Pourquoi je ne vais plus en Amphi

Pierre Pilleyre
12 min readSep 21, 2017

Pourquoi le cours magistral existe-t-il ? Pragmatiquement il répond à des problématiques de ressources, de temps, de logistique et bien d’autres encore, j’en suis certains. Mais du point de vue pédagogique, du point de vue de l’apprentissage, du point de vue de la transmission des savoirs, qu’est-ce qui justifie l‘existence du cours magistral ?

Un cours magistral se déroule dans un amphithéâtre où le professeur, momentanément devenu conférencier, fait face aux étudiants, souvent en très grand nombre. Lors d’une séance oscillant entre 1 et 4 heures, le professeur donne son cours aux étudiants qui écoutent et prennent des notes. Dans nos universités c’est la pédagogie la plus utilisée. Pourtant ni les professeurs, ni les étudiants ne semblent l’apprécier. En effet l’exercice est souvent difficile et stressant pour les premiers, alors que les seconds, victime d’un ennui profond, s’adonnent à d’autres activités sur leurs ordinateurs, bavardent, ou tout simplement, s’endorment.

J’aimerais dans cet article vous expliquer précisément pourquoi je ne fréquente plus les amphis. Je réfléchis à cette problématique depuis le début de mes études (4 ans), ce qui m’a laissé le temps de penser à quelques alternatives que je vous présenterais dans un second temps.

Je fais partie d’une génération hyperactive

Je tiens en premier lieu à préciser que je suis plutôt quelqu’un de curieux. Je lis beaucoup. Je m’intéresse à des choses très variées allant des sciences cognitives à l’économie comportementale, en passant par le marketing digital ou le développement personnel. Ainsi pour moi la plupart de mes cours sont à priori intéressants.

Et pourtant, passé les 20 premières minutes d’amphi, j’ai déjà décroché.

J’ai essayé de nombreux stratagèmes pour améliorer mon attention. J’ai d’abord coupé le wifi sur mon ordinateur, puis je l’ai complétement fermé pour reprendre des notes à la main. J’ai tenté de m’éloigner de mes amis pour ne pas être tenté de bavarder et je me place même parfois au premier rang (lorsque vous êtes seul au premier rang, c’est très dur).

Mais rien n’y fait. Je trouve toujours le gribouillis sur ma table plus captivant que le cours.

Pourtant le professeur parait compétent et ce qu’il dit est intéressant. Je ne remets pas en cause sa légitimité. Mais je n’arrive pas à focaliser mon attention.

Voyant bien que je n’étais pas le seul dans ce cas j’ai commencé à chercher les causes qui pouvaient être à l’origine de ce déficit d’attention en cours. Je n’ai pas cherché bien longtemps. La simple description du cours magistral m’a interpellé.

“Cours qui dépend totalement de l’enseignant, tant du point de vue du contenu que de la manière dont il se déroule ; le cours magistral n’induit pas d’implication des étudiants.” L’internaute

Pas d’implication des étudiants ? c’est ça !

Il y a encore quelques années, quand mes parents devaient se procurer une information, la passivité était de mise : ils attendaient le journal de 13 heures pour avoir les actualités du jour, ils attendaient la météo pour connaître le temps qu’il ferait demain, ils attendaient le film du soir pour se divertir. Et donc sur ce modèle, ils attendaient le cours pour s’instruire.

Moi je n’ai jamais connu ça ! Je connais une dizaine de sites ou d’applications qui, quand je veux, me permettent de connaître l’actualité, de regarder la météo, ou de streamer un film. Je suis actif dans ma recherche d’information, je suis celui qui décide de quand et où je vais consommer l’information. Alors évidemment, quand on m’oblige à m’asseoir 2 heures dans un amphi, mon cerveau ne comprend pas. Et il lutte pour sa liberté, son activité. La passivité ne l’intéresse pas, il doit être acteur de son savoir.

Michel Serres nous dit

« avant d’enseigner quoique ce soit à qui que ce soit, au moins faut-il le connaître »

Ceux qui organisent mon enseignement ne se sont pas assez penchés sur le fonctionnement de ma génération d’hyperactif.

Je veux être le pilote de mon savoir

Je ne veux pas être le passager de mon savoir, je ne veux pas le subir. Je veux le piloter, je veux l’explorer, je veux être actif.

