Innovation numérique et service public: beta.gouv.fr

Pieterjan Montens
7 min readJan 7, 2020

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Dans un couloir dde l’immeuble Ségur, Paris 7ᵉ

Ce billet est le second d’un cycle sur l’innovation numérique au sein du service public. Après avoir sommairement listé les approches agiles dans différents pays (“L’approche agile qui fonctionne”), celui-ci détaille mon vécu et mon expérience au sein de l’incubateur de Start-ups d’État beta.gouv.fr, ce qui m’y a conduit, et la vie des équipes agiles qui naviguent entre les besoins des usagers et les exigences des administrations que j’y ai découvert.

Road to betagouv

L’incubateur et les équipes indépendantes qu’elle encadre forment un environnement qui fonctionne par pragmatisme et mérite plutôt que par diplômes et certifications, et se compose de profils divers aux parcours variés. Certains viennent des SSII, d’autres de start-ups privées, de l’administration, de l’étranger, sont passés par l’un des GAFA, etc. Les équipes sont régulièrement dispersées sur le territoire, de Bordeaux à St Étienne, de Montpellier à Rouen (sans oublier quelques Bretons), quand elles ne s’étalent pas au-delà des frontières (Barcelone, Liège, …).

Mon propre cheminement a mêlé tantôt fonction publique, tantôt start-ups privées. Ma première rencontre avec Betagouv et les personnes qui l’animent s’est faite lors d’une session de la formation Alpha, une initiation à l’innovation d’une journée accompagné d’un Mooc (formation en ligne) préparatoire, à laquelle Pierre Pezziardi m’a invité à participer. Quelques mois plus tard je rejoignais l’une de ses équipes, tant l’approche mêlant sens, autonomie, responsabilité et compétence m’a immédiatement conquis.

open-space beta.gouv.fr

Vie à l’incubateur

Une telle initiative, dans toute son innovation et sa radicalité par rapport à une organisation plus habituelle de l’administration, est vite présentée mais très longue à expliquer. J’ai vu à plusieurs reprises des personnalités, alors qu’elles avaient déjà interagi plusieurs fois avec l’incubateur, ne comprendre réellement le principe et les valeurs de betagouv qu’en assistant en personne à l’un de ses rituels; le stand-up hebdomadaire étant le plus emblématique.

Le quotidien de l’incubateur est celui d’équipes autonomes qui forment en même temps une réelle communauté de pratiques et de savoir : elles rencontrent régulièrement les mêmes difficultés, les mêmes obstacles, que l’incubateur encourage à partager. Les outils développés par l’une est souvent reprise, adaptée et étendue par l’autre, permettant la mise en place de réels communs numériques. L’incubateur incarne et joue son rôle d’accompagnateur, d’appui, de couveuse, de communauté, de paratonnerre politique, et rythme les semaines dans un cadre respectueux (cf. la Charte), diversifié, horizontal, appliquant à la lettre les principes de démocratie profonde.

Régulièrement des rencontres spécifiques sont organisées autour d’un thème, et chacun y est le bienvenu. Lors des sprints open source, démonstrations, et autres évènements la communauté se rencontre, s’engage et se renforce, ce qui lui a permis d’encaisser plus d’un coup dur… et de se relever à chaque fois.

Cet ensemble de mesures et d’approches fait naître un environnement, une culture de travail ouvert, respectueux, challengeant, motivant, à l’opposé de la plupart des services d’un appareil d’état. Cet environnement de travail, « moderne », facilite également la découverte et le recrutement de profils experts et motivés, qui y retrouvent un cadre dans lequel se déployer, œuvrer et découvrir l’intérêt supérieur de se mettre au service de ses concitoyens, d’améliorer la vie d’autrui, sans rentabilité à tout prix, sans être réduit à ne dégager qu’un retour sur investissement.

Cette qualité de vie au travail est l’une des raisons du succès de de l’incubateur, succès qui se traduit par le services réalisés par ses équipes, et par l’intérêt qu’il suscite et qui ne fait que croître: lors d’un récent appel à projets dans une administration, on à compté10 fois plus de projets que de places disponibles.

plateau de la start-up, proche de la gare d’Austerlitz

Vie dans une start-up

Le but d’une de ces cellules agiles est de développer un service numérique plébiscité par les citoyens. Pourquoi numérique ? La facilité du passage à l’échelle qu’elle permet : un outil développé pour offrir un service personnalisé à 10 ou 100 usagers ne demande que peu d’investissement supplémentaire pour passer à plusieurs milliers voir millions d’utilisateurs.

Par ailleurs, l’objectif n’est pas de développer un « projet » (qui à toujours une fin), mais un produit (qui crée de la valeur) et une équipe qui le soutient, qui l’alimente et le développe, de manière continue. Des services tels que Google, Facebook, Netflix, Uber ou Airbnb ne sont pas en « maintenance » : ils sont activement développés, étendus, et ajustés suivant les retours des utilisateurs et des nouvelles fonctionnalités testées et validés auprès d’eux.

