Stop aux clics!
Comment rebooster son système dopaminergique et retrouver de l’énergie.
Clic ! Un poulet tandoori dans le micro-ondes. Clic ! Musique ! Clic ! Les volets se ferment tous seuls ! Clic ! On Zoom aux chandelles avec son vieux cousin d’Australie. Merveilleuse technologie. Sauf que de clics en clics, on ne fait plus rien de nos neuf autres doigts et que selon certains chercheurs ce serait la voie royale vers la dépression !
Notre société n’est rien d’autre que la prolongation d’une quête historique de performance qui sévit depuis qu’on a appris à chasser le mammouth — voire même peut-être bien avant. L’Humain a ceci de particulier qu’il imagine sans cesse de nouveaux trucs pour avoir le moins de trucs à faire.
Ce qui nous stimule c’est de toujours faire mieux en moins de temps et en dépensant moins d’énergie. Moins on en fait, plus on travaille à trouver des solutions nous permettant de moins travailler… Fascinant !
Que l’on se souvienne de nos mercredis après-midi devant la Petite Maison dans la Prairie. Fin du dix-neuvième siècle, une famille vit dans ce qu’on appellerait aujourd’hui une cabane aux milieu de nulle part, de la terre et de son labeur. A peine un siècle et demi en arrière. Une broutille au regard de l’histoire de l’Humanité (qui date quand même de 3 millions d’années…).
Et pourtant, quelle différence ! Si Caroline Ingalls voulait que la petite Laura porte une robe neuve pour la messe du dimanche, il fallait qu’elle la crée de bout en bout à la main. Si la famille avait besoin de savon, on le fabriquait (regardez sur Google, c’est facile !). Si on voulait des frites, il fallait planter des pommes de terre dans de la terre, les arroser pendant pas mal de temps, regarder pousser un truc vert qui dépasse et qui ne ressemble pas à un emballage Mc Machin, puis il fallait se salir les mains, laver, éplucher, etc. Quelle perte de temps !
Dans un premier temps on pourrait se dire : « Mince ! Heureusement, aujourd’hui, en un clic on a des frites — ou presque… Pauvre Caroline Ingalls, qu’est-ce qu’elle devait être déprimée dans sa cabane minable sans wifi! »
Confortablement déprimant
Sauf que… Il y a quelques signes qui laissent songeur. Dans les années 70, alors que la société occidentale commençait à s’installer dans un confort inédit, le taux de dépression a commencé une irrésistible ascension. Une étude a montré à l’époque que les personnes nées à partir des années soixante avaient 10 fois plus de chances (ou de malchance!) de connaître un épisode de dépression majeure au cours de leur vie que celles nées au début du siècle. Etrange, surtout si l’on tient compte du fait que ces dernières avaient connu deux guerres, une Grande Dépression (économique, celle-là..) et pour la plupart, devaient toujours fabriquer leur savon.
Pire: selon l’OMS, la dépression est la cause principale d’invalidité. Elle est d’ores et déjà susceptible de toucher une personne sur quatre au cours de son existence et, toujours selon l’OMS, elle est aujourd’hui la cinquième cause de mortalité et de handicap dans le monde.
Comment expliquer ce phénomène pour le moins inquiétant ? Les cerveaux de nos arrières-arrières-grands-parents sont identiques aux nôtres et n’ont pas changé d’un iota depuis qu’on portait des peaux pur cuir de chez Mammouth & Co.
Alors, quoi ?
Une neuro-scientifique américaine du Randolph-Macon College en Virginie, Kelly Lambert, a formulé une hypothèse qui mérite le détour. Selon elle, nos cerveaux sont programmés pour induire une profonde sensation de satisfaction et de plaisir lorsque, par le biais d’un effort physique, nous produisons quelque chose de tangible, de visible et de significatif pour notre survie. Ce serait, selon la chercheuse, une astuce sélectionnée par l’évolution pour que nos ancêtres soient motivés à agir pour survivre. C’est-à-dire, se bouger les fesses pour trouver à manger, trouver des solutions pragmatiques pour se protéger des éléments et procréer pour la survie de l’espèce. Nous pouvons nommer cette fonction « effort physique + réalisation tangible = récompense ».
Tout se passe dans les connexions entre plusieurs parties du cerveau. L’une d’elle a la taille d’une cacahuète et répond au doux vocable de noyaux accumbens. Il est réputé pour être le centre du plaisir et de la récompense et se trouve en relation directe avec le striatum qui contrôle les mouvements, les régions subcorticales impliquées dans les émotions et l’apprentissage, et enfin, le cortex préfrontal qui est le siège de la pensée, de la planification et de la prise de décisions.
Or, que se passe-t-il lorsque l’on fabrique son propre savon plutôt que de le jeter distraitement dans son caddy au supermarché ? D’abord on réfléchit à la manière de procéder avant de prendre la décision d’agir. Ensuite, il faut élaborer des mouvements coordonnés qui nécessitent l’intervention du striatum. Et enfin, lorsqu’on a fini, le noyau accumbens et les régions limbiques (liées aux émotions) sont tout contents et libèrent de la dopamine qui donne un sentiment d’excitation et de la sérotonine qui apaise.
