Mon ado ne me parle plus!
L’adolescence apporte son lot de chaos, de surprises, de joies et de frustration pour l’ado lui-même mais également pour ses parents. Les changements sont soudains et se manifestent par à-coups. Il n’est pas rare qu’en tant que parent, on se retrouve pris au dépourvu par la rapidité avec laquelle nos enfants se transforment. C’est toujours notre enfant mais une radicale et nouvelle (et parfois dérangeante) altérité se déploie sous nos yeux en temps réel: cet enfant est en train de devenir “sa propre personne”. Ses revendications, notamment d’indépendance, deviennent plus précises et plus intenses. Il argumente et ses arguments sont articulés, logiques et il semble en disposer d’une source intarissable!
Mais si la sphère intellectuelle de cette graine d’adulte se développe à la vitesse d’une fusée, nous “sentons” qu’il n’en reste pas moins vulnérable sur le plan émotionnel. Nous savons qu’il faudra encore de longues années avant qu’il puisse voler de ses propres ailes et qu’il a encore terriblement besoin de nous. Mais comment faire pour continuer à “être parents” pour un ado qui refuse le dialogue, qui fuit, qui “répond”, qui nous challenge et qui ne partage plus ses émotions?
Lorsque nos enfants entrent en fracas dans cette longue zone de transition qu’est l’adolescence, ils nous invitent implicitement à réviser notre style de communication. Ils nous poussent à inventer un nouvel espace de parole, extensible, dans lequel ils peuvent se sentir en sécurité et progresser à leur rythme.
Mais quel défis pour les parents!
Voici quelques pistes qui, je l’espère, pourront vous aider sur ce chemin parfois carrément chaotique.
Première partie: les niveaux d’écoute.
“Quand mes parents me parlent, la plupart du temps, je sais déjà ce qu’ils vont me dire. Alors, dans ma tête je transforme ce qu’ils disent en un fichier et je le compresse. Ca fait un fichier .ZIP… Et j’en ai des tonnes des fichiers comme ça!”
D. 17 ans
Cet ado n’aurait pas pu choisir une meilleure métaphore. Sans le savoir, il utilise un concept qui appartient à la Théorie U, une méthode de gestion du changement développée par Otto Scharmer, professeur en management au MIT.
La Théorie U est une pratique visant à introduire de l’empathie dans les interactions et de l’utiliser pour rompre les patterns contreproductifs qui nous enferment dans des cercles vicieux non créatifs (*).
Je ne vais pas m’appesantir ici sur cette théorie mais je vais l’utiliser pour mettre en évidence les quatre niveaux d’écoute qu’elle propose afin que nous comprenions ce qui nous empêche d’entrer en communication avec nos ados et … ce qui les fait fuir! Notons au passage que l’écoute seule n’existe pas. Il y a en permanence un va-et-vient entre les interlocuteurs qui sont tour à tour celui qui parle et celui qui écoute.
Les quatre niveaux d’écoute:
- Téléchargement
Ce niveau d’écoute est exactement celui que D. utilise lorsque ses parents lui parlent: il télécharge le fichier, le compresse et le range dans un dossier. Lorsqu’on est en mode téléchargement, on écoute distraitement, on n’est pas engagé dans la conversation. On parvient à capter quelques informations mais sans plus. Il s’agit d’une écoute essentiellement passive comme lorsque l’on télécharge un fichier sans le lire. C’est typiquement le style d’écoute que vont adopter les personnes se sont vues répéter un discours à maintes reprises et qui savent déjà ce que leur interlocuteur va leur dire.
Le problème qui se présente alors est le suivant: la personne qui parle sent que l’autre n’est pas présent. Afin de capter son attention, elle va redoubler d’efforts et insister, généralement en répétant à nouveau ce qu’elle a déjà dit, renforçant encore davantage la frustration et l’éloignement de son interlocuteur.
Au final, les deux personnes sortent de l’interaction frustrées, agacées, déçues et ont le sentiment que ni l’une ni l’autre n’a été respectée.
Il n’est pas possible de construire sur de telles interactions. Elles ne produisent aucun ressort au changement. Au contraire, elle figent la relation dans un status quo pénible et n’offrent aucun levier d’action.
