S’achemine-t-on durablement vers un exode urbain ?

L’habitat périurbain, bien étudié par la sociologie urbaine, pourrait être le grand gagnant du confinement, au détriment des centres-villes métropolitains.

Païdeia
4 min readApr 22, 2020
Richard Ehrlich, Untitled 2003, Crédits- Harvard Art Museums/Fogg Museum

Les quelques jours qui ont précédé et suivi l’annonce du confinement ont été le lieu de scènes étonnantes, celles d’habitants des grands centres urbains fuyant en masse leurs appartements pour se réfugier dans des résidences secondaires. Certains ont pu comparer cette atmosphère d’angoisse devant l’inconnu à celle qui a conduit à l’Exode de 1940, quand les Parisiens fuyaient par centaines de milliers l’arrivée imminente de la Wehrmacht[1].

Le problème du logement dans une crise qui dure

La comparaison, cependant, s’arrête là, tant les causes de l’exode actuel diffèrent. Dans la très grande majorité des cas, c’est la promiscuité des villes et l’exiguïté des appartements des centres urbains que l’on fuyait, à la recherche de conditions de confinement moins difficiles[2]. La plupart n’ont cependant pas pu partir, et certains, notamment parmi les familles avec enfants ou les personnes isolées, doivent faire l’épreuve de logements urbains devenus de véritables prisons. Une question, dès lors, se pose : le confinement aura-t-il en France des conséquences sur les grands équilibres territoriaux et les dynamiques de peuplement ?

Cette question se pose d’autant plus que le début de déconfinement prévu le 11 mai n’est qu’une première étape. Très vraisemblablement, en l’absence de vaccins avant plusieurs mois, voire plusieurs années, et sans traitement miracle découvert dans l’immédiat, c’est une forme d’immunité de groupe qui sera lentement recherchée dans les mois qui viennent, avec une distanciation sociale suivie, un confinement ciblé pour les personnes à risque ou présentant des symptômes, sinon même, dans le pire des cas, la stratégie du « stop and go » : des phases d’alternance entre confinement et déconfinement, en fonction des places disponibles en réanimation[3].

Sortir de l’opposition ville — campagne

Si ces scénarios d’une crise qui durerait entre une et deux années se confirment, certains font l’hypothèse que de nombreux urbains pourraient à court ou moyen terme se tourner vers des logements à la campagne. C’est le cas notamment de Philippe Crevel[4], directeur du Cercle de l’Épargne, ou encore d’Oliver Babeau, président du think-tank l’Institut Sapiens, qui dans une tribune au Figaro associe un bouleversement du marché immobilier au profit des campagnes à une généralisation du télétravail et des rapports sociaux numériques[5].

Ces hypothèses intéressantes reposent toutefois sur une vision quelque peu obsolète de l’opposition ville-campagne, qui a considérablement perdu de sa pertinence sous l’effet de bouleversement territoriaux profonds depuis la seconde moitié du XXe siècle. C’est ce qu’ont bien montré les travaux de sociologie urbaine d’Eric Charmes, en mettant en évidence l’accroissement de l’habitat périurbain depuis plus de cinquante ans[6].

Le périurbain est selon les critères de l’INSEE la couronne qui fait partie de l’aire urbaine des métropoles, mais qui se situe hors de leur agglomération où le bâti est continu et comprend la ville centre et ses banlieues. La couronne périurbaine ressemble donc bien à des villages de campagne du point de vue du paysage et du nombre d’habitants (moins de 2000), mais reste sous l’influence de la ville dans la mesure où le mode de vie y est semblable à celui des urbains, et où selon les critères de l’INSEE au moins 40% de sa population travaille en ville, et est parfois constituée pour partie de cadres ou de professions libérales à très hauts revenus, comme dans certains villages des Yvelines. Cet habitat représente actuellement 40% du territoire français, et près du quart de sa population.

L’hypothèse d’une accélération du phénomène périurbain

La prise en compte du périurbain permet de complexifier l’image simpliste d’un exode rural inexorable. On peut résumer ainsi les grandes tendances démographiques récentes : des pertes de population dans les villes petites et moyennes et les campagnes non périurbaines, au profit des centres métropolitains et de leur couronne périurbaine. Or, les centre villes sont durement touchés par la crise du coronavirus, qui les ampute de tous leurs avantages en termes de vie sociale, tout en rendant insupportable l’étroitesse de leur habitat souvent hors de prix. A l’inverse, le périurbain permet de réunir les avantages de la campagne et de la ville : préserver un cadre de vie confortable à moindre coût, tout en restant proche des grands bassins d’emplois et de loisirs.

On peut ainsi faire l’hypothèse qu’à court ou moyen terme, dans le scénario probable d’une crise durable, de plus en plus d’urbains des centres villes, parfois déjà tentés de partir, franchissent le pas pour s’installer, au moins provisoirement, dans les campagnes proches. Cette situation ne ferait qu’accentuer une tendance lourde en faveur des couronnes périurbaines, tout en faisant baisser la tension sur le logement des principaux centres métropolitains, qui s’était fortement aggravée ces dernières années.

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