HonesTEA #01 : La représentation et la place des femmes dans le JV, avec Marie-Lou Dulac et Jade Moulin [FR]

EthicALL Game Jam
37 min readApr 11, 2023

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Bienvenue à tous et à toutes dans HonesTEA, le podcast qui parle sans tabou des multiples facettes de la diversité, dans le jeu vidéo comme partout ailleurs !

Posez-vous confortablement, préparez votre boisson préférée, c’est l’heure d’HonesTEA, la parole libre de la diversité !

Guillaume : Bienvenue dans ce nouvel épisode d’ HonesTEA. Moi, c’est Guillaume et je suis toujours avec Mickaël. Salut Mickaël. Comment ça va depuis le dernier épisode ?

Mickaël : Bonjour Guillaume. Ravi encore une fois d’animer ce podcast en ta compagnie, mais surtout de donner la parole à nos incroyables invités du jour. Et comme toujours, ça va extrêmement bien.

Guillaume : Ravi également écoute, parce que c’est vrai qu’après un pilote qui revenait sur la création de l’EthicALL Game Jam, n’hésitez pas d’ailleurs à aller l’écouter cet épisode si vous voulez notamment connaître la passion cachée de Mickaël, je n’en dis pas plus.

Nous sommes très heureux de revenir avec ce premier épisode de nos sujets liés à la diversité qui va faire le cœur de ce podcast.

En choisir un n’a pas été évident, évidemment, tant ils sont tous passionnants, mais nous commencerons avec un sujet assez emblématique de ces dernières années, je crois, la représentation et la place des femmes dans le jeu vidéo. Qu’est ce que tu en penses, Mickaël, de ce sujet ?

Mickaël : Oui, c’est un vaste et complexe sujet, mais vous le savez, on est là pour aborder tous les sujets de la diversité, sans tabous ni langue de bois.

Pour nous accompagner sur ce sujet, nous avons l’immense plaisir de recevoir Marie-Lou Dulac, chef de projet chez Women in Games, mais aussi consultante en diversité et autrice.

Bonjour Marie-Lou, comment vas-tu ?

Marie-Lou : Bonjour Mickaël, Guillaume et Jade. Merci beaucoup pour l’invitation. Je suis très heureuse d’être là et puis moi, ça va super et vous ?

Mickaël : C’est un grand plaisir. Nous recevons aussi Jade Moulin, User Researcher et également consultante en diversité. Jade, comment ça va ?

Jade : Bonjour Mickaël, bonjour tout le monde. Ça va très bien, merci. Je suis contente d’être là et de pouvoir échanger sur ce sujet.

Guillaume : Bienvenue à vous deux. Entrons directement dans le vif du sujet et précisons d’emblée que nous aborderons dans cet épisode deux angles, celui de la représentation des femmes dans le jeu vidéo, in-game, si je puis dire, mais aussi leur représentation dans l’industrie elle-même, deux facettes, nous semble-t-il, d’une même pièce.

Bien sûr, dans le jeu vidéo en tant que tel, on a pu clairement constater une évolution dans la représentation et la caractérisation des femmes en tant qu’héroïnes ou personnages secondaires de la toute première version de Lara Croft dans Tomb Raider en 96, aux personnages d’Aloy dans la série Horizon, d’Alex dans Life is Strange, True Colors ou encore du duo formé par Chloé et Nadine dans Uncharted Lost Legacy.

Quel regard vous portez sur cette évolution d’à peu près 20 ans, Marie-Lou ?

Marie-Lou : Je dirais qu’il y a deux types d’évolution. D’abord une évolution quantitative et ensuite qualitative. Ce qu’on observe, c’est qu’on a de plus en plus de personnages féminins qui sont représentés à l’écran. J’ai trouvé une étude de DiamondLobby qui montrait que 39 % des personnages jouables étaient des personnages féminins en 2022 contre 33,5 % en 2021.

Ce qu’il faut quand même préciser, c’est qu’on parle de tous les personnages confondus, donc ça inclut les jeux qui proposent différents personnages. C’est-à-dire que ce n’est pas forcément des héroïnes, mais ça peut être un personnage féminin parmi un roster de personnages jouables. Donc, on voit qu’il y a une évolution, même si on constate que les personnages féminins restent malgré tout minoritaires. Ça, c’est la première chose.

Et le deuxième aspect, c’est une évolution qualitative qui est tout aussi importante, si ce n’est plus. On a différents aspects puisqu’on a des corps qui sont quand même moins sexualisés. Guillaume, tu parlais d’Aloy typiquement dans Horizon. Je trouve que c’est un exemple assez parlant. Sinon, on a des représentations qui sont un peu plus variées en termes d’âge. Par exemple, l’héroïne de Returnal est une femme d’âge moyen, ce qui est quand même assez intéressant et peu vu, finalement. On a aussi des représentations plus diversifiées en termes d’ethnicité, avec Juliana dans Deathloop, Fred dans Forspoken, plus récemment, de type de corps et aussi d’identité de genre, puisqu’on a aussi de plus en plus de personnages queers au delà du cercle des jeux indés. Je pense par exemple à Catalyst dans Apex Legends.

Globalement, des représentations qui sont plus variées, plus nuancées, qui sortent des tropes habituelles de la demoiselle en détresse ou la femme fatale et qui sont plus intéressantes, même si bien évidemment, on a encore beaucoup de chemin à faire avant une représentativité parfaite.

Guillaume : Toi, Jade, en tant que professionnelle de l’expérience des utilisateur.ices, comment tu as suivi cette évolution ?

Jade : L’évolution a été un peu plus difficile à suivre du point de vue des utilisateurs, parce qu’on va utiliser des méthodes d’analyse des discours, etc. Et très malheureusement, les plateformes de discussion restent des milieux très masculins, traditionnellement très masculins.

Du coup, toute cette évolution génère systématiquement une réactance et des discours misogynes et ne laisse que très peu la place aux joueuses d’exprimer leur retour sur cette représentation. Et du coup, très peu de données sur comment exploiter ces retours auprès du public visé, celui des joueuses, normalement, pour pouvoir avancer dans ce qui serait la bonne direction.

On peut se baser sur la réactance en disant « Si on fâche les joueurs, c’est qu’on est dans le bon chemin. » Mais malheureusement, c’est un petit peu difficile de se reposer là-dessus pour faire avancer l’industrie, pour proposer de nouveaux types de personnages, de nouveaux types de corps, de nouvelles histoires à raconter aussi.

Donc, très malheureusement, c’est difficile d’aller chercher les utilisatrices et de prendre leur retour. Et on baigne dans un environnement qui est très hostile à cette évolution.

Guillaume : Ok, oui, parce que c’est vrai qu’il y a quand même cet enjeu, en effet, dans la pluralité de la représentation aussi, de permettre à des gens de se projeter dans un personnage ou en tout cas d’avoir justement d’autres figures sur lesquelles se raccrocher.

Tu le soulignes très bien dans le rapport qu’il y a entre l’avatar et le joueur, il y a aussi tout un sujet immense qu’on pourrait aborder ici si on explorait un peu plus les corrélations qu’il y a.