“Un enfant n’est pas un vase qu’on remplit, mais un feu qu’on allume” Montaigne.

C’est ce que me permettent les livres. Chaque nouvel ouvrage me plonge dans des récits passionnants que je serais incapable de suivre en cours. Mais quand je fais le choix de lire un livre, quand j’en trouve moi-même la motivation, sans coercition, alors je prends du plaisir et je ne manque pas d’attention. Je suis responsable de mon savoir.

C’est ce que me permettent aussi mon ordinateur et mon téléphone. À tout moment j’ai accès, de manière gratuite et sous différentes formes, à toute l’information du monde. Mais c’est moi qui choisis, qui me trompe, qui réussis. Je fais mon propre cheminement. Mon aventure vers la vérité. J’analyse, je compare, je crois, je ne crois pas.

C’est ma façon de faire. C’est la façon de faire de ma génération d’hyperactifs.

Je suis donc je bavarde

Face à cela on me propose, pendant 2 heures et dans un espace clos, de taper un texte alors que je pourrais simplement le lire. Quelle perte de temps !

En anglais le cours magistral ou amphi se dit lecture. Et bien je crois que ce mot est parfaitement choisi. Lors d’un amphi, le professeur lit son cours pour que les étudiants le recopient. Le professeur en amphi ne fait qu’oraliser un savoir qui est présent à foison dans les livres et sur internet.

Alors oui, je ne trouve pas, dans ces circonstances, beaucoup d’intérêt dans cette pédagogie. Donc je parle.

Les bavardages, réservés aux élèves du collège, ont depuis quelques années envahis les salles d’amphi. Les professeurs et les étudiants s’en plaignent. Mais ils persistent. Ils s’amplifient même, sans jamais qu’on en connaisse le remède.

Pourtant je ne crois pas être moins attentif ou moins respectueux. Mes camarades non plus. Simplement l’amphi nous met devant un professeur qui est le porte-voix d’un savoir qui m’est accessible en un clic. Et assez logiquement, je n’ai que très peu d’intérêt pour l’écrit dit.

La fin du monopole scolaire

Ma génération hérite d’un système scolaire ancien qui n’a pas su évoluer. Autrefois les objectifs de formation n’étaient pas les mêmes. Autrefois l’école était le seul vecteur de savoir.

J’entends régulièrement des personnes, dont l’âge varie entre celui de mes parents et celui de mes grands-parents, m’expliquer à quel point ils aimaient leur maître de l’époque. Il était leur seule source de savoir.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Et bien le savoir se distribue par bien d’autres canaux. Il existe d’innombrables ressources gratuites sur internet qui sont bien plus adaptées à ma génération et qui font concurrence à l’université.

Michel Serres nous éclaire sur un autre point :

« Pour le temps d’écoute et de vision, la séduction et l’importance, les médias se sont saisis depuis longtemps de la fonction d’enseignement. »

Ainsi toutes ces sources d’informations et d’apprentissages à portée de clic rendent l’apprentissage en cours magistral, sous sa forme actuelle, totalement obsolète.

Il s’agit alors de repenser la formation.

Une tête bien faite vaut mieux qu’une tête bien pleine.

A l’inverse des révolutions industrielles qui ont eu pour origine une seule innovation majeure, la révolution numérique est une révolution des petites technologies, comme le furent l’écriture et l’imprimerie avant elle. Le numérique a, paradoxalement, bien plus d’impact.

Imaginez : avant l’écriture, il n’y avait que l’oralité pour transmettre de la connaissance et aucun moyen de la stocker. Si un homme mourait sans révéler ses secrets, il les emportait avec lui pour toujours.

Quel soulagement de voir l’écriture arriver. Le savoir s’organise alors dans les livres et les Hommes peuvent bâtir de nouvelles connaissances en travaillant sur les anciennes. Mais les livres sont rares, ils ne sont accessibles qu’à une élite. Gutenberg est l’initiateur d’une première vague de propagation de la connaissance grâce à l’imprimerie. La deuxième, c’est le numérique.

Internet vient véritablement distribuer le savoir présent dans les livres à tout le monde. Internet connecte l’Homme à la connaissance que toute son espèce a accumulé simplement grâce à l’interface d’un écran.

