Innovation numérique et service public: l’approche agile qui fonctionne

Pieterjan Montens
5 min readDec 30, 2019

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les voies possibles sont tracées

Ce billet est le premier d’un cycle sur l’innovation numérique au sein du service public, en y incluant mon vécu et mon expérience en la matière. Le second parle de mon vécu au sein de beta.gouv.fr.

L’exemple Français: beta.gouv.fr

L’administration française connaît depuis 2013 un programme qui permet à des équipes autonomes, responsables et compétentes de développer et de déployer des services numériques innovants, pour des coûts maîtrises, centrés sur les usagers. Les succès initiaux ont rapidement conduit la DINUM (anciennement DINSIC), la direction interministérielle du numérique, de lancer un Incubateur de services numériques, beta.gouv.fr. Depuis, d’autres incubateurs ont vu le jour dans d’autres administrations et territoires.

La note “Des startups d’État à l’État plateforme”, d‘Henri Verdier et Pierre Pezziardi, constitue une excellente introduction à l’approche de beta.gouv.fr (beta ou betagouv pour les intimes), tout comme le sont les vidéos de la formation en ligne (ou mooc) librement accessible, la formation Alpha.

Le principe fondamental de beta est qu’on ne connaît pas la solution ultime pour accompagner le service public vers une culture et une prise en compte du numérique plus pertinente, plus proche des usagers, plus inclusive, moins dépensière, moins opaque, moins… obsolète. Ce que l’incubateur connaît par contre ce sont des méthodes, des valeurs, et des outils qui permettent de le découvrir et de s’en approcher. Elles s’inspirent de la révolution numérique, des moyens mis en œuvre par les acteurs les plus révolutionnaires de notre époque pour devenir les léviathans qu’on connaît aujourd’hui. À la seule différence que, la ou les titans de l’IT œuvrent pour leur propre intérêt, elles sont ici mis au service de l’intérêt général, au bien-être commun, aux citoyens.

betagouv n’est donc pas un prestataire, un laboratoire d’idées et de théorèmes ou une alternative aux entreprises de de services numériques. C’est une toute autre manière d’envisager le développement de ses services: ici pas de cahier de charges, de bureaucratie pyramidale, de budgets gargantuesques, de responsabilité diffuse, d’inefficacité constate. Ce n’est pas non plus une solution miracle (la ou ça peut coincer: commande politique, cahier de charges déjà établi et maîtrisé, l’aversion de la part de l’administration de voir ses habitudes remises en question, …). Elle permet par contre d’expérimenter et de valider, en partant des problèmes réels des usagers tout en les impliquant (cf. les bases de l’approche Agile), des solutions concrètes qui améliorent la qualité de vie de ces derniers, qui, pour la fonction publique, sont ni plus ni moins l’ensemble des citoyens.

“Les usagers se moquent de vos solutions. Ils s’inquiètent de leur problèmes.”
— Dave McLure

Autres pays, même approche

D’autres pays ont également vu leur administration s’inspirer de nouvelles pratiques et de revoir leur culture du numérique pour entamer des initiatives similaires.

Au Royaume-Uni, le Government Digital Service est l’administration chargée de la transformation numérique du gouvernement britannique. Ils font des Sprint events dans tout le pays, publient des chartes graphiques qui forcent l’admiration, et poussent des valeurs d’inclusivité et de diversité (cf. le pilier du respect de la personne de l’approche Lean).

Le Service numérique canadien n’est pas en reste. Les apprentissages qu’ils partagent sont extrêmement pertinents. Toutes les initiatives qu’elle accompagne sont, comme partout ailleurs, publiés et open-source. Les partenariats en cours témoignent de problèmes réels d’usagers concrets, et non pas de persona fictifs établis dans un comité détaché et distant, ou selon un agenda quelconque.

18F aux États-unis, l’AGiD en Italie, et la DTA en Australie sont autant d’autres acteurs et agences gouvernementales qui mettent pratique les mêmes valeurs d’ouverture, de modernisation et de respect de l’usager.