Mickaël, je crois que tu avais une question, justement, sur un peu l’évolution de ces représentations dont on vient de parler à l’instant.

Mickaël : Oui, effectivement, et je voudrais rebondir aussi un petit peu, j’avais adoré un tout petit détail qu’il y avait dans Horizon, c’était les dents d’Aloy qui étaient un petit peu tordues et tout. Et je sais que moi, j’ai souvent le souci du détail et je bugge sur le détail. J’avais adoré, je me suis dit « Oui, mais en fait, de mon point de vue d’immersion, de mon point de vue de la représentation, c’est quand même assez rare d’avoir des dents complètement alignées, toutes blanches et tout. » Et ces petits détails-là peuvent faire toute la différence.

Aussi, côté playtest et côté recherche utilisateur, il y a une vraie problématique et il y a un vrai manque de layers dans la manière dont on apprécie et on évalue les feedbacks des joueurs qui peuvent… Moi, la UX ou le QA, c’est un peu à la carte. C’est à dire que quand les feedbacks vont dans le sens des développeurs, là, il n’y a pas de souci de les écoute, mais si effectivement, les feedbacks viennent majoritairement d’hommes blancs cisgenres, forcément, en plus, ça arrange tout le monde. Généralement, ça arrange le top management. C’est en ça que ça va renforcer un petit peu ces problématiques.

Effectivement, sur le même sujet, pourquoi pensez-vous que cette évolution est si lente et ce type de représentation plus juste ne fait pas encore totalement l’unanimité auprès de tous les studios ?

On y a un petit peu déjà répondu, mais si vous avez d’autres choses à dire sur ça, avec grand plaisir. On peut commencer par Jade.

Jade : Pour moi, le grand problème, c’est que le jeu vidéo est héritier du cinéma dans sa construction d’histoires, de personnages, d’histoires à raconter et de la manière dont les développeurs imaginent que le public va réagir à l’histoire qui va être présentée et aux personnages qui vont être présentés.

Et malheureusement, même dans le cinéma, l’évolution est très lente, l’évolution de la diversité des corps, de la diversité des histoires. Il y a combien de films en 2022, 2023 qui vont passer le test de Bechdel, par exemple ? On a encore un énorme chemin à faire.

Guillaume : Excuse-moi, je te coupe, est ce que tu peux préciser ce qu’est le test de Bechdel pour nos auditeur.ices ?

Jade : C’est une méthode d’évaluation qui a été établie pour déterminer si un média, un film principalement, se voulait plus ou moins féministe ou réaliste dans la représentation de la femme en vérifiant si les femmes présentées dans l’histoire réussissaient à avoir des conversations sans que les hommes soient impliqués et des conversations qui ne soient pas au sujet d’un homme.

Donc, vraiment essayer de décentrer le masculin dans les histoires qui sont racontées. Très peu de films encore aujourd’hui passent malheureusement ce test. On a encore une représentation au cinéma qui n’est pas réaliste, une représentation des femmes qui n’est pas réaliste, dans laquelle c’est très difficile de se retrouver. Même si les choses évoluent lentement, le jeu vidéo suit derrière et malheureusement, ça a impacté pour moi son développement.

Ça et le fait que les grands studios n’ont simplement pas pris le temps de chercher un autre marché jusqu’à très récemment, en se basant sur le marché historique, celui de cibler les jeunes hommes adolescents, et en multipliant les tropes qui sont supposés leur parler. Aujourd’hui, les choses évoluent, pour moi, assez lentement.

Je pense qu’une des raisons pour lesquelles les choses évoluent, c’est malheureusement l’aspect financier, c’est que ce public est saturé et que pour pouvoir faire sa place quand on sort un jeu, il faut étendre le public ciblé. C’est avec cette idée en tête que les studios ont commencé à réfléchir à la représentation pour toucher à un autre public.

Mickaël : Je peux confirmer que l’argument mercantile est celui qui marche le mieux sur ces sujets, malheureusement. Marie-Lou, ton avis sur la question ?

Marie-Lou : Je rejoins complètement Jade, évidemment. À ça, j’ajouterais qu’il y a aussi cette idée persistante que le jeu vidéo est un loisir masculin et donc qu’on doit cibler un public en plus masculin très précis, puisque c’est censé être un public cis, hétéro, adolescent, etc.

Et puis, il y a quand même cette croyance qu’on ne peut s’identifier qu’à un genre qui est le sien, donc qu’un joueur masculin ne va pouvoir s’identifier qu’à un personnage masculin et vice versa, alors que c’est très réducteur. Fort heureusement, on a plein de contre-exemples.

Mais je pense qu’à ça s’ajoute l’habitude, à savoir on a toujours fait comme ça, ça marchait, donc pourquoi changer ? La peur de perdre sa communauté, de ne pas trouver son public aussi. Alors que bon, clairement, on voit que le public est là et qu’il est demandeur. Et puis surtout, moi, c’est toujours ce que je me dis.

Je me dis mais on a quand même une certaine image du jeu vidéo qui est un médium très fermé, très élitiste, alors que ça devrait être comme n’importe quel autre médium, le cinéma, les livres, on devrait avoir un type de contenu pour un type de public.

C’est à dire qu’on ne devrait pas pouvoir dire « Moi, j’aime pas les jeux vidéo. » Ça reviendrait à dire « Moi, j’aime pas les films. » Parce qu’a priori, on trouve toujours un film qui nous correspond et on devrait toujours trouver un jeu qui nous correspond. Et du coup, je suis toujours très perplexe quand je vois qu’on place le jeu vidéo à un niveau différent des autres médias, alors que techniquement, il devrait y avoir de la place pour tous les contenus et tous les publics.

Mickaël : Mais surtout qu’ils les rassemblent tous, ils rassemblent un peu tous les médias, tous les types d’art. Et c’était super intéressant ce que tu disais, j’ai eu un webinar avec Rob Gallerani de chez Blizzard, qui est lead game designer sur l’inclusion, justement. Effectivement, il disait… C’est très étonnant parce qu’on dit qu’il travaille chez Blizzard, mais en fait, il faut aussi avoir en tête qu’il y a des gros studios qui sont très critiqués, mais que ça n’empêche pas qu’à l’intérieur des studios, il y a quand même des personnes qui se battent pour ces sujets-là.

Il disait effectivement, le jeu vidéo, il y a 25 ans, c’était des hommes qui adoraient les jeux vidéo et qui ont commencé à travailler là dedans et qui ont jamais fait évoluer leurs biais. Aujourd’hui, il faut prendre conscience que ce n’est pas juste un divertissement, le jeu vidéo, c’est un espace de rêverie, de liberté pour tout un chacun.

Ces nouveaux enjeux, même pas nouveaux, c’est ces enjeux éthiques et humains qu’il faut prendre en compte, d’autant plus pour des populations marginalisées par la société qui ont juste envie de se changer les idées quand elles rentrent chez eux ou chez elles. Pas besoin qu’on leur rappelle qui sont différents ou qu’ils ne rentrent pas dans la norme quand ils veulent penser à autre chose.

