! Le luxe ça se mérite. Que disait déjà Sylvain Tesson, cet infatigable voyageur ? « Le bivouac est un luxe qui rend difficilement supportable, plus tard, les nuits dans les palaces.” Ce type est dans le vrai, je l’ai toujours pensé !

Au coin du feu de camp, je me décide à tester une application carnet de voyages pour commencer à rédiger avant le retour at home. Résultat : écrire plus long qu’un post facebook est bien fastidieux avec un smartphone et en plus mes compagnons de route doivent se poser des questions sur ma sociabilité… Rien n’isole plus qu’un écran. J’abandonne. Comme d’habitude ce sont mes photos qui me serviront de mémoire.

A la nuit tombée, j’entendrai un nombre incalculable de chants d’oiseaux plus un intrus : le frottement de la coque des canoës. Et dans un demi-sommeil, je me dirai : “Demain certains seront à pied, quand même on nous pique un bateau, franchement l’Italie, même au milieu de nulle part c’est spécial …”

Le lendemain matin, au petit-déjeuner, Mathieu m’expliquera gentiment qu’en amont de la rivière — où nous étions au premier jour — il a bien plu et que le niveau d’eau était en train de monter. Il a donc déplacé et attaché nos embarcations par sécurité. Cela m’apprendra à lire des polars de Craig Johnson pour m’endormir en bivouac…

La vie autour de la rivière

Nous quittons définitivement les montagnes, le courant faiblit mais reste agréable sous la pagaie et pour nos… bras. De larges bancs de sable apparaissent, la rivière continue à dessiner et à sculpter mais dans un genre différent. Bancs de galets, petites futaies, rives parfois tranchées par l’eau, des racines qui trempent, des arbres qui penchent, des branches qui oscillent et se heurtent à la surface de l’eau.

De temps à autre, des clochers émergent des peupliers. Petits témoins - tous très jolis et différents — de la vie humaine autour du Tagliamento. On croisera un couple en canoé que l’on a déjà vu et que l’on reverra durant la traversée. Un hélicoptère militaire au look agressif nous fait un remake pas très agréable d’Apocalypse now, en arrivant droit sur nous, tout en se jouant probablement de nous… Les goélands sont de plus en plus nombreux annonçant un vrai changement d’atmosphère. Fini le grondement des premiers jours, la rivière nous fait entendre son chant caractéristique, le bruit des galets qui pétillent sous la coque. Ce son provient des sédiments qui circulent bien en-dessous de nous. Nous l’avions déjà perçu mais c’est ce jour-là que nous en prenons vraiment la mesure jusqu’à l’enregistrer, smartphone collé contre la coque. Nul ne reste insensible à ce bruissement qui s’égrène comme un bâton de pluie perpétuel. Une étoile de plus pour le Tagliamento…

A chaque canoë, son caractère

Nous naviguons de façon beaucoup plus groupée et c’est l’occasion de vous présenter tout ce petit monde composant notre caravane de canoës. A commencer par les castors.

Ils se rencontrent souvent à terre par trois mais naviguent séparément.
Quand l’appétit va, la pagaie va !

Deux castors et un grand trappeur en chef avec casquette mais sans chapeau traditionnel (mauvais point pour Destination rivières !) forment le canoë de tête.

Mathieu et ses castors !
Canoé de tête puis derrière, un second trappeur — un peu rafteur — mais avec un joli chapeau motive son castor (=mon fiston) à un style de pagayage actif et efficace (en temps normal ;-) ! Suivi par le canoé 4 mais où est le troisième ?

Les filles, dans le troisième bateau, se plaisent à naviguer comme elles en ont envie. On les voit de temps en temps, filer sur l’eau, celle à l’avant, les yeux fermés, juste bercée par le mouvement de pagaie de celle à l’arrière. Ce sont leurs minutes zen.

Dans le quatrième canoë, l’heure n’est pas à la zénitude, après leur mésaventure de la veille, mon équipier les conseille sur leur trajectoire et leurs manœuvres, histoire de naviguer proprement. C’est du sérieux, on ne rigole pas…

Photo by Nathalie

Notre bateau est certainement le plus bavard mais n’allez pas croire non plus que c’est salon de thé. Je raconte mes histoires à quelqu’un à l’arrière dont je ne vois même pas l’ombre de la pagaie. Bref heureusement qu’il a du répondant et du ramage sinon je jouerais le premier rôle dans Monologue avec le Tagliamento. On pourrait presque en faire un titre de thérapie. Autre caractéristique, nous sommes certainement le canoë le plus indépendant même si nous sommes supposés fermer la caravane. Mon équipier, farouchement autonome, ayant décidé, ni de se baigner, ni de mettre un pied dans l’eau, nous optons pour des passages parfois bien différents du reste de la caravane. Histoire d’éviter portage ou échouage. Une stratégie qui s’avérera gagnante à chaque fois.

Sous la tente, le sable

Ce quatrième bivouac sera certainement un des plus beaux et des plus envoûtants. Nous nous installons sur une île de sable fin, encore immergée il y a peu de temps, où subsistent quelques galets au milieu des courageux peupliers et saules qui résistent au grand travail de jardinier du Tagliamento.

Photo by Gregory Douillard
Sophie, c’est pas encore ça, détends-toi ouvre les bras ! (photo by Nathalie)

Avant de sortir nos affaires des sacs étanches et de monter la tente, nous profitons d’un courant proche de la rive pour nous entraîner à la fameuse position de sécurité en cas de retournement du canoë. Je me prête au jeu et ce n’est pas facile.

Se laisser emporter dans le courant, si fort malgré le petit mètre d’eau, lever les pieds, s’allonger, faire confiance à la rivière, porter son regard là où on veut aller, étendre les bras et les remuer activement pour se propulser et pouf le fessier heurte les galets, c’est l’amerrissage, réussi ce coup-ci !

Photo by Nathalie

Les castors adorent ! Je n’y arriverai qu’à la quatrième fois…

Un bras d’eau vive à l’intérieur de l’ile nous offre un autre bain à remous mais pour la détente cette fois. J’y passerai du temps, allongée sur le dos, juste le visage sorti et tourné vers le ciel, mes deux mains calées dans les galets, devenir liquide comme la rivière…

Après un coucher de soleil d’anthologie, tous groupés près du feu en mode chamallow party, nous aurons la chance d’assister à un concerto de visiteurs du soir à plumes. Ils viendront nous observer de très près en cancanant, ululant, chantant etc. Et ce sans voir un seul bec à l’horizon, ni reconnu un seul cri. Au matin, une multitude de traces de pattes attestera que oui nous n’avons pas rêvé, ils étaient bien là à nous regarder et à en raconter des choses.

Suite et fin du récit (les deux derniers jours) à lire là : Le Tagliamento — En route vers la mer

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