Fertility Stories — #4 : C. et mettre toutes les chances de son côté

Paola Craveiro
10 min readOct 11, 2019

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C. a 30 ans. C’est une femme homosexuelle, qui vit près de Paris. Elle est célibataire. Sa carrière est très importante pour elle, et pleine de succès. Elle n’a pas encore d’enfant. Elle sait qu’elle veut devenir maman, mais ne veut pas le faire seule. Pourtant, elle a commencé à prévoir cette étape de sa vie — elle a fait congelé ses ovules il y a quelques mois… en Espagne.

Nous nous connaissons depuis un petit moment. Pourtant, à chaque fois que nous nous voyons, j’apprends de nouvelles choses à son sujet. En l’interviewant, j’ai réalisé à quel point j’étais ignorante d’une part de sa vie : j’ai appris qu’elle mettait de l’argent de côté depuis longtemps déjà pour pouvoir avoir l’espoir de devenir maman un jour.

10 000€ : le coût moyen pour avoir un enfant lorsque vous êtes lesbienne.

C’est le prix pour devenir mère. Un prix que la majorité des hétérosexuels n’auront jamais à payer. Un prix, qui ne se limite pour autant pas à l’argent. La complexité du processus est un autre problème : obtenir des informations, trouver un médecin pour accompagner vers une PMA, obtenir les ordonnances, aller à l’étranger pour l’opération, etc. Rien n’est simple, puisque ce n’est pas encore légal en France de congeler ses ovules et de prévoir une FIV si aucune raison médicale ne la justifie — et encore plus si vous êtes un couple de femmes ! C’est actuellement en train de changer, mais c’était le contexte dans lequel C. a commencé sa démarche. Alors, face à l’illégalité de son envie, tout prend du temps, de l’espace mental, impacte la forme — et le coût est aussi psychologique !

“Aller à la pharmacie pour les hormones, c’était vraiment pas génial. Je me sentais dans l’illégalité, parce que je le fais pas en France, c’est à l’étranger. […] Mais j’aurais préféré le faire en France. Parce que, devoir aller à l’étranger, ça a été la chose la plus difficile pour moi. Je me suis rappelée toutes ces femmes qui allaient avorter à l’étranger parce que c’était illégal. Et j’avais l’impression de faire quelque chose de moralement inacceptable alors que je faisais juste ça dans l’objectif de devenir mère un jour. Pour moi il n’y a rien de plus beau que de fonder une famille. Mais je me suis sentie hors-la-loi.”

La culpabilité d’avoir besoin d’un recours à une procédure médicale pour être mère a été une chose compliquée à gérer. C’est inimaginable pour C. de ne pas être mère un jour — mais, dans son esprit, elle associait les FIV à l’homosexualité. Parce qu’elle avait des amies autour d’elle qui l’ont fait. Parce qu’elle y avait pensé depuis longtemps dans le cadre de sa sexualité. Parce qu’elle n’avait pas d’autre moyen de réaliser son envie.

“J’ai toujours beaucoup culpabilisé de devoir passer par un acte médical pour être mère un jour. Et, en fait, quand je suis allée en Espagne, j’étais entourée de 4 couples hétérosexuels. Donc je me suis dit, pourquoi j’associe ça à l’homosexualité, c’était une connerie totale. […] En fait, c’est juste parce qu’en France, on n’en parle pas. Mais j’ai vu plein d’exemples de couples hétérosexuels qui peinaient à avoir des enfants — qui étaient accompagnés avec des traitements hormonaux. Ca m’a fait beaucoup de bien, de me dire que c’était pas juste parce que j’étais lesbienne.”

Elle veut des enfants. Ca fait partie de ses plans de vie. Et comme elle avait le temps, l’argent et la force de caractère de se lancer dans la procédure, elle a décidé de prendre un peu d’avance : elle a commencé par l’étape #1 — congeler ses ovules.

L’ensemble de son parcours a duré de novembre 2018 à avril 2019. Durant cette période, elle a traversé plusieurs étapes. Tout a commencé quand elle a voulu faire un don d’ovules.

“C’était assez soudain. J’avais du temps — et tout de suite, j’ai pensé à un don. J’ai un frère qui est né avec une malformation et ça m’a rendu sensible, très tôt, à l’importance du don pour la santé des gens”.