Guillaume : Effectivement. Et si, justement, on essaye d’imaginer quelques exemples, là, vous l’avez un petit peu dit, on avance sur ces questions là, mais parfois un peu trop peut-être à cause de besoins mercantiles et donc peut être qu’on est aussi en train de créer finalement de nouveaux troupes qui répondraient à des nouveaux cahiers des charges qui sembleraient plus modernes et plus inclusifs, mais qui finalement ne perpétueraient que de nouveaux clichés dans la représentation.

Est ce que vous avez des exemples pour nos auditeur.ices, justement, de représentations de femmes dans le jeu vidéo qui vous ont marquées, qui vous ont touchées dans des productions anciennes ou modernes ?

D’ailleurs, Marie-Lou, on en a cité quelques-uns, tu en as recité d’autres. Est-ce que tu pourrais éventuellement guider les gens qui nous écoutent sur la découverte d’autres types de représentations ?

Marie-Lou : Oui, bien sûr. Moi, il y a un personnage féminin que je trouve très intéressant, c’est la mère de Sean et Daniel dans Life is Strange 2. Karen, qui est un personnage secondaire, mais que je trouve vraiment intéressant parce que, pour donner du contexte, c’est une femme qui a étouffé dans sa vie de famille et qui a décidé de laisser son mari et ses enfants pour aller à New York et essayer de vivre de sa passion de l’écriture.

Et en fait, je trouve ça… Je l’ai trouvé vraiment marquant, ce personnage, parce qu’on était vraiment au-delà des clichés de la bonne mère, la mauvaise mère. Il y avait vraiment cette idée de montrer les motivations d’un personnage qui s’est retrouvé coincé dans son rôle de mère et qui a décidé d’aller faire une carrière artistique et qui a échoué.

Donc, je trouvais que cette complexité était vraiment très subtile, très bien amenée aussi. Je trouve que dans le jeu vidéo, c’est assez rare de voir ce genre de personnage.

Guillaume : Effectivement. Jade, quels sont les exemples que tu pourrais éventuellement nous apporter ?

Jade : Un exemple relativement récent, c’est Madeline, le personnage principal du jeu vidéo Celeste, qui est un jeu indé, donc on n’est pas vraiment dans le circuit mainstream. On a cette jeune femme qui nous emmène dans une histoire autour de sa fuite en avant de la dépression et de l’anxiété.

Les éléments narratifs ne sont pas très présents en dehors du schéma visuel, mais je sais pas, c’est un jeu qui a fait beaucoup écho au sein de ma communauté, au sein des personnes trans, certainement parce qu’une personne trans était aux commandes aussi et qui a cette référence à toutes les personnes qui n’ont pas réussi à faire l’ascension. C’est un jeu qui reste très contemplatif et émotionnel, mais ça me touche énormément.

Dans un autre style, toujours dans les jeux indés, c’est Sam Anon, l’héroïne de Get in the Car Loser, qui me plaît énormément. On a un body type qu’on ne voit pas dans les jeux mainstream. Elle est considérée comme une femme un peu forte, mais tout le monde autour d’elle la trouve belle. Il y a cette idée un petit peu d’être entouré de personnes qui te voient et sa propre self image derrière.

C’est un jeu d’aventure qui est driven, il y a vraiment ce côté « être emporté par les gens autour de nous », surtout des femmes en l’occurrence, vu que tout le maincast est composé de personnages féminins et c’est vraiment une histoire très intéressante à mes yeux.

Guillaume : Merci.

Mickaël : Il faudrait que je découvre… Je ne joue pas assez aux jeux indés. C’est pour ça que je suis tout le temps en colère, je ne joue qu’à des jeux mainstream, il faut que j’arrête !

Jade : Je crois que le premier Get In The Car, Loser, est gratuit, donc pas d’excuses !

Mickaël : Pas d’excuse, OK !

Justement, un petit peu sur ces sujets-là, j’aimerais que vous réagissiez à une phrase que j’ai entendue dans ma carrière quand je travaillais sur les morphotypes des personnages d’un jeu. Bien sûr, je ne citerai pas pour quels studios, mais ça commence par un grand U.

« Les joueurs veulent jouer des femmes sexy. » Je dis bien les joueurs, car c’est caractéristique de notre problématique. Sur les projets, la plupart des collègues parlent des joueurs et non des joueuses, que ce soit dans les documents de design ou dans les conversations.

Je trouve qu’il y a quelque chose de systémique aussi qui n’aide pas le truc. Le pire, c’est que c’est une femme qui m’a dit ça. Je sais que rien ne va dans cette réflexion, mais justement, ça m’intéresse d’avoir votre avis.

Jade : En fait, je vais rebondir sur ce qu’avait dit Marie-Lou un petit peu plus tôt. L’idée qu’on n’a pas besoin de jouer un personnage du même genre que soi pour se sentir représenté. Mais c’est malheureusement une idée qui est encore très présente dans l’industrie.

Et quand on vend un personnage masculin, on va vendre l’idée que les joueurs puissent se projeter. Mais quand il y a un personnage féminin qui va être centré, ce n’est pas l’idée de s’identifier au personnage qui va être vendue. Ça va être avoir un « eye candy » ou une histoire un peu différente qui va… Ou le fait de jouer un personnage féminin va permettre la mise en place de situations qui sont parfois un peu gênantes, parfois embarrassantes, etc, mais différentes. Tout ça pour plus servir de fan service, pour servir la curiosité du joueur, pas pour faire en sorte que le joueur s’identifie.

C’est ce qui est, selon moi, derrière ce genre de phrase, ce genre d’idée, c’est qu’on ne crée pas des personnages féminins pour les joueuses ou très rarement, on les crée pour des joueurs et on ne leur vend pas un personnage qui a une histoire à raconter et dans lequel ils pourront s’identifier, mais un personnage qu’ils pourront regarder.

Mickaël : Marie-Lou, tu veux rebondir ?

Marie-Lou : Oui, j’abonde complètement dans ce sens là et ça me fait penser à cette interview qu’il y avait eue. Ça commence à dater d’il y a quelques années, mais c’est pour illustrer ce que vient de dire Jade. Quand il y a eu cet opus de Tomb Raider qui est sorti, je pense que c’était en 2013. Il y avait eu une interview de, je pense, un game designer qui avait travaillé sur le projet, qui assumait que le joueur, parce qu’on parle bien de joueurs et pas de joueuses en l’occurrence, que le joueur ne devait pas s’identifier à Lara Croft, mais qu’il devait être son compagnon.

Il y a vraiment cette idée d’être à côté, de la regarder et de la regarder souffrir en plus, parce que c’était un opus en plus qui était très problématique dans certaines scènes. Et pour moi, il y a vraiment un côté très déshumanisant, parce que ça veut dire qu’on considère qu’un personnage féminin ne peut pas être intéressant au delà de son apparence, avec une backstory, une personnalité, même parmi d’autres éléments du jeu.

Du coup, je trouve que c’est vraiment un problème. Et surtout, là, en plus, si tu dis que ça venait d’une femme, je trouve ça encore plus triste.

Mickaël : Ça m’avait rendu très triste.

Marie-Lou : Oui, j’imagine. Et puis, la notion de sexy aussi, c’est quand même très subjectif.

Mickaël : Ça veut dire quoi ?