2. L’écoute factuelle.
Ce niveau d’écoute porte l’attention sur les faits, c’est-à-dire le contenu du discours. C’est le mode d’écoute typique de la personne qui cherche à apprendre quelque chose, par exemple, lors d’une conférence ou d’une leçon. Dans la vie quotidienne, cela peut être lorsqu’un ami nous explique comment faire un compost ou partage une recette de cuisine. L’interlocuteur est concentré et engagé dans la conversation et peut même poser des questions pour faire préciser un point ou l’autre.
Cependant, il ne s’agit pas d’une interaction qui engage les personnes en tant que telles. Cela reste à la surface de notre moi, cela n’engage que la sphère intellectuelle et repose sur la logique. Il n’y a pas de tentative de création de lien avec l’autre en tant qu’“être total”. Les émotions, le vécu, l’expérience intérieure ne sont pas engagés ni perçus. Il y a donc une rupture entre la personne et le contenu de son discours: seule compte l’information factuelle et si le discours était prononcé par un robot, cela reviendrait au même.
Au terme d’une telle interaction, les personnes sont satisfaites car elles ont soit transmis, soit appris quelque chose. Toutefois, ce type d’interaction ne peut pas déboucher sur un changement profond car pour qu’il y ait changement, il est impératif que l’être total soit impliqué. Sans cela, on reste dans un status quo neutre et aucun lien ne se crée.
3. L’écoute empathique
L’écoute de niveau trois ou écoute empathique implique les émotions, le vécu et l’expérience intérieure et se focalise sur “ici et maintenant”. Les interlocuteurs sont engagés dans le moment présent de l’interaction, ils sont attentifs et pas seulement au contenu du discours mais également à “ce qui se passe autour du discours”. Ils saisissent les subtiles variations d’intonation, les expressions du visage, le langage corporel. Et, bien que cela soit relativement inconscient, cela apporte une “couche” d’informations riche et dense. Selon Albert Mehrabian, dans une conversation, le langage corporel compte pour 55% des informations pertinentes, la voix pour 38% et les mots… pour 7%!
On peut considérer que les deux premiers niveaux n’arrivent donc à transmettre que 7% d’information alors que l’écoute empathique est totale: elle implique les 100%.
Ce troisième niveau d’interaction permet de nouer un véritable lien avec l’autre. Nous sommes attentifs non seulement à ce qu’il dit mais également à ce qu’il ressent. Vue de l’extérieur, une telle interaction ressemble à un tango. La discussion se déroule au-delà des mots sous la forme d’une danse où les partenaires se parlent et se répondent non seulement verbalement mais avec tout leur corps. Nous envoyons à chaque instant des indices qui sont perçus par l’autre et auxquels il réagit. Nous savons lorsque c’est notre tour de parler, nous captons les émotions de l’autre et nous y répondons adéquatement.
Dans ce type d’interactions, chacun se sent en sécurité et ose se montrer vulnérable. Les interlocuteurs sont en phase l’un avec l’autre, il existe une réciprocité qui peut servir de base à un changement profond. Les conditions de possibilité d’un espace créatif sont posées.
4. Ecoute générative
L’écoute générative est l’étape ultime. Lorsque les personnes adoptent ce type d’écoute, elles n’écoutent pas seulement ce qui se déroule ici et maintenant. Elles se connectent avec l’être total passé, présent et futur de l’autre et perçoivent tout son potentiel ainsi que le potentiel de la relation elle-même — soit, son devenir.
L’attention est totalement captée par l’autre, ce qu’il vit, ce qu’il est, ce dont il est capable, sa nature profonde. Ce type d’interaction est propice à l’émergence créatrice. Elle est illustrée par l’ampoule qui, brusquement, éclaire une pièce: des options inédites surgissent tout à coup éclairant une situation qui semblait sans issue et qui, soudain, offre des horizons insoupçonnés.
L’écoute générative est typiquement celle des coachs et des psys mais il n’y a pas de raison pour que ce soit exclusif: tout le monde peut se mettre en phase avec une autre personne et créer cet espace de pure créativité.
