(Re)-trouver une stabilité émotionnelle
Être émotionnellement instable est éprouvant. Les émotions deviennent alors des ennemis que l’on tente de fuir ou de combattre et plus on tente de les fuir ou de les combattre plus elles sèment le chaos en nous.
En étudiant le mode de fonctionnement des personnes émotionnellement stables, la psychologie positive permet de différencier les bonnes habitudes qui favorisent la sérénité des mauvaises habitudes qui engendrent des montagnes russes émotionnelles.
D’une manière générale, les personnes émotionnellement instables ont tendance à:
- Se perdre dans des spirales d’inquiétude et d’angoisse
- Se retrouver coincées dans des états dépressifs et d’humeur sombre
- Être nerveuses, agitées voire agressives face à la plus petite difficulté ou au moindre stress
Plusieurs choses peuvent mener à l’instabilité émotionnelle:
- De mauvaises habitudes mentales subtiles mais extrêmement puissantes
- Confondre contrôle des émotions et gestion des émotions
- Une tendance à agir en fonction de ses émotions au lieu de ses valeurs
Les mauvaises habitudes mentales
Ces habitudes ont pu être apprises pendant l’enfance et ensuite renforcées au cours de la vie ou bien elles peuvent surgir après une période de stress particulièrement intense.
Heureusement, il n’est jamais trop tard pour (dés-)apprendre!
L’enjeu est de traquer, d’identifier et d’éliminer ces habitudes mentales qui causent une souffrance psychologique inutile.
Voici deux habitudes mentales qui engendrent un véritable chaos émotionnel perpétuel. Les personnes émotionnellement stables savent instinctivement que ces habitudes ne sont pas profitables et les évitent. Les autres… doivent apprendre à s’en débarrasser!
Mauvaise habitude #1: “Je pense donc c’est vrai!”
En tant qu’humains, notre capacité à penser de manière rationnelle et de manière créative est l’une de nos grandes forces. Sans elles, la théorie de la relativité générale ne serait pas apparue dans le cerveau d’Einstein, nous n’aurions pas les oeuvres de Léonard de Vinci, les romans de Proust ou les antibiotiques.
Cela dit, il ne faut pas être un génie reconnu pour avoir des idées géniales. Pensez à toutes les fois où vous avez résolu un problème de la vie quotidienne de manière créative ou à votre capacité à “multitasker” mentalement entre les enfants, les courses, le boulot, la famille, les collègues…
Cependant, pour chaque idée géniale, notre cerveau génère des milliers d’idées inutiles, bizarres, irrationnelles voire franchement stupides qui n’ont aucun sens — ni intérêt — particulier.
Voici un exemple: “Les chats aboient, la caravane passe”.
Vous venez de lire cette phrase, autrement dit, elle a séjourné un instant dans votre cerveau exactement comme toutes ces idées que vous produisez à longueur de journée. Mais cela ne veut pas dire que son contenu est vrai et/ou pertinent.
Aussi, il est important de se rappeler régulièrement que nos pensées ne sont pas toutes l’expression d’une vérité.
Par exemple:
- “Mon partenaire est en retard, il a dû avoir un accident de voiture en rentrant du travail”
Cette phrase — cette “idée” est une pensée qui paraît réaliste parce qu’elle utilise une procédure de raisonnement logique “si -> alors”. On peut facilement se convaincre de la pertinence de ce raisonnement car c’est celui utilisé par la rationalité (par exemple en science ou en math).
Ce que le cerveau entend dans ce cas, c’est “Si mon partenaire est en retard, alors il a eu un accident en rentrant du travail”. Cette phrase devient un stimulus déclencheur d’émotions indépendamment de sa pertinence.
Lorsqu’on a pour habitude de générer ce type d’idées, on crée des vagues d’émotions subtiles qui paraissent anodines. Mais l’accumulation et la répétition de ces mini-stimuli finit par avoir un impact délétère sur notre humeur générale. Un fond d’anxiété, de déprime ou d’irritation devient constant et le moindre incident externe déclenche un tsunami d’angoisse, de dépression ou de colère.
Voici d’autres exemples de petites phrases qui n’ont l’air de rien et qui sont de véritables poisons pour notre équilibre psychologique:
“Ma présentation était nulle, mes collègues vont penser que je suis bête”
“Je passe trop de temps à travailler, je suis une mauvaise mère/un mauvais père”
“Je ne suis pas assez belle/intelligente/cultivée/drôle (etc.) mon partenaire va s’en rendre compte et va me quitter”
Ces phrases sont implicitement construites sur le modèle “si -> alors”. A ce titre, elles apparaissent légitimes alors qu’elles ne décrivent pas une réalité. Elles n’ont pas plus de sens que “Les chats aboient, la caravane passe”!