Marie-Lou : Oui, voilà, ça veut dire quoi ? Ça correspond souvent à une vision très normée des corps et tout ça. Je ne sais pas si, par exemple, si on avait mis Ashley Graham en tant que personnage principal, est ce que cette personne aurait trouvé Ashley Graham sexy alors qu’elle correspond pas forcément aux standards de beauté ? Pour moi, il y a, comme tu disais, rien qui va dans cette remarque.

Mickaël : Il n’y a rien qui va, ça vient d’une femme, « Sexy » ça veut rien dire, ton sexy, mon sexy, ça veut rien dire. Ça me fait penser à la notion de fun dans le jeu vidéo que je ne supporte pas.

Quand on me dit « c’est fun, c’est pas fun », mais ton fun, c’est pas mon fun. C’est complètement galvaudé. Effectivement, ça m’avait énormément attristé que ça vienne d’une femme qui était en plus hiérarchiquement au-dessus de moi, donc je devais me taire et aller dans le sens.

Guillaume : Depuis le début de cet épisode, on parle de la nécessité d’avoir des représentations plus variées, plus réalistes des femmes, de la morphologie, des caractères, de la place des femmes dans la société.

Vous venez d’ajouter un peu cette petite brique de dire qu’il ne faut pas le faire pour que les gens puissent s’identifier à ça.

Je trouve ça intéressant parce que c’est vrai que j’aurais tendance à me dire que justement, on crée des personnages pour donner envie aux gens de les incarner.

On parle depuis le début de cet épisode sur la représentation des femmes. Si, du coup, ce n’est pas pour donner à peut-être de nouveaux types de joueuses et de joueurs l’envie de jouer aux jeux vidéo par la représentation différente d’avatars, pourquoi le faire ?

Est-ce que c’est tout simplement pour avoir une vision plus réaliste de la société dans laquelle on évolue ? Marie-Lou, peut être ?

Marie-Lou : Pour moi, la représentation et la représentativité, ça vient servir deux objectifs. D’une part, il va y avoir quand même cette volonté de représenter des personnes issues de groupes marginalisés, parce que c’est des personnes qui ont été historiquement sous-représentées.

Donc, il y a plusieurs intérêts. Il y a un intérêt qui est créatif puisqu’on va raconter des nouvelles histoires, on va montrer des nouveaux personnages. Et puis, ça vient aussi quand même servir des enjeux d’identification en proposant des rôles modèles, des personnages dans lesquels on peut se projeter et tout ça. Donc, c’est très positif, notamment auprès des jeunes audiences.

Et ensuite, pour moi, il y a un enjeu de visibilité, c’est à dire aussi de permettre aux joueurs et joueuses d’incarner des personnages qui ne leur ressemblent pas pour faire cette expérience d’altérité. Pour moi, la représentation, ça va au-delà d’une question d’apparence. C’est aussi à travers les expériences que le personnage va vivre, sa personnalité, comment il ou elle va réfléchir, etc.

Pour moi, je dis que le jeu vidéo, c’est un outil d’empathie, parce que ça permet de se mettre dans la peau de quelqu’un, peut-être même la plupart du temps, qu’on n’incarnera jamais dans la vraie vie. Pour moi, c’est une façon d’expérimenter des situations et des expériences que nous, en tant que personnes dans la vraie vie, on ne connaîtra jamais.

Jade : Je rejoins Marie-Lou là-dessus. C’est un sujet sur lequel je ne suis pas à faire aussi. On a besoin de plus de représentation parce qu’on a assez vu des archétypes classiques masculins. Très honnêtement, je pense qu’on a fait le tour du sujet et on a besoin d’offrir autre chose. Que ce soit une nouvelle réflexion de la masculinité, même autour du jeu vidéo, on demande que ça également. Présentez-nous d’autres types de personnages, présentez-nous d’autres archétypes, racontez-nous d’autres histoires.

Mais derrière, il y a aussi des personnes dont les histoires n’ont jamais été racontées, et n’ont aucun moyen de se projeter et qui sont saturées de cette représentation masculine qui est toujours, toujours la même, en fait, depuis les années 90, quasiment les mêmes tropes que l’on voit au cinéma, on a besoin d’autres histoires, on a besoin d’autres personnages pour les vivre.

On a besoin d’un autre type de connexion. Parce que le jeu vidéo est un média qui est quand même assez incroyable. C’est qu’on donne à la personne qui consomme ce média la possibilité d’interagir avec l’histoire, dans une certaine mesure, pas de la subir ou pas de la suivre, comme au théâtre, comme au cinéma ou comme en lisant un livre.

C’est un petit peu dommage qu’on ne permette pas d’interagir avec de nouveaux types d’histoire et qu’on soit toujours coincé dans ces mêmes troubles cinématographiques qui existent depuis des années. Je pense qu’on est nombreux, surtout les personnes qui ont besoin de se projeter, on recherche des histoires qui nous parlent, à être fatiguées de ce qu’on nous sert encore et encore.

C’est là que la représentation va permettre de raconter de nouvelles histoires, de nouvelles perspectives. Mais ça implique aussi d’avoir les bonnes personnes aux commandes pour raconter ces histoires.

Mickaël : C’est essentiel, les représentations. Par exemple, moi, en tant qu’homme gay, j’aurais adoré avoir des représentations, parce qu’il y a les représentations et il y a les bonnes représentations.

Quand on bosse dans l’industrie du jeu vidéo, des fois, on voit qu’il y a des efforts qui veulent être faits, qui viennent souvent d’un vrai esprit de bienveillance, mais qui sont faits avec une maladresse… On est déjà venu me poser des questions, « Qu’est ce que tu penserais qu’on rajoute une communauté gay, un quartier gay dans notre jeu ? » — c’était un jeu futuriste. J’ai dit « J’espère que dans le futur, dans 5 000, je ne sais même plus combien d’années ou 10 millions d’années, ce ne sera même plus un sujet. »

C’est des maladresses où ils vont pas pousser le sujet, se dire « Qu’est-ce qu’on peut faire de mieux ? » Aujourd’hui, le jeu vidéo, c’est un média de masse qui touche des millions de personnes, essentiellement des enfants, des jeunes, un peu tout le monde, mais aussi des ados. C’est le fait de planter la petite graine dans ces esprits, d’accompagner et d’aider des personnes en construction, de leur montrer « Regarde, ça existe, il n’y a pas de souci.», surtout quand on n’a pas accès à ça.

Le jeu vidéo, ça reste une fenêtre sur le monde pour certaines populations qui n’ont pas accès à la culture, qui n’ont pas des livres à la maison ou tout ça. Mais aussi, si on voit régulièrement des hommes gays, des héros gays, des personnages gays.

Désolé, ce sera le sujet d’un autre podcast, ce n’est pas le sujet du podcast d’aujourd’hui, c’est la représentation de l’homme gay des jeux vidéos. Mais je suis sûr que moi, ça peut sauver des vies. Il y a un petit garçon, Lucas, de 13 ans, qui s’est suicidé parce qu’il était harcelé à l’école à cause de son homosexualité.