Il ne peut pas y avoir de conflit dans ce type d’écoute si les deux personnes y sont engagées en même temps. Il n’y a ni jugement, ni critique car tout ce qui vient de l’autre est perçu comme ressource potentielle susceptible de générer d’autres possibles.
Tout problème éventuel est envisagé sous l’angle de sa résolution par “co-création”. L’écoute générative est un profond ressort au changement capable de déplacer des montagnes qui, a priori, sembleraient inamovibles.
Deuxième Partie: en pratique
Nos ados nous grimpent sur la tête. Ils font des choses qui nous paraissent farfelues (jouer à des jeux vidéos), dangereuses (tester des drogues) ou inquiétantes (auto-mutilation, anorexie…) et nous nous retrouvons perdus face à eux.
Comment cet enfant adorable, gentil, drôle et confiant que j’amenais à l’école avec joie tous les matins s’est-il transformé, pratiquement en une nuit, un en ours boudeur, silencieux, égoïste et exigeant? Ou en un chat alternant (très vite!) phases d’euphorie ou de recherche d’attention avec des phases de repli sur soi, d’isolement, d’hyper-réactivité ou de colère soudaine?
Souvent les parents, épuisés et découragés me disent: “Je ne sais plus par quel bout la prendre! Rien de ce que je fais ne fonctionne. J’ai peur de la perdre”.
Quand cela se produit, c’est un signe qu’il est temps de faire le point, de tout remettre à plat et d’analyser nos habitudes d’écoute.
Afin de mieux comprendre, prenons deux exemples fictifs.
Ecoute 1 et 2
Exemple 1.
Ado: Tu me passes 10 euros pour ce soir? Je sors avec des potes.
Parent: Un jour de semaine? Ce n’est pas raisonnable. Tu n’auras pas le temps de faire ton travail pour l’école. Et 10 euros? Il serait temps que tu acquières la notion de l’argent. Tu sais, je travaille dur pour gagner de quoi nous faire vivre. Ton travail, c’est de réussir à l’école pour pouvoir ensuite faire des études et trouver un bon emploi. Et ce n’est pas en “sortant” qu’on obtient des diplômes.
Et d’ailleurs, va ranger ta chambre!
Ado: [silence agacé, suivi d’un long soupir]
Exemple 2.
Parent: Tu as des devoirs? Des leçons? Veux-tu que je t’aide à organiser ton travail? Tu sais, tu peux gagner énormément de temps et d’énergie si tu travailles méthodiquement. Quand j’étais jeune ne m’organisais pas mais j’ai appris par la suite et c’est tellement plus efficace! Viens je vais te montrer comment faire.
Ado: [ silence découragé suivi d’un long soupir]
Bien sûr ces deux exemples sont caricaturaux mais ils illustrent bien les interactions basées sur les types d’écoutes 1 et 2.
Le parent est pris dans ses propres émotions: il a peur pour son enfant et, car son cerveau d’adulte en est capable, il “voit” tous les écueils que son enfant va rencontrer au cours de sa vie. En tant que parents, nous sommes terrorisés à l’idée “qu’il lui arrive quelque chose”. Nous supportons difficilement voir notre enfant souffrir et nous nous précipitons pour le mettre tout de suite sur les bons rails afin de lui éviter toute souffrance. Cependant, les conseils qui sont donnés, s’ils sont tout à fait valables et légitimes, sont présentés comme des faits (interaction factuelle) et ne tiennent pas compte de l’être total de l’ado. En retour, l’ado n’aura pas d’autre choix que l’écoute de type téléchargement. De plus, ce qui est transmis sous la forme d’un discours n’a que peu de portée (les fameux 7%) car les mots ne peuvent pas transmettre l’expérience qui est de l’ordre du vécu.
Exemple: Si vous êtes une maman alors vous savez ce qu’est un accouchement. Vous le savez de manière totale: vous le savez, certes intellectuellement, mais votre corps le sait aussi. Tout votre être sait ce qu’est l’expérience de vie qu’est l’accouchement. Maintenant, essayez de l’expliquer à un homme! Vous savez que c’est impossible: même avec tous les mots du Littré, il est impossible de transmettre un vécu, une expérience. Même en essayant d’être la plus précise et la plus exhaustive possible, vous ne donnerez jamais qu’un aperçu de votre expérience d’accouchement.
