Les visages de Paris 1924, Edmond Dehorter le reporter volant

Pascal Leroy
4 min readOct 29, 2021

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Pionnier des commentaires radiophoniques, père de tous les reporters sportifs français, Edmond Dehorter a permis aux auditeurs des tout premiers postes de TSF de vivre de l’intérieur et en direct les plus grandes rencontres, dont ils devaient auparavant se contenter de lire les compte-rendus dans la presse écrite. Plus que tout autre, il se devait d’être au rendez-vous des Jeux olympiques de 1924 à Paris…

Edmond Dehorter, paré à commenter dans les airs, micro en main et jumelles autour du cou, lors des Jeux olympiques de Paris en 1924, Image : https://gallica.bnf.fr/

En 1924, le “Parleur inconnu”, sobriquet de ses débuts, s’est déjà fait un nom. Voix anonyme de la préhistoire de la radiodiffusion sur les ondes du premier émetteur d’Etat, Radio Tour Eiffel en 1921, il a en trois ans imposé son style sur celles de Radiola, puis Radio-Paris. Il est devenu l’œil et l’oreille des auditeurs, les plaçant au cœur même des événements dont il assure alors la couverture. Parmi eux, les rencontres sportives tiennent une place de choix. Le 6 mai 1923, au stade Buffalo à Montrouge, ses commentaires et son interview en sortie de ring de Georges Carpentier, lors du combat l’opposant à son rival français Marcel Nilles, titre national des lourds en jeu, posent les bases du reportage sportif radiodiffusé. Qu‘il soit au bord d’un terrain de tennis, de rugby ou de la piste d’un vélodrome, à Paris comme en province, Edmond Dehorter, avec son micro monté sur un trépied, s’est forgé un ton, mêlant descriptions précises, traits d’esprit et termes anglais, que ce natif de Londres contribue à faire entrer dans le vocabulaire sportif français (1).

Edmond et son trépied, chapeau cloche et moustache conquérante derrière le micro, en juillet 1928 au Grand Prix automobile de Comminges, Image : https://gallica.bnf.fr/

Un barde des ondes narrant la geste sportive comme personne, dont L’Ouest Eclair, sous la plume de Pierre-Louis Courier, livre la recette du succès (2) : “Quatre ou cinq heures de sport, même enthousiasmant, cela finirait par lasser même l’auditeur le plus enragé. Dehorter l’a compris qui interpelle ses voisins, blague l’arbitre ou son confrère anglais, amène au micro vedettes et dirigeants (…) Il siffle, il chantonne, il cite ses auteurs et fait des mots…” Bref, Edmond tient le crachoir comme pas un, cabotine, ce qui a le don d’énerver les fâcheux mais ravit ses auditeurs ! Lorsque Paris accueille l’édition 1924 des Jeux olympiques, impossible de l’imaginer passant à côté de l’événement. Seulement voilà, sous la pression de ses confrères de la presse écrite internationale, craignant de perdre des lecteurs là où ses directs savoureux ne cessent de conquérir de nouveaux fidèles, le comité d’organisation commence par lui interdire l’accès au stade de Colombes, où se disputent notamment à partir de fin mai une partie des matchs du tournoi de football olympique. Son sang ne fait qu’un tour : puisqu’il lui est interdit de commenter du bord du terrain, il le fera du ciel, rien de moins !

Edmond en reporter volant, lors de la finale du tournoi de football olympique entre l’Uruguay et la Suisse (3–0) le 9 juin 1924 au stade olympique de Colombes, Image : https://gallica.bnf.fr/

Le 9 juin 1924, le déjà corpulent Edmond Dehorter se cale péniblement dans la nacelle d’un ballon captif, qu’il partage avec l’aérostier chargé de superviser la manœuvre. Il ne s’agit pas de battre des records d’altitude, non, mais simplement de s’élever suffisamment pour passer au-dessus des tribunes du stade et disposer d’une vue imprenable sur la pelouse, où se dispute la finale du tournoi de football opposant la Suisse à l’Uruguay. D’une main, le reporter vedette de Radiola doit tenir ses jumelles. De l’autre, le micro, où il livre ses commentaires, plus loin de l’action que d’habitude, certes, mais tout de même aux premières loges ! La position n’est guère confortable et lorsque le vent se met à souffler et malmener le ballon, Edmond doit bien se résigner à écourter le reportage. Mais il a fait l’essentiel. Devant sa détermination, la presse écrite et les organisateurs doivent se résoudre à lui faire une petite place les semaines suivantes, pour rendre compte, de manière plus conventionnelle, des compétitions d’athlétisme. Grâce à lui, les Jeux olympique de 1924 à Paris seront ainsi les premiers dont les épreuves feront l’objet de retransmissions radiophoniques. Et cette fois du bord des terrains, position qui, même pour un reporter gonflé comme lui, vaut tout de même mieux que d’être balloté aux quatre vents dans les cieux !

(1) Lire l’article paru dans The Paris Times, page 3, édition du 8 juin 1924.(2) Extrait de L’Ouest Eclair, rubrique “TSF Tribune”, édition du 1er août 1933.

Retrouvez d’autres portraits de personnalités qui ont fait les Jeux olympique de 1924 à Paris : Géo André, Pierre Chayriguès, Louis Faure-Dujarric, Eric Liddell, Diddie Vlasto, Johnny Weismuller, Paavo Nurmi, Harold Abrahams, Duke Kahanamoku, Gertrude Ederle, Armand Blanchonnet.

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Pascal Leroy

Journalist, writer and sports rag and bone man, always searching for ancient pictures and stories