Ellroy portait

Olivier-Jourdan Roulot
6 min readMay 9, 2015

un blazer bleu

Edition / polar / 10 mai 2015 / Olivier-Jourdan Roulot

Ce samedi, à Marseille, le grand James Ellroy portait un blazer bleu et des tennis blanches. Je l’ai rencontré en petit comité, l’auteur de L.A Confidential étant en tournée pour la sortie de son 14ème roman. L’occasion de l’entendre évoquer un certain… Bruno Mégret.

James Ellroy est en ville. Ce samedi, le révérend Ellroy — ou le Dog, le Chacal, ou encore American dog, c’est au choix — était à Marseille pour la troisième et dernière étape de sa tournée française, avec dans ses bagages Perfidia, son nouveau livre annoncé par lui-même comme son œuvre la plus aboutie, avec ce sens incroyable de l’autopromotion qui le caractérise.

De passage dans la ville de la French, l’écrivain star de la cité des anges avait rendez-vous cet après-midi avec son public à la bibliothèque de l’Alcazar pour une lecture, puis un échange avec ses admirateurs, autour de cet ouvrage sur l’internement d’Américains d’origine japonaise après l’attaque de Pearl Harbour. Bousculade garantie pour ce qui promettait d’être un grand show, étant donné le tempérament du maître du polar.

« Ca va gueuler, vu le nombre de personnes qui ne pourront pas rentrer », m’avait glissé quelques heures plus tôt un confrère prévoyant, avant l’évènement.

La veille, j’avais pris les devants. La carte de presse a cet intérêt qu’elle offre à son détenteur quelques (menus) passe-droits. Dont celui, parfois, de s’éviter les désagréments de l’attente et de la cohue sous la chaleur. Résultat, en lieu et place d’une hypothétique entrée à l’Alcazar, j’avais rendez-vous en début d’après-midi en haut de la Canebière, pour une rencontre en petit comité avec la vedette du jour.

A 14 heures pétantes, nous étions un petit groupe à patienter à l’entrée de la librairie Maupetit, entre les tables des nouveautés littéraires. « Alors, il n’est pas là ? ». A mon interrogation, ce confrère répondait à sa façon. « Il doit dormir, il adore faire la sieste ». Personnellement, je connaissais surtout la passion d’Ellroy pour la musique classique, notamment l’œuvre de Beethoven, qu’il écoute à fond dans sa maison posée sur les hauteurs de Los Angeles, si j’en crois ce que j’ai pu lire dans Telerama.

Quelques minutes plus tard, Ellroy posait à l’étage pour la poignée de photographes qui avaient été conviés. Nullement endormi.

La chose qui frappe tout de suite, face à lui, c’est sa taille. Arrivé le matin à l’aéroport de Marignane, Lee Earle Ellroy (son nom véritable) est là, il est immense. Beaucoup plus grand que je ne l’imaginais. Blazer bleu old school, chemise au gout douteux (une sorte de modèle vaguement hawaïen), petite moustache parfaitement taillée, lunettes en écaille sous son crâne boule à zéro, basket blanches, il doit mesurer 1m95, à vue d’œil. En grand professionnel des médias, avec qui il avait un temps coupé les ponts au tournant des années 2000, de peur de se perdre face à des sollicitations incessantes, il fait le show, prend la pose. Et se révèle être le client parfait pour les caméras qui lui font face : un vague lancement, et le voilà parti pour caler parfaitement les 5 mn utiles — de quoi permettre aux franchies de s’en sortir avec une seule question, comme s’ils s’exprimaient dans un anglais fluent.

Ellroy en France, c’est un évènement. Un déplacement aux allures de tournée de pop star. Ce voyage organisé pour le lancement de Perfidia a fait la une de la presse nationale — du Monde à Télérama pour ce que j’en ai vu, sans exhaustivité garantie. L’ancien junkie revient nous voir dès qu’il s’agit d’un livre majeur — c’était notamment le cas pour le Dahlia noir ou American Tabloïd.