Peut-être que dans quelques années, ça n’existera plus, ça, parce que ces jeunes, ils en verront partout, des hommes gays. Donc oui, les représentations, c’est important aujourd’hui et c’est l’enjeu éthique et social et la responsabilité qu’ont les développeurs de jeux vidéo.

Désolé, j’ai eu une petit envolée, une petite envolée lyrique !

Guillaume : Écoute, Mickaël, tu es là pour ça et on t’en remercie !

Justement, quand on constate tout ça, toutes ces questions, il y a une question qui finit par émerger. Pensez-vous, et ça va nous amener tranquillement vers la deuxième partie de cet épisode, que bon nombre de problématiques de représentation des femmes dans les jeux, telles qu’on vient de les citer, sont liées à l’invisibilité que subissent aujourd’hui encore les femmes dans l’industrie du jeu vidéo.

Alors oui, cette question, elle est extrêmement orientée. C’est normal.

Marie-Lou, qu’est-ce que tu en penses ?

Marie-Lou : Oui, c’est évident que le manque de représentativité des femmes dans l’industrie a un impact sur les représentations à l’écran. Après, avec une petite nuance quand même qui est que le sexisme peut aussi être intériorisé par les femmes. On l’a vu dans le point précédent avec les personnages sexy.

Et aussi, j’ajouterais qu’ il faut avoir plus de femmes dans l’industrie et pas que d’ailleurs, plus de personnes issues de groupes marginalisés à tous les postes et notamment aux postes à responsabilités. Puisque sinon, si on a 50% de femmes dans une entreprise, mais qu’elles sont toutes à des postes de junior sans réel pouvoir de décision, ça ne va pas faire avancer grand-chose.

Guillaume : Jade, on parlait tout à l’heure de l’évolution des héroïnes de jeu. Est-ce que tu dirais que cette évolution, elle est aussi visible dans les équipes de création ?

Jade : Non, malheureusement, pas autant. C’est ce que Marie-Lou a mentionné, il y a un énorme turn-over des personnes minorisées dans l’industrie du jeu vidéo. Ce n’est pas très difficile de rentrer… De mettre le pied dedans, ce n’est pas trop difficile. Y rester, c’est beaucoup plus dur quand on subit la misogynie, la transphobie, l’homophobie, le racisme, l’islamophobie, etc. Le validisme aussi.

Ce sont des milieux qui sont très masculins et malheureusement, très souvent, pour rejoindre le point qui avait été fait plus tôt de cette collègue à un poste plus haut placé qui avait parlé de corps sexy à vendre aux joueurs, souvent, pour survivre dans cette industrie, pour les femmes, pour les personnes minorisées, il faut s’adapter à ce discours. Le discours n’est pas assez challengé, même pas.

Ce n’est pas la présence d’une femme sur dix exécutifs qui va changer les choses. Ça va demander de changer l’industrie, de repenser l’industrie, de changer les managers. Avoir une femme comme manager, ça change tout. Je me souviens en avoir eu un qui m’avait dit, littéralement n’avoir jamais eu de femmes dans son équipe et qui en était fier, qui en plaisantait, qui trouvait que c’était drôle. On parlait d’un homme de la quarantaine et ça m’avait vraiment choqué. Et en fait, c’est ça, il faut que les femmes arrivent à des postes à responsabilités et puissent rester dans l’industrie.

Mais il ne faut pas non plus qu’on passe dans le syndrome de la survivante où ce soit un enfer pour elle de pouvoir évoluer dans l’industrie et où elle soit obligée de faire des compromis encore et encore. Il faut qu’elles aient une place pour évoluer le plus sainement possible. C’est pas encore le cas.

Marie-Lou : Oui, à ça, j’ajouterais effectivement que… Là, pour le coup, je parle de ma propre expérience. J’ai vu certaines femmes qui avaient évolué dans l’industrie et qui se montraient très dures avec les autres femmes, justement parce qu’elles avaient intérêt… Déjà parce qu’elles elles mêmes avaient lutté pour rester et pour gravir les échelons. Et en fait, elles avaient du mal à comprendre que c’était pas normal. Et c’est vrai que c’est très…

Moi, je sais que ça m’avait beaucoup perturbée en tant que junior de me dire que c’est censé être la trajectoire qu’on m’offre, mais ça ne me fait pas du tout envie. Je veux pas devenir comme ça et je veux pas du tout passer par là pour arriver à des postes importants.

Jade : Il y a un élément là-dedans, dans le recrutement et dans le management, qui est assez connu. J’ai travaillé comme recruteuse pendant plusieurs années. Les managers ont tendance à recruter des personnes qui leur ressemblent, mais c’est vrai que ce sont des hommes cis, blancs et hétéros, souvent.

C’est-à-dire que là où une personne minorisée va avoir un poste à responsabilité et va avoir d’autres personnes qui vont lui ressembler sur son équipe, pour ne pas se faire accuser de traitement de faveur, de favoritisme, etc, bien souvent, ils vont se montrer beaucoup plus durs et parfois unfair avec les mêmes profils juniors qui pourront arriver, histoire qu’on ne vienne pas simplement saper leur autorité, durement acquise après des années de carrière.

C’est vraiment triste qu’on en soit encore là, mais c’est une réalité qui est observée dans les études, dans la sociologie du travail, dans la psychologie du travail et c’est un énorme problème.

Mickaël : Oui, effectivement, j’en ai croisé beaucoup aussi, ces femmes qui ont intériorisé une espèce de rancœur, qui ont atteint ces postes-là et elles se sont formatées à ce fonctionnement. L’autre chose sur laquelle j’aimerais répondre aussi, c’est qu’effectivement, des personnes qui veulent lutter en interne pour ces sujets là, il y en a beaucoup, mais la plupart du temps, ces personnes s’épuisent ou deviennent trop vocales, deviennent gênantes, concrètement, pour les studios et elles finissent par les quitter.

J’en ai parlé avec de la légèreté du fait de cette réflexion qui a été faite sur les femmes sexy. Suite à cette réflexion, je suis parti dans une salle, j’ai éclaté en sanglots et je suis parti en burn-out. Je ne suis jamais revenu dans cette entreprise. Pour vous dire qu’en l’espace d’un instant, cette femme, peu importe, ça aurait pu être quelqu’un d’autre, elle a brisé trois ans et demi de travail et de lutte pour avoir des personnages inclusifs, un système inclusif et tout. C’était pas juste la phrase, c’était une accumulation, pour moi, de combats, de choses.

Effectivement, moi, l’expérience se répète. Tous les studios pour lesquels je suis passé se répètent et on s’épuise et au bout d’un moment, on arrête parce qu’on est fatigué, qu’on part en burn-out ou voilà. C’est un petit peu ça la complexité.

Effectivement, puisque des horreurs, vous imaginez que j’en ai entendu dans le jeu vidéo dans huit ans. J’aimerais encore que vous réagissiez à ce que m’a dit une collègue, une amie d’ailleurs, qui est toujours une amie à ce jour, alors que je me plaignais du fait que les minorités n’étaient pas assez entendues sur certains sujets, elle m’a lancé « Tu es peut-être gay, mais tu as la chance d’être un homme. Tu seras toujours plus écoutée que moi. »

Avez-vous déjà eu l’impression de devoir parler plus fort pour être entendue en tant que femme ?