“La vie est trop courte pour concevoir quelque chose dont personne ne veut.”
— Ash Maurya

Les valeurs

Les valeurs, parlons-en, car il s’agit des fondations sur lesquels se construit le reste de l’édifice.

L’utilisateur d’abord

Penser les services en fonction des personnes qui les utilisent (les « utilisateurs ») dès le début.

Les méthodes comme celle de la « conception de services » et la « conception centrée sur l’utilisateur » s’inscrivent dans cette approche. Dans un contexte gouvernemental, cela signifie améliorer tous les aspects d’un service gouvernemental, même ceux qui sont cachés et que le public ne verra jamais.

Pour ce faire, il faut d’abord parler aux utilisateurs pour connaître leurs besoins, puis tester les idées tôt et souvent avec eux. Au fur et à mesure que de nouveaux commentaires sont émis, des améliorations (appelées « itération ») sont appliquées de façon continue.

https://numerique.canada.ca/2018/11/29/de-la-conception-dabord-aux-utilisateurs-dabord/

Ouverture et transparence par défaut

Transparence et open-source. C’est une évidence pour le développeur coutumier du logiciel libre publié sur Github, Gitlab ou autres, mais elle bouscule profondément les habitudes des administrations ou la conception d’un service se décide au plus haut et se résume en une succession d’étapes linéaires en fonction des besoins de l’organisation, d’agendas divers, d’intérêts pas toujours alignés. Partage, co-construction et approche incrémentale (progressive) se retrouvent rarement dans les habitudes, tout comme la publication des statistiques et indicateurs qui permettent de justifier, ou non, l’existence, l’utilité, et l’efficacité d’un service numérique.

Par ailleurs, le code source d’un logiciel créé avec de l’argent public, à moins d’une raison particulièrement impérieuse (et non d’un défaut de conception), se doit d’être mis à disposition de tous, comme autant d’autres actes administratifs. Un code open-source peut être réutilisé par d’autres acteurs, devenant de ce fait un ‘commun numérique’, ce qui réduit la duplication du travail et les coûts de manière générale. Publier le code source sous licence libre permet également d’éviter des situations particulièrement gênantes (mais oh combien profitables) de lock-in avec un fournisseur unique.

Cette ouverture signifie également l’emploi de standards et de plate-formes ouverts: employer des technologies éprouvées, répandues et libres de préférence. Cela conduit également à plus d’interopérabilité, moins de temps perdu, et moins d’argent public dépensé inutilement.

“Le gaspillage est le résultat de toute activité humaine qui absorbe des ressources mais ne crée aucune valeur.”
— James P. Womak et Daniel T. Jones

Guidé par une information concrète

Mesurer la performance, l’impact d’une solution, s’informer auprès de l’utilisateur, orienter les choix sur base d’une information du terrain ou objectivement chiffrée, … L’amélioration continue d’un service ne peut se faire que si les forces et faiblesses sont clairement identifiées, et son besoin justifié. C’est tout l’intérêt d’une approche lean qui vise à:

  • réduire les risques : l’utilisation et l’intérêt du service son démontrés, et régulièrement vérifiés auprès des utilisateurs
  • économiser l’argent : en apportant de petits ajustements tout au long d’un projet plutôt que de gros changements plus tard pour un coût souvent extrêmement élevé)
  • résoudre les vrais problèmes : parler aux utilisateurs et étudier les problèmes sous-jacents avant de créer une solution permet de concentrer les efforts sur la conception d’un service qui répond aux besoins des gens ainsi qu’aux objectifs des politiques

D’autres critères et valeurs entrent également en jeu: L’adaptation au changement, la confiance placée dans l’équipe, la prise en compte de l’accessibilité, la multidisciplinarité des équipes: elles ont toutes tout aussi nécessaires à la mise en place d’une nouvelle culture de conception, de réalisation et de prestation de services numériques publics de qualité.

A titre d’exemple, quelques services issus de beta.gouv.fr: Pix (mesurer, développer et valoriser leurs compétences numériques), Démarches simplifiées (permet à tous les organismes assurant des missions de service public de créer des démarches en quelques minutes), Administration+ (résoudre les blocages administratifs inextricables) ,

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