« C’est à l’évidence le truc rock de ce samedi, anticipait la veille une amie, excitée par l’effervescence autour de cette visite. Tout le monde veut y aller alors que personne ne l’a lu ». La saillie, si elle a le mérite d’être percutante, n’est évidemment pas tout à fait juste. A moins que ceux qui s’arrachent ses productions se contentent ensuite de les poser sur leur bibliothèque, sans y toucher.

Croisé ce samedi, en début d’après-midi, son éditeur français me confiait être « très confiant » dans la commercialisation de la nouvelle livraison du maître absolu du polar.

« On espère en écouler environ 150 000 », me précisait François Guérif, directeur de collection chez Rivages.

A l’étage de Maupetit, en plus de quelques journalistes, une vingtaine de lecteurs clients de la librairie avaient gagné le droit de venir rencontrer Ellroy dans ces conditions très privilégiées. L’occasion de lui serrer la main, échanger et se faire prendre en photo avec lui.

Et de découvrir, vraie surprise, qu’Ellroy évoque spontanément le nom de… Bruno Megret, l’ex-félon qui était parti faire scission du FN pour s’installer avec madame à la mairie de Vitrolles… Tendez l’oreille, ce moment est étonnant.

« Bruno Mégret, a great name ! Mayor of Toulouse… »

L’histoire ne dit pas si cet élan mégretiste a une portée politique. On imagine la moue de Jean-Marie Le Pen à l’évocation de ce fantôme du passé… Ce qui est sûr, c’est qu’Ellroy n’est pas vraiment marqué à gauche. Il n’a de cesse lui-même de se qualifier de réactionnaire. Dans le doute, n’ayant pu percer le mystère, chacun en tirera les conclusions que bon lui semble.

Evidemment, quand on rencontre un écrivain, il est aussi question de dédicace. Un exercice obligé, dont chaque auteur se tire à sa façon. Chacun possède ses petits trucs, ses recettes personnelles. Ellroy, lui, aime dessiner sur la page de garde. Voici ce que ça donne — comme si cette dédicace vous était personnellement adressée :

Ellroy revenait de Corse — dont il semblait avoir fait une fixette dans Americain tabloïd, consacré à l’assassinat de JFK, donnant du grain à moudre aux thèses complotistes voyant la main du milieu corse, associé à la mafia italo-américaine, dans le drame du 22 novembre 1963. La veille, il avait ainsi créé l’évènement dans l’île, attirant 600 personnes dans un théâtre de Bastia bourré jusqu’à la gueule.

Avoir réussi à inviter la rock star Ellroy est un énorme coup pour Bastia. Derrière lequel on retrouve deux jeunes libraires, à la tête de la librairie des Deux mondes, installée au 10 de la rue Napoléon, où j’ai d’ailleurs vécu un temps, quand je dirigeais feu le quotidien 24 Ore. Pour convaincre son éditeur d’inscrire cette étape insulaire au programme de la tournée française de l’auteur, le duo a écrit un long courrier, qui a produit son petit effet. Il faut dire que les deux libraires sont anciens journalistes — ceci expliquant aussi cela.

A l’échelle de l’île, cette mobilisation a de quoi impressionner, surtout un 8 mai, jour férié. L’occasion pour le Dog de vendre 400 exemplaires de son nouveau pavé de 800 pages. Et de constater au passage que la Corse est aussi une terre de lettrés — un message bon à rappeler quand beaucoup ne voudraient voir dans la Corse qu’un territoire peuplé uniquement de primaires et d’illettrés, alors que le nombre et le taux d’agrégés originaires de l’île en surprendrait plus d’un.

Olivier-Jourdan Roulot

PS : J’oubliais… Sur la tenue vestimentaire vous savez tout, pour les consommations, en revanche, Ellroy a demandé un café, puis un Perrier. Ne jugeant pas digne d’intérêt le jus de citron, pourtant excellent, proposé dans les locaux de Maupetit ce samedi. Sans doute n’en a-t-il pas besoin, pour avoir fait le plein d’acidité depuis longtemps. Après tout, Ellroy l’écrit lui-même (dans American tabloïd, comme le rappelait vendredi Macha Sery dans Le Monde) : « L’Amérique n’a jamais été innocente »…

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Olivier-Jourdan Roulot

Journaliste entre deux portes, pour regarder de l'autre côté du miroir, en coulisses