Le Selfie et Les Trans

Patience Zéro
14 min readFeb 29, 2024

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Je n’ai jamais fait de “selfie”.

Peut-être faut-il préciser : il m’est arrivé de me prendre en photo moi-même. Je veux dire que je n’ai jamais pris une photo de moi pour l’envoyer à quelqu’un ou pour la poster sur internet. Encore moins un auto-portrait ou “egoportrait” (c’est, semble-t-il, une des traductions proposées). C’est inenvisageable. Au-dessus de mes forces. Impensable. Vertigineux. Bref. C’est un des trucs qui me donnent l’impression de vivre en décalage avec la culture dominante.

Vous pensez peut-être que j’exagère… mais entre les photos de profil, les photos de vacances, les stories… Je vois constamment des gens rendre publiques des photos où leur visage apparaît.

A mes yeux, l’idée est effroyable. Ça me crispe immédiatement. Pourquoi ce truc — banal pour tant de gens — me semble-t-il si difficile à envisager ?

Comme souvent, il doit y avoir plusieurs raisons.

J’ai toujours trouvé à la fois comique et dégoûtante l’idée que lorsqu’on dort, des individus peuvent regarder notre photo. Que ce soit des ami.e.s ou des inconnu.e.s — si le compte est public — je trouve ça bizarre.

Au-delà de ce moment de grande vulnérabilité qu’est le sommeil, je pourrais étendre cette dernière idée : je trouve étrange qu’on puisse “me voir” si je ne suis pas présente, si je ne peux pas interagir avec la personne qui m’observe. J’ai l’impression qu’il y a quelque chose de “mensonger” là-dedans. Comme si c’était “faux”.

Spontanément, j’ai envie de dire que “c’est pas naturel”.

Je sais parfaitement à quel point c’est stupide de dire un truc pareil. Mais c’est à ça que “ressemble” mon sentiment. Si j’avais l’impression que cela me conduisait à adopter un comportement problématique pour les autres, j’essaierais de me raisonner, de me faire voir les choses autrement. Mais comme ce n’est pas le cas, comme personne ne souffre de mon dégoût du selfie, j’avoue que je ne fais pas beaucoup d’efforts pour déconstruire cette idée. Je vis avec.

  1. LE PROBLÈME DE L’IDENTIFICATION

Par ailleurs, il faut l’avouer, j’ai aussi des intuitions qui me murmurent dans l’oreille des justifications pour ce désamour. J’ai l’impression que j’ai “de bonnes raisons” de me tenir éloignée du selfie.

Pour le dire rapidement : je ne vois pas le “narcissisme ordinaire” d’un très bon œil. Le besoin de s’ausculter et le plaisir que l’on retire (parfois) dans l’idée de sa propre image me semblent suspects. Ce n’est sans doute pas un vice terrible, notamment parce que ça ne provoque pas, du moins directement, d’effets toxiques sur les autres (je parle bien de narcissisme ordinaire !). Mais sur soi, c’est une autre affaire.

S’identifier à son corps, c’est déjà une projection qui mériterait d’être interrogée. Si cela paraît très intuitif voire même “sain”, cela n’empêche pas que ce soit accompagné d’effets pervers. Et notamment quand cette identification s’étend aux représentations du corps — aux idées, symboles, imaginaires qu’on associe à cette image.

Je crois qu’il est bon de pouvoir s’oublier — et être intéressé par l’image qu’on a de soi, ça n’aide pas vraiment à s’oublier. C’est d’autant plus difficile quand, justement, on échoue à aimer cette image. Quand on a du mal à l’accepter. Quand elle pèse.

J’imagine que c’est difficile aussi, quoique différemment, quand on se plaît et qu’on développe une forme d’obsession pour cette image, quand on retire tant de joie à l’idée de se trouver beau ou belle qu’on finit par y penser tout le temps. Mais je préfère me concentrer sur les expériences qui s’approchent de ce que j’ai moi-même vécu.

Et moi, la question du corps, de l’image que j’en ai, se pose plutôt en termes “d’encombrement”. Si j’y pense, c’est que mon corps m’encombre, que je ne suis pas à l’aise, c’est que je ne me reconnais pas dans l’image qu’il me semble dégager.

C’est la raison fondamentale qui m’empêche de faire des selfies : je ne me reconnais jamais dans aucune photo.