Elle a commencé fin novembre. A la mi-décembre, son dossier était rempli et elle avait été informée que son dossier était éligible (sur la base de son âge et du nombre de folicules ovariens disponibles). Tout est allé très vite, car tout est lié au cycle menstruel : au cours des 3 premiers jours des règles, un échographie pelvienne et un test sanguin valident la capacité à faire le don. Les deux actes peuvent se faire au même endroit : dans les centres médicaux qui pratiquent ces échographies (pas besoin de chercher à prendre rendez-vous, ils ont généralement des créneaux disponibles, vous pouvez y aller directement ou téléphoner), une infirmière est souvent présente pour faire la prise de sang dans la foulée.

Tout est gratuit pour la personne qui effectue ce don. La Sécurité Sociale rembourse chaque acte médical et chaque médicament dont le donneur pourrait avoir besoin. Et, comme compensation pour la réalisation de cette procédure quelque peu invasive, vous pouvez garder une part de vos ovocytes pour vous. Cinq sont prélevés pour donations à des couples, le reste est votre propre assurance fertilité pour le future. Cependant, il est important de savoir que la plupart des femmes produisent rarement plus de 10–12 ovocytes par cycle (il y a des exceptions à cette moyenne, évidemment, encore plus pour des femmes jeunes) — et il faut 12 à 15 ovocytes matures pour garantir des chances de succès élevées pour une future FIV. Mais, quelques ovocytes d’une femme de 29 ans, c’est déjà une très bonne assurance !

Elle a voulu se lancer. Mais, une question incluse dans le questionnaire l’a fait tiqué. Une case à cocher — au sujet du “consentement du conjoint”. A l’hôpital, elle a donc demandé si, en étant mariée à une femme, elle pourrait accéder à ses ovocytes. C’est à ce moment qu’elle a découvert le vide légal qui concernent les couples de lesbiennes : personne n’était sûr de la réponse — rien ne lui garantissait de pouvoir alors accéder à ses propres ovocytes conservés plus tard.

Une révision de la loi bio-éthique en cours devrait autoriser l’accès à la PMA pour toutes les femmes, ainsi qu’aux couples de lesbiennes. En France, il devrait être maintenant possible de faire également congeler ses ovules, sans condition médicale — et sans notion de consentement du conjoint.

Aller à l’étranger pour accomplir son 1er pas vers la parentalité

A ce stade, elle était allée trop loin pour revenir en arrière : elle voulait congeler ses ovules, et “mettre de côté”, pour elle ! A l’époque, ce choix était impossible à faire en France, sans condition de santé. Elle a du aller à l’étranger : en Espagne ! Elle a trouvé le nom d’une clinique en écoutant un podcast sur le sujet, et a vérifié leur taux de succès. Elle les a contacté, a obtenu plus d’informations de la part d’une infirmière et d’un médecin. Habitués à recevoir des appels de femmes françaises, ils ont écouté et répondu à toutes ses questions. Car elle voulait tout savoir : les différentes étapes, les prix, les détails de la procédure, les conditions d’opération, les probabilités, etc. Après avoir été satisfaite dans sa curiosité, elle a validé son choix de clinique.

Elle a obtenu une ordonnance de la clinique madrilène, qui devait être retranscrite par une gynécologue en France. Cette partie n’est pas toujours aisée, car beaucoup de médecins peuvent refuser. Mais, après une consultation qui l’a rassurée chez sa gynécologue LGBTQI+-friendly, elle a pu aller chercher les hormones dont elle avait besoin à la pharmacie à côté de chez elle (~600€, non remboursés). On lui a alors conseillé de trouver une infirmière pour les premières injections. Ce fut une denrée difficile à trouver.

Le pharmacien m’a dit : ‘si j’étais vous, j’appellerai une infirmière pour les premières injections’. Personne ne m’avait dit ça avant […] Mais, quand j’ai vu les fioles, les seringues, j’étais là… ‘euuuhhh’… Personne m’avait dit qu’il fallait que je le fasse seule !

18 infirmières. Elle a dû appeler 18 infirmières avant que l’une d’elle accepte de l’aider — parce que les injections doivent être faites le soir et que l’infirmière ne peut facturer que 7€ pour cet acte. Pour autant, ce fut indispensable pour C. : elle n’aurait pas pu réalisé les injections sans avoir eu cette assistance — 2 injections / jour pendant 1 semaine, puis 3 injections / jour ensuite. Elle sait que, si elle veut refaire une congélation d’ovules, elle montera peut-être à 4 injections / jour.

Pour la 1ère fois de sa vie, elle a également pris la pilule. Mais la stimulation hormonale était trop pour son corps : la première échographie a montré le développement d’un ‘corps jaune’, corps qui aurait aspiré toutes les hormones et empêché le développement d’autres ovocytes matures. Cela a rendu impossible la ponction lors de ce cycle. Elle a dû attendre. Impatiemment. Puis, un cycle plus tard… Ses règles, une échographie et une prise de sang plus tard, elle était prête.