Il en est de même pour notre ado. Nous pouvons lui donner les explications les plus claires et les plus précises sur ce qui se passerait s’il ne réussissait pas ses études ou s’il prenait de la drogue ou buvait de l’alcool. Mais aucun discours ne pourra transmettre les ressources nécessaires pour mener à bien des études ou se prémunir des dangers de la vie. La seule et unique chose que nous pouvons faire c’est d’être là, à ses côtés, et, co-créer au coeur-même de notre relation avec lui, un cocon sécurisé dans lequel il peut venir s’apaiser et se ressourcer.
Ainsi, si nous élevons nos interactions aux niveaux 3 et 4 nous ouvrons un espace de parole libre. Les ados ne demandent pas mieux que de parler de ce qui les préoccupe. En réalité, ils en ont davantage besoin qu’à n’importe quel autre moment de vie.
En créant une nouvelle dynamique dans les interactions, nous permettons à notre ado d’avoir recourt à sa créativité; nous lui offrons le loisir et le temps de se forger sa propre boîte à outils de ressources qui lui serviront toute sa vie. Aussi difficile que paraisse l’idée que notre enfant soit provisoirement perdu et en souffrance, le plus beau cadeau que nous puissions lui faire est de l’accompagner sur son chemin à lui, à distance, afin qu’il puisse faire les essais et les erreurs nécessaires à son évolution, tout en restant proche afin de le secourir en cas de danger (et seulement en cas de danger!).
Voyons ce que ça donne si nous élevons nos interactions et les plaçons sur les modes de l’écoute empathique et génératrice.
Exemple 1
Ado: Tu me passes 10 euros pour ce soir? Je sors avec des potes.
Parent: Cool! C’est qui?
Ado: Lola, Kevin et Sara.
Parent: Mmmh Lola…
Ado: (grand sourire) Oui!
Parent: Et vous comptez faire quoi?
Ado: On ne sort pas longtemps, on va juste s’acheter des pizzas et les manger au parc.
Parent: Bonne idée. Il fait beau, il faut en profiter. Et donc… Lola?
Ado: Je ne sais pas. Je l’aime vraiment beaucoup, beaucoup mais je ne sais pas si c’est réciproque. Je ne sais pas si je dois lui dire ou si je fais comme si de rien n’était.
Parent: Tu aurais peur d’un refus?
Ado: Oui. J’ai peur quelle me dise “tu sais tu es mon meilleur ami et c’est super si ça reste comme ça”. Ce serait trop dur. Et puis, si elle sait que je suis amoureux d’elle, notre amitié risque d’être… abimée. Enfin, ce ne sera plus naturel, quoi.
Parent: Oui c’est difficile de prendre une telle décision. Il y a toujours ce risque de se voir rejeter et ça, ça peut être très douloureux.
Ado: A fond!
Parent: Cela dit, on passe tous par là un jour ou l’autre dans notre vie. Tu veux que je te dise ce que j’ai appris?
Ado: Oui!
Parent: Bien sûr c’est ce que j’ai appris moi, et ça vaut ce que ça vaut. Chaque personne vit les choses à sa manière. Mais si c’était moi, je crois que je laisserais faire les choses. Je passerais du temps avec elle, j’apprendrais à la connaître vraiment. Et je me dirais: “Si quelque chose doit se passer, ça se passera!”
Ado: Mais si je ne dis rien et qu’elle est trop timide pour me dire quelque chose?
Parent: Elle ne te le dira sans doute pas avec des mots mais elle te le fera comprendre autrement. On parle d’ailleurs mieux de ces choses-là sans les mots.
Ado: Mmh… je ne sais pas, je suis quand même stressé!
Parent: Ca c’est normal: la boule au ventre avant de la voir?
Ado: (rit) Oui oui c’est ça! [Pause ]. Et donc… euh… ces 10 euros?