A chaque fois que je me vois en photo, je pense très fort : “ce n’est pas moi”. J’éprouve, très intensément, l’idée selon laquelle “je ne suis pas une image”.

J’ai l’impression d’être simultanément beaucoup plus et beaucoup moins qu’une image. Une image, c’est une expression, c’est “saisissable” et chacun.e a tout le loisir d’y projeter ses fantasmes. C’est comme si cela me mettait “à disposition” de leur imagination. C’est normal que ce soit un peu gênant, quand on y pense ainsi, non ?

Mais je sais qu’en un sens, c’est également vrai en face à face… Il est évident que chaque personne que je rencontre se fait une image de moi bien différente de celle que j’ai de moi-même. Alors pourquoi cette gêne si prononcée pour les photos ? Qu’est-ce que ça change, au fond ?

J’ai dit que devant une photo, je pense très fort “ce n’est pas moi”. Ok… Mais il faudrait peut-être préciser que lorsque je me vois dans la glace, je pense aussi (un peu moins fort sans doute) : “ce n’est pas moi”.

Je ne sais pas mettre au clair cette non-identification au corps. C’est peut-être un élan spiritualiste en moi. Peut-être qu’au fond, j’ai l’impression d’être un esprit et que toute représentation incarnée est mensongère. Ce n’est pas impossible, si j’en crois mes petites introspections.

Une autre hypothèse a pointé le bout de son nez, récemment : et si c’était parce que je suis trans ?

Peut-être tout simplement que je ne me reconnais pas dans ce corps.

Je ne subis pas une dysphorie trop violente, pour être honnête. Notamment parce que j’ai de la sympathie pour mon visage. Alors certes, il m’apparaît bien trop masculin… Mais si dans un autre monde j’avais rencontré un mec cis avec cette tête, je crois que j’aurais eu plutôt confiance. Je vois quelque chose de “doux”, de “gentil” dans ce regard. Ça me suffit pour le tolérer.

Mais même s’il m’est sympathique, il ne me “ressemble” pas. C’est différent. Et une des choses les plus étonnantes de la transition, pour moi, c’est justement de me “reconnaître” dans des visages d’inconnues. J’en reparlerai bientôt (je vais publier une série de papiers sur ma transition sur le blog) mais pour aller vite, disons simplement que je croise des têtes à la vue desquels mon esprit sursaute : “ce visage me ressemble davantage que mon propre visage”. C’est une expérience particulièrement frappante.

Il y a moins d’un an que j’ai compris que je suis trans. C’est très récent. Je ne sais pas où m’emmène cette révélation. Je ne sais pas jusqu’où je vais avoir besoin de féminiser mon apparence. Mais ce que je sais, c’est que le selfie ne me semble plus tout à fait aussi inenvisageable.

Attention, je ne suis pas en train d’annoncer que je vais poster ma tronche sur les internets. Simplement, je concède qu’il est possible que j’en développe le désir (même si celui-ci sera très certainement réprimé dans la foulée !).

Pourquoi ce revirement ?

Eh bien c’est justement l’objet de ce papier qui souffre d’une trop longue entrée en matière, je vous l’accorde.

Ce que je veux défendre comme idée, ici, c’est que le selfie, pour les personnes trans, a un sens bien spécifique. Un sens individuel et politique.

2. COMPOSER UNE IMAGE

Une première manière de le dire, c’est de voir le selfie comme un moyen de se réapproprier son image.

Pour comprendre cela pleinement, il faut commencer par reconnaître l’étendue de la “tyrannie des images”. Par cette expression, j’entends que l’on ne peut pas vivre sans avoir, plus ou moins consciemment, une image de soi. Et que cette image est nécessairement codée, socialement.

Une image de soi ou de quelqu’un, c’est un ensemble de significations, plus ou moins explicites, ce sont des symboles, des idées qui renvoient à des imaginaires, et donc à des sentiments, des sensations, à un complexe d’affects. Nous sommes donc constamment sous le joug de cette image : nous subissons “ce qu’elle veut dire”. Nous ne pouvons pas l’ignorer.

C’est vrai dans notre relation aux autres. On ne peut pas voir quelqu’un sans également voir une image, sans qu’apparaisse, comme en surimpression sur son corps, des idées, des intuitions, des sentiments. C’est peut-être flou, c’est peut-être parfois très difficile à définir, mais ça existe, et ça joue un rôle central dans notre rapport à soi et à l’autre.