Ainsi peut-on résumer les choses : avant l’imprimerie, il était nécessaire de connaître toutes les choses par cœur. Après l’imprimerie il suffisait de connaître la place du livre dans la bibliothèque pour le même résultat. Aujourd’hui le moteur de recherche le fait pour nous. Il s’agit alors de ne plus avoir la tête pleine, mais la tête bien faite.

Voilà pourquoi il me paraît sans intérêt d’apprendre par cœur, de connaître sans faute les départements français ou les dates de la troisième république. J’y accorde néanmoins de l’importance. Mais j’aurais plus vite fait d’utiliser Google que de les apprendre par cœur.

Toutefois pour évoluer dans un monde qui n’a jamais été aussi complexe, nous devons posséder des connaissances. Nous ne pouvons pas nous reposer totalement sur la technologie pour prendre des décisions. Néanmoins ces outils à notre disposition doivent induire un changement dans notre manière d’apprendre.

Aujourd’hui il ne s’agit plus d’apprendre simplement, bêtement. Aujourd’hui il faut apprendre à apprendre. Et le cours magistral tel qu’il est dispensé actuellement ne participe pas à relever ce grand défi contemporain.

Les cours magistraux n’ont jamais été efficaces

Dans Twenty terrible reasons for lecturing, G. Gibbs s’étonne qu’aux Etats-Unis il y ait encore des cours magistraux d’une heure au lieu de 25 minutes. Il ne s’imagine sûrement pas qu’en France, nous avons régulièrement des amphis de 4 heures de la même matière.

Il est important de noter que les études sont consensuelles sur un point : les étudiants restent en moyenne attentifs 30 minutes lors d’un cours magistral. Aujourd’hui comme hier. Lors d’un amphi ces 30 minutes sont la limite de notre attention. Et ceci n’est pas nouveau. Mais il est bien plus facile de tomber dans la critique des étudiants que de faire face à un problème bien plus ancré dans la nature humaine, intrinsèque, qui nécessiterait un bouleversement profond dans notre façon d’aborder l’enseignement.

D’autres études se sont penchées sur les résultats concrets des cours magistraux, et plus précisément aux notes prises par les étudiants. Seulement 21% de l’information essentielle abordée dans le cours s’y retrouvait ! Qu’importe le charisme, le nombre de blague à la minute ou de texte sur les diapos, ce seuil de 21% n’est jamais dépassé.

Ce chiffre est si bas car l’amphi a pour objectif de diffuser de l’information et non de la transformer en connaissance. Et le processus d’apprentissage, la construction de la connaissance ne s’acquiert pas en faisant de la recopie, ce à quoi s’emploie précisément le cours magistral.

Mike Garver s’est heurté à ces limites du cours magistral et a su mettre en place une toute nouvelle pédagogie.

Mike Garver ou Macgyver ?

Tout juste diplômé en 1998, Mike donne son premier cours de marketing en amphi devant une centaine d’étudiant et son superviseur, venu voir comment sa nouvelle recrue s’en sortait.

Mike était en état de grâce. On a rarement vu une première fois aussi réussie. Il s’est surpris lui-même par l’aisance dont il faisait preuve. Son cours était parfaitement structuré et récité avec éloquence et charisme. La confiance qu’il en retirait lui offrait même le luxe d’être drôle.

Et son superviseur s’est chargé de lui dire à la fin du cours. Tout en insérant une remarque :

« C’était un super cours. Mais as-tu déjà entendu parler de la taxonomie de Bloom? Car malgré une prestation orale extraordinaire, tu as gardé tes étudiants au bas de l’échelle de la taxonomie (Mémoriser — Comprendre). »

Mike s’engagea alors à mettre en place une pédagogie nouvelle capable de dépasser la simple transmission des savoirs. Voilà comment il procédait :

  • Les parties dites magistrales de son cours étaient enregistrées et découpées en fichiers de 5 à 30 minutes puis mises à disposition sur le site de l’université.
  • Les plages horaires de ses cours étaient réservées uniquement à la consolidation des acquis. Le cours commence par un quizz auquel les étudiants répondent à l’aide d’un télé-voteur (revue des apprentissages). Puis des équipes sont formées pour faire des études de cas (application des savoirs).

On grimpe donc de deux étages sur la taxonomie de Bloom essentiellement grâce à 2 choses : la gamification du cours et l’implication des étudiants.