Jade : Largement, oui. Là-dessus, j’ai une expérience qui est un petit peu particulière parce que je suis une femme trans et que j’ai commencé ma transition en travaillant dans l’industrie.

Petite anecdote personnelle, j’ai toujours eu des problèmes avec ma voix. Je ne la supportais pas et je supportais pas de parler fort parce que je n’aimais pas la voix grave que j’avais avant. Et par contre, au départ de ma transition, quand les gens ne savaient pas que j’étais une femme trans, je pouvais parler aussi doucement que je voulais, j’étais écoutée. C’est à dire qu’on allait se taire et m’écouter.

Dès le moment où ma transition a commencé à se voir, où j’ai commencé à développer des traits féminins, j’ai commencé à travailler sur ma voix, je pouvais parler aussi clairement que je voulais, je n’allais pas être écoutée. J’ai commencé à recevoir des réflexions de mes managers sur le fait que je ne parlais pas assez fort, que je ne m’exprimais pas assez bien.

J’ai dû rentrer dans une dynamique où j’ai compté sur les autres femmes qui étaient présentes dans la salle pour rentrer dans cette dynamique de « on se booste l’une l’autre », sinon je n’étais plus du tout entendue.

Et c’est arrivé très rapidement, dès le moment où la transidentité a commencé à se voir, je n’étais plus du tout écoutée. Et mind you, j’avais déjà une carrière en tant que recruteuse. J’avais l’habitude de parler dans des meetings avec des clients, avec des candidats, donc c’était une problématique qui était tout à fait nouvelle pour moi.

Mickaël : C’est incroyable. Merci pour ce témoignage, mais effectivement, c’est incroyable d’avoir pu observer vraiment la progression de la considération qu’on t’a porté. C’est fou.

Marie-Lou : Ça me fait penser à une étude qui a été menée, je crois que c’était en Corée du Sud. En fait, je crois que c’était dans une gare où ils avaient fait un test avec une voie robotique masculine et une voie robotique féminine pour donner des informations aux voyageurs. Et après, ils avaient demandé aux voyageurs d’évaluer la pertinence des informations données par la voix féminine et la voix… Codée féminine et codée masculine. Et les voyageurs trouvaient que les informations étaient moins pertinentes quand c’était la voix féminine qui les donnait, alors que c’était exactement le même contenu. Donc voilà, cette question de la voix, je pense qu’elle est effectivement primordiale.

Et sinon, plus largement, je pense que oui, de toute façon, quand on cumule des facteurs de discrimination, ça peut être le genre, l’orientation sexuelle, l’origine, la religion, le handicap, plus on doit se battre pour sa légitimité. Et je pense que c’est particulièrement vrai pour les questions de diversité, d’inclusion, de représentation, parce qu’en fait, on est toujours soupçonnés de militantisme déguisé et de communautarisme, comme si les hommes cis, blancs, hétéros étaient la voix de la raison et de l’universalisme.

Mais du coup, on doit toujours un peu se justifier pour dire qu’en fait, nous venons en paix et que nous sommes des personnes sensées et rationnelles. Et moi, je trouve que c’est une partie du job qui est épuisante, parce qu’en fait, on passe presque plus de temps à dire que notre démarche est légitime et que nos revendications aussi sont légitimes qu’à vraiment faire le job. Je trouve que c’est assez épuisant.

Et du coup, moi, je me suis toujours dit qu’il fallait d’une part se soutenir les uns les autres, les unes les autres, mais aussi trouver des alliés, justement, parmi les personnes issues de groupes dominants, pour porter la voix des personnes qui ne sont pas entendues ou qui sont trop épuisées pour continuer à s’exprimer.

Mickaël : C’est rigolo que tu dises ça parce que je me plais souvent d’avoir l’impression de plus passer de temps à essayer de convaincre qu’à faire. Alors que je suis designer, je suis censé designer des solutions. Pour pouvoir apporter une solution, il faut que j’arrive à convaincre le top management.

Je n’ai pas plus de temps à me fatiguer à essayer de convaincre, tout en étant raisonnable en plus, parce qu’effectivement, je comprends les contraintes de production, je suis game designer, je ne suis pas vraiment du côté de la partie théorique du sujet, mais je suis en mode « Vous inquiétez pas, on ne va pas mettre des rainbow flag de partout, je ne vais pas faire sortir Alan Wake du placard, ça n’aurait aucun sens. » On peut, des petites phrases, des petits collectifs, des trucs comme ça, tout doucement traiter de ce sujet-là.

Et quelque chose d’hyper intéressant aussi, j’étais co-designer sur un sujet avec une femme et je me rappelle qu’on avait fait un meeting pour présenter la feature au game director. Et à la sortie du meeting, ma collègue me dit « C’est abusé, j’en ai marre ».Je lui ai dit « Mais qu’est ce qui se passe ? ». Elle me dit « Mais tu n’as pas capté qu’il ne m’a pas regardé une seule fois ? Il ne posait des questions qu’à toi ». Et en fait, c’est horrible parce que moi, en tant que homme blanc privilégié, je ne m’en rendais même pas compte. Moi, je veux dire, le game director, il me posait des questions à moi, je suis content, il s’intéresse à mon sujet et tout.

Et effectivement, après ça, j’ai fait attention à ça. Et du coup, je me dis « J’ai presque joué le jeu du truc ». Parce que moi, à aucun moment, j’ai dit « Tu veux peut-être répondre ou quoi ? » Non, parce que moi, j’étais un petit peu autocentré, content que le game director me pose des questions à moi.

Et c’est après que j’ai eu effectivement cette prise de conscience, parce qu’on n’est pas non plus tous parfaits sur ces sujets-là. Moi, j’ai appris beaucoup de choses aussi au fur et à mesure. Et aussi, il faut faire attention des fois parce qu’il y a des petites guerres intrinsèques entre combattants de la diversité, parce qu’effectivement, des fois, il y a aussi des guerres de territoire, des choses comme ça.

Tout n’est pas rose non plus dans le milieu des combattants de la diversité.

Guillaume : Justement, si on rentre un peu plus dans le concret ou dans le quotidien, on a une petite rubrique dans l’épisode et on y arrive, c’est un peu le « Take away », le côté « Conseil good practice » qu’on demande un peu à nos invités.

Et là, sur ces sujets-là, qu’est-ce qu’on pourrait conseiller à nos auditeur.ices qui demain vont vouloir créer des nouveaux jeux vidéo, notamment à travers les Game Jam ou dans les studios dans lesquels ils vont arriver ou qu’ils vont créer, et qui souhaiteraient correctement traiter ce sujet ?

Est-ce que Jade, par exemple, est ce que tu as un tips ou deux à leur proposer pour avoir en tête un bon départ ?

Jade : Un bon départ ? La recherche utilisateur. Définissez votre public très clairement et allez le chercher. Allez chercher votre public, prenez son feedback, confrontez-le à vos idées et faites évoluer vos idées en fonction. N’ayez pas peur d’être challengé à ce niveau-là.