Tout le monde subit cette “réduction” de notre individualité dans l’image. Car toute image est réductrice : on n’y trouve pas la diversité de ce que nous pouvons ressentir ou désirer. Parce que l’image “donne du sens”, elle lisse et harmonise, elle fait disparaître nos contradictions. Or, nos contradictions sont essentielles — elles nous mettent en mouvement.

Chaque personne que l’on croise projette sur nous cette image réductrice. Mais comment leur en vouloir ? Nous faisons la même chose avec eux toute la journée : nous associons chaque visage à des idées plus ou moins simples et plus ou moins sympathiques.

Il y a bien des têtes qui ne “nous reviennent” pas. Il faut donc accepter que, soi-même, on puisse avoir un visage qui, pour d’autres, est agaçant. C’est impossible autrement. Face à un visage, il est rare que l’on soit indifférent. Il nous inspire confiance ou méfiance, il nous donne envie d’interagir ou, au contraire, de nous enfuir. C’est là un des effets de l’image qui émerge entre le visage et le regard qui lui fait face.

Tout le monde (ou presque) tente de composer, bon an mal an, une image acceptable. On essaye d’aimer sa propre image… et on fait avec ce qu’on a. On n’a pas toutes et tous la chance d’aimer sa silhouette, son nez, sa bouche, ses cheveux… Et sans forcément chercher à être super beau/belle/stylé.e, on essaye de produire une image qu’on puisse incarner sans honte.

On veut pouvoir sortir de chez soi, marcher dans la rue, voir des inconnu.e.s, des ami.e.s, et on veut pouvoir s’oublier. Ne pas se sentir encombré.e par son image.

Peut-être que si l’on est un peu plus narcissique que la moyenne, on ne s’oublie pas complètement. On essaye d’être fier de l’image qu’on renvoie… Alors on y pense un peu tout le temps. On a constamment conscience de son image. Un peu comme quand on est déguisé.e. Dans ces moments-là, on “éprouve” en continu l’image que l’on renvoie.

Mais je crois que pour beaucoup d’entre nous, l’enjeu, c’est plutôt de s’oublier. Être à l’aise avec son image revient en fait davantage à une “absence de gêne” qu’à une “fierté active”. En utilisant le mot “fierté”, je ne peux évidemment pas m’empêcher de penser à la “pride”.

Pendant longtemps, il m‘était impossible de comprendre comment on pouvait être fier d’appartenir à un groupe. Sans même parler de “fier d’être français” et de toutes ces conneries nationalistes. Je ne voyais pas à quelle intuition cette fierté pouvait renvoyer.

Mais j’ai ressenti de la fierté le jour où une de mes collègues m’a inclue dans un groupe de filles en parlant des “chercheuses de l’école”. Ce fut un flash de joie, une libération. Ça aussi, j’en parlerai plus longuement ailleurs. Ce que je veux retenir, c’est simplement l’idée que lorsque j’ai éprouvé ce sentiment de fierté, ce n’était pas tant que je me sentais briller/cool/stylée. C’est plutôt comme si une forme de honte, installée secrètement et depuis toujours dans un coin de ma tête, s’était soudainement envolée.

J’ai envie de me concentrer sur cette idée qu’il s’agit davantage d’une négation que d’une affirmation. Cette impression, au fond, que cette fierté n’est pas tant l’acquisition de quelque chose mais plutôt la disparition d’une gêne.

Je ne veux pas parler au nom de tou.t.e.s évidemment mais je me demande s’il n’y a pas quelque chose d’analogue dans la “pride” ou quand des personnes trans publient un selfie.

Quand on est (enfin) prêt.e.s à “rendre publique” son image, à assumer son corps, sa tête, dans la rue, sur internet, on célèbre peut-être moins une fierté affirmée, ce qui pourrait d’ailleurs mener à un sentiment de supériorité, qu’une libération, que la disparition d’un poids qui empêchait de vivre sereinement.

Evidemment, en un sens, les deux se confondent. S’accepter, quand on est issu.e d’une minorité de genre, cela revient, au fond, à se trouver beau ou belle. Et ce sentiment là n’est pas anodin : il est conquis, “à mains nues”, comme on peut, en luttant contre des forces bien plus puissantes que nous. Des forces installées depuis longtemps : des normes, des injonctions, des habitudes, des critères, des peurs, des réticences au changement.