Que faire pour se débarrasser de cette habitude?
Etre vigilant! Se répéter régulièrement que ce n’est pas parce que l’on pense quelque chose que cette chose est vraie. Traquer les pensées qui génèrent des émotions. Ne pas croire tout ce que notre cerveau “radote”!
Mauvaise habitude #2: “Je pense donc je contrôle”
Lorsque nous pensons, nous avons l’impression de contrôler les choses alors que seule l’action nous permet d’avoir un contrôle sur notre environnement.
Prenons le fameux exemple du lapin et du renard: le lapin court dans les bois et soudain, sent l’odeur du renard. Ce stimulus déclenche une réaction de peur quasi instantanée et cette peur le pousse à l’action: il fuit. Cette séquence: stimulus -> émotion -> action lui sauve la vie. L’émotion “peur” est dans ce cas une émotion utile car elle déclenche une action qui annule le stimulus.
Transposons cela à l’humain avec cet exemple:
Sophie vit en couple avec Romain. Romain est extraverti et lorsqu’ils se trouvent à deux en situation sociale (en famille, avec des amis) Romain a tendance à prendre beaucoup de place. Par exemple, s’il raconte leurs dernières vacances, il parle de Sophie à sa place (elle adorait ce resto, elle avait le mal de mer, elle a eu un coup de soleil…).
Sophie se sent chaque fois écrasée, ignorée et parfois franchement humiliée. Après chaque sortie, elle repense pendant des jours à l’évènement, se repassant en boucle les détails des interventions de Romain. Cette habitude lui donne l’illusion qu’elle contrôle la situation parce qu’elle l’analyse. Or l’analyse n’offre aucune possibilité de contrôle si elle n’est pas suivie d’action. En outre, très rapidement, son analyse de la situation est biaisée par ces mêmes émotions qu’elle tente de contrôler par la pensée.
Cela se traduit, entre autres, par de nombreuses phrases de type “si -> alors”. “Il parle à ma place parce qu’il pense savoir ce que j’ai ressenti … en fait, il ne me connaît vraiment ”; “S’il m’aimait vraiment, il ne m’humilierait pas devant les autres”; “Il ne se rend même pas compte que je souffre à ses côtés donc il est égoïste”.
Au final, il ne s’agit pas du tout d’une analyse rationnelle et Sophie ne crée rien qui puisse être un ressort à l’action et au changement. Pire: au lieu d’annuler les stimuli déclencheurs d’émotions par une action, elle en crée de nouveaux!
En réalité, avec chacune de ces pensées, elle crée le terrain parfait pour devenir sujette aux montagnes russes émotionnelles. A terme, lorsqu’elle se trouve seule avec Romain, elle lui en veut de générer toutes ces émotions en elle et ce ressentiment peut se traduire par une tendance à de petits élans d’agressivité vis-à-vis de son compagnon, aussitôt suivis d’une vague de culpabilité.
Nous voyons que Sophie génère une quantité d’émotions inutiles puisqu’elles ne sont pas suivies d’actions.
Que pourrait-elle faire?
- Elle pourrait avoir une conversation avec Romain et lui expliquer son ressenti lors de ces situations sociales.
- Elle pourrait s’exercer à devenir plus assertive et s’exprimer davantage dans des groupes.
- Elle pourrait aussi décider que raconter sa vie devant ses amis ou sa famille, ce n’est pas son truc mais que Romain fait ça très bien et en profiter pour vivre pleinement son côté introverti.
Ou…
- … elle pourrait faire les trois: parler avec Romain de son ressenti, lui demander de lui laisser un davantage de place pour qu’elle puisse apprendre à s’exprimer davantage et décider, au cas par cas, d’assumer son introversion les jours où elle a la flemme de faire l’effort de travailler son assertivité!
Quel que soit son choix, il lui permettra:
- de se débarrasser de l’habitude de croire que penser permet de contrôler les situations chargées émotionnellement.
- d’utiliser les émotions comme ressort à l’action lui permettant d’exercer un contrôle efficace sur sa vie.
Conclusion:
En se débarrassant de ces deux habitudes mentales encombrantes, nous créons les conditions pour (re)-trouver une authentique sérénité émotionnelle!
