Les gentils et les méchants

Philippe Coulon
4 min readMay 20, 2015

Quel idiot ce mec ! Comment est-ce possible de dire ça ? Mais ces gens sont quand même des incapables c’est dingue ! Ou mieux: “quel taré ce conducteur !”. Mais elle est méchante, elle, moi non. Ces politiciens, tous des imbéciles ! Les fonctionnaires, tous des fainéants. Les collègues du service client, ils ont un cerveau ? Mon ami ne m’a pas appelé depuis trois semaines, après tout ce que j’ai fait pour lui… Attends, mais tu as vu l’email qu’il m’a envoyé ?… Analysez combien de fois par jour nous produisons ou entendons un jugement de valeur sur les “autres” : ces mal intentionnés, les “méchants”. Nous qui passons nos journées à scruter les agissements des autres, persuadés que notre vision du monde est la seule, et que si elle n’est pas la seule, c’est la meilleure. Ah, si le monde était peuplé de gens comme nous, tout irait tellement mieux ! L’humain est ainsi fait, son monde est le monde, mais Kant l’a bien dit : tout (re)commence par la finitude de l’humain.

Pourquoi l’autre est le méchant ? Le principe de base est simple: l’autre est méchant, donc le gentil c’est nous. Et l’on veut être gentil parce que l’on veut que les autres nous reconnaissent comme “le gentil”. Ceci ne participe donc que d’un simple besoin de reconnaissance et d’amour ce qui, en soi, est positif. Mais lorsque cet ego est affaibli, lorsque l’on est pas bien ou lorsque l’on se sent pas assez reconnu, la critique trouve là son terreau favori et les méchants apparaissent… Ce sont donc les blessés qui voient les autres comme des méchants. Et ces blessés veulent se rassurer en rendant les autres méchants. C’est vrai que c’est quand on va mal qu’on reproche à ses amis de ne pas être présents, c’est quand on va mal que tout le monde nous paraît mal intentionné. Mais est-ce que rendre les autres méchants nous rend pour cela plus gentil ? Voyons à présent quel est l’impact de tout ceci sur nous-mêmes.

Les rapports difficiles avec les autres sont destructeurs pour nous-mêmes, comme le disait Sartre dans son célèbre aphorisme “l’enfer c’est les autres”, souvent mal interprété d’ailleurs. Pourquoi ? Parce qu’au fond l’autre est ce qu’il y a de plus important en nous-mêmes et est ce qu’il y a de plus important pour la connaissance de nous-mêmes. Le jugement de l’autre intervient dans la constitution de notre propre jugement. Toujours. De mauvais rapports avec les autres sont “infernaux” car ils provoquent une dépendance à autrui qui se révèle très vite destructrice. En effet, puisque le jugement de l’autre est important pour nous et a un effet sur le jugement que nous avons de nous-mêmes, le mauvais rapport est projeté sur l’estime que nous avons de nous-mêmes. C’est pour ça que ce que les autres pensent est toujours important pour nous. L’enfer est donc la dépendance que nous avons par rapport aux autres, ce ne sont pas les autres en eux-mêmes.

Quant au méchant, il n’existe pas. Être gentil ou méchant n’est donc pas une caractéristique du “sujet” humain — au sens aristotélicien. Il s’agit plutôt de la perception qu’autrui a du comportement de ce sujet. On n’est pas gentil ou méchant. On ne naît pas gentil ou méchant. L’on peut certes avoir un comportement méchant pour l’autre, dans certains cas et dans certaines limites. Ainsi, Poutine est un méchant pour les (gentils) Européens alors qu’il est un gentil pour beaucoup de Russes. Qui a raison ? Et, si vous étiez né Russe, aviez eu l’éducation et aviez évolué en Russie, penseriez-vous que Poutine est un méchant ? Probablement pas. Il en va de même pour tous les conflits dans le monde. Le jugement que l’on peut avoir sur le comportement de l’autre est tant lié à notre vécu personnel qu’il nous est impossible de nous en départir. Nous pensons savoir qui est le gentil car nous ne voyons plus que notre vision est relative.

Il n’y a donc pas de méchants et la méchanceté n’est qu’une idée relative. J’emprunte ici à la programmation neuro-linguistique le concept salutaire d’intention positive. Une fois intégré ce concept d’intention positive, plus personne ne vous paraîtra méchant, et plus aucun comportement vous blessera. Ainsi, le collègue qui répond sèchement veut sans doute se montrer à lui-même qu’il a beaucoup de travail et qu’il n’a pas le temps de mettre les formes, l’ami qui ne vous soutient pas dans un moment difficile ne le fait probablement pas parce qu’il est mal à l’aise et ne sait pas comment vous remonter le moral. Les comportements cachent toujours des intentions positives, il faut donc les chercher, et avec un peu d’exercice, elles vous apparaîtront facilement. Et c’est comme ça que les méchants deviennent gentils car, et c’est l’évidence même, nous sommes donc toujours le méchant et le gentil de quelqu’un.

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Philippe Coulon

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