3. L’IMAGE COMME EXPRESSION D’UNE LUTTE INDIVIDUELLE

Je disais plus haut que l’image que nous avons de nous-mêmes est toujours déjà codée par la culture dans laquelle nous sommes plongé.e.s. Tout le monde doit “négocier” avec ces codes, d’une manière ou d’une autre : les transgresser, les contourner, les subvertir, les accepter, les questionner, les détruire… Il y a plein de façons de vivre ce rapport de force avec la culture dans laquelle nous vivons.

Pour les personnes trans, le défi est double. Il faut se battre avec les codes du genre assigné à la naissance et avec ceux du “genre d’arrivée”. Et au début de la transition, il faut lutter sur ces deux fronts en même temps !

Pour les femmes trans et les personnes transféminines, il faut affronter une misogynie culturelle féroce. Rappelons qu’une fille peut bien s’habiller comme un garçon — jean, basket, sweatshirt — sans que personne ne s’en offusque. Si au contraire un homme décide de porter une jupe ou des talons, tout le monde trouve ça bizarre — et il est même probable qu’il subisse des moqueries. C’est une expression du sexisme ordinaire : un garçon qui s’habille comme une fille est immédiatement ridiculisé.

Ce sexisme culturel, c’est ce qui rend la question du passing si centrale et parfois si douloureuse. Dans un monde où les hommes porteraient des vêtements de femme, le début de la transition pour les femmes trans serait peut-être un poil moins effrayant. On s’épargnerait ces regards inquisiteurs qui nous scrutent dans la rue parce que notre allure “surprend”.

Pour les personnes trans, s’afficher publiquement, c’est une démonstration de force. C’est l’expression d’une vraie victoire (personnelle) face aux rigidités culturelles, idéologiques et politiques qui structurent le monde dans lequel nous vivons. Le selfie-trans, c’est le témoignage d’une lutte pour renverser quelques-unes des barrières qui nous tombent dessus.

Alors quand des mecs cis (ou des TERFs) insultent les personnes trans, sur twitter ou sur instagram, en commentaire sous des selfies, quand ils disent qu’on est laid.e.s, qu’on est des monstres, qu’on est anormaux/anormales, quand ils et elles nous mégenrent… En fait, en un sens, c’est du pipi de chat. Ce n’est pas du tout l’attaque dévastatrice qu’ils imaginent. Ironiquement, ça montre surtout leur faiblesse.

D’abord, parce qu’avec leurs commentaires haineux, ils révèlent leur incompréhension totale de ce qui est en jeu dans ces photos. Ils ne comprennent pas que nous n’avons rien à cirer de ce qu’ils pensent de nous. Ils n’ont pas compris que, précisément, nous avons déjà vaincu leur regard. Que si nous postons des photos de nous, c’est que nous nous sommes libéré.e.s, ou sommes en train de nous libérer des codes rigides qu’ils incarnent.

Ils ne comprennent pas qu’à nos yeux, leur regard ne vaut rien. Ils ne comprennent pas qu’ils incarnent tout ce qu’on combat, tout ce qu’on refuse, tout ce qu’on trouve stupide et faible. Pourquoi est-ce que je donnerai de la valeur à ce que je déteste ?

Si j’arrive à me trouver “jolie”, ce n’est pas dans l’espoir que le monde entier me trouve jolie. Si j’arrive à me trouver jolie, ce sera justement parce que j’aurai enfin réussi à me libérer des critères esthétiques qui gouvernent le monde entier. Si je me trouve jolie, ce sera indépendamment de ce regard poussiéreux qu’ils représentent.

Si j’arrive à me trouver jolie, ce sera parce que justement, j’aurai détruit l’emprise de ce regard construit sur des décennies de sexisme, d’objectivation du corps des femmes, de clichés, d’imageries publicitaires et hollywoodiennes. Ce sera parce qu’enfin, j’aurai réussi à me voir avec des yeux nouveaux. Si nous nous trouvons beaux et belles, c’est parce que nous inventons nos propres critères. C’est très nietzschéen, en fait : nous renversons des valeurs !