Et si c’est pour rejoindre l’industrie et que vous voulez faire avancer quelque chose, si vous voulez raconter une histoire, on va toujours vous demander des chiffres. Parce que si vous êtes une personne minorisée, comme on l’a dit plus tôt, vous allez être perçus comme émotionnel. On va toujours vous accuser de faire avancer un agenda. Vous allez avoir besoin de backer vos suggestions avec des études, avec des citations précises, avec des chiffres. Et pour ça, il faut compter sur la recherche. Et ça demande beaucoup de travail.

Malheureusement, c’est unfair, mais tant que vous n’avez pas d’allié concret ou que vous n’êtes pas sûr de qui sont vos alliés, c’est malheureusement un travail sur lequel il faut se reposer et un travail qu’il faut faire en plus.

Guillaume : Super, effectivement, je pense que Mickaël et moi-même, on est très convaincus par la recherche utilisateur de manière générale. Merci de…

Marie-Lou : Je le suis aussi.

Guillaume : Oui j’imagine ! Merci de ce conseil. Justement, Marie-Lou, un petit take-away pour nos auditeur.ices à appliquer pour leurs prochaines créations, qu’est-ce que tu recommanderais ?

Marie-Lou : Moi, peut être que je donnerais deux conseils de posture, au-delà de s’éduquer et s’entourer de personnes concernées si on n’est pas concerné et tout ça.

La première, c’est d’être sincère dans sa démarche, parce que je trouve qu’il n’y a rien de pire que chercher à cocher les cases d’une checklist diversité. Souvent, ça aboutit, on en a parlé tout à l’heure, mais à des représentations très maladroites, peu authentiques, qui parfois véhiculent d’autres stéréotypes négatifs. Donc ça fait plus de mal que de bien, même si l’intention à la base était bonne. Pour moi, il y a vraiment cette sincérité qui est essentielle, au delà des considérations mercantiles et autres.

Et puis, la deuxième chose, c’est cette humilité, de se remettre en question, d’être challengé.e par les retours utilisateurs. Parce qu’ on est tous des apprenants perpétuels sur ce sujet. On est tous biaisés parce qu’on est dans une société qui est malheureusement sexiste, raciste, homophobe, etc.

Donc, pour moi, avoir cette attitude d’accepter de se tromper et d’accepter de continuer à apprendre, pour moi, c’est essentiel pour faire évoluer l’industrie, parce qu’une représentation diversifiée il y a 10 ans, c’est pas la même chose qu’une représentation diversifiée aujourd’hui en 2023. C’est ça que je donnerais comme conseil.

Mickaël : La recette magique pour faire un bon jeu vidéo, c’est les joueurs. J’en parle assez souvent dans mon travail. C’est se renseigner sur les identités, sur les profils psychologiques. C’est ce manque d’objectivité qu’il y a dans les équipes créatrices, les designers.

Moi, ce qui me fait toujours halluciner en 2023, je fais beaucoup de studios, je travaille dans beaucoup d’équipes différentes et je peux vous dire encore qu’en 2023, les designers ne savent pas pour qui ils designent. Ils ne s’intéressent pas aux études marketing, aux études, aux recherches côté user research, au profil psychologique, au comportement des joueurs.

On est encore sur des game designers qui font des jeux pour eux-mêmes, parce qu’ils trouvent ça cool et je trouve ça hallucinant. C’est vraiment la seule industrie où les designers ne connaissent pas leurs utilisateurs, c’est le jeu vidéo.

Guillaume : Merci à vous deux pour ces recommandations à faire à nos auditeur.ices. J’espère que ça leur donnera des idées ou en tout cas, ça les encouragera à avancer sur cette voie, évidemment.

On se dirige gentiment vers la fin de cet épisode d’HonesTEA, mais avant de nous quitter, Jade, Marie-Lou, vous n’allez pas échapper à nos deux questions rituelles. Désolé.

Préparez-vous, voici la première. Auriez-vous une passion insolite à partager à nos auditeur.ices ? Jade, est ce que tu as eu l’occasion d’y réfléchir ?

Jade : Quelque chose que je pratique régulièrement et qui surprend toujours beaucoup de monde, c’est l’escrime médiévale.

J’ai plongé dedans il y a assez longtemps. J’avais commencé la pratique des arts martiaux quand j’étais assez jeune et je me suis intéressée aux arts martiaux historiques européens il y a une dizaine d’années, 13 ans maintenant. Ça commence à dater et c’est quelque chose qui me joyve énormément.

Je rêve de pouvoir continuer à la partager autour de moi, de pouvoir convertir un maximum de personnes pour envahir cet espace qui, malheureusement, reste encore très masculin

Guillaume : Marie-Lou, à ton tour de nous révéler quelque chose d’insolite dans ce podcast.

Marie-Lou : J’ai réfléchi un peu longtemps et je me suis dit « Mais je n’ai aucune passion insolite, je suis quelqu’un de très ennuyeux. »

Mais si, j’ai trouvé quelque chose quand même. Quand j’étais plus jeune, j’étais assez fan de paranormal. J’avais 15 ou 16 ans et avec mes amis de l’époque, on allait à la chasse aux fantômes dans les cimetières la nuit, on appelait les esprits, tout ça.

Ça m’a occupée quand même pendant pas mal de temps. Maintenant, je me suis un peu calmée, heureusement, mais c’était nos sorties du samedi soir.

Guillaume : Est ce que tu es fan des émissions de télé-réalité un peu où des gens vont dans des lieux hantés pour essayer de trouver des traces d’ectoplasme et autres apparitions fantomatiques ?

Marie-Lou : Oui, franchement, je trouve ça assez divertissant. Ça me fait un peu peur aussi, j’avoue quand même. Je ne regarde pas ça le soir avant d’aller me coucher, mais je trouve ça assez toujours… C’est tout un pan de gens et d’activités que je trouve assez fascinants.

Mickaël : Je sais que je ne suis pas censé répondre mais oui, j’en ai une. Je sais que je ne suis pas censé participer à ça, mais je te promets d’avoir une passion insolite pour chaque numéro parce que j’en ai plein.

Une autre de mes passions, c’est l’eau de coco. Je suis fan d’eau de coco, j’en bois tous les jours des tonnes. Buvez de l’eau de coco, c’est génial, il n’y a pas de sucre, c’est riche en potassium, c’est super bon pour la peau. C’est mon petit secret jeunesse que je vous partage, buvez de l’eau de coco.

Guillaume : Ok. Je prends note et le rendez vous est pris pour les prochains épisodes. J’ai déjà hâte du prochain !

Mickaël : Allez, c’est à mon tour de vous poser une question qui sera un petit peu du sujet abordé aujourd’hui. Auriez-vous un jeu inavouable ou surprenant que vous adorez à nous partager ? Jade.

Jade : J’ai partagé des jeux indés un petit peu plus tôt. Malheureusement, il y a un jeu que je n’assume pas d’aimer, c’est Dead or Alive.

Marie-Lou : Moi aussi !

Jade : Merci…

Marie-Lou : C’est le jeu que j’ai mis !

Mickaël : Ah, vous avez le même, énorme !

Jade : Merci !