Mais ce n’est pas tout. Il y a d’autres stratégies que nous pouvons également mettre en place:
Ne pas confondre contrôle des émotions et gestion des émotions
La notion de “gestion des émotions” prête à confusion. En réalité, lorsque l’on parle de “gestion des émotions”, on ne parle pas de l’occurence d’une émotion mais bien de la gestion de “l’avenir des émotions”.
En effet, nous ne contrôlons pas le moment où l’émotion surgit.
Par exemple, si quelqu’un nous fait une remarque désobligeante, on peut se sentir vexé, triste, en colère, diminué, humilié… Le surgissement de ces émotions n’est pas contrôlable. En revanche, on peut gérer ce que l’on fait “avec” cette émotion après qu’elle soit survenue.
Les émotions sont des moteurs d’action (émotion vient du latin “motio” qui signifie mouvement). Dans la nature, les émotions poussent au mouvement, à l’action, à la mobilisation du corps d’une manière ou d’une autre. La peur nous fait fuir, la colère nous fait attaquer, la tristesse nous fait pleurer, la joie nous fait sourire, nous donne envie de créer, d’élaborer des projets…
Cela dit, les émotions ont une particularité: elles surgissent en nous mais leur durée de vie est extrêmement brève. L’exemple familier est celui de la porte qui claque: une porte claque, on sursaute (le bruit inattendu déclenche de la peur) et… c’est tout! Cela dure quelques millièmes de secondes. Pourquoi avons-nous tant de mal avec des émotions qui semblent durer des éternités?
Pour la seule et simple raison que lorsque nous ressentons une émotion, au lieu de la laisser suivre son cours naturellement bref, nous nous mettons à … penser.
Exemple A.
- Je croise un collègue qui me dit “oh tu as l’air fatiguée, toi”. Cette remarque me dérange et en une fraction de seconde je me mets à penser: “je suis pâle et que j’ai les yeux cernés, si cette personne l’a remarqué, d’autres le verront sans doute, mon patron va peut-être penser que je suis malade et donc pas productive, il va penser que je fais mal mon travail et … oh justement, ça me fait penser que j’ai fait une erreur dans ce dossier la semaine passée, voilà bien la preuve que je suis inefficace. De là à ce que je me fasse renvoyer, il n’y a qu’un pas, d’autant que j’ai entendu dire qu’on va licencier dans un service, je ne sais pas lequel, mais ce sera sûrement le mien vu mon incompétence… etc., etc.”
Nous voyons à travers cet exemple que l’émotion première “ça me dérange”, qui aurait pu durer quelques millièmes de secondes, prend des proportions inouïes dès qu’elle est saisie par la pensée. C’est ce que les psychologues appellent “cognition sur émotion”. On voit que les deux ne font pas un tandem très optimal!
Ajoutons à ce cocktail déjà explosif notre mauvaise habitude à croire que ce que nous pensons est vrai et nous avons la recette magique pour des montagnes russes émotionnelles à longueur de journée!
Encore une fois, répétons-le, nous ne pouvons pas contrôler le surgissement de l’émotion. Mais nous pouvons gérer son destin. Nous pouvons gérer nos pensées!
Une manière de gérer le destin d’une émotion est de se poser la question : “est-ce une émotion utile?”
Exemple B.
- Je marche seule le soir dans une rue sombre et des pas se rapprochent derrière moi, je ressens de la peur. Cette peur me dicte de marcher plus vite — voire de prendre mes jambes à mon cou! — et de me sauver sans demander mon reste. Il s’agit d’une émotion utile car, par l’action, elle peut potentiellement me sauver la vie.
Si je reprends l’exemple A, je ne peux pas contrôler le fait que cette remarque me dérange. Par contre, je peux contrôler ce que j’en fais. Par exemple, je peux prendre une profonde inspiration et laisser l’émotion se dissiper. Je peux identifier l’émotion, la nommer et me dire qu’elle n’est pas utile. Ce type de pensée: “Cette émotion n’est pas utile”, active les zones du cerveau qui contrôlent la rationalité et permet de diminuer l’intensité de l’émotion. Avec un peu d’entraînement, il devient possible de réduire la durée de vie des émotions inutiles.
Ne pas prendre de décisions basées sur des émotions mais sur des valeurs.
Chaque jour et parfois des centaines de fois par jour, nous prenons des décisions. Et souvent ces décisions sont basées sur des émotions.
