La quérulence processive en copropriété
1. La gestion des conflits
Les Syndics ont un rôle majeur dans le cadre des litiges en copropriétés. En cas de conflit, le Syndic veille à explorer les possibilités d’aboutir à une solution amiable ; il ne lancera des procédures judiciaires que dans certaines circonstances et en fera usage avec précaution et modération. On ne dira jamais assez que la communication et l’accord négocié, le cas échéant dans le cadre d’une médiation, sont d’excellents outils auxquels il faut avoir recours dans la mesure du possible. En ce qui concerne les Syndics professionnels, l’art. 80 du code de déontologie leur impose « … de veiller à adopter une stricte neutralité dans les conflits qui impliqueraient des copropriétaires ou des occupants et qui ne concernent pas la gestion de l’association , sans préjudice de ses obligations légales ou conventionnelles ou du respect à attacher à une décision de justice ». Les termes « stricte neutralité » sont importants et il faut considérer qu’ils indiquent clairement la voie à suivre dans les actes posés par celui qui a reçu mandat (par décision de l’Assemblée Générale ou par décision judiciaire ) d’assurer la gestion administrative , technique et financière de la copropriété. Ce principe de neutralité peut donc être considéré comme « une boussole », permettant au Syndic d’orienter ses actions.
Dans certains cas, cet instrument de navigation devient même prépondérant, afin d’être capable d’affronter des situations « de chaos », comme celles qui peuvent résulter de la « quérulence processive ».
2. La quérulence
Il est communément admis que la quérulence est un comportement délirant qui amène une personne à multiplier de manière excessive les actions en justice pour redresser un dommage dont elle s’estime la victime. Il s’agit d’un véritable trouble psychiatrique, qui pose un réel problème dans le cadre de la gestion d’une copropriété. En effet, une telle attitude, en dépit des efforts de conciliation déployés par le Syndic, fait obstacle à toute forme de communication amiable, cherche à imposer une version unilatérale d’un problème et vise à faire triompher cette version présentée et défendue comme étant une « vérité unique et absolue ». Un tel cas de figure peut avoir de lourdes conséquences pour tous les intervenants (à commencer par le Syndic, les autres copropriétaires, les avocats, les experts, les huissiers, les courtiers d’assurances … et même les magistrats et/ou tout autre intervenant susceptible de faire l’objet d’une plainte, d’un recours, qu’il soit d’ordre judiciaire, disciplinaire, sans oublier les plaintes au pénal. Les conséquences néfastes pour ne pas dire catastrophiques, sont nombreuses et variées : harcèlement du Syndic par tous moyens de communication , explosion des charges de la copropriété , situation de blocage de la gestion financière par suite de manque de trésorerie, suspension de la fourniture de services par les fournisseurs , contestations interminables à tous propos ( souvent sur des points mineurs) utilisées comme stratégie dilatoire pour se soustraire à des obligations incontestables , en spéculant sur des lenteurs de tous ordres (lenteurs judiciaires , lenteurs administratives etc…), sans oublier l’impact psychologique et le climat de « terreur » infligé aux autres copropriétaires, que le quérulent n’hésite pas à impliquer dans toutes ses actions judiciaires et ce , par tous les moyens imaginables …
3. Les développements judiciaires
Dans les situations extrêmes de quérulence, les autres copropriétaires sont dans l’obligation de prendre en charge la carence de paiement du copropriétaire quérulent et défaillant. Ce dernier en effet, peut décider pour des raisons totalement arbitraires, de suspendre tout paiement jusqu’au moment où il aura réussi à faire triompher sa cause ! Sur ce dernier point ,la réalité est souvent bien différente : ses recours, ses plaintes ( auprès de toutes les instances publiques, administratives , disciplinaires, plainte avec constitution de partie civile entraînant la saisie d’un juge d’instruction, etc…) ses appels et autres moyens en ce compris des pourvois en cassation, qui paralysent les organes de gestion , sont en général rejetés ou bien, il n’obtient gain de cause que de manière très insignifiante ,sur des petits points de détail et après d’interminables développements juridiques… Malgré tout, rien n’y fait : le copropriétaire quérulent n’en démord pas. En dépit de décisions judiciaires très longuement motivées qui rejettent ses prétentions ( en dénonçant parfois ses agissements de manière cinglante ) , le quérulent s’estime au contraire gravement lésé, continue à se présenter en victime incomprise et persécutée et lance de nouvelles procédures , avec la certitude de triompher ultérieurement. Son nouvel ennemi est tout trouvé : le Juge , qui a rendu une décision qui lui donne tort ! C’est l’occasion pour lui d’introduire une action en récusation contre le magistrat qui a été partial et/ou qui n’a rien compris au dossier (ou qui lui en veut personnellement) ou même d’intenter une requête en dessaisissement contre tout le Tribunal et obtenir le renvoi de l’affaire devant une autre Juridiction !