Les défis auxquels une équipe suivie par beta.gouv.fr doit faire face sont nombreux : la start-up bouscule les habitudes et coutumes en place, au sein d’une institution souvent pyramidale et silotée, ou la responsabilité est diffuse et le pouvoir de décision rarement partagé. Elle à pour elle une série d’avantages : l’équipe est capable de partir d’une ébauche papier et de mettre en place un service viable et testé auprès des utilisateurs en un éclair et en toute autonomie. Les utilisateurs quant à eux découvrent des travailleurs du service public qui sont engagés, motivés, réactifs, dynamiques, à leur écoute, et développent des services de qualité qui répondent à leur besoins.

Le contact avec les utilisateurs est un aspect primordial. Ils orientent les discussions, et permettent de prendre la mesure du sens de notre travail. Témoignages, retours et partages d’expériences sont de fantastiques moteurs pour l’équipe et son produit. Quand au bout de semaines de réflexions, de discussions, et de développements les témoins d’activité d’une première version du service (statistiques, mesures, inscriptions, …) s’affolent, que le service commence à résoudre les premiers problèmes et trouver les premières solutions, que la possibilité de voir disparaître un obstacle se propage dans les réseaux sociaux, quand on se rend compte qu’on aide vraiment autrui plutôt que de l’exploiter, alors l’approche prônée par l’agilité prend tout son sens, et la révolution culturelle vers la transformation de l’action publique vers l’ère du numérique est en marche.

réunion inter-administrations

Intégration et administration

La start-up d’État que j’ai eu la chance d’intégrer à, comme la plupart des autres équipes, une histoire et un parcours bien à elle. C’est la première start-up d’État de l’administration qui la porte, dans une matière assez transversale, ce qui conduit à des échanges avec une ribambelle d’autres acteurs et administrations — ce billet étant consacré à l’incubateur betagouv, le sujet de notre start-up, la coordination avec notre administration commanditaire, et la richesse des interactions et des apprentissages acquis en cours de chemin feront l’objet d’un prochain article.

L’objectif de l’équipe est d’aboutir à un service numérique, mais ce qui en résulte dépend fortement des personnes et administrations impliquées:

D’un côté il est tout à fait possible de faire perdurer l’équipe, et de la laisser continuer à développer, renouveler et étendre le service qu’elle gère.
De l’autre, une fois l’hypothèse de l’équipe validé et une première version du service développé et validé, elle peut entièrement être reprise et intégrée au portfolio de services de l’administration, ses équipes en reprenant la gestion et le développement (au risque de la voir être placée “en maintenance”).

Les autres voies possibles se situent entre ces deux extrêmes, à l’exception de la “voie royale”: la mise en place d’un incubateur au sein même de l’administration, avec une implication plus ou moins importante du DSI (la direction du système d’information) de celle-ci.

Lors de l’arrêt d’une start-Up (par arrêt du service ou par transfert dans un environnement qui n’est plus celui des start-ups d’État), un travail d’analyse permet d’en déterminer et étudier les raisons, de façon à en retirer tous les apprentissages possibles.
Les solutions développées et le temps investi sont rarement perdus : autant le code développé en open-source que l’expérience acquise par les équipes pourront servir et servent à faire germer et accompagner d’autres idées, d’autres initiatives.

un matin tout tranquille et serein

Mot de fin

Les équipes des start-up d’états ne font pas « joujou », comme on me l’a dit récemment. On peut être surpris par leur motivation, le plaisir qu’ils ont à travailler, la détermination qu’ils ont à porter leur produit, à le défendre et le représenter à chaque occasion. Leur travail est sérieux, ils peuvent potentiellement avoir un impact déterminant dans la vie de milliers, millions de personnes. Ils le savent, c’est pourquoi ils se donnent une obligation de résultat, et évitent de s’imposer des moyens qui risquent de les distraire. Au royaume des protocoles qui disent comment faire, des responsables et experts qui défendent leur pré-carré de responsabilité, cela finit forcément par déplaire.

Ces réticences ont évidemment leur raison d’exister, si tant est qu’elles sont justifiées : la responsabilité portée par l’administration est certes lourde, large et contraignante, mais défendre son caractère pénible et formaliste n’est pas une fin en soi. En accompagnant leur approche par de l’écoute, de la compréhension, de l’empathie et un sourire, les équipes portent également de nouvelles valeurs d’entraide et de collaboration, qui permettent à des personnes motivées, investies et impliquées de retrouver le plaisir de travailler et de contribuer à notre société.

point de vue depuis le Pont de la Concorde

Remerciements

Parmi les nombreuses rencontres, je tenais a remercier particulièrement, dans le désordre: Pierre Pezziardi, Karel Cloarec , Hela Ghariani, Florian Delezenne et Gaëlle Toledano, pour m’avoir accueilli, guidé et accompagné dans cette aventure.

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