Parent: Je vais te les donner mais je voudrais que tu réfléchisses à la manière dont tu me l’as demandé tout à l’heure. Ce n’était pas très sympa. D’autant plus que tu as de l’argent de poche.
Ado: Oh … je suis désolé.e. Je n’ai pas réfléchi. Pardon. Et… je n’ai plus grand chose sur mon compte mais j’ai un baby-sitting samedi et je te rembourserai. Si tu es d’accord?
Parent: Ca va pour cette fois. Mais juste une dernière chose: à quelle heure comptes-tu rentrer?
Ado: Pas tard. Vingt heures ou vingt heures trente max parce que je veux réviser pour mon interro de math.
Parent: Ok ça marche! Et… je suis fière de toi!
Exemple 2
Parent: Tu as du travail pour l’école?
Ado: Oui. Des tonnes!
Parent: Dis donc, ils ne sont pas sympas les profs!
Ado: Non, ils ne se rendent pas compte qu’on a plusieurs cours et ils font tous comme si leur cours était LE plus important!
Parent: Ca paraît injuste ça.
Ado: Ouiiii ! Enfin, en même temps, ça nous apprend à travailler.
Parent: Et à vous organiser! Mais ça peut être stressant, non?
Ado: Oui. D’ailleurs, parfois, j’ai des sortes de … mmh … je ne sais pas. Comme du stress dans mon ventre?
Parent: Tu veux dire quelque chose comme de l’anxiété ou de l’angoisse?
Ado: C’est quoi la différence?
Parent: Les deux sont de la peur. Disons que l’anxiété est moins forte que l’angoisse.
Ado: Alors j’ai de l’anxiété pour français et de l’angoisse pour maths.
Parent: Je vois. C’est difficile ça.
Ado: Oui
Parent: Et comment fais-tu pour gérer tout ça?
Ado: J’en parle avec Marie. Et Amélie mais moins parce qu’elle ne comprend pas trop. Elle me dit: “ben tu n’as qu’à pas y penser alors”. Mais ça ne marche pas comme ça. J’y pense et puis je n’arrive plus à ne pas y penser.
Parent: Je vois… Est-ce qu’il y a quelque chose qui pourrait t’aider?
Ado: Je ne sais pas. Oh si, je sais! Quand j’ai compris la matière du premier coup je me sens mieux.
Parent: Tu te sens plus sûre de toi?
Ado: Oui
Parent: Tu crois que ça aiderait si je t’aidais pour les sujets plus difficiles?
Ado: Peut-être. Mais si tu m’aides et que j’ai une bonne note, ce ne sera pas tout à fait “ma” note.
Parent: Oui et non. Je compte juste t’expliquer pour t’aider à comprendre mais je ne vais pas faire le devoir ou passer l’interro à ta place!
Ado: C’est vrai. Mais je me sentirais quand même mieux si j’arrive à me débrouiller toute seule.
Parent: Ecoute, voici ce que je te propose: tu fais au mieux par toi-même et si jamais tu ne t’en sors pas du tout avec une leçon ou un devoir tu viens me voir. Oui?
Ado: Oui d’accord. Par contre si tu as un truc pour l’anxiété et l’angoisse je veux bien…
Parent: Tu peux essayer la respiration par le ventre. Tu connais?
Ado: Oui j’ai déjà vu des posts sur Insta qui parlent de ça.
Parent: Ah parfait! Eh bien, essaie de retrouver ces posts et de mettre ça en pratique. C’est super efficace. Je le fais souvent quand mon bosse que tape sur les nerfs!
[Rires]
Ado: Et sinon, on mange quoi ce soir?
Les deux exemples qui précèdent introduisent un certain nombre de choses qui sont autant d’apprentissages pour l’ado.
- Il apprend qu’il peut parler en toute liberté car il ne sera ni sermonné, ni jugé ni critiqué. Il pourra toujours se réfugier dans la relation avec son parent en cas de difficulté: il y est en sécurité.
- Il apprend à interagir en profondeur. Il peut exprimer ses émotions et se montrer vulnérable sans danger.
- Il apprend que la vulnérabilité n’est pas une faiblesse mais qu’au contraire, c’est une force créatrice.