4. Le cauchemar des autres copropriétaires
Le lecteur qui m’a suivi jusqu’ici, aura compris qu’il s’agit d’un véritable cauchemar, vécu en particulier par les autres copropriétaires qui vivent cette situation au quotidien et qui par voie de conséquence, sont devenus « les banquiers » d’un parasite. C’est une « escalade de l’engagement » : les autres copropriétaires doivent en effet continuer à financer une démultiplication exponentielle et délirante de procédures judiciaires, supporter vaillamment tous les frais qui y sont afférents, au rang desquels : les honoraires du Syndic, des avocats, des huissiers, des experts, des contre-experts, des architectes, etc… et ce , de manière indéfinie, dans le cadre de procédures qui s’étendent parfois sur plusieurs années…..Le « quérulent-type » bénéficie en général de l’intervention d’une couverture assurance PJ « protection juridique » , change très souvent d’avocat et recherche de préférence l’appui d’un Conseil qui omettra de prendre ses distances par rapport au délire procédurier de son client. Bien entendu, il ne faut pas stigmatiser la profession d’avocat qui mérite le plus grand respect, en soulignant que le cas de figure précité est marginal et extrêmement rare.
5. Les « remèdes » à la quérulence : quelques pistes à explorer
L’impact « du chaos » pour la copropriété, lié à la quérulence processive, n’est pas sans remèdes. Bien sûr, le corps médical a son mot à dire: mais ce n’est pas l’objet de la présente note.
L’art. 3.92 § 3 de Loi en matière de copropriété ( * ) dispose que : «…Tout copropriétaire peut demander au Juge d’annuler ou de réformer une décision irrégulière , frauduleuse ou abusive de l’Assemblée Générale , si elle lui cause un préjudice personnel… » . Dans le même temps, cette action doit être exercée avec discernement, de manière prudente et responsable. Pour reprendre les termes d’une décision judiciaire récente « …l’exercice du droit d’agir en justice dégénère en abus, s’il constitue une faute caractérisée répondant à une intention malicieuse ou faisant apparaître la mauvaise foi ou si une partie exerce son droit d’agir en justice d’une manière qui excède manifestement les limites de l’exercice normal de ce droit par une personne prudente et diligente… »Si une personne s’obstine à lancer des actions judiciaires, sans tenir compte des plus élémentaires principes juridiques (ex : sans apporter aucun élément sérieux qui établit clairement un préjudice ou le dommage qu’elle invoque, sans apporter la moindre preuve d’une faute et un lien de causalité entre la faute et le dommage), celle-ci ne se comporte pas en personne raisonnable prudente et diligente. Elle encombre les tribunaux avec de vaines prétentions.
- L’aspect téméraire et vexatoire d’une demande permet d’obtenir des indemnités qui sont mises à charge du demandeur quérulent par le Juge. Il faut systématiquement demander ces indemnités, dont le montant doit être dissuasif pour le quérulent.
- Dans le cas de la carence de paiement des charges communes, il est aujourd’hui admis par la jurisprudence que les autres copropriétaires ne peuvent pas se retrouver dans l’obligation de suppléer indéfiniment à cette carence. Il est donc possible de solliciter un jugement provisionnel condamnant au paiement des charges non contestées et de réserver à statuer sur les postes contestés
- Il est utile pour la copropriété, de demander expressément au Juge de ne pas autoriser le cantonnement des sommes mises à charge du débiteur, afin de permettre à la copropriété de disposer immédiatement des fonds dont elle a un urgent besoin.
- L’Art. 3.92 § 2 de la Loi précitée prévoit la possibilité de saisir le Juge pour faire désigner 1 ou plusieurs administrateurs provisoires qui se substituent aux organes de l’Association des copropriétaires. Lorsque la situation est devenue totalement ingérable (les agissements d’un copropriétaire quérulent peuvent le cas échéant en être la cause ), le Juge apprécie les mérites d’une telle requête et peut même désigner un Syndic Judiciaire ou Provisoire , qu’il charge en même temps d’une mission d’Administrateur Provisoire dont il peut fixer les termes et les modalités.
- On pourrait imaginer d’établir « une liste » ou un « registre » de personnes réputées quérulentes dans le cadre de règles précises. Je ne suis pas favorable à cette manière de stigmatiser une catégorie de personnes, même si leur pouvoir de nuisance est important. Et ce, en vertu du principe sacro-saint du droit de chacun d’assurer la défense de ses intérêts par toutes voies de droit.
La liste des remèdes qui précèdent peut paraître assez « maigre » et peu adaptée à la gravité de la maladie ….Vos suggestions et témoignages sont les bienvenus, n’hésitez pas à me les partager en commentaire ou par message privé.
Laurent KRIWIN
( * )Loi du 18/06/18, entrée en vigueur le 1/01/19 et la nouvelle numérotation du Code Civil, Loi du 4/02/20 entrée en vigueur le 01/09/21)