Ces individus qui ne peuvent s’empêcher de nous insulter révèlent donc par là leurs propres insécurités, leur propre aliénation à ces codes esthétiques. S’ils nous traitent de monstres, c’est qu’ils pensent que ces déclarations nous blessent. Et s’ils pensent nous blesser, c’est qu’ils imaginent qu’ils le seraient à notre place. C’est que pour eux, le commentaire d’un inconnu sur leur physique a une vraie valeur de vérité. Pour eux, on n’est beaux que si les autres nous trouvent beaux. Ils expriment là leur propre aliénation : ils sont des esclaves du système de valeurs dominant.

Cela me rappelle un passage du Manifeste d’une femme trans de Julia Serano où elle s’attaque au cliché selon lequel les personnes trans seraient obsédé.e.s par leur identité. Au contraire, dit-elle, sa transition lui a justement permis de ne plus y penser — de ne plus en faire un “enjeu”. Elle ne pense pas toute la journée qu’elle est une femme. Elle vit, tout simplement.

L’ironie, c’est donc que ce sont bien celles et ceux qui nous soupçonnent d’être des obsédé.e.s de l’identité qui ne parlent que de ça. Et précisément : peut-être que notre transition menace, indirectement, l’expérience qu’ils font de leur propre identité. C’est peut-être pour ça qu’ils nous regardent avec tant d’insistance, qu’ils ne peuvent s’empêcher de nous juger… quand on demande juste à ce qu’on nous laisse vivre normalement.

Il y aurait tant à dire sur la figure du monstre et ce que ça dit sur l’incapacité d’une société à gérer ce qui échappe à la norme… mais ça demanderait un autre article.

Le fait est que le processus de transition est si singulier qu’il génère un rapport à l’image de soi bien différent. Les personnes cis se construisent cette image petit à petit, progressivement, tout au long de leur vie. Pour les trans, il y a un moment, plus ou moins tardif selon les cas, où l’on fait table rase de tout un tas de repères qui nous guidaient habituellement jusque là. Aussi, cette représentation n’est pas le simple produit d’un processus incrémental : elle procède d’une remise à plat et d’une projection profondément réfléchies.

C’est la même chose avec les vêtements d’ailleurs. Leur fonction change, quand on transitionne. Ce n’est plus simplement ornemental. Les fringues participent à la “construction” de quelque chose, à la “fabrication” de ce nouveau rapport à soi, qui n’est pas réductible à une identité. Car ce n’est pas fixé, défini, statique. C’est un jeu. Peut-être moins au sens “ludique” qu’au sens où “il y a du jeu” entre deux pièces d’un mécanisme. Pour moi, devenir trans, ce n’est pas inventer une “nouvelle image” pour “remplacer l’ancienne”. C’est défaire des images, jouer avec d’autres images, se faufiler entre elles, ne jamais se laisser attraper.

Pour les cis, le selfie, les regards dans la rue, les retours des connaissances, tout cela incarne des informations de première main. Ce sont autant de propositions spontanées qui offrent un feedback immédiat. Pour nous, il y a tout un travail mené en amont du selfie, ou de la promenade dans la rue. Un travail de destruction et de construction considérable.

Nous sommes à la fois bien plus vulnérables et plus solides. Quand nous souffrons de notre image, c’est pour des raisons si profondes, c’est à cause de forces si vastes, si difficiles à vaincre, qu’une insulte n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan. Quand au contraire nous sommes à l’aise avec notre image, quand nous l’assumons, c’est l’expression d’une puissance si vive et si solide, qu’une insulte ne peut rien contre elle.

CONCLUSION

Le selfie pour les trans, c’est une des nombreuses expressions de ce travail d’émancipation. Ce n’est clairement pas la panacée, il ne faut pas rêver. La lutte ne se limite pas à la subversion individuelle des normes. Il y a tout un système à renverser. Et justement, je n’ai pas dit que c’était un outil de lutte, juste une expression. Comme je l’ai dit, mais il faudrait le répéter, c’est le témoignage d’une lutte personnelle. Mais ça n’en reste pas moins quelque chose à mettre en lumière, je crois. Il faudrait se pencher sur la question de l’opposition entre reconnaissance et redistribution pour mieux comprendre ce qui se joue ici. Ce sera pour une prochaine fois !

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Patience Zéro
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Written by Patience Zéro

Des textes et des vidéos pour un autre monde. Contre la concentration des pouvoirs. NB qui rêve d'être une meuf 🏳️‍⚧️ https://linktr.ee/patiencezero

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