Exemples.
Exemple 1 — Valeur: être autonome et indépendant.e
Une question nous tracasse ou nous angoisse. Nous “décidons” de demander à un ami de nous rassurer. Cette démarche est purement basée sur l’émotion. A terme, à force de demander constamment d’être rassuré par un tiers, d’être “sauvé de nos propres émotions” par autrui, nous devenons de plus en plus démunis face à elles. Nous n’apprenons pas à gérer leur destin, nous attendons des autres qu’ils le fassent pour nous. Du coup, nous devenons dépendants des autres, nous perdons confiance en nous et nous devenons de plus en plus anxieux.
Comportement basé sur la valeur:
- Faire de son mieux pour apprendre à gérer le destin de nos émotions par nous-même (valeur = indépendance).
- Se rendre compte lorsqu’on n’y arrive pas et demander à un proche s’il est d’accord de nous accorder un moment pour “ventiler”. Ventiler est la traduction de “to vent” en anglais qui signifie en gros: “vider son sac”. L’intérêt de cette méthode réside dans le fait que l’interaction est encadrée: le proche sait que pendant les dix prochaines minutes, nous allons nous plaindre, exprimer toutes sortes d’émotions et déballer tous nos problèmes. Nous n’attendons pas de lui qu’il nous rassure ni qu’il nous aide. Nous avons juste besoin d’un lieu où déposer le trop-plein en toute sécurité.
Exemple 2 — Valeur: loyauté et importance du lien à l’autre
Une dispute éclate entre deux conjoints. Ils se laissent aller à être sarcastiques ou méchants ce qui est momentanément satisfaisant: cela donne l’impression de remporter la victoire et on se sent supérieur. Cette attitude est dictée pas les émotions et non pas par les valeurs.
Comportement basé sur la valeur:
- Idéalement, on s’abstient d’être sarcastique et méchant et on recentre le conflit sur les émotions et les besoins de chacun. On tente une résolution de conflit par le dialogue, afin de préserver la qualité de la relation à long terme.
- Si le mal est fait et qu’on s’aperçoit qu’on est allé trop loin, un débriefing est nécessaire. On s’emploie à méta-communiquer sur ce qui s’est passé. On reconnaît que l’on s’est laissé emporter par ses émotions et qu’on a perdu de vue ce qui est important pour nous: l’autre et la relation. Nous réaffirmons notre attachement à l’autre et nous cherchons ensemble de meilleures stratégies de gestion des conflits.
Exemple 3 — Valeur: courage
Le comportement d’évitement est basé sur les émotions. Eviter tel collègue car il peut parfois faire des remarques acerbes ou s’arranger pour ne pas devoir faire des présentations en public parce que cela génère trop d’angoisse, nous entraîne dans une spirale où on est de plus en plus en proie aux émotions. L’attitude basée sur les valeurs privilégie de se frotter à ce qui nous désarme ou nous fait peur afin de se renforcer et de devenir de plus en plus résiliant face à des situations génératrices d’émotions. Ce sont ces petits moments où nous faisons preuve de courage qui peuvent faire la différence entre d’une part “être le jouet de ses émotions” et perdre une part de sa liberté et d’autre part de retrouver sa liberté et de créer sa place dans le monde.
Afin de devenir émotionnellement stable, il est utile d’apprendre à subordonner ses émotions à ses valeurs. Il est dès lors important de se remémorer régulièrement quelles sont nos valeurs et de s’interroger sur nos comportements:
- Sont-ils bien alignés avec nos valeurs?
- Certains sont-ils dictés par l’émotion et en contradiction avec nos valeurs?
Faire la liste de ses valeurs peut également aider à renouer avec nous-mêmes et se les rappeler régulièrement permet de prendre l’habitude de modeler son comportement afin qu’il leur corresponde.
Vivre en paix avec ses émotions est probablement le travail d’une vie. Elles ne sont pas nos ennemis: elles nous informent à longueur de journée sur l’état de notre environnement extérieur mais également de ce qui se passe en nous. Les accueillir pour ce qu’elles sont nous permet de recevoir les informations qu’elles nous offrent et de poser des actions justes dans le monde. Plus nous nous familiarisons avec les subtiles variations qu’elles manifestent dans notre corps, moins nous sommes sujets à des tsunamis émotionnels. Et surtout, moins nous essayons de contrôler notre vie émotionnelle par la pensée, mieux nous nous portons!