Or, justement, que se passe-t-il dans la dépression ? On ne ressent plus de plaisir (noyau accumbens), on se sent tout mou, nos gestes sont ralentis (striatum), on ressent des émotions négatives (système limbique) et on n’arrive plus à se concentrer et à prendre des décisions (cortex préfrontal).
Bref , la galère !
Les clics de la déprime
Et de fait, depuis les années soixante, avec l’automatisation croissante, nous faisons de moins en moins de choses concrètes. Observons nos journées. Du matin au soir on clique ! Clic le réveil, clic le café, clic le code de l’alarme, clic pour allumer l’ordi. Bref ! C’est clic, clic, clic toute la sainte journée !
Mais que faisons-nous qui se rapporte à l’équation « effort physique + réalisation tangible = plaisir » ? Pas grand-chose… La plupart de nos efforts sont exclusivement intellectuels. Ils produisent des résultats abstraits. Cela crée un déséquilibre dans la logique « noyau accumbens — striatum — système limbique — cortex préfrontal ».
Le fait d’avoir automatisé la plupart des tâches qui autrefois prenaient un temps considérable ne nous a pas pour autant gratifié de davantage de temps libre. Certes, on ne passe plus une journée entière à battre le linge dans la rivière gelée ou à fendre des bûches pour se chauffer l’hiver… Mais aujourd’hui, notre temps est occupé par des milliers de petites tâches dont la plupart sont liées au traitement de l’information qui surchargent le cortex préfrontal. Nous faisons donc effectivement beaucoup plus de choses en moins de temps mais au prix d’une “charge mentale” inadéquate (oui… la fameuse charge mentale existe bien )!
Car le plaisir que doit normalement procurer l’accomplissement de la tâche, est dilué dans le temps : les tâches menant à un résultat sont si multiples qu’en les réalisant on perd souvent de vue leur finalité. On peut penser qu’à un moment, le cerveau est saturé par le travail intellectuel et ne reçoit pas suffisamment de messages de satisfaction. Et lorsque l’on rentre chez soi, le soir à moitié écroulé de fatigue, les tâches ménagères, qui sont pourtant bien concrètes, elles, nous paraissent insurmontables.
Notre circuit de production de dopamine est donc en partie voire totalement perturbé et il ne faut pas s’étonner de constater de plus en plus de manifestations de cette perturbation telles que:
- Troubles du sommeil
- Manque d’énergie
- Anxiété diffuse
- Sentiment de déprime, de manque d’élan, de manque de “but dans la vie”
- Burnout
Aussi avant d’en arriver là, il faut relancer la machine et considérer que pour se protéger de la dépression, une seule chose à faire : faire des choses !
Dé-cliquez-vous !
(A coller sur le frigo)
- Chaque jour, je fais une liste (raisonnable !) des tâches à accomplir pour la journée :
Je la détaille au maximum et je coche chaque ligne d’une croix une fois la tâche accomplie. A la fin de la journée, je reprends ma liste et prends le temps d’apprécier le travail accompli … puis je m’en félicite avec enthousiasme (pour libérer de la dopamine)!
- Trois fois par jour, je fais l’exercice de l’instant présent pendant 5 minutes :
Je m’éloigne de toute source de clics et je me concentre consciencieusement sur chacun de mes gestes ici et maintenant. A faire sous la douche, en train de manger, en train de marcher…
- Trois fois par jour, je fais une pause de 90 secondes :
Je m’éloigne de toute source de clics, je m’installe confortablement, je ferme les yeux et je relâche tous mes muscles en soufflant bien fort.
- Trois fois par jour je fais une activité concrète, j’en prends conscience et j’y prends plaisir :
Je prends conscience de mes gestes lorsque je vide le lave-vaisselle, je prends plaisir à constater que les verres brillent, je range la maison ou ma chambre en prenant conscience de ce que je fais et lorsque j’ai fini, je me donne 5 minutes pour profiter du résultat et apprécier l’ordre; je prends conscience de ma conduite lorsque je suis au volant et j’apprécie mes capacités à me débrouiller dans le trafic, etc.
- Trois fois par semaine, je fais quelque chose de concret qui demande une heure d’activité qui occupe mes dix doigts et qui m’apporte une satisfaction :
Je prends un cours de peinture, de sculpture, de jardinage, de cuisine…
Je plante des fleurs (je prends mon temps), j’arrange un meuble (je prends mon temps), je nettoie les placards (je prends mon temps), je fais briller l’argenterie (je prends mon temps), je fais un repas complet (ouvrir une boîte de couscous ne compte pas…), je bricole, je peins un mur… et chaque fois, je m’octroie 5 minutes pour apprécier le résultat.
- Trois fois par mois je fais une journée sans clics :
Pas d’ordi, pas de télé, pas de voiture, pas de console, pas de gsm, pas de micro-ondes. Je me déplace à pieds ou à vélo, je passe à l’improviste chez mes amis, je mange cru, je lis ou je joue à un jeu de société avec les enfants et je prends conscience du plaisir que cela me procure.
Source :
Kelly Lambert, Depressingly Easy, in Scientific American Mind, volume 19, 4.