Pistes d’amélioration

Vous l’avez compris, selon moi les étudiants doivent être beaucoup plus impliqués dans leur apprentissage. C’est exactement ce que proposent les méthodes d’apprentissage actif. Voici comment Wired définit cette pédagogie :

“L’apprentissage actif engage les étudiants dans le processus au travers d’activités et/ou de discussion dans la classe, contrairement à l’écoute passive d’un expert. Il met l’accent sur une réflexion de plus haut niveau et implique souvent du travail de groupe.”

C’est exactement ce qu’a fait Mike Garver. Mais au-delà de son exemple isolé, la science est claire. Dans une étude publiée dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) les analyses montrent que les étudiants suivant des cours magistraux “classiques” sont 1,5 fois plus susceptibles de rater leurs examens que ceux suivant des cours magistraux selon les méthodes de pédagogie active.

Et pour aller plus loin, assez contre intuitivement, il faut s’amuser. Les cours doivent être amusants, sous forme de jeux. C’est ce qu’explique Idriss Aberkane : le jeu est la manière la plus naturelle d’apprendre, tous les animaux procèdent ainsi et notre cerveau est câblé de cette manière.

C’est pour cela qu’on entend de plus en plus parler de la gamification, qui tend à donner une dimension amusante, excitante et intéressante aux cours traditionnels. Un peu à la manière des serious game pratiqués en entreprise. Pour exemple, voyez combien de fois êtes-vous capables de recommencer un niveau de Candy Crush après un échec par rapport à un problème mathématique.

Notre envie, notre attention et notre temps sont dédiés, à ce qui nous implique et à ce qui nous amuse.

Un système qui fonctionne : le modèle canadien

J’ai passé quelques temps dans ce beau pays et j’y ait vu quelque chose de différent. L’intérêt que portent les étudiants aux cours qui leurs sont dispensés est bien plus élevé. Non pas qu’ils soient dotés de meilleures capacités d’attention ou d’une volonté supérieure, mais ils ont accès à un mode d’enseignement différent. Et ça marche.

Avant chaque cours, il est demandé aux élèves de lire de façon autonome le ou les chapitres sur lesquels va porter l’amphi. Ce sont les “readings”. Cela représente une vingtaine de pages à lire pour une heure de préparation environ, pas plus. Le cours se déroulent ensuite sous la forme d’échanges avec le professeur, souvent agrémentés de travaux de groupes ou de cas pratiques.

Dès lors, l’amphi n’est plus un lieu de gavage intellectuel, mais un endroit où l’étudiant développe son savoir. Cela lui permettra une meilleure compréhension des idées qui lui seront exposées et d’être davantage réceptif au cours.

La fameuse poutine canadienne

Est-il vraiment possible de suivre et comprendre un cours magistral de mathématiques à la vitesse à laquelle le professeur dicte ? Pour la plupart des gens, surement pas.

Dans le modèle Canadien, le professeur n’a plus pour rôle de dicter un cours et peut se concentrer sur la transmission de son savoir-faire. L’étudiant quant à lui est totalement impliqué et voit son apprentissage facilité.

La mise en place d’un tel système nécessiterait quelques changements chez nous. D’abord, il faudrait mettre à disposition des étudiants un cours pré rédigé, sous forme de livres ou de fascicules, numériques si possible. Plus la peine de se transformer en scribe huit heures par jour, donc. Les professeurs seraient amenés à sortir de leur zone de confort en préparant un cours magistral réellement interactif, dont l’essentiel serait d’échanger et d’approfondir le sujet. Le professeur serait alors au service des élèves, et non l’inverse.

Retenons ici que la valeur ajoutée d’un maître de conférence ne réside pas dans sa capacité à dicter et transmettre des informations que l’on pourrait avoir ailleurs, mais dans son expérience, son expertise et sa capacité à stimuler l’intérêt. Ce sont sur ces critères que nous discernons le bon du mauvais professeur.

Quand retournerais-je en amphi ?

Le cours magistral n’est donc pas à bannir, mais il faut admettre qu’il possède des limites. J’envisagerai de revenir en amphi si certaines choses évoluent :

  • Raccourcissement de la durée des temps des cours magistraux
  • Plus d’enseignements pratiques
  • Implication des étudiants
  • Utilisation de gamification dans l’enseignement
  • Considération portée au processus d’apprentissage

Il est certain que j’aurais beaucoup de mal à remettre les pieds en amphi tant que ces problèmes ne seront pas résolus …

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