Quand tout est bon, on te dit ‘ça y est, vous pouvez venir à la clinique, c’est maintenant !’. Moi, c’était le weekend de Pâques, j’ai dû prendre un billet de train et une chambre à la dernière minute. Alors ça m’a couté un bras !

La procédure s’est bien passée. Le personnel était agréable et tout est allé très vite — 20 à 30 minutes pour la ponction. Elle avait 17 ovocytes matures.

Mais après, j’ai eu la douche froide. Alors que j’avais 17 ovocytes matures, il n’y en avait que 8 qui étaient exploitables. […] Puis, dans l’après-midi, la clinique m’a rappelé pour me dire que, en fait, il n’y avait que 5 ovocytes matures. Donc là, très grosse remise en question. Je suis rentrée en France, j’étais dévastée. Je me suis sentie tout sauf performante.

C. est allée en Espagne seule. Elle l’a un peu regretté — car le résultat de sa ponction n’a pas été aussi bon qu’espéré. C’était une étape dure à traverser seule. Elle n’avait jamais été prévenue que cela pouvait arriver. Tout le monde était très — trop ? — optimiste. On lui a dit qu’elle était jeune, qu’elle n’aurait besoin que d’une seule ponction, que c’était le moment de le faire. Elle aurait préféré qu’on la prépare à un résultat moins positif, elle aurait préféré qu’on lui permette d’anticiper le potentiel échec. Alors, elle a posé des questions à la clinique — sur l’influence de l’alimentation, du stress, du mode de vie. On lui a dit qu’éviter le stress était important — pour autant, ils recommandent toujours aux femmes de ne pas changer leur mode de vie. Et on l’a aussi rassuré : sa réserve ovarienne est bonne, il n’y avait aucun moyen de prévoir que les résultats de la ponction ne seraient pas aussi bons qu’espérés.

Maintenant, elle s’est apaisée. Elle connait le processus pour refaire une autre ponction, et elle espère pouvoir le faire en France. Elle a fait le premier pas vers sa future FIV, pour devenir mère — ce projet dans lequel elle n’avancera pas avant d’être sûre d’avoir trouvé la bonne partenaire.

Je vais refaire une ponction pour être sure d’avoir un taux de succès. Des copines m’avaient dit que c’était très douloureux, que les humeurs, c’était très intense, etc. Mais pas pour moi. […] C’est une préparation pour la future PMA que je devrais faire. Maintenant, je connais le process. Je serai pas angoissée.

Elle sait aussi qu’il n’y a pas de parfaite garantie qu’elle pourra avoir un enfant un jour. On lui a demandé dans son parcours, pourquoi elle faisait cela si jeune. Pour elle, c’est maintenant qu’il faut le faire, car à sonâge, la qualité de ses ovocytes est meilleure. Elle veut mettre toutes les chances de son côté, pour mener la vie qu’elle souhaite. Une vie dans laquelle elle deviendrait mère.

Faire une ponction, c’est un filet de sécurité. Il faut bien comprendre que ça ne te garantira jamais à 100% d’être mère. Et ça, je pense qu’il faut vraiment le savoir. Mais, c’est une option que tu t’offres, sans vouloir dire que ça arrivera forcément. Les médecins, ils ne le disent pas, mais je l’ai entendu beaucoup dans les podcasts. Des gens vivent des drames émotionnels parce que, pour eux, ça allait forcément fonctionné. Mais ce n’est juste pas vrai !

Pour C., c’est une chose magnifique de vouloir être mère. Elle sait qu’elle est chanceuse d’avoir le temps, la connaissance et surtout l’argent pour faire congeler ses ovules à 29 ans. C’est loin d’être encore accessible à tous : la congélation lui a coûté environ 3500€.

Pour que les femmes puissent mener la vie qu’elles souhaitent, en ressentant moins de pression et d’anxiété à l’idée de repousser l’âge d’avoir un enfant, pour que les femmes puissent être et se sentir libres de continuer leur carrière comme elles le souhaitent, l’accès à la congélation d’ovocytes et à la PMA pour toutes est clé. L’évolution de la loi bio-éthique commence à montrer la voix, afin que la pression de l’horloge biologique puisse laisser place à plus de contrôle.

C’est la 4ème histoire de ma série “Fertility Stories”. Si vous souhaitez également partager la votre, contactez moi! Je serai ravie de prendre un moment pour discuter et pour raconter votre histoire.

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