Marie-Lou : Je n’ai pas mis que celui-là, mais il y est dedans.

Jade : D’accord. J’adore les mécaniques de combat et ce jeu reste juste fun et frustrant parce qu’il est extrêmement difficile à prendre en main. Il a énormément de problèmes. C’était l’image même du jeu misogyne, il y a eu une extension du Beach Volley, bref, c’est n’importe quoi, mais j’y reviens. J’ai honte, mais j’y reviens régulièrement.

Marie-Lou : C’est bien, ça vient annuler tout ce qu’on a dit avant.

Mickaël : Elle a dit « fun » aussi, le mot interdit, mais je n’ai pas réagi !

Marie-Lou : Donc oui, il y a Dead or Alive effectivement dans la liste.

Sinon, j’adore les jeux de voiture. J’adorais Gran Tourismo, Need For Speed.

Et maintenant, j’aime beaucoup tunner des voitures dans The Crew, j’avoue que faire la voiture la plus flashy possible avec six pots d’échappement, un motif écaille, carpe Koi.

Franchement, il n’y a rien qui me réjouit plus.

Mickaël : Pimp my ride!

Marie-Lou : Exactement.

Mickaël : En vrai, vous le davez, il n’y a pas vraiment de jeu inavouable. Moi, je suis spécialisé en accessibilité et en UX et je suis fan d’Elden Ring alors qu’on ne comprend strictement rien. On a tous nos petits secrets.

Marie-Lou : Nos petites contradictions.

Mickaël : Voilà, nos contradictions.

Guillaume : Effectivement. Et puis parfois, il y a des mécaniques de jeu qui traversent comme ça des DA problématiques et qui font qu’on y trouve quand même un intérêt sur le long terme.

Marie-Lou : C’est joliment dit.

Mickaël : Ouais, ou un contexte des fois. Il y a des jeux auxquels vous jouez dans une période de votre vie qui marquent quelque chose, qui vous ancrent dans quelque chose dont vous aviez besoin à ce moment là. Et la notion de contexte dans le jeu vidéo est hyper intéressante.

Guillaume : En effet. C’est la fin de ce nouvel épisode. Et oui, déjà ! On aurait envie de continuer comme ça encore de longues minutes, mais je pense qu’on aura déjà affaire à un bel épisode. Dites-nous, vous qui l’écoutez actuellement, ce que vous en avez pensé et si vous voulez qu’on fasse une partie deux, qui sait ? Peut-être que ce podcast continuera encore des années et qu’on aura l’occasion de réinviter Jade et Marie-Lou pour aller plus loin dans cette thématique.

Merci à vous deux de votre présence pour nous parler de la représentation et de la place des femmes dans le jeu vidéo. C’était vraiment passionnant.

Je fais du podcast à titre personnel pour des moments comme ça où j’ai l’impression d’avoir assisté à une petite conférence personnelle. Donc merci beaucoup. C’était vraiment très intéressant.

Est-ce que vous souhaitez nous partager éventuellement votre actualité ou quelque chose qui vous tient à cœur en ce moment, Marie-Lou ?

Marie-Lou : Oui, je vais profiter de ce moment pour faire ma petite publicité personnelle puisque je travaille sur mon propre jeu vidéo depuis presque deux ans maintenant.

C’est un visual novel sur mobile qui devrait sortir cette année. C’est un projet personnel qui me tenait vraiment à cœur, donc j’ai vraiment hâte de pouvoir le partager avec les personnes qui nous écoutent.

Ça s’appelle Cosmas Chronicles.

Guillaume : Où est ce qu’on peut te suivre peut être pour justement rester bien au courant des prochaines étapes et de la release ? Sur un réseau en particulier, un site internet ?

Marie-Lou : Twitter et Linkedin essentiellement.

Guillaume : Ok, vous Retrouverez ça en description de ce podcast bien sûr. Et Jade, de ton côté, une petite actu, un sujet que tu aurais envie de nous partager ?

Jade : Pas d’actualité vidéoludique, hélas, pour le moment. Le sujet qui m’occupe le plus en ce moment, malheureusement, c’est l’actualité concernant les personnes trans, la montée de la transphobie.

Il y a énormément de travail qui est fait par la communauté et j’en fais partie. On travaille très dur à créer des réseaux de soutien.

Si vous pouvez vous éduquer sur le sujet, soutenir les personnes trans financièrement quand c’est possible, n’hésitez pas, c’est très important, surtout en ce moment.

Guillaume : Est ce que tu aurais peut-être, encore une fois, un site, un compte sur un réseau social à nous recommander pour justement aller chercher de l’information ?

Jade : Je relaie beaucoup de choses sur mon propre compte Twitter. Malheureusement, je ne suis pas sûr de rester longtemps sur ce réseau.

Je vous encourage à suivre le compte d’AgressivelyTrans sur Instagram et Twitter, qui relaie énormément de choses quant à l’actualité et qui est très accessible pour les francophones.

Guillaume : Très bien.

Marie-Lou : Je rejoins complètement Jade sur la question de la nécessité de continuer à s’éduquer parce que là, on parle de jeux vidéo, mais tout ce qu’on dit a aussi un impact dans la vraie vie.

La misogynie, l’homophobie, la transphobie sont toujours bel et bien présentes dans notre société, donc l’intérêt de continuer à s’éduquer sur ces questions-là.

Guillaume : Oui, effectivement, je pense que Mickaël, tu seras d’accord avec moi, HonesTEA, c’est un podcast qui parle principalement de jeux vidéo, mais évidemment pas que.

C’est aussi la société dans laquelle on vit qui se reflète dans ce média, donc c’est bien de le rappeler aussi.

Mickaël : Bien sûr. Et malheureusement, c’est pour ça qu’on fait ce podcast et qu’on fait aussi l’EthicALL Game Jam. C’est malheureusement parce qu’on doit encore parler de ces sujets-là. On aimerait que ce soit des non-sujets, mais ça ne l’est pas encore.

Guillaume : Très bien, merci. C’est noté. Ça sera, je le rappelle, disponible en description évidemment de ce podcast.

N’hésitez pas d’ailleurs, vous qui nous écoutez, à parler d’HonesTEA autour de vous, à le liker, le commenter, le partager au sein de vos réseaux. C’est la meilleure manière de soutenir le podcast, tout simplement, et la parole libre de toutes les diversités. Je le rappelle dans le jeu vidéo, évidemment, comme ailleurs.

N’oubliez pas non plus que les transcriptions françaises et anglaises de cet épisode sont disponibles en lien du podcast sur notre compte Medium et on remercie encore Camille pour ça, elle se reconnaîtra, cœur sur elle.

Nous, Mickaël, on se retrouve dans deux semaines avec un nouveau sujet et de nouveaux invités.

Mickaël : Je serai fidèle au poste. Merci encore à vos incroyables invités et surtout, buvez de l’eau de coco !

Guillaume : Merci Mickaël, merci Jade. Merci Marie-Lou.

À dans deux semaines !

Marie-Lou : Merci.

Jade : Merci beaucoup.

Mickaël : Bye bye.

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EthicALL Game Jam

The EthicALL Game Jam is the first game creation event fully dedicated to ethics and inclusion.