- Parler “vrai” est également une force car cela permet non seulement d’examiner des situations telles qu’elles sont mais également de trouver des solutions inédites.
- Il apprend à se faire confiance car le parent lui fait remarquer qu’il dispose déjà de nombreuses ressources (mais sans le dire textuellement); et que ces ressources peuvent lui servir de base pour en développer de nouvelles. Le parent l’entraîne ainsi dans un cercle vertueux créatif.
- Il apprend la co-construction. Ou pour le dire autrement, que deux cerveaux valent mieux qu’un seul!
- Il reçoit les limites imposées par le parent sans s’y opposer car elles sont amenées avec bienveillance et par le biais d’un discours portant sur l’émotion et non sur les faits.
- Il apprend que le lien est plus important que le discours.
- Il apprend que la vision qu’il a de sa situation n’est pas l’unique manière de voir les choses. Parce que le parent accorde une réelle légitimité au point de vue de l’ado, il lui permet en retour d’accueillir la vision d’un autre et la considérer comme valide. Ainsi, il sort progressivement du solipsisme de l’adolescence pour s’ouvrir à l’Autre et ce faisant, il s’ouvre à d’infinis horizons.
Prenons donc le temps de nous observer lorsque nous interagissons avec nos ados. Les exemples d’interactions basées sur les modes d’écoute 3 et 4 que j’ai présentés ici peuvent avoir l’air d’une gentille fiction ou d’une douce utopie. Il est possible que vous vous disiez: “ça ne marchera jamais avec le mien!”. Et je comprends. Mais je peux vous promettre une chose: si on y met tout son coeur, ça marche à tous les coups! Votre ado est compétent. Il sait énormément de choses. Il a des valeurs, des principes et c’est une belle personne. Misez sur son immense capacité à inventer, à imaginer, à modeler sa propre vie. Ne lui donnez de conseils que s’il en demande ou, si vous voyez qu’il patauge, lancez-lui une perche mais n’imposez rien.
Et n’oubliez pas que l’adolescence est concomittante d’une drôle de pathologie: la myopie du temps! C’est bien sûr déjà le cas dans l’enfance mais alors que les ados semblent sans cesse se projeter dans l’avenir, ils ne sont capables de le faire que sous la forme du rêve: ils rêvent leur avenir, qu’il soit immédiat ou lointain mais ils ne sont pas encore capables de l’organiser comme un adulte. Une séquence d’actions étalée dans le temps telle que: “je vais étudier mes maths maintenant pour avoir de bonnes notes et réussir mon année en juin” n’a pas pour lui le même sens que pour nous. L’avenir de l’ado est flou, impalpable, à la fois merveilleux et terrifiant. Le mieux pour l’instant est d’éviter de l’évoquer de manière factuelle. Mais paradoxalement, nous pouvons nous asseoir à côté de notre ado et le laisser dérouler ses rêves, ses peurs et fantasmes d’avenir sans intervenir si ce n’est pour partager un moment avec lui.
Laissons donc cette magnifique graine d’adulte pousser à son rythme, prendre la ou les formes qui lui parlent maintenant et qui seront peut-être obsolètes dans quinze jours ou dans six mois. Apprivoisons nos propres émotions pour qu’elles ne l’envahissent pas, qu’elles ne deviennent pas des facteurs limitants pour sa vie. Ouvrons nos propres horizons et dansons avec notre ado un tango tantôt serein tantôt décoiffé mais toujours tendre, sensible et saturé d’amour.
(*) J’entends “créativité” au sens le plus large du terme. Il ne s’agit pas seulement de la créativité de l’artiste. Nous sommes tous créatifs dans le sens où nous pouvons créer des solutions pour chaque difficulté que nous rencontrons. Nous aussi sommes créatifs chaque fois que nous nous projetons dans l’avenir et formulons des projets. Nous utilisons notre imagination, notre capacité d’abstraction (par définition, un projet non encore réalisé est une abstraction provisoire). Projet vient du latin: “projicere” qui signifie: jeter quelque chose en avant. Projeter de planter des géraniums sur son balcon est une expression de sa créativité: c’est “jeter en avant”, dans le monde, quelque chose qui n’existait pas auparavant…